Pericoloso

Genres :
Thèmes :
Distribution :
Durée :

C’est l’histoire d’un homme et d’une femme. C’est donc une histoire d’amour ? Oui, mais l’homme a vingt ans de plus que la femme. C’est donc une histoire d’amour compliquée ? Oui, d’autant que lui ne veut plus aimer à cause d’une douleur ancienne. Et elle ? Elle ne veut aimer que lui qu’elle ne connaît pourtant pas et qui n’est pas spécialement gentil. C’est une drôle d’histoire d’amour ? Oui drôle, pas drôle, violente, passionnée, romanesque, folle, fulgurante, irraisonnée… Un peu comme dans la vie, en somme ? Oui. Et non. Et ça finit bien ?… Et vous, vous en avez encore beaucoup des questions ?

 

 

 

 

 

Scène 1

 

Lundi 26 septembre, 19 h 30

Noir.

Bruit de clé dans la serrure, porte palière.

La porte s’ouvre, lumière blafarde provenant du palier. Une silhouette s’inscrit dans ce halo.

Bruit d’interrupteur.

Des trois branches du plafonnier, une seule ampoule s’allume. Elle éclaire une zone de l’appartement où, pendus à la corde à linge, sèchent un slip, un maillot de corps et deux chaussettes de très petite taille.

L’arrivant lâche un juron étouffé.

Lui - Ah, saloperie !

L’homme ferme la porte, glisse sur des patins jusqu’à la table où il dépose son filet à provisions. Puis il monte sur une chaise et revisse les deux autres ampoules du plafonnier.

Lumière plus vive.

L’homme descend de son perchoir. Il suspend son pardessus au portemanteau qui est fixé à la porte. Là, il se souvient de quelque chose. Il fouille dans ses poches et en sort une boîte de bonbons qu’il va poser sur un buffet, bien en évidence.

Il quitte ses chaussures pour une paire de pantoufles.

Il quitte également son cache-col et son veston qu’il enfile sur un cintre avant de le pendre.

Il va au radiateur électrique qu’il branche, se frotte les mains et retourne à la table.

Du filet, il retire quelques légumes qu’il range dans le frigo puis quelques conserves qui vont dans les placards.

Le journal reste sur la table.

Il agit précisément selon un rite qu’aucun imprévu ne peut déranger. Le filet trouve naturellement sa place à un crochet.

Il est dix-neuf heures trente. Une pendule indique l’heure.

Il tâte le linge suspendu ; il est sec. Il le dépend donc et le porte à la table à repasser. Il branche le fer.

Puis il va chercher un verre, le remplit à l’évier et s’assoit à la table. Il boit en feuilletant le journal. Un article semble l’intéresser. Il va jusqu’au torchon essuyer le verre qu’il remet à sa place, puis revient avec une paire de ciseaux. Au passage, il se penche sur un panier à chat qui est posé sur le sol, au-dessous de la fenêtre, ainsi qu’un bol et un bac à sable. D’un doigt, il tapote le panier d’osier.

Lui - Minou, minou ! (Il se redresse et glisse jusqu’à son poisson rouge.) Bonjour Chloé.

Il lui donne une pincée de daphnies puis retourne à la table.

Là, il découpe l’article.

Sur un guéridon se trouve un matériel de philatéliste dont trois albums à jaquette de cuir : deux rouges et un vert.

Il range l’article dans l’album vert.

Puis il va à la table à repasser, approche de sa joue la semelle du fer et commence à repasser les petits sous-vêtements. Il repasse tranquillement, sans passion particulière mais avec soin.

On frappe deux coups brefs.

Et puis on appelle aussitôt.

Elle - C’est moi ! Monsieur Dumontier ! C’est moi !

Il plie les vêtements, débranche le fer.

Lui - Deux secondes, je viens.

Il range le linge dans le placard.

Puis va ouvrir.

Elle se tient sur le palier, timidement. Elle est beaucoup plus jeune que lui, plus dynamique aussi bien que très gauche. Elle est vêtue d’un ciré qui ne cache pas grand-chose de ses genoux.

Ils ne se serrent pas la main, ils se saluent d’un mouvement de tête.

Elle - Ben voilà, je suis venue reprendre mon chat.

Lui - Entrez, il vous attend. (Il ne referme pas la porte palière sur elle, il l’emmène jusqu’au panier.) Il est encore dans son panier, je viens juste de rentrer. Il a été très sage.

Elle - Bonjour mon Pablo ! Bonjour mon pépère ! On est content de revoir sa maîtresse ? (Elle a soulevé le panier pour voir à l’intérieur. Elle peut aussi prendre le chat dans ses bras s’il est particulièrement docile.) C’est gentil de me l’avoir gardé ce week-end.

Lui - Quand j’étais pas à la maison je le remettais dans son panier, à cause du poisson rouge…

Elle - C’est vraiment gentil à vous. Je ne sais pas comment j’aurais fait, je ne connais encore personne ici.

Lui - Cela ne m’a pas dérangé, je n’avais rien à faire.

Elle - Je devais vous le reprendre hier soir, c’est ce que j’avais dit, mais avec la nouvelle heure… j’ai raté le dernier car.

Lui - Ah, la nouvelle heure…

Elle - Oui, avec tous ces changements, moi je suis un peu…

Elle achève d’un geste qui veut dire « tourneboulée ».

Ils sont accroupis, face à face, de part et d’autre du panier.

Ils n’ont pas grand-chose à se dire, parlent lentement, trop lentement, pour remplir les silences.

Lui - Ce n’est pas grave, je ne me suis pas inquiété.

Elle - Tout de même.

Voilà. Ils n’ont plus rien à dire.

Silence.

Il se redresse, fait un pas vers la porte.

Elle - Je ne sais vraiment pas comment vous remercier.

Lui - Ne cherchez pas, cela ne m’a pas du tout dérangé. A la prochaine occasion ce sera avec le même plaisir.

Elle fait quelques pas vers la porte, le panier entre les bras.

Elle - Bon… je ne vais pas vous déranger davantage… il doit être tard.

Lui - Dix-neuf heures trente.

Elle - Oh, déjà… Vous devez avoir un tas de choses à faire. Je vous laisse.

Il n’avait pas fermé la porte, ils sont donc déjà sur le palier.

Lui - Bonsoir mademoiselle.

Elle - Bonsoir monsieur Dumontier.

Il ferme la porte sur un aimable sourire.

Il se retourne, retrouve son univers morne.

Soudain, il fait volte-face et ouvre brusquement la porte.

Lui (fort) - Mademoiselle !… Mademoiselle !!

On entend des clés qui tombent, le panier du chat aussi, et un miaulement. Elle pousse peut-être un cri.

Elle (apeurée) - Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Lui - Rien… il reste le lait… et le bac à sable.

 

 

 

Scène 2

 

Dimanche 9 octobre, 17 heures

On entend le tonnerre, l’orage, la pluie.

Lumière sur l’appartement.

Pierre Dumontier est à sa table ; il classe des timbres.

Une bouilloire électrique est branchée.

Il se lève et va l’éteindre. Puis se prépare un café qu’il va boire debout, face à la fenêtre, en regardant dehors.

Un train passe, tout près, le bruit est énorme mais ne le trouble pas.

Les cloisons vibrent, les bibelots également.

Puis le bruit décroît.

Quand il a fini de boire, il se baisse vers le panier à chat, agace du bout du doigt l’animal à l’intérieur.

Lui - Elle va venir. Elle va bientôt venir te chercher. Un peu de patience, mon gros.

Il va laver sa tasse qu’il laisse égoutter sur la pierre à évier puis retourne à sa collection.

Il met en marche un petit transistor : c’est très faible, presque inaudible, de plus le son est de mauvaise qualité mais Pierre Dumontier ne semble pas s’en soucier.

Il trie.

On frappe.

Elle (off) - C’est moi !

Dumontier a un regard vers sa pendule, puis un mouvement de tête. Il est contrarié, il ne l’attendait pas si tôt.

Lui - Excusez-moi… deux secondes… je range.

Il referme les albums, range les timbres, fait quelques piles avec les catalogues, puis va ouvrir.

Elle se tient dans l’embrasure, en ciré, trempée, ruisselante.

Elle - Je vous dérange ?

Lui - Non… non. Je ne vous attendais pas si tôt, voilà tout.

Elle - Excusez-moi, je suis désolée, j’ai couru…

Lui - Mais il n’y a pas de mal, entrez.

Elle fait deux pas.

Elle - Quel temps épouvantable ! Cette pluie…

Lui - Voulez-vous ôter votre ciré ?

Elle - Non, non, merci. Je ne vous dérange pas longtemps. Je récupère mon Pablo et je vous laisse.

Lui - Alors attendez, je vais l’emmener jusqu’à chez vous.

Il est déjà parti en direction du panier mais elle aussi se décide et le rattrape à mi-chemin.

Elle - Je peux très bien le faire, vous savez, ce n’est pas lourd.

La réaction de Pierre est assez brutale, il crie presque.

Lui - Non, restez là-bas, j’ai ciré ce matin !

Il est aussitôt gêné de son comportement.

Elle, constate la flaque qui s’élargit à ses pieds.

Elle - Oh, la cochonne ! J’ai tout salopé. Oh, je vous demande pardon.

Lui - Ce n’est rien, ce n’est rien…

Elle - Je vois bien que ce n’est pas rien, y’en a partout.

Elle retourne à la porte d’entrée.

Lui - Je vais mettre tout de suite une serpillière.

Il va la chercher sous l’évier.

Elle ouvre la porte pour sortir.

Elle - J’aurais dû me changer avant de venir… Je reviens dans deux secondes… (Off.) Y’en a aussi plein sur le palier. Oooooooooh, la cochonne !

Pendant qu’elle est sortie, il passe la serpillière à droite et à gauche.

Quand elle revient, elle le trouve à genoux devant la porte d’entrée.

Elle a ôté son ciré et se frictionne la tête avec une serviette éponge.

Elle - Quel déluge ! J’ai tout pris. J’ai cru que j’allais fondre. A un moment, les gouttes étaient tellement grosses qu’en frappant sur mon crâne ça faisait comme un roulement de tambour. Ddrrrrrra… Laissez, laissez, c’est à moi de le faire. Oh, la pissée ! J’ai honte…

Lui - Ça, comme week-end, c’était plutôt arrosé.

Elle - Le pauvre parquet ! Demain, je vous le cire, promis.

Il va rincer la serpillière sous l’eau et se lave les mains.

Pendant ce temps, elle se dandine d’un pied sur l’autre en se frictionnant le corps.

Elle - Brrr… Qu’est-ce qu’il fait froid chez moi ! Deux jours sans chauffage et c’est la glacière. Il fait bon chez vous.

Lui - Cela vous dirait un petit café ?

Elle - Non, non… je disais ça pour causer.

Lui - C’est vite fait, vous savez : un peu d’eau, un peu de gaz… C’est de bon cœur.

Elle - Alors je veux bien.

Pendant qu’il s’occupe à préparer le café, elle se déplace dans l’appartement, promène son nez partout sans toutefois se permettre de fouiller.

Lui - C’est du soluble.

Elle - Chez moi aussi c’est du soluble, ça va plus vite. Plouc-plouc, un peu d’eau chaude, tango de la petite cuillère et c’est prêt. (Une armoire est ouverte, elle s’apprête à jeter un œil à l’intérieur.) Vous avez l’air soigneux comme homme. Tout est rangé.

Lui (occupé, sans la voir) - Vous voulez bien fermer la porte, s’il vous plaît ?

Il parle de la porte d’entrée qui est restée ouverte mais Annie se méprend et se dirige vers l’armoire.

Quand Pierre s’en aperçoit, il pousse un cri.

Lui - Ah !!

Annie stoppe.

Pierre se précipite et referme la porte de l’armoire.

Elle - Qu’est-ce que vous avez ? Vous vous êtes mordu ?

Lui (embarrassé) - J’ai cru que je n’avais plus de café, c’est rien. Vous voulez fermer la porte, s’il vous plaît ?

Il désigne la porte d’entrée.

Elle y va.

Soudain, voici un train.

Le bruit croît… Plénitude… C’est vraiment très fort.

Elle ne peut résister et se bouche les oreilles.

Pas lui.

Le train passe… est passé.

Elle - Ah, c’est fou. Je ne m’y fais pas !

Lui - C’est le dix-sept heures dix pour Paris.

Elle - La nuit je sursaute comme un pop-corn. Je vais y laisser mon cœur.

Lui - On croit cela au début et puis on s’habitue.

Elle - Pas moi. Je m’habituerai jamais. Je veux pas.

Il lui sert son café dans la tasse qui a séché sur l’évier. Il la lui apporte directement dans la main puis va éteindre le transistor.

Elle - Vous ne buvez pas avec moi ?

Lui - Je viens de le prendre.

Elle - Alors je trinque avec personne ? Tant pis.

Elle choque un vase sur une étagère...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accédez à tous nos textes en ligne, en intégralité.




Retour en haut
Retour haut de page