Petites pipettes et gros calibres

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Julien, amoureux de la fille de son patron, se voit rabroué par ce dernier et renvoyé dans son labo, en compagnie de ses petites pipettes. Pour le rendre « intéressant » aux yeux de son mari, Madeleine, aidée de sa belle-mère et de sa fille, va le convaincre d’annoncer qu’il vient de remettre au point l’élixir de longue vie du docteur russe Bogomoletz. Ces fausses, mais spectaculaires, déclarations attirent sur le coup trois agents du contre-espionnage international, aussi futés que maladroits avec leurs gros calibres.

De la même veine que « Larguez les amarres », cette burlesque et hilarante comédie aux rôles bien équilibrés est, avant tout, une parodie d’espionnage que vous devriez prendre plaisir à jouer et qui devrait séduire un très large public.

Acte I

 

Le matin. À l’ouverture du rideau, on frappe timidement à la porte du laboratoire et celle-ci s’ouvre lentement. On voit apparaître une tête qui regarde un peu partout autour d’elle, puis le corps entier se décide à entrer. Julien arrive en scène, visiblement nerveux, et il fait les cent pas. Il se prépare à demander en mariage la fille de son patron et ne sait quels termes employer. On le trouve en pleine simulation. Il est habillé en tenue de laborantin, blouse blanche et charlotte sur la tête. Il n’a pas vu Marie, la femme de ménage, qui est agenouillée sous le bureau et qui semble très occupée.

Julien (complètement stressé) - « Laisse parler ton cœur, laisse parler ton cœur… » Elle est marrante Émilie, comme si j’avais l’habitude, tous les matins, de demander sa main à son père. J’ai jamais fait ça moi, j’sais même pas comment on s’y prend !

Marie, qui est sortie de sa cachette, observe Julien qui ne l’a pas encore vue. C’est une jolie fille mais qui cache ses atouts dans des tenues vestimentaires d’un goût douteux. Elle est très décontractée.

Marie - Vous, je sens que vous avez comme qui dirait… un problème.

Julien (sursautant) - Ouh là, vous m’avez fait peur ! Vous sortez d’où ?

Marie (en riant) - De dessous le bureau… Mais je vous rassure, je ne faisais qu’y passer. (Elle lui tend la main.) Je m’appelle Marie et je suis envoyée par l’agence pour remplacer Françoise qui est souffrante.

Julien (lui serrant la main) - Ah ! vous êtes la nouvelle femme de ménage !

Marie (avec fierté) - Agent de propreté ou technicienne de surface, si ça vous ennuie pas. Ça change pas grand-chose à la poussière, mais ça me donne beaucoup moins d’irritations. Alors comme ça, vous venez demander la main de votre fiancée à votre futur beau-père ?

Julien (stressé) - Ouiiiii…

Marie (avec malice) - Et votre futur beau-père… c’est le patron.

Julien (stressé) - Ouiiiii…

Marie (riant) - Eh ben dites donc, vous aimez les emmerdes… Vous ne faites pas dans la simplicité !

Julien (stressé) - J’en suis malade.

Marie (s’installant au bureau du patron) - Calmez-vous, je vais vous aider. On va faire une répétition. Imaginez-vous que je suis votre patron, d’accord ? Allez-y, je vous écoute. (Elle joue avec son plumeau.)

Julien (très sérieux, faisant un essai en s’adressant au fauteuil) - Monsieur Lecoq, j’ai le très grand honneur et le non moins grand avantage, de vous demander la main de votre fille… (Mécontent de sa phrase, il tourne le dos au fauteuil et recommence à tourner dans la pièce.) Non, non, ça ne va pas, c’est beaucoup trop cérémonieux.

Marie - Ouh là ! Vous êtes carrément d’un autre siècle. Là, c’est sûr qu’il va se foutre de vot’ gueule.

Se ravisant, Julien roule les mécaniques, s’approche et se penche, mains posées sur le bureau, décontracté.

Julien - Oh ! Arthur, tu peux me refiler la paluche de ta môme pour que j’en fasse ma meuf ? (Il sursaute, surpris par ses propos.) Là, c’est peut-être un peu trop décontracté, non ?

Marie - Oui, bon, faut peut-être pas déconner non plus.

Julien - J’y arriverai jamais. Et en plus, il me fout la trouille le patron… J’ai mal au ventre… J’ai envie de faire pipi… (Il se retient et serre les jambes en se dandinant d’un pied sur l’autre.)

Marie - Retenez-vous, ça va pas le faire dans le décor !

Arthur entre côté appartement et surprend Julien dans cette posture. Il le regarde s’agiter en hochant la tête. Puis il voit Marie assise à son bureau. Il parle d’une voix forte, sévère.

Arthur - Ça va mademoiselle, vous êtes bien installée ?

Marie (se levant) - Très bien, très confortable votre fauteuil. (Tapotant le siège.) Tenez, j’vous le laisse, la place est toute chaude.

Arthur - Je peux savoir qui vous êtes ?

Marie (lui tendant la main) - Marie Hata. C’est l’agence qui m’envoie pour remplacer votre technicienne de surface qui est…

Arthur (la coupant, ignorant la main tendue) - J’ai compris. Vous êtes la nouvelle femme de ménage.

Marie (accusant le coup) - Bon, d’accord. (Regardant sa main tendue.) J’ai la main qui sent le mazout sans doute ?

Arthur - Vous pouvez nous laisser ? J’ai rendez-vous avec M. Drochon.

Marie (fermement) - C’est pas possible. Votre femme m’a demandé de faire votre bureau impérativement ce matin et l’appartement cet après-midi. Moi j’obéis toujours aux premiers ordres reçus.

Arthur - Vous voyez bien que je suis occupé !

Marie (reprenant son nettoyage) - Vous gênez pas pour moi, faites comme si j’étais pas là. Je serai muette comme une taupe.

Arthur - Comme une carpe… Ce sont les carpes qui sont muettes, pas les taupes. Les taupes sont myopes.

Marie - Qu’est-ce que vous en savez ? Vous avez déjà essayé de discuter le bout de gras avec une carpe quelquefois ?

Arthur (pris de court) - Bien sûr que non !

Marie - Et vous avez déjà vu des taupes lire le journal, chaussées d’une paire de lunettes ?

Arthur (paumé) - Vous racontez vraiment n’importe quoi.

Marie (pleine de sous-entendus) - En tout cas, moi, je connais des taupes qui sont loin d’être myopes et qui savent tenir leur langue.

Pendant tout ce temps, Julien n’a pas cessé de se dandiner d’un pied sur l’autre. Vaincu, Arthur abandonne Marie et s’en prend à Julien.

Arthur (voix forte, sévère) - Et vous Julien, vous avez pris rendez-vous avec moi pour me faire la démonstration d’une nouvelle danse ?

Julien (sursautant et réalisant la situation) - Euh… oui… enfin non… C’est-à-dire que voyez-vous, j’étais là…

Arthur (bras croisés, le regardant) - Oui, ça j’avais remarqué.

Julien (complètement apeuré) - Je… je… je vous attendais…

Arthur - Oui, ça me paraît évident.

Julien (de plus en plus apeuré) - Alors je me suis dit… tiens, en attendant M. Lecoq, je vais faire quelques mouvements d’assouplissement pour… pour… pour me détendre.

Marie (moqueuse) - Ils sont très gracieux ses mouvements, vous avez remarqué ? (Gros yeux d’Arthur dans sa direction.)

Julien (un peu rassuré, essayant de refaire les mêmes gestes) - En fait, c’est une forme de yoga.

Arthur (voix faussement douce) - Du yoga ? Tiens donc !

Marie (moqueuse) - Un yoga… spécial bas du corps alors.

Julien (de plus en plus rassuré) - Voilà, c’est ça. (En grimaçant, il fait semblant de souffler de plaisir.) Si vous saviez comme ça détend la vessie… (Se reprenant vivement.) Euh… l’esprit… comme ça détend l’esprit.

Arthur (faussement étonné) - Je n’aurais jamais imaginé qu’en tricotant des jambes comme vous le faites, on puisse se détendre le cerveau. (Voix brusquement forte.) Et pouvez-vous me dire pourquoi vous avez besoin de vous détendre l’esprit en m’attendant ?

Julien (repris par sa frousse) - Ben c’est-à-dire que… c’est-à-dire que…

Arthur (voix de plus en plus forte) - Ne me dites pas que vous avez peur de moi, mon petit Julien ?

Julien (faisant des oui et des non de façon désordonnée avec sa tête) - Ah ! non non non non… monsieur Leco… Leco… monsieur Lecoq… vous… vous… vous ne me faites absolu… absolu… absolument pas peur.

Marie (en aparté) - Ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

Il le prend par les épaules et l’amène doucement mais avec autorité s’asseoir sur le fauteuil devant son bureau. Il lui appuie sur les épaules pour le faire asseoir et maintient ses mains sur ses épaules.

Arthur - Tant mieux, tant mieux ! Quelle ingratitude ce serait de votre part compte tenu de tout ce que j’ai fait pour vous depuis que vous êtes à mon service. Ne suis-je pas un vrai père pour vous ?

Julien (bredouillant) - Oui papa… enfin non… enfin oui… enfin je veux dire si, si, si… monsieur Lecoq. (Essayant de se relever pour s’expliquer.) Mais d’un autre côté… moi aussi… j’ai fait beaucoup pour vous… depuis que vous m’avez embauché.

Arthur (le renfonçant dans le siège) - Mais heureusement mon petit Julien ! Je vous rappelle quand même que je vous paye pour ça !

Julien (timidement en secouant la tête) - Pas très cher d’ailleurs.

Arthur (regagnant sa place en face de Julien) - Comment ça, pas très cher ? (Faussement indigné.) Ah ! parce qu’il n’y a que l’argent qui compte pour vous ? Ne me dites pas que vous vous laissez aller à ces basses considérations matérielles ? Pas vous mon p’tit Julien, pas vous ! Et le prestige, hein ? Qu’est-ce que vous en faites du prestige ?

Julien (essayant de se rattraper) - Ah ! oui, oui ! Le prestige, c’est bien aussi. Et puis pour payer mon loyer, je fais un tour de prestig… de prestig… itation à mon propriétaire, ça va l’amuser, c’est sûr.

Arthur - Petit veinard ! Vous avez la chance de travailler chez Forbiosanté et comme dit le slogan publicitaire de notre société : « Les produits Forbiosanté… » (Il fait un mouvement circulaire avec sa main et tend son bras vers Julien pour lui faire dire la fin du slogan.)

Julien (instinctivement, très discipliné) - « … Vous r’mettent à neuf de la tête aux pieds ! »

Arthur (satisfait de lui) - Géniale cette pub, vous ne trouvez pas ? C’est moi qui l’ai trouvée.

Marie (qui écoutait depuis un petit moment sans travailler) - Vous ne pensez pas que ça fait un peu Bricomarché ou Leroy Merlin vot’ truc ?

Arthur (satisfait de lui, se lève et revient vers Julien) - Mais justement, c’est une métaphore. Le corps humain est comme une maison qu’il faut entretenir constamment, faute de le voir tomber en ruine. (À l’attention de Marie.) Je ne suis pas certain que vous compreniez toute la subtilité de ce slogan.

Marie - Évidemment, vu sous cet angle… (Amusée.) Eh… alors on pourrait dire que vous fabriquez du crépi comme fond de teint, du désherbant pour les poils…

Julien (pris dans le truc) - De la peinture pour les yeux et des joints de silicone pour les rides… (Ils rient tous les deux.)

Arthur (vexé) - Ah ! ah ! ah ! C’est très amusant. (Avec emphase.) Voyez-vous mon p’tit Julien, Forbiosanté est un laboratoire de développement de produits biologiques animaux à la pointe du progrès… (À Julien qui rit encore avec Marie.) Vous me suivez ?

Julien (se laissant embobiner) - À la pointe du progrès… Oui, oui, je vous suis, monsieur Lecoq.

Arthur (parti sur sa lancée) - Jalousé par les uns, envié par les autres, copié mais jamais égalé par la concurrence, espionné sans doute par les puissances étrangères.

Julien (à moitié apeuré) - Arrêtez, vous allez me foutre la trouille.

Arthur (baissant volontairement le ton) - Nos produits sont tellement prestigieux que je suis presque certain d’être victime d’espionnage industriel. Les murs ont des oreilles, mon petit Julien… (Presque à son oreille.)… et je ne serais pas surpris qu’on nous pirate nos formules.

Marie (faussement apeurée) - Comme Tipiak avec les trois vieilles bretonnes ?

Arthur - Tout pareil !

Julien (retrouvant un peu d’aplomb) - Remarquez, ceux qui auront piraté votre dernière formule de shampooing éclaircissant vont pas être déçus du voyage !

Arthur (fier de sa trouvaille) - Ah ! mon shampooing à base de camomille et de glandes pileuses de lapin angora ! Avouez que c’est une idée géniale, non ? (Il sort avec fierté son argument de vente.) « Avec le shampooing Camangora… en toute quiétude votre cheveu s’éclaircira. »

Julien - Ç’aurait pu être génial si vous n’aviez pas absolument voulu incorporer dans la formule un chouïa d’eau de Javel.

Arthur - C’était pour accélérer l’effet éclaircissant du shampooing.

Julien - Ah ça ! Pour éclaircir, ça a éclairci ! Tous les gens du panel de consommateurs qui l’ont essayé ont des trous comme ça dans la chevelure. (Il montre des ronds énormes avec ses doigts.) Ils ont des tonsures partout qu’on dirait des moines qui seraient passés sous un emporte-pièce. (Il rit.)

Arthur (avec assurance) - Ils sont là pour ça les gens du panel… Ce sont les risques du métier… Et puis ça nous permet de rectifier le tir s’il y a un problème. D’ailleurs, je compte sur vous mon p’tit Julien pour me remettre cette formule d’équerre.

Marie - Si j’étais vot’ service commercial, eh ben, je la refourguerais à Vilmorin… votre formule… (En décomposant bien chaque strophe.)… pour qu’ils en fassent un éclaircissant… dans les jardins… pour les semis de carottes.

Arthur (agacé) - De quoi je me mêle ! (Retrouvant son assurance.) Par contre, mon produit à base de collagène de pis de génisse pour raffermir les seins va faire un malheur.

Julien (hochant la tête) - Vu les premiers résultats obtenus… (Mimant une poitrine qui tombe.)… on a fait comme les poitrines : on a carrément laissé tomber… (Fataliste.) Y a des femmes du panel qui ne reviendront plus.

Arthur - Qu’à cela ne tienne, vous allez bien me trouver un nouveau produit ! Où en êtes-vous de vos recherches dans le laboratoire flambant neuf que je vous ai offert ?

Julien (dépassé par l’aplomb de son patron) - Le laboratoire que vous m’avez offert… Ah oui… Ah ! mais non ! C’était trop… Fallait pas faire ça pour moi.

Arthur (s’approchant de lui, mielleux) - Si, si, si, mon p’tit Julien. Quand on a la chance d’avoir à son service un chercheur de votre qualité, rien n’est trop beau, ni trop cher, pour lui permettre de travailler et de créer en toute sérénité.

Julien (gêné, se laissant embobiner) - Là, vous me gênez beaucoup monsieur Lecoq…

Arthur - Vous avez vu, je n’ai pas lésiné : microscope, centrifugeuse, étuves, autoclave, stérilisateurs, extracteurs, j’en passe et des meilleurs. Rien ne manque. Jusqu’aux éprouvettes et aux petites pipettes !

Julien (regard vers la porte du labo) - C’est vrai que c’est un beau laboratoire… que vous m’avez offert.

Arthur - Je ne vous le fais pas dire. Et cerise sur le gâteau… pour que vous vous sentiez moins seul dans votre développement… vous savez ce que j’ai fait ?

Julien (hochant la tête, inquiet) - Euh… non…

Arthur (ménageant son effet) - Vous ne savez pas ce que j’ai fait ? (Signe de tête négatif de Julien.) Je vous ai adjoint Bernadette comme assistante !

Julien (affolé) - Oh nooooon !

Arthur (content de lui) - Mais siiiiiiii ! (Lui tapant sur l’épaule.) Alors, content ?

Julien (n’osant y croire) - Bernadette… la responsable du service qualité ?

Arthur - Elle-même. Je vois avec bonheur que vous la connaissez.

Julien (assommé) - Faut dire qu’elle ne passe pas inaperçue dans la société…

Arthur - Une fille bien, cette Bernadette. Qui ne réclame jamais d’augmentation. Alors hop ! promotion interne ! Même salaire mais davantage de responsabilités… Ça compense. Elle est aux anges.

Julien (assommé) - M’étonne pas...

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