ACTE I
Une station balnéaire ou quelque chose d’approchant… Trois femmes assises. Edith tricote ou fait de la broderie (ou tout autre chose), Mireille lit. Solange, qui a fini d’envoyer des SMS, s’ennuie visiblement.
Solange, n’y tenant plus. – Fait beau quand même...
Mireille, sans lever le nez de son livre. – Vous êtes sortie ce matin ?
Solange. – Ben non...
Mireille, regardant Solange. – Bon alors, comment vous pouvez dire qu’il fait beau ?
Solange, observant ses chaussures. – Je ne savais pas quoi dire.
Edith, levant le nez de son ouvrage. – Quand on ne sait pas quoi dire, on se tait !
Solange, penaude. – C’est juste... (Un silence.) Le problème c’est que je ne sais jamais quoi dire !
Mireille, se levant et se dirigeant vers la fenêtre. – Bon, voyons ce qu’il en est ! (Un temps.) Tu parles ! Il flotte !
Solange, dépitée. – C’est bien notre veine !
Mireille. – Pourquoi dites-vous ça ? Vous aviez des projets de promenade ?
Solange. – Non, mais c’est ce qu’on dit quand il ne fait pas beau...
Edith. – Vous avez l’art de la conversation, vous !
Mireille, retournant s’asseoir. – Ce d’autant que ce que vous affirmez n’exprime qu’un aspect de la question.
Edith. – C’est vrai, vous oubliez notre point de vue.
Solange. – C’est quoi votre point de vue alors ?
Edith. – En l’occurrence je n’en ai pas...
Mireille. – Moi je m’en fous un peu...
Solange. – Bon alors ? J’ai bien le droit de trouver ça triste qu’il pleuve !
Edith. – Naturellement. (Un temps.) Par contre, si on était agricultrices, on serait contentes qu’il pleuve.
Mireille. – D’un autre côté, quand il pleut trop, c’est mauvais pour les récoltes.
Edith, amusée. – Vous avez raison : les paysans, ils ne sont jamais contents.
Sourire complice de Mireille.
Solange. – Alors que les escargots...
Mireille, surprise. – Qu’est-ce qu’ils viennent faire là-dedans, les escargots ?
Solange. – Ils doivent être contents qu’il pleuve…
Edith. – Mais on se fout de leur opinion !
Solange. – Je ne vois pas pourquoi !
Edith. – Parce que ce sont des animaux !
Solange. – Et alors ? Les animaux sont des créatures du Bon Dieu !
Edith. – Non mais c’est pas vrai ! Ne me dites pas qu’on va avoir droit au couplet religieux ?
Solange. – On ne peut vraiment rien dire !
Mireille. – Si mais, si vous pouviez nous épargner les niaiseries !
Edith. – C’est vrai : entre ne rien dire et dire n’importe quoi, il y a une marge !
Solange, butée. – C’est joli un escargot !
Edith. – Tu parles, ça bave !
Solange. – Vous salissez tout !
Edith, ironique. – En tout cas moi je ne bave pas. Enfin, pas encore !...
Mireille, amusée. – Vous n’êtes pas assez vieille pour ça !
Solange. – Si ! Vous bavez sur l’existence !
Mireille, conciliante. – Bon, écoutez : nous on veut bien discuter, mais parler pour ne rien dire, ce n’est pas notre truc.
Edith, avec mépris. – C’est vrai : la pluie et le beau temps !
Solange. – S’il avait fait beau, on aurait pu aller se promener… (Un temps.) Dans le temps, j’allais me promener avec mon Lucien…
Edith, s’adressant à Mireille. – Maintenant, elle va nous bassiner avec son Lucien !
Mireille. – C’est son mari ?
Edith. – C’était ! (Un temps.) Elle l’a mis en boîte…
Mireille, se méprenant. – Ah ? Ils sont fâchés ?
Edith. – Non : il est entre quatre planches. Claboté quoi !
Mireille, décontenancée. – Ah ? C’est moche !
Edith, balayant la phrase. – Oui, oh ! En même temps, ça fait 5 ans. Il serait temps qu’elle passe à autre chose ! (Plus fort à destination de Solange.) Lucien par ci, Lucien par là ! Vous pourriez changer de disque ! Cela fait 5 ans qu’il est crevé votre bonhomme !
Solange. – Le temps ne change rien à mon chagrin ! évidemment, vous ne pouvez pas comprendre, vous êtes vieille fille !
Mireille, choquée. – Oh ! Edith ! Vous avez dit « crevé » !
Edith, étonnée. – Ah ? (S’adressant à Solange.) Désolée, je voulais dire : clamsé !
Mireille. – C’est guère mieux !
Edith. – On va pas faire de la sémantique ! (S’adressant à Solange.) Vieille fille ? Oui, et alors ? C’est une tare ?
Solange. – Bien sûr que non, mais vous ne risquez pas de perdre un mari !
Edith, froidement. – Logique. (Un temps.) En même temps, c’est une bénédiction : il y aura au moins une personne dans cette pièce qui ne se lamentera pas ! Franchement, Solange, cela fait 5 ans que votre Lucien est… (échange de regards entre Edith et Mireille.)
Mireille, proposant le verbe. – Décédé…
Edith. – Décédé…
Solange. – Ce n’est pas parce que mon mari est mort que je vais arrêter de penser à lui ou même d’en parler ! Je n’y peux rien s’il me manque terriblement !
Mireille, émue. – Oui, c’est vrai… Un seul être vous manque et tout est dépeuplé…
Edith. – Ou l’inverse : un seul être vous manque et tout est repeuplé ! L’univers s’élargit au lieu d’être rétréci ! C’est agaçant cette manie de vivre dans le passé ! Comment voulez-vous avancer, si vous regardez constamment derrière vous ? Ils m’exaspèrent ces morts qui nous empêchent de vivre !
Solange. – Ils n’empêchent pas de vivre ! (Désignant successivement son cœur et sa tête.) C’est bien de savoir qu’ils sont toujours là, et là !
Edith. – Ils sont surtout six pieds sous terre !
Mireille. – Oui… Bien sûr, mais l’évocation des personnes disparues a ce petit côté nostalgique qui donne des pincements au cœur.
Solange. – C’est tout à fait ça : c’est une tristesse qui fait du bien !
Edith. – Vous êtes masochistes !
Mireille. – Je ne dirais pas ça. Personnellement, j’étais très attachée à mes parents. Je pense souvent à eux. Il n’est pas rare qu’un événement ou un lieu me les rappelle… Certaines de leurs phrases résonnent encore dans ma mémoire et cela me fait sourire ; cela me soutient aussi parfois, au moment de grandes décisions, même si cela n’a rien de rationnel, j’en conviens.
Edith. – Moi, mes parents, ils m’ont bien pourri la vie, je suis contente de les imaginer pourrir à leur tour ! Mais tout ça, c’est du passé. Je suis matérialiste : je ne crois pas à l’au-delà ni aux âmes errantes : on naît, on vit, on meurt, c’est aussi simple que ça.
Solange. – On n’est pas des bêtes !
Edith. – Si, à 90%. Mais je veux bien admettre que nous avons un minimum d’intelligence, sinon nous ne serions pas là à discuter. C’est ce qui nous différencie des animaux.
Mireille. – Vous êtes très pessimiste au fond.
Edith, se défendant. – Moi ? Pas du tout ! Je suis tout à fait réaliste, au contraire. Je ne m’encombre pas de fantômes ; j’avance dans la vie, du mieux que je peux. J’affronte les difficultés, seule et contre tous. J’ai des réussites, que je ne dois qu’à moi même. Tout n’est pas rose, mais tout n’est pas noir non plus : c’est la vie, ce cadeau empoisonné qu’on nous...