Parfum et suspicions

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Peu de temps après son retour dans sa banlieue natale, Irma Santos est assassinée. On trouve dans sa main un petit bout de papier sur lequel elle a griffonné le mot ” Martin “… Le fringant commissaire Oscar Berthomieu, chargé de l’enquête, ne tarde pas à entendre parler des sœurs Martin qui se réunissent tous les jeudis pour jouer aux cartes : Jeanne, Maguy, Sabine, Dorothée et Pauline. Cinq sœurs, cinq personnalités contrastées… et aucun alibi ! Vingt-quatre heures pour une enquête rondement menée : les sœurs Martin vont devoir divulguer quelques petits secrets bien gardés…

ACTE I

Scène 1

 

Un salon bourgeois cossu. La scène est vide. Pauline apparaît, répondant à un téléphone sans fil (ou un portable).

Pauline (au téléphone) - Quatre kilos deux cents ? Il pèse son poids, ton bébé ! Alors, comment l’avez-vous appelé le chérubin ? (…) Émile ? (…) Oui, c’est jeune et dynamique… (Pour elle-même.) Tiens, elle a coupé ! (Elle raccroche. Une pendule sonne quatre coups.) Mais qu’est-ce qu’elles fabriquent, les sœurettes ?… Ah ! j’allais oublier… (Elle récupère un flacon de parfum et s’en asperge légèrement. Elle appelle.) Jeanne ! Tu bricoles quoi ?

Jeanne apparaît. Elle ôte ses gants de jardin.

Jeanne - Rétamée ! Je suis rétamée ! Je viens de passer trois heures à enlever les mauvaises herbes de ton jardin ! Quelle corvée ! C’était vraiment pour te faire plaisir !

Pauline - Tu as un sale caractère mais c’est toi la plus gentille de nous toutes… À propos, Amélie Dumoulin vient d’accoucher d’un superbe bébé.

Jeanne - Ah oui ? Un superbe bébé, lorsqu’on voit les parents…

Pauline - Une multitude de femmes accouchent en ce moment.

Jeanne - Normal. L’automne dernier a été très chaud. On a battu des records sur les ventes de boissons fraîches et on annonce des maternités inattendues.

Pauline - Ça va donner des enfants Bélier.

Jeanne - Les pires !… Ah ! j’ai confectionné la tarte que tu préfères !

Pauline - Aux fraises ? Je t’adore !… Ah ! le service à thé ! (Elle s’affaire à installer des tasses et un sucrier sur la table basse. On sonne à la porte. Elle jette un œil par la fenêtre.) C’est Maguy. Oh ! elle s’est acheté un manteau d’un chic ! Il a dû lui coûter une fortune !

Jeanne - Bagatelle pour une femme qui va hériter de son défunt mari, trois cent mille euros !

Pauline sort pour réapparaître aussitôt avec Maguy, très élégamment vêtue.

Maguy - Bonjour ! Bonjour ! Comment se porte notre Jeanne ?

Jeanne - Mal.

Maguy - Parfait ! Nous n’avons donc pas lieu de nous inquiéter.

Pauline - Ah non ! Vous n’allez pas commencer à vous asticoter !

Jeanne - C’est elle qui me cherche, non ?

Pauline aide Maguy à ôter son manteau.

Pauline - Il est splendide. Je parie que tu l’as acheté dans cette nouvelle boutique qui s’est ouverte à Noël, place de l’Église.

Maguy - Gagné ! Elle se fournit chez les grands couturiers. (Pauline dépose le manteau sur le dos d’un fauteuil.) Non, je préfère sur un portemanteau. Merci mon chou.

Pauline sort avec le manteau et revient aussitôt.

Pauline - Je pense que tu as reconnu la propriétaire de ta boutique ?

Maguy - Sa tête me dit quelque chose mais… non. Je l’ai déjà rencontrée ?

Pauline - Irma. Souviens-toi ! Cette femme qui avait mis le grappin sur le mari de Dorothée, à une époque. Elle a failli divorcer.

Jeanne - La belle Irma ! Elle décimait toute la ville ! Elle en a du culot de revenir nous narguer vingt-cinq ans plus tard !

Maguy - Oui, je me rappelle d’elle. Une grande et jolie rousse capiteuse à la taille de guêpe.

Pauline - C’est ça ! Aujourd’hui, la guêpe s’est envolée et la taille s’est sacrément alourdie. Entre-temps, elle a dû tenir un magasin de loukoums !

Jeanne - T’as raison ! Elle est devenue énorme ! Je l’ai rencontrée l’autre jour chez le boucher. J’avoue que je n’ai pas fait le rapprochement. Devant moi, elle a commandé quatre cents grammes de bavette pour elle toute seule ! Quel appétit !

Maguy - Comment sais-tu qu’elle vit seule ?

Jeanne - Je dis ça comme ça.

Maguy - Sabine s’est absentée ?

Pauline - Elle dort. Une petite sieste bienfaitrice.

Jeanne - Elle récupère surtout…

Pauline - Oui, bon, ce midi, elle a bu un peu plus de vin qu’à l’accoutumée. Et comme la tête lui tournait, elle est partie s’allonger un moment.

Jeanne - Fallait la voir ! Elle s’en est allée en titubant !

Pauline - En titubant ? N’exagère pas !

Jeanne - Insiste et je te prive de ta part de tarte aux fraises. En tout cas, ça fait plus de trois heures qu’elle roupille !

Maguy - Quoi ? Encore de la tarte aux fraises ? Ça fait trois semaines consécutives ! Les pommes, les pêches, les framboises, tu connais pas ?

Pauline - Elle a voulu me gâter.

Jeanne - Mais si vous en avez marre que je fasse des tartes, faut le dire ! On peut grignoter des biscuits secs, c’est pas un problème.

Maguy - Tu peux varier les fruits, c’est pas difficile. (On sonne à la porte.) Voilà Dorothée.

Pauline sort pour revenir aussitôt, Dorothée la précédant avec un casque de moto sur la tête.

Dorothée - Coucou, c’est moi ! Quelle belle journée ! Ce ciel bleu nous dope le moral. (Elle ôte son casque.) Comment allez-vous, toutes les trois, depuis jeudi dernier ?

Pauline et Maguy - Très bien.

Jeanne - Très mal.

Dorothée - Comme d’habitude ! Je pose ça où ?

Pauline lui prend le casque qu’elle met devant le portrait encadré de Jeanne sur le buffet.

Jeanne - Ma photo ! Je peux la ranger dans un tiroir si elle dérange !

Pauline dépose le casque sur la moquette. Dorothée a ôté son manteau, laissant apparaître un châle.

Pauline - Oh ! tu as un nouveau châle ! Quel joli tissu !

Dorothée - Un ancien rideau de cuisine que j’ai transformé… Sabine n’est pas arrivée ?

Pauline - Si. Elle a même déjeuné avec Jeanne et moi. Ensuite elle a eu un petit coup de pompe et…

Jeanne - Et elle est partie cuver ! Ça fait trois heures déjà !

Dorothée - Trois heures ! C’est trop ! Vous êtes allées la voir ? Elle a peut-être eu un souci de santé, un malaise ?

Pauline - Mais non ! Il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Dorothée - Eh bien, moi, je serais heureuse d’être rassurée.

Maguy - De toute façon, on ne peut pas commencer notre belote sans elle. Cette fois-ci, à qui le tour de compter les points ?

Jeanne - À moi… Une minute, je vais secouer Sabine.

Jeanne sort.

Pauline - Tu sais, je n’aime pas que tu utilises ta mobylette. Avec tous ces fous au volant…

Dorothée (rieuse) - Mais, moi, je n’attends que ça que l’on me renverse ! Je désespère du prince charmant !

Soudain, un cri aigu se fait entendre, émanant d’une pièce voisine.

Dorothée - C’est Jeanne ! Mon Dieu ! Il a dû arriver un malheur à Sabine ! Je le sentais, je le sentais !

Maguy - Allons-y !

Elles s’apprêtent à se rendre vers la chambre mais Jeanne apparaît, bloquant le passage.

Jeanne - C’est… C’est horrible !

Pauline - Qu’est-ce qui s’est passé ?

Maguy - Raconte ! Tu nous angoisses !

Pauline - C’est grave ? Qu’est-il arrivé à Sabine ? Ne me dis pas que… Elle est décédée ?

Dorothée - Mon Dieu ! Et le curé qui vient juste de partir pour sa cure !

Jeanne - Pas de panique ! Laissez-moi seulement reprendre mon souffle ! Sabine est réveillée, elle va bien et elle descend dans deux minutes. Je viens d’avoir une grosse frayeur. Depuis deux jours, nous avons une souris dans la maison qui vient de filer entre mes jambes ! J’ai hurlé. La surprise… Un alcool de poire, vite !

Dorothée - Une souris ! Quelle horreur ! Deux alcools de poire, vite !

Dorothée soutient Jeanne jusqu’au fauteuil tandis que Pauline s’active à servir deux petits verres d’alcool, que Jeanne et Dorothée avalent d’un trait.

Pauline (penchée sur Jeanne) - Ça va mieux ?

Dorothée - Oui, je te remercie.

Maguy - Eh bien, nous sommes fixées sur une chose : Jeanne, n’est pas cardiaque ! C’est déjà ça !

Jeanne - Bien sûr ! Tu aurais sans doute préféré que je meure instantanément !

Sabine apparaît.

Sabine - Bonjour ! Bonjour ! (À Jeanne.) C’est toi qui fais tout ce raffut ?

Jeanne - La souris ! J’ai aperçu la souris dans le couloir !

Sabine - Moi aussi, tout à l’heure. Elle est craquante ! Ce n’est pas la petite bête qui mangera la grosse !

Pauline - Allez, allonge-toi un instant sur le canapé. (À Jeanne.) Il faut que tu te détendes.

Jeanne s’exécute.

Sabine (à Dorothée) - C’est très original ce que tu portes sur les épaules.

Dorothée - Je l’ai acheté dans un grand magasin au rayon décoration !… Bon, on le boit ce thé avant la partie de cartes ou pas ?

Pauline (sortant) - Je m’en occupe.

Maguy - Comment se composent les équipes aujourd’hui ?

Dorothée - Sabine-Maguy contre Pauline-Dorothée. Jeanne compte et note les points.

Sabine - Dorothée, je te préviens tout de suite : aucune grimace, aucun bruit incongru, aucune phrase à double sens ne seront tolérés. C’est compris ?

Dorothée - Écoutez-la ! Pour qui elle me prend ?

Sabine - Pour la reine des tricheuses. Cela ne me dérange pas quand tu es ma partenaire mais dès que tu passes dans le camp adverse je ne supporte plus. Je déteste perdre, tu le sais bien.

Pauline réapparaît avec la théière.

Pauline - Ça commence ! S’il vous plaît, vous vous calmez. Moi, j’aime que l’on joue en silence pour la concentration.

Dorothée - Tiens, Jeanne s’est assoupie.

Maguy - Comme c’est gentil de sa part. Quelques instants de bonheur qu’elle nous accorde…

Sabine - T’as fini d’être aussi dure avec elle ? T’es pas marrante !

Maguy - Elle m’agace. Elle me déteste de plus en plus et je suis sûre que si elle pouvait…

Sabine - Si elle pouvait quoi ?

Maguy - Si elle pouvait ne plus me voir, elle serait aux anges ! Tu as beaucoup de mérite de la garder auprès de toi.

Pauline - Ça, elle n’est pas facile tous les jours. Le docteur la croit très vulnérable, à la limite de la paranoïa. Elle attenterait à sa vie, je me culpabiliserais pour le restant de mes jours de ne pas l’avoir assistée davantage.

Maguy - En tout cas, depuis dix jours que Victor est décédé, j’ai l’impression que ses réactions négatives à mon égard se sont multipliées.

Sabine - Tu te fais des idées.

Maguy - Pas du tout ! Elle me jalouse terriblement.

Sabine - Elle te jalouse d’avoir perdu ton mari ? C’est carrément absurde !

Maguy - Elle m’envie de toucher prochainement le pactole ! Ça lui reste en travers de la gorge !

Dorothée - Dites, elle ne bouge plus du tout, là !

Sabine - Ses nerfs lâchent, elle se détend. Une réaction très normale.

Dorothée - Non, non, c’est pas normal qu’elle soit aussi blanche !

Pauline - Tu cherches à nous effrayer ou quoi ?… Mais c’est vrai qu’on dirait qu’elle est sans connaissance !

Dorothée - L’intellectuelle de la famille sans connaissance ! C’est un mauvais gag !

Maguy - Et si la souris l’avait violemment mordue au passage et elle vient de succomber ?

Dorothée - Mon Dieu ! C’est affreux ! Elle est morte ! Et le curé qui vient juste de partir pour sa cure !

Pauline - Tu te répètes ! Tu fatigues !

Maguy - Pas de panique ! Jeanne dort simplement du sommeil du… Non, pas elle.

Pauline - C’est vrai qu’elle ne clique pas des yeux.

Sabine - Comment peux-tu savoir avec ses paupières baissées ?

Dorothée (inquiète, soudain) - Moi, je ne rigole plus. J’ai l’impression qu’elle s’est assoupie profondément. Très, très profondément. Dites, on ne perçoit aucun souffle ! (Dans un cri.) C’est le thé ! On a mis un poison dedans ! Elle a été supprimée !

Sabine - Qu’est-ce que tu racontes ? Personne n’a encore goûté au thé. Arrête de divaguer. Je vais la réveiller, moi !

Maguy - Si tu y tiens vraiment !

Sabine se penche sur Jeanne tandis que les autres se rapprochent, attentives.

Sabine (à Jeanne) - Ma chérie, le thé est servi.

Dorothée (après un temps) - Elle ne réagit pas ! Elle a rendu son âme à Dieu ! C’est terrible ! (Sur un autre ton.) Elle me devait deux cent cinquante euros !

Maguy - Aucune femme...

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