ACTE UN
La lumière se fait sur le plateau, nous découvrant Donald, quadra au physique commun, habillé de manière très élégante, voire ostentatoire : lunettes Ray-Ban, veste Saint Laurent, etc. Sinatra chante à la radio « Fly Me to the Moon ». Donald pose son cigare éteint, type barreau de chaise, dans le cendrier, et papillonne dans la pièce en fredonnant et en esquissant quelques petits pas de danse, avant de s’avachir dans le canapé et composer un numéro sur son portable. Tout en téléphonant, il a ramassé une grosse montre en argent sur la table basse et l’enfile à son poignet.
Donald, au téléphone. – Bonjour, mademoiselle. Donald Balmain à l’appareil… Vous me remettez ?… Voilà, je vous appelle au sujet d’une robe de soirée de ma femme, achetée chez vous… Ce serait pour un échange… Non, pas contre une autre robe. Contre un smoking… Oui, oui… C’est un peu particulier, mais votre collègue est au courant… Je voulais savoir si, finalement, vous pouviez me le livrer ? Parce que je n’aurai pas le temps de me déplacer, en fait… (Il s’installe devant son ordinateur et entame une partie de poker en ligne.) Je croule sous le boulot ! (On sonne à la porte. Il tente une blague.) Eh ben, dites donc, vous avez fait vite !… (Il rit – a priori, il est le seul.) Non, « pour me livrer » !… Parce que là, on sonne à ma porte… Mais forcément, si vous n’aviez pas entendu, vous ne pouviez pas comprendre… Comment ?… Oui, mon adresse est sur la facture… Non, elle est au nom de ma femme : Véra Balmain… Merci beaucoup… Voilà… Oui, oui… (Sans réaliser.) Bisous ! (Il raccroche. Il regarde le résultat de son tour de poker sur le Net qui s’achève au même moment.) Yes ! (On comprend qu’il vient de gagner. Il est remonté vers la porte d’entrée, qu’il ouvre. Nathalie, costumée en bonne sœur, se tient dans l’encadrement.) Ma sœur ?
Nathalie. – Bonjour. Je suis bien chez M. et Mme Balmain ?
Donald. – C’est à quel sujet ?
Nathalie. – Nous organisons un vide-grenier pour les petits pauvres de Neuilly.
Donald, étonné. – Y a des pauvres à Neuilly ?!
Nathalie, douloureusement. – Eh oui… On n’est plus à l’abri nulle part… (Il montre un poste de radio à ses pieds.) Pour l’instant, je n’ai récolté que ça… Votre patronne est là ?
Donald la regarde, incrédule.
Donald. – Ah non, mais y a méprise : je ne suis pas le majordome. Je suis un proche de Mme Balmain. Très proche, même, puisque je suis son mari !
Nathalie, confuse. – Oh, pardon mon fils ! Oh, c’est tout moi, ça !… Mais comme vous m’avez ouvert la porte et qu’on est à Neuilly, machinalement j’ai pensé que…
Donald. – Pas grave… Mme Balmain n’est pas encore rentrée.
Nathalie, précipitamment. – Ça tombe bien : c’est Monsieur que je voulais voir…
Donald. – Ben, c’est moi, monsieur Bal… (L’observant attentivement.) Mais on se connaît, non ?
Nathalie enlève sa coiffe.
Nathalie, hurlant. – Surprise !
Donald, poussant un râle de bête. – Aaah !!! Mais qu’est-ce que c’est ?!
Nathalie, vamp. – Eh ben, alors ? Je t’ai fait peur, mon chou ?
Donald. – Nathalie !… Mais ça va pas ! Qu’est-ce que c’est que cette connerie ?
Nathalie. – Ben, comme tu m’invites jamais, je me suis dit que je n’avais que cette solution pour voir comment c’était chez toi ! (Aguicheuse.) Alors, je te plais en Mère supérieure ?
Donald. – T’es complètement secouée !… T’étais pas à Francfort ?
Nathalie met alors en marche le poste de radio à ses pieds. Une musique R’n’B retentit, sur laquelle Nathalie entame un strip-tease langoureux, enlevant son costume, son chapelet, sa coiffe… pour finir en guêpière et porte-jarretelles.
Nathalie, rappant. – Ouais-j’é-tais-à-Franc-fort
Mais-toi-t’y-é-tais-pas
Tu-crois-que-t’es-l’plus-fort
Mais-moi-j’vais-t’mettr’-au-pas
J’en-ai-marr’-d’êtr-ta-chose
Pour-moi-la-mess’-est-dite
Voi-là-c’que-j’te-pro-pose
Ou-tu-m’suis-ou-j’te-quitte
Ouais, ouais…
Elle éteint le poste et termine son show dans une pose
triomphante.
Donald, hallucinant. – Mais qu’est-ce que tu me fais là ? Je t’ai promis que j’allais essayer de lui parler, mais ne fais pas n’importe quoi, tu vas tout gâcher !
Nathalie, mauvaise. – Mais gâcher, quoi ? Nos cinq à sept pourris dans des hôtels miteux ?
Donald, outré. – « Nos cinq à sept » ?!
Nathalie, ricanant. – Oh, pardon : « nos cinq à cinq heures cinq » !
Donald. – Nathalie, on en a parlé mille fois : je ne peux pas la quitter !… Pas tant que j’ai pas gagné une grosse somme au poker. Ça va venir… Je passe tout mon temps en ligne ! Faut que je gagne… De quoi on vivrait ? D’amour et d’eau fraîche ? Je nous donne deux jours !
Nathalie. – Je ne peux plus vivre sans toi.
Donald. – Mais moi non plus, moi non plus… Mais tu tombes mal, ma puce, je pars à un gros tournoi là…
Elle commence à le chauffer sérieusement, se frottant contre lui, l’embrassant, etc.
Nathalie. – J’ai envie de toi, Dodo…
Donald. – Nathalie, c’est pas raisonnable…
Nathalie. – J’ai envie de toi… Il fait chaud…
Elle devient de plus en plus entreprenante. Elle se colle contre la porte d’entrée et ondule.
Donald. – Nathou…
Nathalie. – J’ai chaud… Mais j’ai chaud !
Soudain, la porte d’entrée s’ouvre violemment, et Nathalie, arrimée à la porte, pivote avec elle et disparaît en s’écrasant contre le mur. Véra se tient dans l’encadrement. Elle porte des lunettes noires et on voit qu’elle tente de maîtriser son chien.
Véra. – Chaud devant, chaud !!! (Au chien, qu’on devine au bout de la laisse tendue.) Mollo ! Mollo le chien !…
Donald. – Minou ! Qu’est-ce que tu fais déjà là ?
Véra. – Un numéro de dressage, ça se voit pas ?! (Elle défait la laisse et libère son chien.) Allez : cours, Forrest ! (Elle referme la porte et hume l’air.) Ça pue encore le cigare ! Qu’est-ce que je t’ai déjà dit ?
Donald, décontracté. – Il est éteint, et puis j’ai tiré que deux petites taffes…
Véra. – Oui, eh ben c’est deux taffes de trop !
Véra enlève son trench, nous laissant découvrir une robe au tissu cheap et imprimée de logos Royal Canin. Nathalie est pétrifiée et ne bouge plus du tout. Donald lui fait signe de ne pas parler et de se détendre. Il semble lui dire : « Tout va bien, je gère… » Mais Nathalie, qui ne comprend pas sa décontraction, remonte en silence vers les rideaux, derrière lesquels elle tente de se cacher.
Donald, à Véra, toujours très détendu. – Ah, t’as mis ta robe Chanel ?
Véra. – Oui, j’aime bien : le tissu est léger… Il se froisse pas.
Donald. – C’est très joli. Classe et sobre… (Véra remonte doucement en fond de scène vers le portemanteau. Nathalie est à côté, au supplice. Elle ferme les yeux, comme si cela pouvait éviter la confrontation. Donald parle d’une voix fausse à Véra, comme pour envoyer des signes à Nathalie.) Laisse, ma chérie : je vais te l’accrocher, ton manteau… Comme toi, tu es aveugle, je ne voudrais pas que tu butes dans quelque chose… Hein ?
Nathalie a enfin compris. Véra a posé son manteau sur la tête de Nathalie et se retourne vers Donald.
Véra, à Donald, sèche. – Non, mais ça va pas ? Pourquoi tu me parles comme ça ? Je suis aveugle, pas sourde ! (Humant l’air, à nouveau.) C’est moi ou ça sent la choucroute ? (Elle se retourne et décroche sa veste pour la sentir. Nathalie, qui se croit découverte, pousse un cri. Véra se fige en entendant la voix de Nathalie.) Donald ? Y a quelqu’un ?
Donald, innocemment. – Tu dis ?
Véra. – Qui est là ?
Nathalie. – Bonjour… Je… Je suis… Je suis… Je suis…
Véra. – … rayée ?!
Donald. – Pas du tout. C’est… C’est Nathalie ! (Un temps.) Nathalie Fricadi, mon médecin généraliste. Je l’ai appelée pour ma toux.
Véra. – Ta toux ?
Donald. – Ma toux.
Nathalie, encore tremblante. – Sa toux.
Un temps. Donald et Nathalie guettent l’explosion.
Véra. – Et tu pouvais pas te déplacer ? (À Nathalie.) Excusez mon mari, docteur : c’est l’homme le plus fainéant que je n’aie jamais connu !
Donald. – Je suis surtout le seul homme que tu n’aies jamais connu !
Véra, à Donald. – C’est délicat, devant une étrangère…
Nathalie. – Bien, je vais vous laisser.
Véra. – Une seconde, docteur…
Nathalie. – Oui ?
Véra. – Vous comptez quand même pas vous en tirer comme ça ?
Nouveau temps. Nouveau malaise.
Nathalie. – Je vous demande pardon ?
Véra. – Vous croyez peut-être partir sans me dire ce que vous lui avez prescrit ? (Soulagement du côté de Donald et Nathalie.) C’est pas que je sois intrusive, mais les médecins… ça vous assomme de médicaments, et…
Donald, l’interrompant. – Chouchou, ne l’embête pas : tout est écrit sur l’ordonnance.
Véra. – Super ! Et elle est en braille ?
Donald. – Véra…
Véra, à Donald. – Ttt ttt ! (À Nathalie.) Je vous écoute.
Nathalie. – Eh bien, c’est simple, pour sa toux, je lui ai prescrit… (Elle regarde autour d’elle pour trouver une idée. Son regard s’arrête sur la boîte de cigares cubains de Donald.)… l’arrêt du cigare. Définitif. Et obligatoire !
Un temps.
Véra. – Docteur, je pourrais vous embrasser pour ce que vous venez de dire ?
Nathalie, provocante. – Ah oui ? Ce serait amusant…
Donald. – Non, mais ma femme plaisante ! Ma femme est une comique !
Véra, glaciale. – Tu veux que je te fasse un sketch ?
Donald, poursuivant. – Et puis, surtout, ma femme ne va pas vous embrasser. (À Nathalie.) Et encore moins dans cette tenue !
Véra, le prenant pour elle. – Et pourquoi ? C’est pas mal Chanel pour séduire !
Donald. – Bref ! Doudou, le docteur doit partir !
Véra. – Pas question ! (À Nathalie.) Vous allez m’ausculter.
Donald. – Véra…
Nathalie. – Vous voulez que je vous ausculte ?!
Véra. – Oui. J’ai mal au dos. J’ai une contracture, entre la quatrième et la cinquième.
Nathalie, compatissante. – Ah, mince… (Un court temps.) Mais la quatrième et la cinquième quoi ?
Véra. – Ben « vertèbre », pas symphonie !
Nathalie, piquée. – Très bien, je vais vous ausculter… Asseyez-vous sur le canapé. Dos à moi.
Donald. – M’enfin, docteur, vous n’allez pas faire ça ici ? Ma femme prendra rendez-vous !
Véra. – Mais laisse-la, elle est d’accord !
Donald, à Nathalie. – Vous n’aviez pas une urgence ?
Nathalie, avec un sourire menaçant. – J’ai tout mon temps.
Donald. – Mais cet appel que vous avez reçu, hein ? Cet enfant qui faisait une crise cardiaque et qui agonisait ?
Nathalie, froide. – Il est mort.
Véra. – Oh, ben merde ! C’est gai…
Nathalie, toujours en guêpière, s’approche de Véra et s’assoit derrière elle sur le canapé. Elle lui plante son poing dans le dos avec violence.
Nathalie. – C’est là ?
Véra. – Aïe ! Doucement, docteur ! Vous allez me briser en deux…
Nathalie. – Oh, ça va ! Vous avez de quoi amortir.
Véra. – C’est agréable… Non, mais mollo : vous avez les mains gelées !
Nathalie, en regardant Donald, provocatrice. – Oui, je ne suis peut-être pas assez couverte…
Nathalie commence à « manipuler » Véra.
Véra. – Attendez… Là ! C’est exactement là !… Vous êtes douée, dites donc !
Donald et Nathalie. – Ah bon ?!
Véra. – Mais oui… (Nathalie prend le bras de Véra, le lui passe dans le dos, et tire d’un coup sec.) Aïe !!! Vous êtes cinglée ! Vous m’avez pété l’épaule, espèce d’hystérique !
Donald, à Nathalie. – Enfin, docteur, maîtrisez-vous !
Nathalie, satisfaite. – Navrée !
Donald, à Véra. – Ça va, p’tit clou ?
Véra, étonnée, se tortillant dans tous les sens. – Écoute, je crois que oui… Mince, elle m’a débloquée ! (À Nathalie.) Vous êtes sauvage, mais efficace !
Nathalie, en regardant Donald droit dans les yeux. – C’est souvent ce qu’on me dit : « sauvage mais efficace »…
Véra. – Belle technique. Vraiment ! Je vous remercie.
Donald, à Véra. – Ça y est, le docteur peut y aller ?
Véra. – Ben oui, on va pas l’adopter !
Donald, à Nathalie, désignant la porte de sortie. – Merci beaucoup, docteur !
Nathalie. – Ça fait cent quinze euros.
Donald. – Je vous demande pardon ?
Véra. – C’est normal, Donald. Ce sont deux consultations bien distinctes, donc on paie deux fois.
Donald, entre ses dents, tout en fouillant dans sa poche. – J’hallucine… (Il tend les billets à Nathalie qui jubile.) Tenez !
Nathalie. – Merci beaucoup. (Elle prend une veste de costume de Donald accrochée au portemanteau et l’enfile.) Alors, j’espère à bientôt…
Donald. – C’est ça ! On vous rappellera !
Nathalie, à Véra. – Au revoir, madame ! Ravie d’avoir fait votre connaissance !
Véra. – Moi aussi ! (Nathalie sort, non sans avoir embrassé goulûment – et silencieusement – Donald. Il referme la porte sur elle.) Il est où mon gilet ? Faut que je garde mon dos au chaud…
Il lui passe un gilet « Fnac » sur sa chaise de bureau et l’enfile.
Donald, montrant la baie vitrée. – Tu veux que je la ferme ?
Véra. – Oh oui, ça me fera des vacances !
Donald. – Pas moi… La baie !
Véra. – Aussi ! Je dois bosser, j’ai besoin de calme.
Il referme la baie vitrée.
Donald. – Ça avance, ton parfum ?
Véra. – Ça dépend. T’as pensé à mes échantillons ?
Donald. – Merde !
Véra. – Ben alors, non : ça avance pas !
Donald. – Je suis confus, Véra…
Véra, acide. – Le « fus » est de trop !… Je peux rien te demander ! Qu’est-ce que tu fous de tes journées ?
Donald. – Je travaille.
Véra. – Excuse-moi. J’ai loupé l’épisode où tu renouais avec la vie active !
Donald. – J’envoie des C.V., des photos, j’te signale… Mais, en ce moment, y a rien ! Tu sais, bijou, le mannequinat, c’est plus ce que c’était…
Véra. – Le mannequinat ou toi ? Parce qu’au toucher, tu m’as l’air d’avoir bien profité, quand même !
Donald, avec un peu de condescendance. – Écoute, Véra : je n’empiète pas sur ton métier, alors, par pitié, ne te mêle pas du mien… J’ai toujours ma belle petite gueule, figure-toi… Et de légères poignées d’amour…
Véra. – Si c’est que les poignées, ça va ; si c’est toute la porte, ça va devenir gênant !
Donald. – Je m’apprêtais justement à sortir faire un peu de Power Plate…
Véra. – Pourquoi ? Tu l’as enlevée du salon ?
Donald. – Oui, je l’ai mise dans le jardin.
Véra. – Je préfère. La dernière fois, elle était en marche, près de mon...