Acte 1
Premier tableau
Le premier acte débute, alors que le rideau est encore fermé. Soudain, Christine, affolée, hurle...
CHRISTINE (voix off) - M'sieur Baptiste !!! (Au même instant, on entend le bruitage d'une personne tombant lourdement dans un escalier en bois... suivi du bruitage d'une femme, descendant rapidement ce même escalier, en martelant les marches... Un court instant de silence et Christine se remet à crier) Mon Dieu ! m'sieur Baptiste !?... (Le rideau se lève sur Christine, sanglotant près du corps sans vie de monsieur Baptiste ; et sur le décor suivant : une salle à manger bourgeoise et cossue. Dans le fond, l'amorce d'un escalier en bois, ou en imitation bois, ou même, une simple peinture au mur. Le haut de cet escalier, se perdant dans les tentures. Des fauteuils, des chaises, une table, un bureau, des tableaux accrochés aux murs, etc.. Christine, à deux doigts de craquer nerveusement, est agenouillée près du corps de monsieur Baptiste, au pied de l'escalier. Elle ne cesse de sangloter tout en répétant) M'sieur Baptiste !... répondez-moi... j' vous en supplie... (Levant la tête) Mon Dieu, et s'il... Oh, non !! (Elle se lève, court un peu dans tous les sens en appelant à l'aide) Au s'cours !! au s'cours !!! à l'aide !! (Puis, elle revient à monsieur Baptiste, alors qu'entre Stéphane, l'homme à tout faire qu'employait monsieur Baptiste. Sur le pas de la porte, Stéphane sourit. Un sourire que Christine ne voit pas...) Ah ! monsieur Stéphane ! c'est horrible ! Il vient de tomber du haut de l'escalier. J'ai rien pu faire... je...
STÉPHANE (se penche sur le corps de monsieur Baptiste) - Il est mort... (Christine se mord les doigts pour ne pas hurler... Stéphane se relève en souriant. Bien sûr, Christine est complètement surprise par ce sourire énigmatique) Et, bien évidemment, c'est toi qui l'a ?... (Geste à l'appui) poussé ? N'est-ce pas ?
CHRISTINE (horrifiée) - Mais non !!
STÉPHANE - Allez... j'ai tout vu ma p'tite. J'étais justement en train de regarder par la fenêtre. (Il prend un air sadique, face à une Christine qui ne comprend rien à ce qui lui arrive) Parce que je sais que le vieux va descendre l'escalier à cette heure-ci, et que tu vas le suivre... Je sais qu'il ne voulait pas que tu l'aides. Il voulait le descendre tout seul cet escalier, pour se prouver et te prouver, qu'il n'était pas encore complètement foutu... (Fronçant les sourcils) Mais vous étiez en retard ce matin dis donc ! Ça f'sait bien une heure que j'attendais. (Il s'approche de Christine, une lueur lubrique dans les yeux) Entre parenthèses d'ailleurs, de te voir le descendre, cet escalier, tu ne peux pas savoir c' que ça m' fait... (Il l'enlace, mais elle se dégage rapidement de son emprise.)
CHRISTINE - Ça va pas, non ?! vous êtes fou ? complèt'ment dingue ?!
(Furieux de se voir repoussé ainsi, Stéphane prend un air vraiment méchant... néanmoins, relativement rapidement, il ravale sa colère.)
STÉPHANE - Donc, j'étais derrière la vitre ; et de dehors, j'ai tout vu... (Souriant) T'en es pas à ton coup d'essai, hein ? (Lui prenant le menton entre deux doigts, sans douceur, il la force à relever la tête) Avoue !
(N'y tenant plus, Christine tente de lui administrer une claque, mais Stéphane intercepte le poignet.)
CHRISTINE (les larmes aux yeux) - Salaud !!
(Sur ce, Stéphane prend les deux poignets de Christine et les serre très fort. Folle de douleur, la jeune femme lui envoie un coup de pied dans l'entrejambes. Ce qui a pour effet de faire lâcher prise à Stéphane, qui se plie en deux. Il serre les genoux un instant en grimaçant, mais rapidement sort un couteau à cran d'arrêt de sa poche... Il pointe la lame brillante vers Christine, qui, avec effroi, a un mouvement de recul.)
STÉPHANE (avançant sur Christine, pétrifiée) - Alors ça, tu vois, j'aime pas. Mais alors pas du tout ! (Avec un mauvais rictus, il rentre la lame dans le couteau, et le remet dans sa poche) Joli coup d' pied dans mes bijoux d' famille... Mais tu vois, malgré ça, et ben j' vais pas m'fâcher. Non. (Souriant) Ça en vaut pas l' coup. Mais un conseil, n'essaie pas d' te faire la malle ! Parce que j' te jure, que si tu f'sais ça, où que tu irais j' te r'trouv'rais ! et j'hésiterais pas une minute à te faire endosser le meurtre de Baptiste, ma belle. O.K ?... (Christine est complètement abattue) Alors, écoute bien c' que j'vais te dire. Ouvre en grand tes jolies oreilles. Y'a plus qu'nous deux ici... (Christine regarde monsieur Baptiste) Tu vas faire exactement c' que j' vais t' dire. (Il désigne le secrétaire de monsieur Baptiste) Dans son bureau là, à l'autr' vieil obsédé, tu prends une feuille et un stylo... (Christine, pétrifiée ne bouge pas d'un iota. Stéphane la secoue sans ménagement) Et vite ! s'il te plaît !! (Christine s'exécute, telle un automate) Sans quoi, ma parole, j' te balance du haut d' l'escalier autant de fois qu'il le faudra, pour que tu deviennes raisonnable ! (Tout en sanglotant, Christine sort une feuille et un stylo du secrétaire) Assieds-toi ! (Elle s'assoit au bureau) J' plaisante pas tu sais ! Ça f'sait vraiment un bon bout de temps qu'j'attendais ça. Aussi, ne t'avise surtout pas de tenter quoi qu' ce soit. Tu vas vite comprendre que je suis maître de la situation et qu’ j'entends bien le rester... Ecris !! (Tout en essuyant ses larmes de temps en temps, Christine écrit ce que lui dicte lentement Stéphane) “Maman... Moi, Christine Letelliez, ta fille, saine de corps et d'esprit... reconnais avoir tué... monsieur Julien Baptiste... ce 26 mars... à... (Il jette un œil à sa montre) 10 heures 05... en le poussant du haut de l'escalier...
CHRISTINE (craquant) - Non, non... c'est pas vraaaiii !
STÉPHANE (méchamment) - Ecris !!! (Et Christine se remet à écrire, en sanglotant) J'ai fait ce geste... par amour... pour Stéphane Doucet... (Christine arrête d'écrire. Elle regarde Stéphane ; ses yeux sont remplis de larmes) Ecris ! 'te pose pas d' questions !... Pour Stéphane Doucet... (Il épelle) D.O.U.C.E.T... sans qu'il ne m'ait jamais rien demandé... sachant qu'à la mort de monsieur Baptiste... (Il répète ces derniers mots, et continue la phrase) je recevrai - léguée par testament - la somme de... (Questionnant Christine) Combien il t'a légué déjà ?
CHRISTINE - Comment vous savez tout ça ?
STÉPHANE (petit sourire) - Rien de ce qui s'est passé ici, depuis six ans que j'y bosse ne m'est étranger. Si on m' le dit pas, j'écoute aux portes... Alors ? combien il t'a légué ?
CHRISTINE - ... Trente mille francs. (voir en euros...)
STÉPHANE (reprenant la dictée) - La somme de trente mille francs... et qu'ainsi, je ne resterai plus indifférente aux yeux de Stéphane... mon seul et unique...
CHRISTINE (l'interrompant) - Et si j' vous la donnais, cette somme ?
STÉPHANE (avec un rire sarcastique) - Ah, ah, ah !! Mais bien sûr que tu vas m' les donner ces trente mille balles ! puisque j' vais t' faire chanter... T'avais pas compris ça ?! (Christine semble effectivement ne pas tout comprendre de ce que lui dit Stéphane) T'es plutôt mignonne, mais pas fu-fute, hein ? (Soudain, reprenant son air très méchant) Non, tu vois, j'suis très gourmand. Très, très gourmand ! et trente mille balles, c'est pas suffisant. J'en veux beaucoup plus !
CHRISTINE (ne comprenant pas où veut en venir Stéphane) -Mais, monsieur Baptiste n'avait pas énormément d'argent...
STÉPHANE - Je sais !... quoique... enfin bref ! mais, y'a pas qu'monsieur Baptiste sur terre... Tu vas utiliser tes charmes, pour plumer des pigeons qui ont beaucoup plus de thunes que c' gros vicelard ; qui a dépensé pratiquement tout son pognon avec des putes (prostituées) !
CHRISTINE (se défendant hargneusement) - J'ai jamais utilisé mes charmes avec monsieur Baptiste !!
STÉPHANE (la calmant) - Doucement... Je sais qu' t'as jamais utilisé tes charmes avec Baptiste... tout du moins, pas les charmes que lui s'attendait sûrement à c'que tu dévoiles... (En souriant) Si tu lui avais montré ceux-là, je suis sûr qu'il t'aurait largué plus que trois patates, c'est évident... Mais regarde, simplement pour ta gentillesse et tes beaux yeux, il te donne trente mille balles. Alors, imagine un peu, si tu lui avais... montré... plus d'attention encore ; si tu lui avais dévoilé tes autres charmes, plus cachés... ce qu'il t'aurait donné ? Hein ? tu piges ?... Il avait beau n'pas être Crésus, mais un vieux cochon comme lui... (Christine proteste) Ne dis pas l'contraire ! Un vieux cochon comme lui, pour te voir à poil et toucher un peu, j' suis sûr qu'il aurait trouvé dix briques en cinq sec !
CHRISTINE (le fusillant du regard) - T'es vraiment une ordure !
STÉPHANE (contre toute attente, il a un petit air satisfait) - Ah ! enfin, elle me tutoie... Y'a d' l'espoir, y'a d'l'espoir !... Bon, allez. On a pas l' temps d' se faire des gentillesses maintenant. Pour l'instant, tu continues de dicter... Où on en était ?... (Il lit par-dessus l'épaule de Christine, et ce faisant, essaie de lui caresser la poitrine. Mais Christine envoie balader la main, sans douceur) Ça fait rien, je serai patient, tu sais... (Il la regarde rapidement) Ça vaut la peine... et malgré c'que t'en penses là, tu l'regrettr'as pas ; toi non plus. Bon. (Il relit) ... “Sachant qu'à la mort de monsieur Baptiste, je recevrai, léguée par testament, la somme de trente mille francs...” Ça va. A part les fautes... T'es encore moins douée qu'moi ; et c'est peu dire. Allez, on continue. Comment j'ai tourné ça tout à l'heure ?... Ah, oui ! Note : “...et qu'ainsi, avec cette somme en poche, je ne resterai plus indifférente aux yeux de Stéphane Doucet, mon amour...” (Christine marque un temps d'arrêt. Stéphane s'en aperçoit) Oui. Tu mets, “mon amour”. Comme dit la chanson : “C'est pas encore d'l'amour, mais ça viendra”... Point final. Et tu signes... (Il se frotte les mains) Tu vas être ma poule aux œufs d'or !... Mais allez, je s'rai pas ingrat. T'auras ta part. Une part correcte. Et si par hasard, tu ne voulais pas jouer le jeu, et ben tant pis... (S'emparant rapidement de la feuille) cette confession arrivera illico-presto entre les mains de ta pauvre mère. (Il plie la lettre et la met dans sa poche.)
CHRISTINE (effondrée) - Non ! pas ça. Ça la tuerait.
STÉPHANE (souriant) - Je sais. C'est pour ça que j' le ferais, si tu m'y forçais... Je connais l'état de ta mère ; et surtout, l'état d'son “palpitant” (cœur). Pas brillant. Une lettre pareille entre ses mains et hop !... (Christine pleure) Quant à moi, je serais déjà loin, tu penses bien... Allez, pleure pas. Y'a aucune raison pour que ça s'passe comme ça, de toute façon. Hein ? Au contraire même ; avec le pognon qu' tu vas t'empocher, tu vas pouvoir la faire soigner ta “manman”. (Souriant) Alors, elle est pas belle la vie ?... (Froidement) Je suis déjà sur un autre coup. Un super coup, qui peut pas foirer. Comme pour Baptiste... Un coup en or. Seulement, pour le réussir, bien sûr, il te faudra une autre identité... Pour ça, on va s' débrouiller ; j' connais du monde. Et il faudra te vieillir un peu. Au départ... Parce que jeune et jolie comme tu es, y'a des vieux - pas complètement gagas - qui pourraient s' méfier... C'est une dame de compagnie d'une cinquantaine de berges qu'il leur faut. Pas plus, pas moins. Pour éveiller aucun soupçon. Et au fur et à mesure, tu te rajeuniras un peu. Pour les émoustiller ; réveiller leur désir... Je suis sûr que tu réussiras. Est-c' que t'as l' choix ?... Pas vraiment il me semble, hein ?... Pense toujours à ta pauvre maman si malade, et qu'une vacherie de mauvaise nouvelle pourrait tuer. Alors que si tout baigne, elle peut vivre encore des années et des années... hein ? (Christine pleure toujours doucement) Donc, tu te grimeras un peu les premiers jours, et tu t'habilleras en conséquence. Et puis, tu commences à l'exciter un peu... Il va devenir exigeant, c'est normal. A ce moment-là, tu lui parles de ta maman. Qu'elle a besoin d'argent pour recevoir des soins, et patati et patata... T'en rajoutes au besoin. Tu fais du cinéma, quoi... Tu vois où j' veux en venir ?... Oui. Tu vois parfaitement bien où j' veux en venir. Donc, J' te fais pas d'dessin...
CHRISTINE (abasourdie) - Tu veux que j' fasse la putain pour toi ?
STÉPHANE (faussement choqué) - Oooh !... Oh, et puis, appelle ça comme tu veux ; seul le résultat compte pour moi. Et le résultat, c'est la monnaie. C'est les biftons !... Bon. (Il sort une coupure de presse de sa poche) J'ai vu une annonce dans le canard, y'a deux jours. J'l'ai découpée... (Il la relit vite fait pour lui) Tu te rendras au 2 bis rue de la Rive, 9ème, vendredi à 16 heures 30... (Il tend la coupure de presse à Christine) J' te la laisse... A présent, tu attends deux minutes, le temps que je recloue la latte du plancher, là-haut...
CHRISTINE (complètement étonnée) - La latte du p...
STÉPHANE - Ben ouais. (Il sourit) Ça fait quinze jours, que chaque matin, à l'aube, je décloue légèrement la dernière latte du plancher, juste avant le première marche de l'escalier. Quinze jours ! J' commençais à désespérer que l' vioque s'écrase un jour.
(Visiblement, Christine ne sait vraiment plus où elle en est.)
CHRISTINE - C'est pas vrai ?!
STÉPHANE (haussant les épaules) - Ben ! si c'est vrai. Ça fait quinze jours, qu'à partir de neuf plombes, j'attends patiemment derrière la fenêtre, que Baptiste se “crashe”. Et c'est enfin arrivé. J' me doutais qu'ses vieux os et son vieux palpitant ne résisteraient pas à une telle chute... Et par bonheur, c'est c'qui s'est passé. Alors, tu m' laisses faire deux p'tites minutes, et ensuite, tu pourras appeler le docteur Girault. Mais attention ! Toi et moi, on dira la même chose au toubib. A savoir que Baptiste a eu un malaise en haut de l'escalier. Il a porté la main à son cou, en cherchant de l'air comme un fou ; il a battu des bras et il est tombé tout d'suite. O.K ?
(Christine éclate en sanglots et le rideau tombe... Quelques secondes plus tard, Christine et Stéphane, apparaissent sur l'un des côtés de l'avant scène. Ils marchent au long du rideau, comme s'ils arpentaient un trottoir. Christine est très abattue. Derrière le rideau, on entend les informations télévisées de 20 heures...)
Deuxième Tableau
STÉPHANE - Et ben tu vois qu'elle a bien fonctionné notr' petite histoire ! le toubib a signé le permis d'inhumer sans problème. Il s'est pas posé plus d'question qu'ça. Il le connaissait le Baptiste. Il savait que d'un moment à l'autre, il pouvait passer de l'autre côté... Maintenant qu'on a trouvé le truc, crois-moi, on va être riches. (Christine continue de sangloter) Mais arrête de chialer bon Dieu ! Tu vas pas m' dire que t'y t'nais à c' point-là, au vieux ?! hein ?...