On a perdu le Youki

La fête se prépare dans le lotissement. Cette année, cela se passe chez Louisette et Anatole, mais naturellement les voisins participent aux préparatifs. Rachid et Fatima, d’origine tunisienne, ont préparé les pâtisseries et Elvis le rocker s’occupe de l’éclairage du jardin, sous le regard attentif de Germaine, sa mère. Cynthia, la voisine enceinte jusqu’aux dents, ne fait pas grand-chose mais comme dit Rachid : « Même si elle na pas inventé le couscous, elle est gentille. » Alors que tout ce joli monde s’active, c’est à ce moment que débarquent les cousins de Neuilly, tombés en panne pas loin de là.

Les répliques et les situations hilarantes s’enchaînent sans cesse dans cette comédie dynamique qui tout en faisant hurler de rire le public, en profite au passage pour faire l’éloge de la différence et de la diversité.

Acte Un

 

Anatole est sur scène. Il gonfle un ballon de baudruche. À ses pieds, trois ou quatre ballons déjà gonflés, reliés à une ficelle. Entrée de Louisette. Elle tient un rouleau de nappe en papier.

Louisette - Anatole ! Qu’est-ce que tu fabriques ? Tu ne vois pas qu’il y a plus urgent à faire que de gonfler des ballons ? Il y a encore toutes les chaises à installer, le barbecue à aller chercher dans le garage… Tu n’oublieras pas de nettoyer la grille et puis tu iras chercher des plats chez Rachid et Fatima parce que moi, je n’en aurai jamais assez… Dis… Tu m’entends ? Arrête de gonfler pendant que je te parle.

Anatole - Mais c’est toi qui me gonfles ! Laisse-moi donc finir mes ballons tranquillement… Tu sais, c’est important la déco. On ne va tout de même pas faire la fête des voisins sans déco… Souviens-toi, l’an dernier chez Elvis et Germaine… Le Elvis, il avait tapissé tout son mur avec des pochettes de quarante-cinq tours… Rappelle-toi comme c’était la classe… Alors moi, je vais peut-être faire plus traditionnel mais je tiens tout de même à ce que ça fasse beau.

Louisette - Je reconnais bien ton esprit pratique… Faire la décoration avant le gros œuvre… Mon pauvre bonhomme ! Tu es d’une logique ! Il n’y a que toi pour raisonner comme ça !

Anatole - C’est qu’elle a l’air excitée la petite dame ! Elle n’aurait pas un peu picolé ? (Il fait le salut militaire.) Gendarmerie nationale… Petite vérification… Contrôle d’alcoolémie… (Il tend un ballon à Louisette.) Allez-y ! Soufflez !

Louisette - Anatole ! Tu crois vraiment que c’est le moment de faire le guignol ?

Anatole - Bien sûr que c’est le moment. Allez ! Vas-y ! Souffle ! (Elle s’exécute.) Allez ! Encore ! Fais voir ! (Il lui prend le ballon, souffle à nouveau puis le lâche en direction du public. Le ballon fuse tout en se dégonflant. Anatole, ravi, se met à chanter.) « C’est la fête, c’est la fête… » (S’arrêtant.) Ben quoi ! Ce n’est pas vrai ? Allez ! Souris donc un peu.

Louisette - Je sourirai quand le travail sera fini.

Anatole - Allons bon ! Voilà qu’on ne peut plus rigoler à présent ? C’est interdit par le règlement, c’est ça ?

Louisette - Je n’ai pas dit ça.

Anatole - Ben alors, fais-moi donc une petite risette… Mieux que ça… Et puis un petit bécot… (Désignant sa joue.) Un petit bécot pour Anatole. Allez ! Un petit.

Louisette (s’approche en souriant puis l’embrasse) - Espèce de grand fou, va ! Bon ! Maintenant, au boulot ! Va donc chercher les chaises et tu ramèneras aussi la table du salon de jardin, j’en aurai besoin pour poser mes plats. Allez ! Active-toi !

La sonnerie de la porte d’entrée retentit et, sans attendre qu’on vienne leur ouvrir, arrivée de Rachid et Fatima. Fatima porte des plats.

Rachid - Bijour ! Y a quelqu’un dans la casbah ? Bijour le gazou ! Bijour la gazelle ! (Ils s’embrassent.) Ça va bien ? (À Anatole.) Ça va, toi, mon ami ? (Se tournant vers Louisette.) Et toi, la gazelle ? Toujours aussi belle ! Encore plus belle que la mosquée de Kairouan ! Aïe  aïe aïe ! Anatole, tu as de la chance ! Deux mille chameaux et trois Ferrari et je t’achète ta gazelle. Tu es d’accord ?

Anatole - Garde les Ferrari et amène-moi les chameaux. Je les mettrai sur la pelouse, ça m’évitera de tondre.

Fatima - Qu’ils sont bêtes ces deux-là ! Vous n’en avez pas marre de raconter toujours les mêmes bêtises à chaque fois que vous vous voyez ? Tiens Louisette, je t’ai apporté les plats.

Anatole - On boit un coup ? J’ai un petit rosé, ça vous dit ?

Rachid - Un petit rosé de Tunisie ?

Anatole - Tu rigoles ! Je bois français, moi, monsieur. Qu’est-ce que tu veux que je fasse de ton jus de raisin ?

Rachid - Aïe aïe aïe ! Mon ami ! Je te pardonne parce que tu as une jolie femme mais vraiment tu ne sais pas ce que tu dis. Tu n’as jamais goûté le rosé de Carthage ? Quand tu le bois, tu crois que le soleil, il est dans ton verre. Franchement c’est la vérité vraie.

Anatole - Ouais ! C’est ça, je vais te croire…

Rachid - Est-ce que tu sais au moins que sept cents ans avant Jésus-Christ il y avait déjà du vin en Tunisie ?

Anatole - Ah ! c’est pour ça qu’il a un goût de bouchon ? Je me disais aussi…

Rachid - Louisette, ma gazelle, je vais te dire : cet homme ne te mérite pas.

Anatole (servant tout le monde) - Allez ! Bois donc un coup, ça t’évitera de dire n’importe quoi. Attention. Contact ! (Tous se lèvent et placent leur verre au niveau du nombril.) Moteur ! (Tous portent le verre au niveau du menton.)

Tous ensemble - Eeeeeeeeeeeeeeeeeeet… (En faisant monter le son progressivement.)… santé !

Ils boivent tandis qu’on sonne à la porte.

Louisette - Entrez ! C’est ouvert !

Entrée de Cynthia. Enceinte jusqu’aux dents, elle avance le ventre en avant. Elle fait la bise à tous.

Cynthia - Bonjour ! Ça va ?

Louisette - Nous oui… Mais… Et toi ?

Fatima - Alors ? Tu l’as vu le gynéco ?

Cynthia - Ben ouais ! Figurez-vous que vous aviez raison, les filles : je suis bien enceinte.

Fatima - Tu sais, ce n’était pas trop difficile à deviner.

Louisette - On se doutait bien que ce n’était pas de l’aérophagie.

Anatole (s’emparant d’un ballon) - T’as vu, Cynthia, il n’y a pas que toi qui es comme ça… Moi aussi, j’ai le ballon.

Louisette - Oh là là ! Qu’est-ce que tu peux être lourd par moments… Ne l’écoute pas… Dis-nous plutôt comment ça s’est passé.

Cynthia - Sans vouloir te faire de la peine Louisette, tu m’as envoyée chez un drôle de loulou.

Louisette - Le docteur Marie ? Pourquoi dis-tu cela ? C’est mon gynéco depuis plus de trente ans et je peux t’assurer que c’est un super pro.

Cynthia - N’empêche… Je l’ai trouvé louche… Il n’a pas arrêté de me poser des questions bizarres.

Fatima - Quoi par exemple ?

Cynthia - Il a commencé à me demander : « Vous êtes réglée comment, d’habitude ? » Je vous jure, je n’invente rien… Vous imaginez… Vous allez voir un docteur, et le type, tout de suite, il vous demande ça !… Moi, personnellement, je m’en fiche de savoir comment je suis réglée… Du moment que le client paie… Chèque ou carte bleue, quelle importance ? Et puis d’abord, comment il a su que j’étais caissière ? C’est qui ce mec ? Nostramadus ?

Louisette - Mais non… Ce n’est pas Nostradamus… Et après ?

Cynthia - Après, il me demande : « Vous pensez être enceinte de combien ? » Je lui ai dit : « Je sais pas trop… C’est vrai, il faisait noir… Mais je crois bien qu’il était tout seul. » Attendez !… Ensuite, il me demande si j’ai une idée de l’âge du papa. Qu’est-ce que tu veux que je dise ? Le type, je l’ai rencontré à la sortie de « L’Atlantide »… Déjà que je ne connais pas son nom, comment veux-tu que je connaisse son âge ? Pourquoi pas son numéro de Sécurité sociale pendant qu’il y était ?… Ce soi-disant docteur, il a fait des études pour poser des questions pareilles ?

Fatima - Ne te fâche pas comme ça ! Ce n’est pas bon pour le bébé.

Cynthia - Oui, t’as raison… D’autant qu’il m’a prévenue que le bébé, il risquait d’être moche !

Louisette - Qu’est-ce que tu racontes ? Il n’a pas pu te dire ça !

Cynthia - Il ne l’a pas dit directement mais je ne suis pas bête, j’ai tout de suite compris quand il m’a demandé : « Est-ce que vous croyez qu’à part vous, quelqu’un va reconnaître l’enfant ? » Ça veut bien dire ce que ça veut dire. S’il n’y a que sa mère qui peut le reconnaître, le pauvre gosse, c’est qu’il va être vraiment moche.

Rachid - Ne dis pas ça, la gazelle… Il sera beau le bébé.

Cynthia - T’es gentil, Rachid, de vouloir me rassurer… Mais tu sais, je l’ai vu à la télé… Franchement, il n’est pas terrible le cosmonaute… On dirait E.T… Le toubib, il avait raison : ça ne sert à rien de se voiler la fesse.

Anatole - Se voiler la face… On dit « la face », pas « la fesse »… La fesse, si tu l’avais voilée, ça t’aurait peut-être évité d’avoir un polichinelle dans le buffet.

Fatima - Dis-moi, Cynthia… Est-ce que tu penses allaiter ?

Cynthia - À l’été ? Bien sûr que je pense à l’été. Tu sais bien, Fatima, je suis comme toi, moi aussi j’adore le soleil, j’aime pas la pluie.

Fatima - Non… Je ne parle pas de l’été, je te demande si tu vas l’allaiter, si tu vas le nourrir au sein.

Cynthia - Je ne sais pas si j’y arriverai…

Anatole - T’inquiète ! Rachid et moi, on te montrera.

Ensemble, tous deux font mine de téter.

Louisette - Ne t’en fais pas Cynthia ! On ne te laissera pas toute seule.

Cynthia - Vous êtes chics !

Rachid - C’est normal, la gazelle. Entre voisins, faut s’entraider.

Le téléphone sonne. Anatole se déplace et décroche.

Anatole - Allô ! Allô ! Qu’est-ce que c’est ?… Ah !… Ça pour une surprise, c’est une surprise… Et qu’est-ce qui me vaut l’honneur de t’entendre ? Comment ?… À cinq kilomètres d’ici ?… Bon… Ne t’énerve pas… T’es où exactement ?… Ouais… Je vois… Bon… Commence à faire du stop, j’arrive !… Mais non… Je plaisante… Bien sûr qu’on va trouver une solution… On ne va tout de même pas laisser tomber la famille… Alors, écoute ! Tu ne bouges pas et j’envoie la cavalerie pour vous sauver. À tout à l’heure !

Il raccroche.

Louisette - Qu’est-ce qui se passe ?

Anatole - Attends un peu… Je passe un appel et après, je t’explique. (Il compose un numéro.) Allô ! (Prenant une voix snob.) Allô ! Marie-Chantal ? Comment allez-vous chère amie ?… (Reprenant sa voix normale.) Ben ouais ! C’est Anatole… Comment tu m’as reconnu ? Quoi ? À cause de mon haleine ? Tu sais que t’es toujours aussi drôle, toi ? Bon… Écoute-moi deux secondes… Je t’ai trouvé du boulot… Tu n’en cherches pas ? Ce n’est pas grave, je t’en ai trouvé quand mêmeEst-ce que tu pourrais dépanner un 4x4 qui se trouve sur la route de l’étang ?… J’t’explique… Le propriétaire, je le connais… Ouais… C’est même quelqu’un de la famille… Si, si… Je suis sérieux… Alors sois gentille, tu le dépannes et tu me l’envoies…...

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