SCÈNE 1
Entrée de Michel et de Raymond.
Michel entre dans le salon et s’installe en soupirant dans le canapé.
Raymond arrive à son tour, chargé de valises.
Michel - Donc, j’étais dans l’avion, quand tout à coup…
Raymond - Eh ! pourquoi c’est moi qui porte les bagages ?
Michel - Ben, je porte déjà le parapluie !
Raymond - Donc tu étais dans l’avion !…
Michel - Attends… Mauricette… Mauricette ?
Raymond - Ah non ! Pas elle ! Moi, je n’ai pas que ça à faire ! Je dois retourner à l’aéroport chercher le Nettoyeur !
Michel - Le Nettoyeur ?!
Raymond - Tu sais bien, le mec qui nous arrive de Paris !
Michel - Ah oui ! C’est vrai !
Raymond - Vous auriez pu mieux vous organiser avec Paris et arriver par le même vol ! Il n’y a pas marqué taxi, là ! Bon, tu me la finis ton histoire ?
Michel - Quelle histoire ?
Raymond - Tu fais exprès ou quoi ? Tu étais dans l’avion !!!
Michel - Ah oui ! Attends ! (Appelant.) Mauricette !!!
Mauricette (entre) - Oui, Monsieur ! Bonjour Monsieur, bonjour mon Raymond ! (Elle lui saute au cou pour lui faire la bise.) Je ne vous avais pas entendu rentrer. Le voyage s’est bien passé ?
Michel - Oui, oui… Madame n’est pas là ?
Mauricette - Non ! Après son cours d’équitation, elle est allée à l’aéroport chercher son frère, vous avez dû vous croiser…
Michel - Son frère ? Quel frère ?
Mauricette - Eh ben, son jeune frère ! Et puis d’abord, elle n’en a qu’un !…Vous savez, celui qui a foutu le camp et qu’elle n’a pas revu depuis plus de quinze ans…
Michel - Jamais vu… J’en ai juste entendu parler. Tu le connais, toi, Raymond ?
Raymond - Non, comme toi, j’en ai juste entendu parler.
Michel - Qu’est-ce qu’il vient faire ici après plus de quinze ans d’absence ?
Mauricette - Ah ! moi, je ne sais pas ! Tout ce que je sais c’est qu’elle a reçu un télégramme, je l’ai pas lu, mais dessus y avait écrit : « Ma petite sœur chérie. Stop. Viens me chercher à treize heures. Stop. Tu m’as beaucoup manqué. Stop. Gros bisous…
Michel et Raymond - Stop !
Mauricette - Ouais, c’est ça ! Comment vous savez ?
Michel - Foutez-moi le camp !
Mauricette - Mais je vous jure que je ne l’ai pas lu !
Michel - Du balai ! Retournez à vos occupations.
Mauricette - Raymond, si je te revois pas… (Elle lui saute au cou pour lui faire une autre série de bises.)
Raymond - Mais je ne suis pas parti, Mauricette, je dors ici !
Michel - À la cuisine !!!
Mauricette - Ils n’ont toujours pas fini les travaux de ta maison ? Ça dure ! Je serais toi je m’inquiéterais !
Raymond - Ouais ! Je sais !
Mauricette - L’entrepreneur se venge peut-être des saloperies que vous lui avez faites aux dernières élections !
Michel (énervé, la prend par le bras) - Bon, Mauricette, ça suffit ! Allez défaire ma valise ensuite préparez-nous un bon repas ! Allez, hop ! en cuisine !
Mauricette - Elle est lourde cette valise !
Mauricette sort.
Michel - Feignasse !!! Depuis qu’elle est enceinte, elle n’en fout plus une !
Raymond - Dis donc, c’est une idée ou elle est de plus en plus grosse ?
Michel - Forcément ! Elle est enceinte !
Raymond - Et c’est pour quand son truc ?
Michel - Je n’en sais rien, mais c’est pour bientôt.
Raymond - Et l’on ne connaît toujours pas le père ?
Michel - Toujours pas !… C’est le mystère du moment, elle ne veut pas dire qui c’est… Hein, Raymond ?
Raymond - Mais non, mais non, ce n’est pas moi ! Là on peut faire un test de paternité et tu verras que j’y suis pour rien !
Michel (en colère) - Ça va pas, non ?! T’es complètement fou ! Tu ne vas pas lui faire faire un test de paternité à cette boniche !!! Tu sais les complications que ça entraîne un test de paternité ! Qu’est-ce qu’on en a à foutre de savoir qui est le père de cette… de cette…
Michel se rend compte du ridicule de la situation.
Raymond - T’énerve pas ! C’était juste… pour… Bon, alors ! Tu me la finis cette histoire ?
Michel - Quelle histoire ?
Raymond - Là je fatigue, Michel ! L’avion !
Michel - Ah oui !… L’avion ! Un truc de fou… Voilà, j’étais dans l’avion, assis à ma place, je lisais « Le Chasseur français »… Ah ! ben, c’est bientôt l’ouverture, pour l’occasion ils vont nous sortir de nouveaux fusils…
Raymond - Je vais craquer !
Michel - Ah ! O.K. ! O.K. ! Donc, je lisais « Le Chasseur français » quand je suis tombé sur un test…
Raymond - … de grossesse ?
Michel - Dans « Le Chasseur français » ? Non mais vraiment !… Un test de grossesse…
Raymond - Non, c’est l’autre avec son ventre qui me…
Michel - Arrête de m’interrompre !
Raymond - Vas-y !
Michel - J’en étais où ?
Mauricette apparaît à la porte de la cuisine.
Mauricette - Le test !
Michel - Mauricette ! À la cuisine !
Mauricette - Ça va pas, non ?! (Elle sort.)
Michel - C’est qu’elle répond en plus… Bon, j’étais assis à ma place et je lisais « Le Chasseur français ». Je tombe sur un test de quotient intellectuel.
Raymond - Dans « Le Chasseur français » ?
Michel - Oui, c’est nouveau !
Raymond - Ah oui ? Ça fait vraiment longtemps que je ne l’ai pas lu, alors !
Michel - Avec des questions à la con, du style : « Avez-vous déjà fait l’amour dans un avion ? »
Raymond - Pour le quotient intellectuel ?! Ça ne m’étonne pas du « Chasseur français ».
Michel - Donc, je réponds en cochant la case « non ». Et là, à côté de moi… Devine !
Raymond - Je ne sais pas ! Quoi ?
Michel - À côté de moi ! Devine !
Raymond - T’es bien placé, t’as le hublot !
Michel - Le hublot ! Qu’est-ce que vient foutre le hublot dans cette histoire ? À côté de moi ! De l’autre côté !!!
Raymond - T’es mal placé, t’as le couloir !
Michel - Assis à côté de moi ?
Raymond - Ah ! mais je sais pas, moi, je n’y étais pas dans l’avion !
Michel - À côté de moi… Une brune superbe… Et elle me dit, d’une belle voix grave : « Vous non plus ? »
Raymond - Quoi ?
Michel - Par rapport au test : « Avez-vous déjà fait l’amour dans un avion ? » Tu suis ?
Raymond - Oui ! Oui… Je ne suis pas con, non plus !
Michel - Et alors là, elle me met la main sur la cuisse et me dit très poliment dans le creux de l’oreille : « On ne va pas mourir idiot, chéri ! Rejoins-moi dans les toilettes… Dans quelques minutes… »
Raymond - Oh ! la salope !… Comment tu fais ? Moi, je peux prendre l’avion trois cents fois par jour, jamais personne ne me dira : « Venez faire l’amour avec moi dans les toilettes ! » À part une fois, mais c’était le steward ! Je n’y suis pas allé ! La nana, elle te propose ça ! T’as bien fait de ne pas y aller ! Hein ? (Petit temps.) Dis-moi, tu n’y es pas allé, quand même ?!
Michel - Ben bien sûr que si !
Raymond - Mais t’es pas fou ?! À six mois de la campagne électorale ! Tu le fais exprès ou quoi ? La première qui te dit : « Venez tirer un coup avec moi dans les toilettes d’un avion » toi tu fonces ?
Michel - Ben, ça change quoi ?
Raymond - Ça change quoi ! Et si c’était une professionnelle envoyée par l’équipe adverse ? La campagne, elle est foutue !
Michel - Tu vois vraiment le mal partout !
Raymond - Je vois le mal partout… Heureusement, parce que toi, tu ne vois rien !… Normal ! « Monsieur » a une bite au milieu du front et les couilles qui lui tombent devant les yeux. Alors, c’est sûr, il ne voit rien !
Michel - Oh ! du calme ! Je ne te permets pas !
Raymond - Eh ben ! Moi, là, je me permets… À six mois des élections je me permets, moi ! Parce que de un : c’est qui ton directeur de campagne ?
Michel - C’est toi !
Raymond - De deux : je te rappelle que tu as pris le nom de famille de ta femme parce que dans la région on vote depuis des générations exclusivement pour un Delagrange et si Estelle, un jour, découvre que tu l’as cocufiée à vingt mille pieds, tu risques très fort de redevenir Michel Belloy ! Et un Belloy dans la région, ça ne fait pas une voix. D’accord ?
Michel - D’accord !
Raymond - Et de trois : c’est qui qui nous finance toutes nos conneries électorales ?
Michel - Ma femme.
Raymond - Bingo ! Donc, voilà trois bonnes raisons qui me permettent de te remettre les pendules à leur place. Alors, si tu pouvais écarter les couilles que t’as devant les yeux et te les caler derrière les oreilles, ça m’arrangerait. T’es sûr qu’elle n’avait pas d’appareil photo ?
Michel - Qui ? Ma femme ?
Raymond - Mais non ! La fille dans les toilettes de l’avion !
Michel - Ah… Elle ? Sûr !
Raymond - Sûr, comme moi de ta réélection ?
On sonne à l’interphone.
Michel et Raymond - Mauricette !!!
Mauricette - Voilà ! Voilà ! J’arrive !
Michel (attrape Mauricette par le bras pour lui faire activer le pas) - Dépêchez-vous ! Fainéante ! Vous voulez plus rien foutre, hein ?!
Mauricette - Aïe aïe aïe ! Mais quand même !
Michel - Je vais vous en foutre, moi, des tests de paternité !!!
Raymond - Pourquoi tu la traites comme ça ?
Michel - Elle me gonfle avec sa gueule d’enterrement !
Raymond - D’accouchement, tu veux dire !
Mauricette regarde par le vitrage de la porte.
Nouvelle sonnerie.
Mauricette - Il y a une jolie dame devant la grille ! Je la fais passer par la petite porte de derrière, comme celle du mois dernier ?
Michel - Non ! Je n’ai rien commandé… euh… je n’attends personne !
Raymond - Une pute !!! C’est ça ! Il y a une pute devant la grille ! Michel, il va falloir que l’on discute tous les deux !
Michel - Je te jure ! Qu’est-ce qu’elle raconte, elle ? (Il pousse Mauricette et regarde par le vitrage de la porte.) Ah !!! Raymond ! Raymond ! On est foutus !!! C’est elle !!!
Raymond - La pute ?
Michel - Non !
Raymond - Ta femme ?
Michel - Mais non ! La fille de l’avion ! Elle est là ! Devant la grille !
Raymond - J’en étais sûr !
Nouvelle sonnerie.
Mauricette - Bon, je la fais entrer ou quoi ?
Raymond - Vous, on ne vous a pas sonnée !
Mauricette - Oh ! quand même, ça va !
Michel - En cuisine !!!
Sous les regards menaçants des deux, Mauricette se précipite dans la cuisine.
Nouvelle sonnerie.
Raymond - Laisse-moi répondre. Pas de panique… Faut pas paniquer ! Faut pas paniquer !
Michel - Tu paniques, là !
Raymond - Oui, je panique ?
Michel - Réponds !
Il décroche le combiné de l’interphone.
Raymond - Oui, c’est pour quoi ?
Voix à l’interphone - Je voudrais parler à M. ou à Mme Delagrange.
Raymond (à Michel) - On est foutu ! (Dans l’interphone.) À quel sujet ?
Voix à l’interphone - C’est extrêmement personnel.
Michel et Raymond - On est foutus !
Raymond (à Michel) - Pas de panique… (Dans l’interphone.) Allez-y, entrez !
Michel - Mais tu es fou ! Tu ne vas pas faire entrer le loup dans la bergerie ?!
Raymond - Tu voulais quoi ? Que je la laisse devant la grille, avec ta femme qui va arriver d’un moment à l’autre avec son frère ?
Michel - Je suis à deux doigts de partir me cacher au Guatemala.
Raymond - Dans ta chambre, ça suffira.
Michel - Oh ! Raymond, je ne sais pas ce que je deviendrais sans toi !
Raymond - Allez ! Dans ta chambre !
Michel commence à monter l’escalier. Raymond le suit. Michel se retourne.
Michel - Mais où tu vas, toi ?
Raymond - Dans ta chambre !
Michel - Du balai ! C’est toi qui t’en occupes de la fille !
Raymond - Et pourquoi je dois m’occuper de la fille ?
Michel - Je te paye assez cher !
Raymond - Dis donc, t’es sûr que c’est elle ?
Michel - Bien sûr, c’est elle ! Avec ce qu’on a fait dans l’avion… Même de dos, je la reconnaîtrais… C’est pour te dire !
Raymond - Dépêche ! Va te cacher… (Il pousse Michel qui disparaît dans l’escalier.) Pourquoi il dit ça ? « Même de dos, je la reconnaîtrais… » (Comprenant subitement.) Oh ! mon dieu ! Quelle horreur ! (En s’épongeant le front avec sa pochette, il va ouvrir la porte. Paula, qui s’apprêtait à frapper à la porte, est juste derrière.) Bonjour madame…
Paula - Mademoiselle…
Raymond - Mademoiselle. Pardonnez-moi. Que puis-je pour votre service ?
Paula - Je voudrais parler à Mme Delagrange.
Raymond - Vous tombez mal, elle n’est pas là pour le moment…
Paula - Oh ! c’est fâcheux !… Son mari est peut-être là, lui ?
Raymond - Non plus ! Y a personne !
Paula - Vous êtes leur majordome ?
Raymond - Mais dites donc ! Pas du tout ! Je suis le conseiller de la famille ! (Paula entre et s’avance dans...