On ne veut pas d’hommes dans cette maison

Après un veuvage ou des déboires conjugaux, Amélie, Marlène et Léa, trois sœurs, ont décidé d’habiter ensemble la maison familiale. Les charges étant difficiles à supporter, elles décident de prendre des locataires avec une seule restriction : qu’ils ne soient pas des hommes. Se fiant à leurs prénoms, Léa a signé un bail à Camille et Louison, mais quand ceux-ci se présentent, force est de constater qu’ils sont bien des spécimens masculins. Dès lors, Amélie et Marlène s’efforceront par tous les moyens d’empêcher leurs locataires de s’installer sereinement. Quand, en plus, dans le quartier, a lieu un cambriolage qui oblige tout le monde à se cloîtrer tandis que se présentent une troisième locataire ainsi que le lieutenant de police chargé de l’enquête, l’affaire se complique et nos deux locataires mâles ne vont pas tarder à s’en apercevoir.

 

Acte I

Sur scène, Amélie et Marlène. Amélie est assise sur le canapé, une calculatrice à la main et des factures tout autour d’elle. Marlène, un plumeau à la main, époussette tout ce qui est à sa portée.

Marlène, chantant sur l’air de Vive le vent. — « Vive le vent, vive le vent, vive le vendredi parce que, parce que, demain c’est sam’di. Vive le vent, vive le vent… »

Amélie. — Marlène ! Tu ne peux pas te taire ?

Marlène. — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Elle ne te plaît pas, ma chanson ?

Amélie. — Comment veux-tu que je me concentre ? Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je suis en train de faire les comptes. Eh oui, il faut bien que quelqu’un s’en occupe dans cette maison ! Mais encore une fois, je m’aperçois que tu t’en contrefiches royalement.

Marlène. — Tranquille, Amélie ! Tranquille ! On a tout le week-end pour s’en occuper. Alors, on se calme, on se décontracte. (Elle rechante tout en lui époussetant le visage avec son plumeau.) « Vive le vent, vive le vent, vive le vendredi… »

Amélie. — Arrête ! Ne commence pas tes gamineries !

Marlène. — Relax que je te dis !

Amélie. — Comment veux-tu que je me décontracte lorsque je vois toutes ces factures ? Eau, électricité… Tiens, et ça… La facture du couvreur. Elle vient d’arriver. Non, mais tu as vu ?

Marlène, jetant un œil sur la facture. — Ah oui ! Tout de même ! On avait un trou dans la toiture, maintenant nous avons un trou dans le budget. Quand j’y pense, nous aurions dû demander au couvreur, tant qu’il y était, de couvrir aussi notre découvert… Ne fais pas cette tête et arrête un peu de dramatiser. Demain, on ira faire un tour à la banque et nous trouverons une solution.

Amélie. — Cette maison est un gouffre financier. Elle est beaucoup trop grande… Nous aurions dû écouter les conseils du notaire. Il aurait fallu vendre.

Marlène. — Vendre la maison ? Tu n’y penses pas ! On en a déjà discuté cent fois, nous n’allons tout de même pas revenir là-dessus. Eh quoi ? On n’est pas bien en cohabitation ? Rappelle-toi l’opportunité que nous avons eue. Tu es devenue veuve le jour où Léa et moi, nous nous sommes fait larguer par nos mecs ; c’est pourquoi nous avons décidé de vivre ensemble et de garder la maison familiale.

Amélie. — Parlons-en de cette maison. Comme elle est restée longtemps inhabitée après le décès de nos parents, elle s’est délabrée. Les travaux de rénovation sont énormes… Je l’avais dit, on ne s’en sortira pas.

Marlène. — C’est bien pour cela que je vous ai fait la proposition de trouver d’autres colocataires pour venir habiter avec nous. Avec ce complément de loyer, nous pourrons payer plus aisément nos charges.

Amélie. — Tu connais mes réserves sur le sujet. Si on accepte n’importe qui, ce sera la porte ouverte à tous les emmerdements.

Marlène. — T’inquiète, sœurette, j’ai bien entendu tes réticences et je les partage. Pour te rassurer, je te les rappelle : nous avons dit des gens solvables et surtout pas de mecs.

Amélie. — Ah non ! Surtout pas de bonhommes ! J’ai eu ma dose avec le mien.

Marlène. — Et moi donc !

Amélie. — Quand j’y repense… Mon bonhomme, il ne pensait qu’à lui. Rien pour ma pomme, tout pour sa poire… N’en parlons plus… Mais tu comprends pourquoi, maintenant, je préfère regarder où en sont les comptes. Et pour ne plus avoir de soucis, une seule résolution : pas d’hommes dans cette maison.

Marlène. — Puisque je te dis que nous sommes d’accord ! Moi aussi j’ai découvert depuis longtemps que les hommes, c’est comme les crabes et les crevettes : tout est bon sauf la tête… Dis, Amélie, tu la connais, la plus petite prison du monde ?

Amélie. — La plus petite prison du monde ? Non… Vas-y, dis-moi.

Marlène. — C’est le cerveau des bonhommes parce que, chez eux, il n’y a pas beaucoup de cellules.

Arrivée de Léa.

Léa. — Salut les frangines ! Vous allez bien ? Bonjour, Amélie. Bonjour, Marlène. (Elles s’embrassent.)

Marlène. — Ça va, Léa ? Dis-moi, nous ne t’avons pas vue de la journée. D’où tu sors ?

Léa. — Ouh là là, les filles ! Si vous saviez… J’ai rencontré un charmant monsieur, ce midi, à la cafétéria, et comme j’ai sympathisé, il m’a proposé de venir prendre le café, ce qui fait qu’après, je me suis un petit peu attardée chez lui.

Amélie. — Tu es vraiment incorrigible ! Dès le premier jour, tu acceptes de suivre le premier venu.

Léa. — Tu sais, Amélie, j’ai vu tout de suite que c’était un monsieur sérieux… Il m’a dit qu’il était pilote de ligne. Pilote de ligne… Ça, c’est la classe ! Pilote de ligne ! Vous vous rendez compte ?

Marlène. — Tu parles ! Et moi, je suis la femme du pape ! Qu’est-ce que tu peux être naïve, ma pauvre Léa ! Prête à gober n’importe quoi. Tu n’as pas encore compris qu’inventer une belle profession, ça permet d’appâter en attendant qu’une Léa comme toi vienne mordre à l’hameçon… Pilote de ligne, tu parles ! Pêcheur à la ligne, c’est plus probable. Je t’ai déjà dit de te méfier des pêcheurs, parce qu’à force de nager en eaux troubles, ne t’étonne pas de tomber un jour sur un maquereau.

Léa. — Jalouse ! (Elle boude.)

Amélie. — En tout cas, surtout, n’oublie pas ce que nous avons dit : qu’importe la profession, pilote de ligne, acteur de cinéma ou président de la République, pas d’hommes dans cette maison.

Marlène. — C’est bien pour cela que nous avons bien l’intention de ne louer qu’à des femmes. Tu t’en souviens, Léa ? Alors ton pilote de ligne, même s’il t’a fait décoller, tu seras priée d’aller le voir ailleurs, mais pas ici.

Léa. — Oui, ça va ! C’est bon !

Marlène. — Ne te fâche pas, ma petite sœur. Tu sais que si nous te disons tout cela, c’est uniquement pour ton bien. Nous n’avons pas envie que tu te fasses embobiner par le premier margoulin venu, voilà tout.

Amélie, à Marlène. — Demain matin, avant de passer à la banque, nous irons faire un tour à l’agence de location pour voir où ils en sont. Si ça se trouve, ils nous auront déjà sélectionné de bonnes candidates.

Léa. — Pas la peine, les filles. J’ai fait le boulot à votre place.

Amélie. — Comment cela ? Que veux-tu dire ?

Léa. — Ben oui, cet après-midi, en sortant de chez mon aviateur, je suis passée devant l’agence et j’ai vu le responsable dans la vitrine… Vous l’aviez vu ? Quel beau garçon ! Comme j’ai eu envie de sympathiser avec lui, je suis entrée. Je lui ai expliqué que nous cherchions des locataires.

Amélie. — Enfin, Léa ! Personne ne t’a demandé de t’occuper de cela.

Léa. — Et pourquoi pas ? D’habitude, c’est toujours vous qui vous occupez de tout. Pour une fois que je pouvais rendre service… Vous n’avez pas à vous en faire. Tout est signé.

Marlène. — Comment cela ? Léa ! C’est moi qui devais m’en occuper. Nous en avons parlé plusieurs fois, tu ne t’en rappelles pas ?

Léa. — C’est le monsieur de l’agence qui m’a convaincue. Je vous ai dit qu’il ressemblait à Brad Pitt ? Vraiment canon, le mec. Et vous savez quoi ? En plus, il m’a payé un café. Vous vous rendez compte ? Je me présente, et tout de suite : « Vous désirez un café ? » Vraiment trop chou, le gars.

Marlène. — Tu parles ! Ton brave type, c’est un bon commercial, voilà tout.

Léa. — N’empêche que moi, je trouve ça sympa. T’arrives dans une agence, et on te propose un café. Tu crois que si t’arrives dans un café, on va te proposer un appartement ? Oh ! ben non !

Amélie. — Je repense à ce que tu viens de dire… Tu as bien dit « tout est signé » ?

Léa. — Oui, les filles. À partir d’aujourd’hui, nous avons trois locataires.

Amélie. — Tu les as vues ? Les locataires… Elles sont comment ?

Léa. — Je ne sais pas. Je ne les ai pas vues, mais j’ai bien vu leurs chèques et leurs signatures. Elles ont payé trois mois d’avance plus la caution. Pas de soucis, les filles, je me suis occupée de tout. J’ai même déposé les chèques à notre banque.

Amélie. — Léa, ces fameuses locataires, tu dis que tu ne les as pas vues ?

Léa. — Mais non, mais quelle importance ? Elles ont des bons revenus, c’est ce que m’a dit le responsable de l’agence. Il m’a montré la pile de demandes et il m’a dit : « Choisissez-en trois. » Alors j’ai regardé les noms et j’ai choisi… Tiens… Je me souviens même de leurs noms. Camille Charpentier, Louison Levêque et Prune Legrand.

Amélie. — Camille Charpentier, Louison Lévêque et Prune Legrand…

Marlène. — Se faire aider par Mme Charpentier pour nous aider à payer le couvreur, finalement c’est assez logique.

Léa. — Et Louison, c’est tout à fait charmant comme prénom. Pas courant, mais charmant.

Marlène. — Louison ? Moi, je trouve que ça fait un peu campagnard. Si ça se trouve, elle va débarquer avec du lait et des œufs de sa ferme.

Amélie. — Tant qu’elle ne commencera pas à faire sa cocotte, nous pourrons la tolérer.

Léa. — Prune aussi, c’est joli.

Marlène. — Quelle idée d’appeler sa gamine comme ça ! Remarque… La mère était peut-être flic et adorait mettre des PV. (Devant Léa qui ne comprend pas.) Ben oui, des prunes !

Léa. — Ah oui ! Des prunes !

Marlène. — Il faudra qu’elles s’arrangent avec la salle de bains du haut. Nous, nous utiliserons celle du bas. Les seules pièces communes seront la cuisine et ce salon. Ça devrait le faire.

Amélie. — Tout de même, j’aurais bien aimé les rencontrer avant de signer… J’espère qu’elles seront sérieuses, parce que… Rappelez-vous, les filles, qu’est-ce qu’on a convenu ?

Léa et Marlène. — Pas d’hommes dans cette maison.

Amélie. — Et tant pis si l’une d’entre elles a un copain, elle ira le voir ailleurs. Je veux bien accepter une colocation, mais je ne veux pas que cette maison se transforme en… Vous m’avez comprise. Non, mais c’est vrai, quoi !

Marlène. — T’as pas un peu fini de t’exciter toute seule ? Elles ne sont pas encore arrivées que déjà tu t’énerves.

Léa. — C’est vrai, attends donc de les voir avant de juger.

Amélie. — Vous ne pourrez pas m’empêcher de penser qu’on s’engage dans une drôle d’aventure.

Marlène. — Amélie, sais-tu que la routine est certainement plus dangereuse que l’aventure ? N’ayons pas peur de la nouveauté, laissons les choses venir et essayons de ne pas voir le mal partout. Moi, je suis sûre que nos locataires vont être charmantes et que leur intégration va bien se passer.

Amélie. — Puisses-tu dire vrai !

Marlène. — En attendant, la bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes pas obligées de nous lever tôt demain pour aller à la banque. Amélie, laisse tomber tes calculs. Terminés les agios… « Bonjour, monsieur le banquier. Bonne nouvelle ! Nous ne sommes plus dans le rouge. » Tiens, en parlant de rouge, tout ça me donne soif. On pourrait peut-être boire un coup pour fêter cela.

Léa. — Déjà ? Il n’est même pas 18 heures.

Marlène. — Il est moins le quart. Six heures moins le quart, l’heure du Ricard ! On...

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