Dans un cadre de lumière au lointain, Jeanne finit d’habiller Arthur.
JEANNE Chemise. Boutons. Voilà, c’est bon, c’est fini.
Changement de lumière.
On découvre un décor monochrome rose. Une table. Deux chaises. Deux micros de part et d’autre du plateau. Et le cadre, devenu noir en fond de scène.
Musique. Words de F. R. David.
Arthur et Jeanne entrent en scène en dansant chacun de leur côté. Ils se découvrent et, charmés, se rapprochent peu à peu au rythme de la musique.
Subitement, Arhur jette le contenu de son verre de vin rouge sur le visage et le haut de Jeanne. Impossible de savoir si c’est accidentellement ou pas.
ARTHUR Ah ! merde…
JEANNE Mais enfin ?
ARTHUR C’est magnifique.
JEANNE Non mais c’est une blague ? Vous êtes sérieux, là ?
ARTHUR J’avoue, c’est chaud. Vous en avez vraiment partout. C’est ignoble.
JEANNE Mais tais-toi, t’es malade ou quoi ?
ARTHUR Ok, on se tutoie, ça me plaît.
JEANNE Non, on se tutoie pas, non !
ARTHUR Je ne sais pas, c’est vous qui commencez.
JEANNE Mais d’où vous me jetez un verre dessus ?
ARTHUR Je ne sais pas.
JEANNE En faisant exprès, en plus ?
ARTHUR Ça m’est venu comme ça, très naturellement. J’ai senti une sorte de grâce dans la rotation du poignet. Quelque chose d’évident.
JEANNE Ok, le gars est taré…
ARTHUR Ah non ! Pas du tout ! C’est fou, quand même : dès qu’on fait quelque chose qui sort un peu des sentiers battus, tout de suite, on est catalogué.
JEANNE Mais enfin, c’est extrêmement violent comme façon de…
ARTHUR Attendez, je meurs d’envie de vous poser une question.
JEANNE Quoi ?
ARTHUR Vous vous appelez comment ?
JEANNE Vas-y.
ARTHUR Non mais c’était pas ça ma question. C’était une blague. Vous m’avez bien regardé ? Vous croyez que je vous aurais banalement demandé votre prénom après ce qui s’était passé entre nous ?… Attendez. Ne bougez pas. Vous bougez pas ?
Il sort et revient avec un rouleau de papier toilette qu’il lui lance. Elle le déroule pour s’essuyer le visage et tenter de retirer la tache.
JEANNE Bon, vous accouchez ? C’est quoi la question ?
ARTHUR J’y viens, j’y viens… Vous êtes prête ?
JEANNE Allez !
ARTHUR Eh bien, ma question c’est… Comment ça va ?
JEANNE Mal. Je suis excédée.
ARTHUR Je ne vous crois pas. Et je ne vous crois pas non plus quand vous prétendez que vous trouvez complètement con de vous avoir balancé un verre de vin dessus.
JEANNE Ah ! si, si, je trouve ça complètement con. Complètement con et méchant. Ma soirée est foutue, j’ai plus qu’à rentrer me changer. Merci, vraiment.
ARTHUR J’adore ! Vous êtes magnifique, là, en boudant.
JEANNE T’excuse pas, surtout !
ARTHUR Ah ! on y revient !
JEANNE Mmmh ?
ARTHUR Au tutoiement. On avance.
JEANNE Je vais vous gifler.
ARTHUR Bon, pardon ! Je suis désolé ! Je suis une merde, une sombre merde…
JEANNE Oui, je suis d’accord. Mon haut est flingué. C’est du vin, ça partira jamais.
ARTHUR C’est sûr que le rouge, ça tache.
JEANNE Pardon ?
ARTHUR Ça va, c’est que du tissu.
JEANNE Mais ta gueule, en fait.
ARTHUR Ok.
JEANNE En plus ça pue.
ARTHUR Oui, c’est monstrueux. Autant il y a cinq minutes j’avais très envie de vous embrasser, autant là je peux dégueuler.
Ils vont parler au micro.
ARTHUR Alors, certes, on n’était pas sur une drague extrêmement fine…
JEANNE Je crois même qu’on peut dire qu’on était sur de la lourdeur.
ARTHUR Mais pardon, si j’avais été plus classique…
JEANNE Ça aurait été moins sale, déjà.
ARTHUR Si j’avais été plus classique, ça n’aurait jamais été aussi fulgurant. Aussi poétique.
JEANNE Ah ! ah ! ah ! Poétique. Mais oui, mon amour, tu étais tellement poétique !
ARTHUR Oui, c’était de la poésie.
JEANNE Si tu m’avais draguée normalement ? Sans m’agresser à coups de verre de vin ?
ARTHUR Je n’aurais eu aucun intérêt à tes yeux !
JEANNE Tu n’aurais eu aucun intérêt à mes yeux.
ARTHUR Sérieusement ?
Retour au flash-back. Musique.
ARTHUR Il y a quelque chose en vous qui m’évoque… la saucisse. Non ? Il n’y a pas une filiation avec de…
JEANNE Avec de la saucisse ? C’est une blague ?
ARTHUR Non mais vos origines. Je sens que vous venez d’une ville où on mange de la saucisse.
JEANNE Mon Dieu !
ARTHUR Non, vous venez d’un endroit où on fabrique de la saucisse, peut-être ? Un endroit un peu…
JEANNE Un endroit un peu… ?
ARTHUR Un lieu exotique.
JEANNE Exotique ? En tout cas, ça fait plaisir, je vois que je fais rêver.
ARTHUR Vous n’avez pas idée à quel point vous me faites rêver. Et à quel point vous m’évoquez une ville à saucisse. Quand vous souriez, vous êtes très belle. Très belle quand t’es gênée, aussi.
JEANNE Oh ! ça va…
ARTHUR Très très belle.
JEANNE Je ne suis pas gênée. Je suis énervée.
ARTHUR Faux ! C’est le meilleur moment de ta soirée, j’en suis sûr.
Micros. Cut musique.
JEANNE Ah ! ce moment-là, vraiment, j’avais envie que… que tu meures.
ARTHUR Tellement pas ! Tu étais à moi déjà.
Retour au flash-back. Musique.
JEANNE Et tu fais ça souvent ? Ou c’est juste ma tête qui ne te revenait pas ?
ARTHUR J’adore ta tête. Tu dois détester ton nez, non ?
JEANNE (Elle rit. ) Absolument pas. Je t’emmerde.
ARTHUR Moi je l’adore, ton nez. Je suis extrêmement touché par la forme de ton nez. Il m’émeut. La fille a un nez qui me donne envie de chialer, c’est magnifique, putain !
JEANNE Mais tu te moques ?
ARTHUR Ah ! mais pas du tout ! Je meurs d’envie d’embrasser ton nez. Juste ton nez. S’il te plaît.
JEANNE N’importe quoi…
ARTHUR Laisse-moi l’embrasser.
JEANNE Mais non, enfin ! Il est complètement fou, ce gars !
ARTHUR Ce gars s’appelle Arthur. Et… ?
JEANNE Eh ben, c’est bien.
ARTHUR Yes ! Magnifique. Elle n’a pas de prénom mais on va tout de suite en donner un à son nez. Son joli nez, que je rêverais de léchouiller.
JEANNE Mais quel enfer !
ARTHUR On va l’appeler Bernard, ce sublime nez.
JEANNE Mais pourquoi un nom d’homme ? C’est horrible ! J’ai un nez d’homme ?
ARTHUR Laisse-moi te dire un truc, mon vieux Bernard. Un petit secret entre gars. Surtout ne te retourne pas car il y a une fille derrière toi dont je vais tomber éperdument amoureux.
Jeanne se retourne pour regarder derrière elle.
Cut musique. Micros.
JEANNE Non, t’as pas dit ça.
ARTHUR Si, j’ai dit ça !
JEANNE Non, t’as pas dit ça !
ARTHUR Bien sûr que si, j’ai dit ça. C’est même là que t’as craqué et que tu m’as embrassé.
JEANNE Mais non, tu l’as dit beaucoup plus tard. Et en plus arrête de dire que c’est moi qui t’ai embrassé, c’est nous qui avons, c’est nous qui…
ARTHUR Pas facile à conjuguer. Vas-y, lance-toi.
JEANNE Là tu t’es juste approché et t’as dit que quand même je sentais bon malgré le vin. Et c’est quand la chanson a recommencé que tu as dit…
Musique. Retour au flash-back.
ARTHUR J’adore cette chanson. J’adore cette chanson, j’adore cette chanson. Tu sais quoi ? J’aimerais…
JEANNE Moi aussi.
ARTHUR Quoi ?
JEANNE Moi aussi j’adore cette chanson.
ARTHUR Ah ! génial ! Elle est géniale, non ? Et du coup tu veux bien danser avec moi ?
JEANNE Non. Tu danses trop bien, c’est complexant. (Elle va danser de son côté, les yeux fermés. Il l’observe et essaie de danser comme elle. Lui bouge très bien, elle est maladroite. Il imite sa façon de danser.) Tu m’imites ? Horrible…
Il sourit et se remet à bouger tellement bien. Elle prend une inspiration et se rapproche de lui pour l’enlacer.
ARTHUR Ah ouais ! Carrément ! Open bar, quoi !
JEANNE Nan mais… mais tu es la pire personne du monde, je te le dis.