ACTE 1
SCENE 1
MICHELINE
Micheline est allongée sur le canapé, un polar en main. Elle porte un tablier.
MICHELINE (lisant) – Paulo avait un air cynique, un visage sombre et patibulaire, avec une large balafre sur le front, souvenir indélébile d’une lutte fratricide au couteau dans les bas-fonds ou sur les docks. (Interrompant sa lecture.) Ouais, pas le genre de type à fréquenter… Quoique c’est mieux que rien… Et rien, je connais… (Micheline s’avance sur le devant de la scène et s’adresse à un homme du public.) Vous aussi je parie ?... En vous voyant, avouez que je ne prends pas de gros risques… On pourrait peut-être s’entendre… Je ne suis pas difficile… Vous non plus ?... Charmant !... Bon, c’est pas tout ça, mais j’en connais un qui m’attend, avec un long manche et des poils…
Micheline gagne la cuisine.
SCENE 2
PAUL puis MICHELINE
Paul descend l’escalier, en bras de chemise. Il sort son portable et compose un numéro.
PAUL (assez bas, comme s’il craignait qu’on l’entende) – Allô ?… C’est Paul Seguin… Vous allez bien ?… Oui, effectivement, ça pourrait être pire… Tant mieux pour vous !… Non non, il ne s’est pas encore pointé… Si ça se trouve, il ne viendra pas… Ouais, faut pas trop y compter… Les liquidateurs, c’est comme les croque-morts, on se passe de leur visite…
Micheline est de retour, un balai en main. Paul, qui ne l’a pas vue, poursuit sa conversation téléphonique.
PAUL – Oui, j’ai compris : la seule possibilité pour arrêter la procédure, c’est de trouver l’argent… Oui, je sais, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval… (Avec un rictus.) Mais d’un âne, c’est possible… Oui, j’ai ma petite idée… Je vous tiendrai au courant… Si tout se déroule comme je l’ai prévu, je devrais conclure ce soir
MICHELINE (soufflant) – Ca, c’est que je me dis tous les jours depuis quarante ans : Micheline, faut conclure… Mais j’ai même pas l’introduction… Façon de parler hein...
PAUL (qui a raccroché) – Vous étiez là ?
MICHELINE (tragédienne) – Là et lasse, hélas !
PAUL – Toujours vos problèmes de dos ?
MICHELINE – Eh oui ! Le pire, c’est quand je suis allongée
PAUL (sentencieux) – Pour vivre heureux, ne vivons pas couchés !
MICHELINE – Comme vous dites. Et vous, toujours vos ennuis financiers à ce que j’ai compris
PAUL (faussement choqué) – Dites-donc ! Ca ne vous dérange pas d’écouter aux portes
MICHELINE (naturelle) – Pas plus que ça. Et puis, je n’écoutais pas, j’ai entendu, vous saisissez la nuance ?
PAUL – Vaguement… Très vaguement… De toutes façons, je ne vois pas en quoi ça vous regarde
MICHELINE – Un peu quand même… Je vous rappelle que je n’ai pas touché ma paie du mois dernier
PAUL (faussement étonné) – Ah ?...
MICHELINE – Bon, j’ai peut-être tort, mais je ne m’inquiète pas trop : une fois de plus, vous allez vous en sortir, n’est-ce pas ?
PAUL (sceptique) – Ouais… Mon expert-comptable est nettement moins optimiste
MICHELINE – C’est dans leurs gênes. C’était lui au téléphone ?
PAUL – On ne peut rien vous cacher
MICHELINE – Difficilement
PAUL – Lui, il est pénard : il est en vacances sur Maurice
MICHELINE – Moi, ce serait plutôt les vacances pépères chez Maurice
PAUL – C’est cela, oui
MICHELINE – Maurice, mon cousin qui habite à Tourcoing
PAUL – Tout un programme
MICHELINE – Je ne vous en ai jamais causé ?
PAUL – Vous dites tellement de choses que...
MICHELINE – C’est celui qui a épousé ma cousine Suzanne… Oh, c’est pas un cadeau… Ma cousine comme Maurice d’ailleurs
PAUL (amusé) – Ils se sont bien trouvés alors
MICHELINE – Ouais… Faut dire qu’ils ont cherché longtemps… Ils en ont écumé des foires aux célibataires, les deux bestiaux !… Au début, c’était tout beau… Et je te compte fleurette, et je te caresse le visage
PAUL – Et aujourd’hui ?
MICHELINE – Elle a deux fois plus de taf, vu qu’il a pris un double menton
PAUL – C’est plaisant
MICHELINE – Entre nous, je me demande comment ils font pour rester encore ensemble. C’est bien simple : Suzanne, c’est comme une invention française, c’est Maurice qui l’a trouvée et ce sont les autres qui en profitent !
PAUL – Bah dites donc !
MICHELINE – Ce doit être le boulot qui les lie, je ne vois que ça
PAUL – Ils bossent ensemble ?
MICHELINE – Non. Elle travaille dans l’administration et lui ne fait rien non plus
PAUL – C’est parlant
MICHELINE – Je ne sais d’ailleurs pas comment elle fait : elle termine son travail à cinq heures et elle est chez elle à quatre !
PAUL (toujours amusé) – Un véritable exploit
MICHELINE – Comme il dit, Maurice, pour être heureux dans la vie, il faut une bonne santé et un bon travail. Il est en pleine forme et sa femme a un bon boulot
PAUL – Vous n’avez pas suivi la même voie que votre cousine
MICHELINE – D’un côté, c’est pas plus mal… Vous verriez la belle-mère de Suzanne ! Comme on dit, le mariage, c’est pas la mer à boire, c’est la belle-mère à avaler
PAUL – C’est imagé
MICHELINE – Bon… Faut reconnaître que j’ai pas trouvé de mari… Pourtant, tous les soirs, je regarde sous mon lit pour voir s’il y a un homme… Rien ! Nada ! Nothing ! Nib de nib !
PAUL – Là, je crois que vous avez fait le tour
MICHELINE – Ah ?
PAUL – Vous devriez acheter un lit XXL, ça augmenterait vos chances
MICHELINE – Faudrait que j’essaie… (Après un temps.) Et il vous manque ?
PAUL – Mon expert-comptable ? Pour les maigres conseils qu’il me donne et ce qu’il me coûte, il peut rester sur son île
MICHELINE (rectifiant) – Je voulais dire : il vous manque beaucoup d’argent ?
PAUL – Ah ! Pardon, je n’y étais pas
MICHELINE – J’avais remarqué, mais faut suivre, voyons, faut suivre… Alors ?
PAUL – 200 000 euros
MICHELINE – Ah ?... Quand même… On est dans la mouise, Louise !
PAUL (théâtral) – Un rien, une bricole, que dis-je, une paille !
MICHELINE – Pour moi, c’est plutôt une paie… Naturellement, votre femme n’est pas au courant
PAUL – Naturellement… Mais j’ai bon espoir de trouver cette somme
MICHELINE – Si vous le dites
PAUL – Et pas plus tard qu’aujourd’hui
MICHELINE – Si vous le croyez
PAUL – Seulement, pour y arriver, il va falloir mettre les petits plats dans les grands
MICHELINE – J’aurais plutôt tendance à mettre les pieds dans le plat
PAUL – Vous n’avez pas oublié que nous avons des invités ?
MICHELINE (rectifiant) – Vous avez des invités ; moi, je n’ai rien demandé
PAUL – Si vous voulez
MICHELINE – Oh, moi, je ne veux rien… (Rectifiant.) Si ! Deux choses : ce que vous me devez et un casse-croûte, enfin vous voyez de quoi je parle
PAUL – Pour la première, ça doit pouvoir se faire… Pour la deuxième…
MICHELINE – Merci pour vos encouragements… Si je me rappelle bien, vos invités, ce sont les...
PAUL (embrayant) – Les Duplantier
MICHELINE – Voilà
PAUL – Le père et le fis
MICHELINE – Il ne manque que le Saint-Esprit
PAUL – J’allais ajouter la mère, mais ce n’est pas avec elle qu’on va trouver l’esprit
MICHELINE – Le fils s’appelle Edgar : c’est ça ?
PAUL – Quelle mémoire !
MICHELINE – Un prénom pareil, ça ne s’oublie pas
PAUL (avec exagération) – Edgar est un jeune homme plein de qualités
MICHELINE – Et plein aux as je parie
PAUL – Euh… Oui, aussi… C’est vrai que sa famille peut sans souci jeter l’argent par les fenêtres
MICHELINE – Si encore ils sont au rez-de-chaussée
PAUL – C’est simple : ils ne savent pas quoi faire de leur argent
MICHELINE – Ils n’ont qu’à m’en donner, et à vous aussi par la même occasion
PAUL – Je compte bien là-dessus
MICHELINE (fine mouche) – Je le subodorais…
PAUL (reniflant) – A propos, vous ne trouvez pas qu’il y a une drôle d’odeur ?
MICHELINE – Ah ?... (Réfléchissant.) C’est sûrement mon nouveau parfum… On m’a dit qu’avec, les hommes allaient courir après moi comme des mouches… Finalement, je me demande si ce ne sont pas les mouches qui vont courir après moi comme des hommes
PAUL – Vous exagérez !
MICHELINE – Ouais… Tout ça ne vaut pas une bonne bouteille de sent-bon ou d’eau de Cologne
PAUL – Pour revenir à nos invités, aucun faux pas n’est permis
MICHELINE (rigolant) – Ouais, je suis au parfum… Heureusement, non assistante ne devrait plus tarder
PAUL – Votre ?
MICHELINE – Celle qui va me prêter main forte pour le service
PAUL (réalisant) – Ah oui ! Je l’avais oubliée celle-là
MICHELINE – Moi pas… Avec mes problèmes de coiffe, je compte vraiment sur elle pour m’épauler
PAUL – Ce n’est plus le dos qui vous fait tant souffrir ?
MICHELINE (un brin gênée) – Euh… Si. (A la Audiard.) Mais ça monte, ça se propage, ça se diffuse, ça irradie !
PAUL – Quand j’y pense, mon épouse aurait très bien pu vous aider
MICHELINE – N’y pensez pas
PAUL (amusé) – Vous avez raison : ce n’était pas raisonnable
MICHELINE – Remarquez, elle qui rêve que vous l’emmeniez dans un lieu dépaysant, elle aurait pu comme ça découvrir la cuisine
PAUL – Il y a du vrai
MICHELINE – J’espère vraiment que la personne qui va m’aider sera débrouillarde
PAUL – Ceci dit, avec une gourde ou une cruche, on ne manquerait pas d’eau
MICHELINE – Pas faux
PAUL – Et vous avez prévu quoi pour le dîner ?
MICHELINE – Devinez
PAUL – Comme d’habitude : votre succulente blanquette
MICHELINE – La blanquette de Monsieur Seguin, ça s’impose, non ?… Pour l’entrée, ce sera une salade de poireaux et noix et pour le dessert, une crème renversée
PAUL – Je ne doute pas du résultat… Micheline, j’ai toujours été admirateur de vos talents culinaires
MICHELINE – Mais j’en ai d’autres !
PAUL – Oh, certainement
MICHELINE – Bien cachés diront certains, n’est-ce pas ?
PAUL – Je… En tous les cas, vous savez comme nulle autre faire du bon avec du peu
MICHELINE – On fait avec ce qu’on a… Finalement, j’aurais dû travailler aux pompes funèbres
PAUL – Pourquoi ?
MICHELINE – J’ai l’art d’accommoder les restes !
Paul gagne le bureau et Micheline la cuisine ; elle a laissé son polar sur le canapé.
SCENE 3
DENISE, LEELOO puis PAUL
Denise descend l’escalier. On sonne. Denise finit par aller ouvrir.
DENISE – Il faut vraiment tout faire dans cette maison !
Une jeune femme blonde est sur le pas de la porte. Plutôt court-vêtue, elle a en main un casque de scooter (qu’elle finira par poser sur un meuble).
DENISE – Bonjour
LEELOO (très nature) – Bonjour… Je suis bien chez les Seguin ?… Remarquez oui : c’est écrit sur la boîte aux lettres… Je suis bête des fois
DENISE (un brin moqueuse) – Si ce n’est que passager
LEELOO – Je me présente
DENISE – Si vous voulez
LEELOO – Je suis Leeloo. (Epelant.) l e e l o o
DENISE – Heureuse de l’apprendre
LEELOO – J’aime bien mon prénom. Pas vous ?
DENISE (coupant court) – Oui… Bon : venons-en au fait
LEELOO (enjouée) – Moi, j’adore quand viennent les fêtes, Noël surtout, pour les cadeaux qu’on m’offre… L’an dernier, Max m’a acheté un magnifique caraco en soie
DENISE – J’en suis persuadée mais…
LEELOO (réfléchissant) – Non, c’était Armand… Ou Bruno… A force, j’arrive à tous les confondre
DENISE – Si vous me disiez plutôt ce que vous venez faire ici
LEELOO – Je suis envoyée par l’agence pour aider au service
DENISE – Ah oui ! J’y suis !
LEELOO – Ce qui compte, c’est d’y rester, pas vrai ?… Sauf sur...