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Que se passe-t-il quand depuis dix ans on fait croire à sa femme que pour des raisons professionnelles on descend toujours à l’hôtel Mimosa alors que celui-ci n’existe pas et qu’en réalité on va retrouver sa maîtresse dont le mari est commandant d’un sous-marin nucléaire et qu’il est absent des mois entiers ? Mais surtout que fait-on quand sa femme décide inopinément de venir vous rejoindre, à l’heure, où avec les avions les distances deviennent si courtes et le temps pour rétablir une situation raccourci de plus en plus vite ? C’est ce qui arrive à Jean- François Moncey pour le plus grand plaisir du public.

ACTE I

Scène 1

 

Quand le rideau se lève, la scène est vide. C’est le soir et l’on entend Jean-François fredonner.

Magali apparaît par l’entrée, affolée.

Magali (criant) - Jean-François ! Jean-François ! Mon mari !

Jean-François apparaît côté jardin, la brosse à dents à la main et en caleçon.

Jean-François - Hein ?

Magali - Mon mari !

Jean-François - Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on fait ? (Complètement paniqué, il se précipite vers le bar et se cache derrière. Magali est prise d’un fou rire.) Qu’est-ce qu’on fait ?

Magali - On ne fait rien ! Ce n’est pas vrai !

La tête de Jean-François apparaît derrière le bar. Il a l’air consterné.

Jean-François - Ah ! c’est malin ! C’est vraiment malin ! Un jour, ce sera vrai et je ne te croirai pas.

Magali - Oh ! excuse-moi, mais je n’ai pas pu m’en empêcher !

Jean-François - Tu m’as fait une peur…

Magali - Tu sais bien que tu ne risques rien.

Jean-François - Ça, c’est toi qui le dis !

Jean-François sort un instant côté jardin et revient en robe de chambre.

Magali - Charles-Henri à embarqué sur « l’Intraitable » hier soir. Ils ont dû plonger ce matin et, à l’heure qu’il est, Dieu seul sait où se trouve son sous-marin. Et encore, ce n’est pas sûr…

Jean-François - Il ne t’a jamais dit où il allait ?

Magali - Secret défense ! Charles-Henri lui-même ne découvre sa destination qu’au tout dernier moment.

Jean-François - Et il disparaît pendant trois mois ?

Magali - Parfois plus… complètement coupé du monde.

Jean-François - Même pas un coucou de temps en temps avec son portable ?

Magali - Le portable ? Interdit sur ce genre de sous-marin ! Avec les satellites, on pourrait les repérer. Et quand je te dis coupé du monde, c’est coupé du monde. Ne t’inquiète pas. Chaque fois qu’il m’a dit « je pars pour trois mois », il n’est jamais réapparu avant. On sait vivre, dans la Marine nationale.

Jean-François - Trois mois, c’est long !

Magali - Surtout l’hiver ! Avoir six chambres et dormir toute seule…

Jean-François - Eh bien, tu vois, ton mari a beau être commandant de sous-marin nucléaire, en avoir tous les honneurs et le prestige, eh bien, tout compte fait, je préfère encore ma situation à la sienne.

Magali (câline) - Surtout en ce moment.

Jean-François - Oui, surtout en ce moment.

Magali - Dis-moi, Jean-François : nous deux, c’est mal ?

Jean-François - Non, pourquoi ? Nous ne faisons de tort à personne.

Magali - C’est toujours ce que je me dis. Dans la vie, on peut faire ce qu’on veut du moment que personne ne souffre.

Jean-François - Tout à fait d’accord.

Magali - Parce que lorsque je suis seule, qui est-ce qui souffre ? C’est moi !

Jean-François - Voilà pourquoi je me précipite ici : pour que tu ne souffres plus.

Magali - Voilà.

Jean-François - L’essentiel, c’est d’être organisé.

Magali - Oui, on peut très bien vivre un peu parallèlement tout en restant élégant.

Jean-François - C’est comme moi avec ma femme : si je n’avais pas pris toutes les précautions pour qu’elle ne s’inquiète pas, elle pourrait vivre l’enfer… Et ça, vois-tu, je ne le supporterais pas.

Magali - A propos, elle n’a pas encore téléphoné.

Jean-François - Il est à peine dix heures, le film à la télé ne doit pas être terminé.

Magali - Elle t’a toujours appelé quatre fois par jour ?

Jean-François - Oui, tu comprends, elle est tellement jalouse qu’elle appelle le matin pour vérifier que j’ai bien dormi là, à midi pour savoir où je déjeune, à vingt heures pour savoir si je suis bien rentré et à vingt-deux heures pour être sûre que je dors bien là.

Magali - Cela dit, la pauvre, je la comprends un peu : clouée dans son fauteuil roulant toute la journée, elle doit pas arrêter de gamberger.

Jean-François - C’est vrai qu’elle aurait mieux fait d’épouser un fonctionnaire plutôt qu’un réalisateur de télévision.

Magali - En plus, toujours parti en… Comment dis-tu, déjà ?

Jean-François - En repérage.

Magali - En repérage, en plus !

Jean-François - C’est vrai, je comprends qu’elle soit inquiète et soupçonneuse, elle a des circonstances atténuantes. Mais à vivre, cette jalousie, quel enfer ! C’est pourquoi le jour où je t’ai aperçue…

Magali - Repérée !

Jean-François - Oui, repérée… J’ai eu la même impression que lorsque, perdu dans le désert, on aperçoit une oasis.

Magali - Oh ! ça c’est gentil ! Oh ! Jean-François ! Pourquoi ne nous sommes-nous pas rencontrés dix ans plus tôt ?

Jean-François - Le destin.

Magali - Qu’est-ce qui va se passer, Jean-François ?

Jean-François - Magali, tu sais bien que si Cécile ne se trouvait pas dans cette situation dramatique, il y aurait déjà longtemps que j’aurais pris des dispositions. Et puis, surtout, je ne t’ai pas dit…

Magali - Non.

Jean-François - Elle a enfin accepté de produire mon film.

Magali - Ah bon !

Jean-François - Oui, elle a enfin accepté de vendre les terrains de Saint-Martin : cinquante hectares constructibles.

Magali - Une fortune !

Jean-François - Ah ! tu vas voir ! Ce film, ça fait dix ans que je le porte en moi ! Dix ans ! Je vais enfin pouvoir laisser tomber ces feuilletons médiocres… Tu sais que j’ai déjà envoyé mon scénario à Noiret ?

Magali - Ah bon ! Et qu’est-ce qu’il a dit ?

Jean-François - Il a répondu : faut voir.

Magali - Et c’est bon comme réponse, ça ?

Jean-François - Oui, très bon, parce qu’il aurait très bien pu dire non.

Magali - Ah ! c’est une très bonne nouvelle ! Je suis vraiment très contente pour toi.

Jean-François - Oui, mon amour, tu vas pouvoir bientôt être fière de moi. Maintenant, tu comprends pourquoi, en plus de son infirmité, je ne peux pas demander le divorce en ce moment.

Magali - Oui, mais, en attendant, moi je me retrouve dans une situation très difficile qui m’oblige à mentir ; et mentir, j’ai horreur de ça.

Jean-François - Mentir… Mentir est un bien grand mot !

Magali - Ah oui ? Et quand ta femme appelle ici en croyant qu’elle téléphone à l’hôtel Mimosa, ce n’est pas un mensonge, peut-être ?

Jean-François - Un pieux mensonge pour éviter de lui faire du mal. Ce n’est pas ma faute si elle ne veut pas m’appeler sur mon portable. « Tu comprends, m’a-t-elle dit un soir, je préfère t’appeler à l’hôtel, car sur ton portable tu peux être n’importe où et me répondre n’importe quoi. » Alors j’ai tout de suite eu l’idée de lui donner le téléphone d’ici en lui disant que c’était celui de l’hôtel où je descends toujours quand je viens en repérage sur la Côte.

Magali - Tu es vraiment certain qu’elle ne se doute de rien ?

Jean-François - Non. Elle est terriblement jalouse, mais jamais elle n’irait imaginer un plan pareil. Et du moment qu’elle croit contrôler mon emploi du temps, ça lui suffit.

Magali - Et moi, ça fait trois ans que lorsque j’entends sa voix, je décroche en disant : « Hôtel Mimosa, je vous écoute… » J’ai un peu honte… Mais, enfin, tant que ça dure, profitons-en ! Tu restes longtemps, cette fois-ci ?

Jean-François - J’ai une série qui commence et qui doit se tourner dans un petit port du Midi… Alors pourquoi pas ici ? Il va me falloir déjà au moins deux bonnes semaines de repérage.

Magali - Deux semaines ! Mais alors la vie est belle !

Jean-François - Mais oui, mon amour… très belle !

Le téléphone sonne. Magali décroche.

Magali (au téléphone) - Allô ! (…) Ah oui ! (…) Oui… (…) Hôtel Mimosa, je vous écoute… (…) M. Moncey ? Attendez, je regarde si sa clé est au tableau… Oui, il est dans sa chambre… (…) Ne quittez pas.

Magali appuie sur une touche du téléphone pour provoquer un petit déclic.

Jean-François prend l’appareil et répond.

Jean-François (au téléphone) - Allô ! (…) Oui, je suis bien arrivé. (…) Non, à part quelques petites turbulences au-dessus de l’Auvergne… (…) Oui… (…) Dès demain matin… (…) Non, je ne louerai pas de voiture, toute l’action se passera dans le port de Villefranche. (…) Deux bonnes semaines… si ce n’est pas trois. Y a du boulot… (…) Oui… (…) Demain matin… (…) Non, je ne partirai pas avant neuf heures… (…) Mais après sur le portable… (…) Oui… (…) O.K… (…) O.K… (…) Ensuite, je serai à l’hôtel à treize heures pour déjeuner. (…) Comment ? Ressortir ce soir ? Tu plaisantes ! Je tombe de sommeil… (…) Oui, j’allais m’endormir… (…) Bonne nuit. (Il raccroche.)

Magali - Et à quelle heure tu fais ceci ? Et à quelle heure tu fais cela…

Jean-François - Oui ! Tu as vu ? Quand je te dis que c’est très dur…

Magali - Tu vois, moi je crois que si je ne suis pas jalouse, c’est surtout par paresse.

Jean-François - Oui, mais toi, avec ton mari enfermé dans sa boîte de conserve, tu ne risques rien.

Magali - Tiens, on devrait marier Charles-Henri à ta femme !

Jean-François - Impossible ! Elle n’accepterait jamais de ne pas savoir où il se trouve.

Magali - Quant à Charle-Henri, il ne supporterait pas une nana qui lui bouffe son oxygène.

Jean-François - Oui, il a même intérêt à ce que tout se passe bien dans son ménage. Tu imagines qu’il apprenne pour nous deux. Il pourrait très bien déprimer, devenir suicidaire et envoyer un missile nucléaire n’importe où !

Magali - Non, heureusement, il n’est pas seul à prendre la décision, il y a des sécurités… Qu’il te démolisse le portrait, ça, sûrement…

Jean-François - Ah ! tu crois ça !

Magali - Certaine… C’est qu’il est taillé, Charles-Henri… Une véritable armoire à glace…

Jean-François - Je ne savais pas.

Magali - Et ce n’est pas du tout le genre à faire une dépression.

Jean-François - Tu me rassures. Parce que si à chaque fois qu’un commandant de sous-marin nucléaire était trompé par sa femme devait faire sauter la planète, on serait déjà tous morts.

Magali - Pourquoi ?

Jean-François - Réfléchis : depuis le temps que les sous-marins existent, entre les Français, les Américains et les Russes, même en dehors de ton mari, il y en a forcément un qui l’a été…

Magali - C’est très possible. La solitude est tellement dure à vivre…

Jean-François - Et la vie est tellement courte qu’il faut bien qu’à travers nos devoirs, nos entraves, on trouve tout de même quelques plages de bonheur. Moi, égoïstement, je ne demande qu’une chose : c’est que cette situation dure le plus longtemps possible.

Magali - Elle durera, mon amour, elle durera… A condition de ne pas commettre d’erreur.

Jean-François - Je le répète tout le temps : l’essentiel, dans l’adultère, c’est l’organisation !

Magali - Et pour être organisés…

Jean-François et Magali (ensemble) - … on l’est !

Ils s’embrassent tendrement.

 

NOIR

 

 

Scène 2

 

Le lendemain après-midi.

Jean-François, mollement allongé sur le canapé, fume un cigare.

Magali revient du jardin. Elle est allée cueillir une brassée de fleurs.

Magali - Regarde, elles sont magnifiques !

Jean-François - Tu es belle… à peindre !

Magali - Flatteur ! Est-ce que tout va bien, mon chéri ?

Jean-François - Il est très difficile d’être plus heureux. Ton repas était sublime, ce mois de mai est merveilleux, les femmes sont belles… Je ne vois pas ce que je pourrais demander de plus.

Magali - Essaie, tout de même.

Jean-François - Un baiser !

Magali - Mais le voilà, mon amour… (Elle l’embrasse.)

Jean-François - Il y a de temps en temps des moments comme ça qui vous réconcilient avec l’existence.

Magali - Voilà pourquoi il faut en profiter, car on ne sait jamais ce qui peut arriver.

Jean-François - Oui, eh bien, j’aimerais bien voir qu’on essaie de me gâcher des instants aussi délicieux. Ah oui ! Vraiment, j’aimerais bien voir ça !

Le téléphone sonne. Magali décroche.

Magali (au téléphone) - Oui… (…) Oui… (…) Hôtel Mimosa, je vous écoute… (…) M. Moncey ? Un instant, je regarde… (Jean-François fait signe qu’il n’est pas là.) Ah non ! Sa clé n’est pas au tableau… (…) Comment ? (…) Un message ? (…) Mais bien sûr ! Je vous écoute… (…) Oui… (…) Comment ? (…) Comment ? (Elle se tait, et l’on sent qu’elle est en proie à une vive émotion.) Comment ? (…) Oui… (…) Tout… (…) Noté… (…) Ce sera fait… (…) Au revoir, madame…

Magali raccroche, l’air absent.

Elle semble pétrifiée et ne dit plus rien.

Jean-François - Qu’est-ce qu’elle voulait ?… Magali…

Magali - C’était ta femme.

Jean-François - Oui, je sais… Qu’est-ce qu’elle voulait ?

Magali - Elle arrive.

Jean-François - Comment ça, elle arrive ?

Magali - Elle vient te retrouver à l’hôtel Mimosa.

Jean-François - C’est pas possible !

Magali - Son avion décolle à dix-huit heures.

Jean-François - Mais… mais… enfin… qu’est-ce que…

Magali - Et l’avion, c’est rapide.

Jean-François - Elle n’a pas l’adresse !

Magali - Avec le numéro...

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