La réunion de rentrée
Scène 1 : Michou, puis Arlette
Salle en désordre, chaises métal dont certaines renversées, une table, un paperboard.
Sonnerie de téléphone. Michou entre, cartable de prof à l’ancienne, farfouille pour en tirer un gros téléphone démodé.
MICHOU : Oui, j’arrive tout juste au local, ma biche. Non, y a encore personne, comme d’hab. … Ah ! mais non, c’est plus Marcel Guého, tu sais bien…(Elle regarde autour d’elle) Je ne sais pas encore, c’est tout neuf, quoi ! C’est beau, c’est sûr !... (Elle redresse une chaise pour s’asseoir, fatiguée) Mais si, on va peut-être bien la regretter, notre vieille salle… Que veux-tu, c’est dans les accès de nostalgie qu’on se rend compte qu’on vieillit ! Je me demande pourquoi je me lance encore là-dedans, d’ailleurs. Je vais récupérer combien d’acteurs cette année ? J’en peux plus, de ce stress. Je crois que je vais…(Elle se lève pour redresser une autre chaise, installer ses affaires) (Bruit de porte en coulisses) Ah ! j’entends quelqu’un, à plus ! Je te rappelle après la réunion.
ARLETTE : (entre précipitamment par coulisse jardin) Ah ! Michou, tu es seule ! Parfait ! J’arrive par derrière parce je voulais te voir, toi, avant que les autres nous sautent dessus. (Regard circulaire) … Ah ! dis donc, c’est chouette ici ! ça va nous permettre de nous renouveler complétement, ça, de renaître en quelque sorte ! Et justement, voilà ce que je voulais te dire : on ne va pas recommencer comme l’année dernière, hein ? Pas question de donner un rôle à Sandrine, on est bien d’accord ?
MICHOU : Bonsoir, d’abord. Ben pourquoi ? Elle joue pas mal quand même !
ARLETTE : (très remontée) Pas mal ? Tout le monde sait sur quel registre elle joue ! Dès qu’elle remue son popotin (et ça, d’accord, elle sait le faire !), tous les mâles de la salle sont en lévitation. Enfin, on imagine ce qui lévite…(geste)
MICHOU : Tu as raison, Arlette, mais ça peut attirer du public aussi. (Mine gourmande et taquine) Et c’est vrai qu’elle a un beau cul quand même !
ARLETTE : Ne me dis pas que pour toi, c’est ça, le talent d’une actrice ? Depuis le temps qu’on joue ensemble, on a appris plus de subtilité, de recherche dans le jeu, non ? Un beau cul ! C’est ça, l’image que tu veux donner d’Artiteiz ?
MICHOU : Ben, je sais pas, Arlette, mais regarde Bardot. Tu lui mettais le cul de Balasko, sa carrière était pourrie d’avance…
ARLETTE : Bon, je te préviens, c’est elle ou moi. Parce que ses manigances, ses minauderies pour que tu lui donnes le premier rôle, ça, j’en peux plus.
MICHOU : (effort pour paraître ferme) Peut-être, mais c’est moi qui fais la mise en scène, on est bien d’accord ? Alors, je vais te dire….
ARLETTE : Ok, je t’aurai prévenue. Sinon, tu as une idée de pièce, j’espère ? Parce qu’il faut qu’on s’y mette au plus vite, quand même !
MICHOU : Oh ! C’est pas les pièces qui manquent ! On cherche un registre comique, plutôt. La vie est déjà tellement triste. (Ton professionnel, elle rassemble avec minutie les chaises en U) Comique, mais pas que, non plus ! Tu connais notre public, de vrais amateurs de théâtre, il ne faut pas les décevoir…
ARLETTE : Tu as raison. Il faut que ça fasse un peu réfléchir en même temps, quoi ! Et puis, il faut un rôle pour tous ceux qui veulent jouer !
MICHOU : C’est ça qui n’est pas évident ! Tous les ans, c’est le même problème. Faudrait que je l’écrive moi-même, tiens ! Comme ça, tu l’écris en fonction des acteurs que tu as sous la main. (Elle reprend le rangement des chaises en arc de cercle) Et celui qui n’arrive pas à apprendre plus de trois scènes, crac, tu le fais mourir dans l’acte 1, c’est pratique…
ARLETTE : Charlotte et Jean-Marc, ils reviennent ou pas ?
MICHOU : Non, je ne leur ai pas envoyé le mail de rentrée. (Mimique d’Arlette qui désapprouve) Ils refusent de se faire vacciner, voilà ! Les antivacs, j’en ai ma dose !
Scène 2 : Michou, Arlette, Yolande, Bertrand
Yolande entre, l’air décidé.
YOLANDE : Salut les copines ! Ouf, j’ai cru que je n’y arriverais jamais. Bertrand a voulu se garer sur l’ancien parking ; monsieur a ses habitudes là-bas, figurez-vous ! Vous voyez le chemin à faire avec mes talons ? (Elle se laisse tomber sur une chaise et enlève ses chaussures). Allez, Bertrand, fais pas ton timide !
ARLETTE : Tu nous as amené ton bonhomme, cette année ?
YOLANDE : Ben oui, on a toujours besoin d’un coup de main pour bricoler le décor ou réparer un truc. Il adore ça, bricoler, et il a déjà tout fait à la maison, plutôt deux fois qu’une, même. Chantier peinture tous les trois mois, sciage et rabotage, j'en ai un peu marre à la fin, si vous voyez ce que je veux dire !
ARLETTE : Il est en retraite ?
YOLANDE : Oh ! Oui, depuis cinq ans déjà. Il était cheminot, alors retraite à 55 ans, (ironie) vu la fatigue occasionnée par le boulot.
Bertrand entre, sans enthousiasme.
Maintenant, il s’emmerde. (Baisse le ton) Alors, comme en plus, dans la journée, il est tout seul avec le chien, il a tendance à (geste de boire). Je préfère l’avoir à l’œil !
ARLETTE : Je comprends ça ! (sort côté jardin avec son sac à main) Bon, j’espère qu’ils ont mis des miroirs en coulisses pour le maquillage ?
MICHOU : Bonsoir, Bertrand. On a beaucoup entendu parler de tes talents de bricoleur, tu vas sûrement nous être très utile. J’aurais peut-être un petit rôle pour toi en plus ?
BERTRAND : Ouh la la la la ! C’est pas pour moi, ça. J’ai pas de mémoire, d’abord. Non, non, non, je veux bien rendre service, mais vous allez pas me piéger avec un rôle, hein ?
MICHOU : Oh, je t’assure que ce ne serait pas compliqué, presque un rôle de figurant. Pas plus de dix répliques, tu vas bien pouvoir retenir ça ?
BERTRAND : Aaah non, non, non ! Je vais pas aller faire le guignol sur scène, moi, hein. Vous voyez ce qu’ils diraient, les copains, aux boules ? (en colère, à Yolande) Si c’est pour ça que tu m’as traîné ici, toi, je te préviens, Yoyo, je me tire tout de suite. Et avec la bagnole ! Tu rentres à pied, avec ou sans chaussures.
YOLANDE : Mais non, mon biquet, c’est pas pour ça. Calme-toi ! Allez, fais le tour pour voir ce que tu pourrais bricoler. Un peu de déco par-ci par-là, peut-être ? Ce ne serait pas du luxe pour égayer tout ça ! (Il regarde, fait le tour, prend des notes, disparait entre les rideaux.)
JOSYANE : (entre, pose un sac, en sort des gâteaux) Salut la compagnie ! Je suis un peu en retard, non ? J’ai attendu que mes gâteaux soient cuits. C’est ma dernière recette, vous m’en direz des nouvelles ! Avec des noix du jardin !
MICHOU : Tiens, Josyane ! Quel honneur ! Tu nous avais abandonnés, dis donc ! Combien, deux ans ?
JOSYANE : Oui, c’est ça. J’ai essayé la danse bretonne. Mais j’ai pas le sens du rythme, moi. Je me retrouvais toujours dans l’autre sens. Au théâtre, au moins, on se place comme on veut. (Découvrant Yolande, très aimable) Salut toi, dis donc, t’as changé de couleur ? C’est pas mal !
YOLANDE : Euh non….
JOSYANE : C’est la coupe alors ? Ou t’as maigri ? Je sais pas, t’as quelque chose de changé. (grave) Simone, t’es pas malade au moins ?
YOLANDE : (glaciale) Moi, c’est Yolande.
JOSYANE : Ah ! je me disais aussi…
ARLETTE : entre Ah ! Josyane, quelle chance que tu reviennes cette année ! Tes gâteaux sont tellement bons ! Et à cette heure-ci, on a quand même souvent un petit creux, hein ?
JOSYANE : (volubile) Je te donnerai la recette si tu veux. La seule difficulté, c’est quand tu ajoutes le beurre et que…
YOLANDE : Eh ! les filles, on n’est pas là pour ça !
PHIPHI : (passe la tête) Bonbonsoir, c’est bien ici là la réunion théâtre ?
YOLANDE : Oui, bonsoir ! Ah ! Ça, c’est bien, un nouveau ! Et un homme en plus ! C’est une denrée rare dans les clubs théâtre. Bienvenue chez nous, je suis Yolande. Et vous ?
PHIPHI : Jeje m’appelle Phiphi, Philippe et j’ai déménagé ici l’année dernière.
JOSYANE : On va vous appeler Phiphi ou Philippe ?
PHIPHI : Cocomme vous voulez ! On dit comme on peut… Phiphilippe quoi !
Luis laisse galamment entrer Bérengère, puis entre après elle.
Scène 3 : Michou, Arlette, Yolande, Josyane, Philippe, Bérengère, Bertrand, puis Luis, Alex
MICHOU : Entrez ! Entrez ! Bonsoir, soyez les bienvenus ! Deux nouveaux, c’est formidable ! On ne se connait pas ?
BERENGERE : Bonsoir. Non, je viens de me poser en Bretagne. Je suis Bérengère. J’ai vu votre annonce, alors, voilà, je viens vous proposer mes… modestes talents (rire faussement modeste). Je suis fan de théâtre.
JOSYANE : Mais on est tous fans de théâtre ici ! Vous avez déjà fait partie d’une troupe ?
BERENGERE : Oui, mais à Paris. Je vais vous apporter un peu l’atmosphère de la capitale, quoi ! (petit rire) Mais je ne sais pas si vous avez l’habitude de …
ARLETTE : (très froide) Aucun problème, on s’adapte à tout, même au pire ! À condition qu’on s’adapte à nous d’abord. Votre mari aussi faisait partie de la troupe ?
BERENGERE : Oh ! Ce n’est pas mon mari. On ne se connait pas d’ailleurs ; nous sommes arrivés ensemble sur le parking, c’est lui qui m’a indiqué votre… local ! Je ne suis pas sûre que je l’aurais identifié comme un théâtre (rire discret).
Josyane sort
LUIS : Bonsoir. Y a que des filles, ici ? (Bertrand revient en suçant son crayon, carnet à la main. Il continue à écrire) Ah ! Non, un mec aussi. Salut ! (Il l’évalue du regard) Bon… (À Michou) Moi, c’est Luis, Loulou pour les intimes.
ALEX : (rentre à jardin) Demat d'an holl[1] ! Ah ! Ben dites donc, ça change ici ! C’est formidable ! Au moins, on sait pourquoi on paie des impôts ! Ouais, ça sent encore le neuf mais on va pas regretter notre bonne vieille salle et ses rideaux tout déchirés, hein ? Bon, les coulisses, ici au moins, on va pas critiquer : si j’ai bien compris, y en a pas du tout … (Il rit) Salut, Michou, ça fait du bien de te revoir ; ça fait un bail, hein ? Vingt ans, non ?
MICHOU : (froide) Bonsoir, Alex. Je dirais même bien trente.
ALEX : Non, tu crois ? Ah ! Michou, la plage de Barcelone au clair de lune, hein ? L’auberge de jeunesse, le flamenco… J’ai l’impression que c’était hier. Trente ans ? Tu es sûre ?
MICHOU : (glaciale) Tu dois retrouver la date facilement. Six mois après, tu t’es marié. Elle va bien, Solange ?
ALEX : Elle va, elle va… avec trente ans de plus, quoi ! À l’époque, je l’appelais ma moitié, elle n’aimait pas ça. Alors j’ai arrêté. Je l’appelle plus d’ailleurs...
JOSYANE : (rentre avec un couteau pour le...