Pièces démontées

Genres :
Thèmes : · ·
Distribution :
Durée :

– Trois pièces, trois tranches de vies démontées par l’intrusion de la vérité. Car toute vérité n’est pas forcément bonne à dire. Dans « La nuit des imbroglios » c’est la tranquillité d’une famille qui vole en éclats à la suite de plusieurs appels téléphoniques. Dans « Simon est mort » c’est l’amitié d’un groupe de copains qui se fissure face à la veuve du copain décédé. Dans « Merlin le désenchanteur » c’est la superbe d’un comédien grande gueule, fantasque et séducteur qui est réduite en miettes par la visite de sa fille. Une fois que la vérité a parlé, rien ne peut plus être comme avant. Mais quelle jubilation pour ceux qui la disent, cette vérité !

LA NUIT DES IMBROGLIOS

 

 

 

 

PERSONNAGES

Papa

Maman

La fille

Le garçon

 

 

Décor

Le salon-salle à manger d’un pavillon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE 1

Allegro vivace

 

Il fait nuit.

Le téléphone sonne.

Les membres de la famille apparaissent en pyjama ou chemise de nuit.

Ils se ruent sur le téléphone, percutent les meubles, allument la lumière.

Le téléphone ne possède pas d’amplificateur.

Papa - Allô ! C’est qui ?

Maman, le garçon et la fille - C’est qui ? C’est qui ?

Papa - C’est qui, c’est Jeannot ? J’entends mal.

Maman - Il entend mal.

Papa - Parlez plus fort, on n’entend rien.

Le garçon - C’est pas Jeannot !!

Papa - Ah, Antoine ! Je croyais que c’était Jeannot.

Le garçon - Je savais bien que c’était pas Jeannot.

Maman - Qu’est-ce qui se passe ? Demande qu’est-ce qui se passe ?

La fille - Pourquoi c’est Antoine ?

Le garçon - C’est pas bon, ça.

Papa - Mais qu’est-ce qui se passe, Antoine ? Pourquoi appelez-vous de chez maman ? Au début j’ai cru que c’était maman…

Tous - Hé oui ! On croyait que c’était…

Maman - Mamie.

La fille - Mémé.

Le garçon - Mémère.

Papa - C’est normal, j’ai vu s’afficher le numéro de maman alors j’ai cru que c’était maman.

Maman - Mamie.

La fille - Mémé.

Le garçon - Mémère.

Le garçon - C’est pas bon, ça.

Papa - Silence vous autres !

Maman, la fille et le garçon - Chut ! Chut ! Chut !

Papa - Non, je dis aux autres de faire silence… Ben les autres : Nanou, Julie et David… (Fort.) Je dis : Nanou, Julie et David.

Maman - Il est sourd ce pauvre Antoine !

La fille - Complètement !

Papa (s’énervant) - Mais Nanou c’est Sophie, Antoine ! C’est le petit nom qu’on lui donne. Ne dites pas que vous n’êtes pas au courant, tout le monde l’appelle comme ça… Mais oui ! Oui, ma femme, Nanou et Sophie c’est trois fois la même personne.

Le garçon - Il est pénible.

Papa - Oui, alors ?… (Répétant.) Y’a une mauvaise nouvelle ? Quelle nouvelle ?

Maman - Quelle nouvelle ?

La fille - Quelle nouvelle ?

Le garçon - C’est pas bon, ça, c’est pas bon !

Papa - Mamie est…

Maman - Ta mère ?

La fille - Mémé ?

Le garçon - Mémère ?

Papa - Oh non ! Mon Dieu non ! C’est pas vrai ! Elle est… ?

Tous - Quoi ?

Papa (de plus en plus faiblement) - Oui… Oui… Oui… Bien sûr…

La fille - Mais quoi ?

Maman - Chut, ma Julie.

Le garçon - De toute façon on a compris.

Papa - Oui, c’est très gentil de nous avoir prévenus. Merci Antoine.

Maman (fort) - Merci Antoine.

Papa raccroche.

Papa - C’est maman, elle est…

Maman - On a compris, Bruno, ne le dis pas.

Papa - Maman, ma petite maman.

La fille - Mémé.

Le garçon - Mémère.

Maman - Il fallait s’y attendre, elle n’allait pas fort ces derniers temps.

Papa - La pauvre. Ma pauvre petite maman, ma maman chérie.

Maman - On a tous de la peine mais on est avec toi mon chéri.

La fille - Oui papa, on est là, on est avec toi, tu peux compter sur nous.

Papa - Merci. Vous êtes gentils, ça me fait du bien.

Maman - Et puis on a déjà enterré ton papa il y a six mois alors on sait comment faire maintenant. C’est pas comme quand c’est la première disparition.

La fille - C’est vrai. On ne va pas paniquer, on va savoir quoi dire, quoi faire, au bon moment.

Le garçon - Comme ça, on pourra mieux t’aider, mieux te soutenir.

Papa - C’est vrai. Malgré mon chagrin, je sens que ça va être moins dur.

Maman - Et puis ça tombe à un moment où on n’est pas trop bousculés alors on ne va pas s’énerver.

Papa - Non, on va rester calmes, ensemble, tous les quatre ensemble.

La fille - Je t’aime, mon papa.

Maman et le garçon - Moi aussi.

Papa - Merci, merci… (Éclate en sanglots.) Mais ça ne remplace pas une mère !

Tous pleurent.

Maman, la fille et le garçon - Papa !

Papa (se reprenant) - Bon, allez, essuyons nos yeux et préparons-nous à partir.

Maman - Oui, je m’occupe des bagages.

La fille - Moi, je mets Minette dans son panier. Faudra l’amener chez un véto, elle se gratte, se trémousse. Je me demande si elle n’est pas en chaleur.

Le garçon - Moi, je ferme l’eau, le gaz et l’électricité.

Téléphone.

Papa - Le téléphone !

Maman - C’est peut-être Antoine, il s’est peut-être trompé.

Papa - Elle n’est peut-être pas encore morte, il y a peut-être encore un espoir.

La fille - Ou alors c’était une blague ?

Papa - Taisez-vous, taisez-vous, je sens que c’est une bonne nouvelle.

Maman - Regarde si c’est le bon numéro qui s’affiche !

Il décroche, on entend des bips.

Papa - Mince, ça a raccroché.

Maman - Tu as trop traîné. Fallait décrocher tout de suite.

Le garçon - C’était peut-être une fausse bonne nouvelle ?

 

 

 

SCÈNE 2

Allegro con fuoco

 

Sonnerie du téléphone.

Papa - Allô !

Maman - C’est qui ?

Papa - C’est pour toi, c’est mamie.

Maman - Mamie ? Elle est vivante ?

Papa - Mamie Pierrette, ta mère.

Le garçon - Qu’est-ce qu’elle veut ?

Maman - Allô ! Maman, tu tombes mal. Figure-toi que mamie Amanda est décédée. On est encore sous le choc.

La fille - Pourquoi elle appelle à cette heure-là, mamie Pierrette ? C’est pas dans son habitude.

Papa - Chut !

Maman - Allô ! Maman, parle plus fort, je t’entends mal.

Le garçon - C’est le téléphone, il marche pas.

Papa - Il marche très bien, il est neuf, et au prix où je l’ai…

Maman - Comment ? Papa est…

Papa - Chut ! Qu’est-ce qu’elle a dit ?

La fille - Je sais pas.

Le garçon - On n’a rien entendu, tu parlais.

Maman - Papa… papa… c’est pas possible…

Papa - Qu’est-ce qu’est pas possible, Sophie, qu’est-ce qu’est pas possible ?

Maman - Mais comment ça ? Pourquoi ?

Papa - Il est arrivé quelque chose à papy Georges ?

La fille - On dirait.

Le garçon - Il est nul ce téléphone, y’a même pas d’amplificateur.

Maman - Oui, j’arrive, j’arrive. Ne t’inquiète pas, maman, on va s’occuper de tout. Reste calme. Je t’embrasse fort. À tout de suite.

Elle raccroche.

Papa, la fille et le garçon - Alors ?

Maman - Papy Georges nous a quittés.

Papa - Oh non !

La fille - Pas ce soir !

Le garçon - Pas deux d’un coup !

Maman - C’est affreux, affreux.

Papa - Pourquoi tout ce malheur un même soir ? Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça ?

Le garçon - Et c’est peut-être pas fini.

La fille - David ! T’es vraiment con, parfois !

Le garçon - Quoi, quoi ? Ça arrive, la loi des séries.

Maman - Il était devant la télé, tranquille, comme tous les soirs, il a dit : « Je prendrais bien une tisane. » Ça a surpris maman parce que, d’habitude, il n’en prend jamais. Elle est allée lui préparer une camomille à la cuisine et quand elle est revenue…

Papa - Il était mort ?

Maman - Non, il avait éteint la télé ! Avant même la fin du film.

La fille - C’est tout ?

Maman - Non, il a dit : « Viens, on va se coucher, j’ai envie de te faire un enfant. »

La fille - Oh !

Maman - Il paraît qu’il était tout pâle, tout bizarre, il parlait à la couverture du magazine télé.

Papa - Et après ?

Maman - Il est monté avec le magazine sous le bras et au beau milieu de l’escalier… patatras !

Papa - Patatras ?

La fille - Il était mort ?

Maman - Il a lâché le magazine.

Le garçon - Et après ?

Maman - Après il s’est assis pour le ramasser. Et il ne s’est jamais relevé.

Papa - Ah !… Il était enfin mort ?

Maman - Je t’en prie, Bruno, n’emploie pas ce mot affreux !

La fille - C’est vrai, papa. On ne l’a pas employé pour mamie Amanda.

Maman - Il s’est… endormi dans les escaliers.

Papa - Avec un magazine télé à ses pieds.

Le garçon - Y’avait qui sur la couverture ?

Maman - Je t’en prie, David, un peu de pudeur. Est-ce qu’on sait ce qui se passe dans la tête de quelqu’un qui va… partir ? Sans doute voyait-il maman, jeune fille.

La fille - Ou une licorne enchantée.

Papa - En tout cas, Nanou, je suis fier de toi, tu réagis très calmement, tu es forte. Bien plus forte que moi qui ai lamentablement craqué.

Maman - Mais non, nous avons chacun notre nature. Toi plus démonstrative, moi plus intériorisée.

Papa - Courage, Nanou, courage.

La fille et le garçon - Oui, courage maman.

Maman - Merci les enfants. Mais avant tout, ayez une pensée pour votre papy Georges.

Silence.

Papa - Je crois que nous devrions…

Maman (le coupe) - Je sais que vous ne l’aimiez guère mais lui vous aimait beaucoup.

La fille et le garçon (doucement) - Maman, s’il te plaît.

Papa - Nanou, ce n’est peut-être pas le moment…

Maman (sèche) - Si, c’est le moment. Papa Georges avait peut-être fait une bêtise pendant la guerre, il n’empêche que c’était un homme bon, qui a toujours veillé à mon éducation même au milieu de la tourmente et qui, par la suite, a toujours fait l’effort, toute sa vie, de racheter sa faute.

Papa - Nous en parlerons plus tard, si tu veux bien.

Maman - Non. Je tenais à le dire maintenant. Vous m’avez entendue, les enfants ?

La fille et le garçon - Oui maman.

Maman - L’histoire retiendra ce qu’elle veut de mon père mais la famille se doit d’honorer ses morts, quels qu’ils soient ! Ooooh, c’est affreux, j’ai dit le mot !!! (Hurlant.) C’est de votre faute ! Vous ne l’aimiez pas. Jamais vous ne lui avez témoigné un seul geste d’affection, de tendresse, de gentillesse, ni même de respect. Au moins, oui, du respect ! Un homme qui verse cinq mille euros de pension, chaque mois, à sa famille, mérite au moins un peu de respect !!!

 

 

 

SCÈNE 3

Larghetto

 

Le garçon - Et maintenant, comment fait-on ?

La fille - Nous voilà avec deux morts sur les bras.

Maman - On le sait, Julie, inutile de répéter ce mot-là à tout bout de champ.

Papa - C’est une situation épouvantable, tout le monde en conviendra, mais nous devons garder tout notre calme pour gérer au mieux...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accédez à tous nos textes en ligne, en intégralité.



Retour en haut
Retour haut de page