Presse pipole

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Tout se trame dans la salle de rédaction du célèbre magazine people « Le Torchon ». Alors que son prochain numéro était déjà parti pour l’imprimerie, Pierre Nubro, le fantasque et incroyable rédacteur en chef, décide de « casser la une ». Un paparazzo, Luigi Megiani, braconneur peu futé de stars, vient de lui proposer « LE » scoop du siècle qui va lui faire vendre plus d’un million d’exemplaires Une nuit très agitée et riche en rebondissements pour ce bouclage en urgence où six personnages en crise s’entremêlent. Geneviève, la fidèle collaboratrice que son départ à la retraite rend folle, Marilyn, la sublime chroniqueuse mondaine, le diable fait femme, Xavier, le naïf coursier de l’imprimeur aux réactions imprévues … et bien sûr Jean-Luc Kerdru, le grandissime et chochotisme star people, shooté par le paparazzo dans une situation plus que compromettante. Aussi va-t-il tout tenter pour empêcher la parution de ce cliché qui détruirait sa carrière. Y réussira-t-il ? Suspense dans les coulisses d’un magazine people sans scrupules et survolté !

 

 

 

 

DERNIER ACTE

 

Un vendredi 13 juillet, vingt-deux heures. Dans la demi-pénombre, la salle de rédac open space est jonchée d’emballages de sandwiches, bouteilles vides, gobelets, corbeilles remplies de papiers. On y a travaillé récemment. Des piles de magazines…

Arrivée par la porte jardin de Savier, le coursier, casque de moto sur la tête, portant une épaisse grande enveloppe.

Savier (à son portable, coincé sous son casque) - Ça y est, j’ai enfin trouvé… (À la cantonade.) Y’a quelqu’un ?

Pierre (sortant de son bureau en actionnant un interrupteur) - Non, y’a personne. Vous voyez bien que je n’existe pas.

Savier (désorienté) - Mais c’est bien ici le magazine people « Le Torchon » ?

Pierre - Oui monsieur, « Le Torchon » c’est moi.

Savier - Je dois remettre ça au rédacteur en chef, Pierre Nubro…

Pierre (prenant l’enveloppe) - Eh bien, voilà, mission accomplie. Cinquante-sept minutes trente que je vous attends ; vous êtes un rapide, vous…

Savier - Je m’étais perdu, j’ai aucun sens de l’orientation…

Pierre (ironique) - Alors pour vous, coursier, c’est le métier idéal.

Savier - Ces zones industrielles, le week-end c’est désert…

Pierre - Votre numéro de portable que je vous appelle dès que j’ai terminé…

Savier - Je crois que ça commence par un zéro mais après ?! Je ne m’appelle jamais moi-même…

Pierre - Vous faites bien. Vous imaginez l’angoisse si vous vous entendiez décrocher ? (Savier essaye de sortir son portable de dessous son casque. Pierre est gêné par l’odeur.) C’est vous qui sentez comme ça ?

Savier - Oui… Enfin, non… Pour enlever mon antivol, j’ai posé mon casque sur le trottoir et y’a un chien qui a fait dessus.

Pierre - Et vous ne l’avez pas rincé ?!

Savier - La météo annonçait de la pluie… Dans le journal, ils disent qu’il faut économiser l’eau de la planète.

Pierre (à lui-même) - Holà ! J’en tiens un beau… Vous êtes coursier depuis longtemps ?

Savier (posant son casque sur la table) - Ce soir vendredi, je termine juste ma première semaine.

Pierre (dégoûté) - Ah non ! Pas sur ma table…

Savier - Tenez, le numéro est marqué dessus… (Le portable a une étiquette.) Je vous le note quelque part ?

Pierre (notant le numéro sur une feuille) - Je sais écrire, j’en ai même fait mon métier. Vous faisiez quoi avant ?

Savier (tenant le casque derrière son dos) - J’étais jockey…

Pierre - Ça va vous changer de faire des courses…

Savier - Mais en sautant une haie, j’étais tombé sur la tête.

Pierre - Ah ben voilà, tout s’explique ! Allez, sauvez-vous…

Savier - Vous aurez besoin de moi dans combien de temps ?

Pierre (éclatant) - Mais si je le savais je vous l’aurais déjà dit ! J’aurai passé la moitié de ma vie à répondre à des questions débiles. Ne me regardez pas comme ça ; dans une vie antérieure, j’étais volcan. Alors parfois j’éruptionne.

Savier - L’imprimeur aussi, qu’est-ce qu’il gueulait tout à l’heure…

Pierre (toujours sur les nerfs) - Mais de quoi il se plaint, celui-là ? Ça fait vingt ans que je le fais bosser, il peut bien retarder son départ en week-end. Si je décide de casser la une, c’est que j’ai un scoop béton.

Savier - Mais comme demain c’est 14 Juillet, il m’a bien recommandé…

Pierre (ouvrant l’enveloppe) - Je sais. Il doit avoir récupéré cette maquette modifiée dans les deux heures, sinon lundi on ne sera pas en kiosques. (Regardant sa montre.) Mais aussi qu’est-ce qu’il fout ce Luigi ?… Vous êtes encore là, vous ?

Savier - M’sieur, j’ai un petit problème…

Pierre - De quoi ? D’orientation ? La sortie, c’est juste derrière vous.

Savier (montrant son portable) - Non, c’est ma batterie… J’ai peur qu’elle me lâche avant que vous m’appeliez… Je peux me recharger quelque part ?

Pierre - Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Rechargez-vous. Si seulement moi aussi, de temps en temps, je pouvais me recharger…

Savier (posant son casque sur un bureau et se mettant en chasse d’une prise) - Vous travaillez tout seul ici ? (Regard de Pierre.) C’est encore une question débile ?

Pierre - Oui parce que, ici, il y a encore une heure, on était trente-cinq. En plein bouclage. (Regardant les documents.) Et maintenant je dois trouver quoi supprimer pour réinjecter du neuf.

Savier - Pour moi, « Le Torchon », c’est le magazine le plus génial. J’en rate pas un.

Pierre - J’aimerais pouvoir en dire autant. Vous, c’est quoi vos rubriques préférées ? « Les infos de la nympho » ?

Savier - J’ai un petit faible pour « Les potins du popotin »…

Pierre - Les ragots sexuels, mécanisme ancestral de survie. Ça, pas question d’y toucher, c’est mon fond de commerce.

Savier - J’adore savoir qui couche avec qui…

Pierre - Et pourquoi ?

Savier - Parce que moi je couche avec personne. Ça me change.

Pierre - Vous êtes célibataire ?

Savier - Vingt-neuf jours par mois.

Pierre - En effet, c’est beaucoup. Surtout en février… (Le voyant toujours en train de chercher une prise.) Mais là, elle vous crève les yeux, vous avez une prise femelle ! Même celle-là, il ne la trouve pas… et après il s’étonne d’être célibataire… (Il compose un numéro de téléphone.)

Savier (branchant son portable) - Moi, j’adore quand les people bourrés de fric ont des emmerdes…

Pierre - Eh oui, ça console d’être pauvre. Un people qui se paye un bon redressement fiscal, ça réduit la fracture sociale… Il est toujours sur messagerie, il va me rendre fou.

Savier - Oh ! et toutes vos starlettes aux seins nus ! Mais où vous les dénichez ?

Pierre - C’est notre métier, monsieur, nous dé-nichons. Bon moi, malheureusement, je n’ai qu’une bosse : celle du travail… Alors maintenant on se tait, j’ai besoin de m’entendre penser.

Savier (après un temps, montrant le panneau avec les pages du magazine) - C’est quoi ce grand panneau ?

Pierre - Oh ! le boulet ! Dans notre jargon, c’est ce qu’on appelle « le chemin de fer ». On y affiche toutes les pages du prochain numéro.

Savier (ébloui) - Non ! C’est ce qu’il y aura lundi chez mon marchand de journaux ? Oh ! je suis ému… (Regardant le panneau.) « Carnage dans la cuisine de Jean-Pierre Coffe : douze morts violentes. » C’est pas croyable…

Pierre (examinant Savier comme un cobaye) - En définitive elle n’était pas si mal que ça, cette couve… Je la change, la teneur de l’article n’était pas à la hauteur du titre.

Savier - Il n’y a pas eu douze morts violentes dans la cuisine de m’sieur Coffe ?

Pierre - Si. Trois cents grammes de langoustines vivantes qu’il a ébouillantées. Voyez, normalement il n’y a même pas de quoi écrire à la famille…

Savier - Oh ! ce que vous êtes fort !

Pierre - Je vais vous faire un aveu : parfois, il m’arrive même de m’envier.

Savier (continuant à lire des pages sur le panneau du fond) - C’est pas possible ! « Mélissa Theuriau et Jamel Troisbouze… l’incroyable rupture. » Ils se séparent ? Mais elle allait lui faire un p’tit…

Pierre - Un p’tit ? Une portée, oui ! Lisez la suite au lieu de vous apitoyer… « En enlevant ensemble leurs chaussures, Jamel et Mélissa ont rompu au même moment… leurs lacets. »

Savier - Oh ! vous m’avez bien eu ! Qu’est-ce que j’suis naïf…

Pierre - Pas du tout, vous êtes le lecteur type. Même en plein cyclone, j’arriverais à vous vendre du vent. Mais vous, les lecteurs, vous n’êtes pas des beignets…

Savier - Pourquoi j’suis pas un beignet ?!

Pierre - On ne peut pas indéfiniment vous rouler dans la farine. Seulement faut bien les remplir ces soixante pages… Bon, disparaissez dans un bureau du fond… par là… et que je ne vous entende plus.

Savier - Bien m’sieur.

Pierre (montrant le casque) - Et débarrassez-moi de ce chien qui pue.

Savier (récupérant son casque) - Bien m’sieur.

Pierre (ayant composé un numéro de téléphone) - J’ai dit plus aucun son ! (Savier redit « Bien m’sieur » en articulant sans son.) Voilà. (Savier sort par le couloir central du fond ; seul au téléphone.) Ah ! Luigi, enfin tu décroches. T’es où ?… Mais dépêche-toi coco… Quoi ?… Un flic te fait signe de te garer ?… Comment ça c’est de ma faute ?… Dis donc, t’avais qu’à pas téléphoner en conduisant… Ne t’arrête pas, on n’a pas le temps… Mais on s’en fout du délit de fuite. Il m’a raccroché au nez ?! S’il a plus de zéro gramme cinquante, ma une est foutue.

Entrée de Geneviève Vallois, la secrétaire de rédaction, avec une valise.

Geneviève (excitée) - Alors c’est quoi ce scoop béton ?! On sait enfin qui est le père du bébé de la ministre ?

Pierre - Geneviève, vous me connaissez, je suis très superstitieux. Tant que je n’ai pas les photos de Luigi en main… En plus on est un vendredi 13…

Geneviève - Mais à moi, votre souffre-douleur préféré, vous pouvez bien le dire ?

Pierre - N’insistez pas, vous allez m’énerver…

Geneviève - Ah ! parce que vous ne l’êtes pas déjà ? C’était bien la peine que je me précipitasse…

Pierre - « Précipitasse » ! Vous et vos imparfaits du subjonctif ! C’est quoi cette valise ?

Geneviève - Quand vous m’avez appelée, j’étais déjà dans mon TGV pour Le Croisic. Je vous signale que j’ai composté mon billet pour rien.

Pierre - Mais on vous le remboursera. Quand cesserez-vous de penser petit ?

Geneviève - J’en suis sûre. Pour casser la une, c’est forcément une grosse pointure qui a cassé sa pipe. Heureusement je suis à jour. Tous ceux qui toussent de travers, leurs nécrologies sont déjà prêtes. Je vous fais un assortiment de nos futures viandes froides ?

Pierre - Il ne s’agit pas d’une viande froide. Vous avez eu Gilles ?

Geneviève - Je lui ai laissé quinze messages sur son portable. Sans résultat.

Pierre - Celui-là il est tellement gras, il ne sent même plus son téléphone vibrer… C’est extraordinaire. Dans ce journal, dès que j’ai besoin de quelqu’un il n’y a jamais personne. Je ne suis vraiment pas secondé…

Geneviève (vexée) - Merci, je dois être transparente…

Pierre - Mais comment je peux faire sans maquettiste ?!

Geneviève - Pierre, une bonne secrétaire de rédaction peut remplacer n’importe quel poste. Votre scoop, combien de feuillets ?

Pierre - Maximum six… neuf mille signes…

Geneviève - Un jeu d’enfant ! Comme disait Churchill : « Fingers in the nose. »

Pierre (surpris) - Il a dit ça Churchill ?

Geneviève - Non mais ça fait bien.

Pierre - Au bout de vingt ans, vous arrivez encore à me piéger. Geneviève, ce scoop c’est plus d’un million d’exemplaires. Je vais les exploser, tous ces minables de la concurrence.

Geneviève - Et l’imprimeur, c’est quoi sa deadline ?

Pierre - Minuit dernier carat.

Geneviève - Ouille ouille… Je vous appelle Luigi…

Pierre - Surtout pas ! Il serait capable de répondre.

Geneviève - Hein ?

Pierre - Faites-moi un café… (Elle se rend à une machine à capsules dans la salle de rédac.) Au fait, j’ai eu Marilyn, elle nous rejoint…

Geneviève (tombant des nues) - Marilyn ? Pour quoi faire ?!

Pierre - Je lui ai demandé de rédiger le scoop.

Geneviève (révoltée) - Quoi ? Mais elle écrit comme un pied ! À chaque fois je suis obligée de tout rewriter. Même quand elle parle…

Pierre - Je sais, vous me l’avez assez dit : « Même quand elle parle on peut lire sur ses lèvres ses fautes d’orthographe. »

Geneviève - Et avec tout le collagène qu’elle s’est injecté, on les lit en majuscules.

Pierre - N’importe quoi, Marilyn n’a jamais eu de collagène…

Geneviève - Vous avez vu sa bouche ? Elle, quand son évier est bouché, elle pose ses lèvres sur le siphon et hop ! elle fait ventouse…

Pierre - La jalousie entre collègues, ça vous pimente une vie de bureau…

Geneviève - Mais pourquoi lui faire un cadeau aussi royal ?

Pierre - Parce que c’est la petite amie du big boss.

Geneviève - Oui, ça c’est pas un scoop !

Pierre - Non, c’est une bonne raison. Le pdg m’a ordonné de la booster, je la booste, point barre.

Geneviève - Eh ben ! Y’en a qui réussissent grâce à leur Q.I… mais pour elle, y’a une lettre de trop.

Pierre - C’est comme ça Geneviève…De nos jours, un bac C plus 5 ne peut pas lutter contre un 95 C.

Geneviève (lui apportant sa tasse de café) - Je suis dégoûtée… J’aurais dû me laisser pousser les seins. Tenez, votre café…

Pierre - Il est bien serré ?

Geneviève - Ça pour être serré, il ne touche même pas les bords de la tasse…

Pierre - Bon, je vais m’avancer en pissant de la copie…

Il entre dans son bureau côté cour.

Geneviève (seule en scène) - Oh ! avec tout ça je l’avais complètement oubliée… (Elle compose un numéro depuis son bureau et allume son ordi.) Maman, c’est moi… Je suis revenue au journal, une urgence… Non, je prendrai le premier train de demain matin… Mais oui j’aurai dîné !… T’es dans ton lit ?… Tu « chattes » sur Internet ?! Sur quel site ?… « Lubric point com » ? Maman ! À quatre-vingt-quinze ans !!!… Je sais bien que t’es majeure… Bon, va te coucher ! (Elle raccroche.)

Pierre (passant la tête depuis son bureau) - Geneviève, sortez-moi les cotes de popularité des animateurs télé…

Geneviève - Pierre, faut qu’on se parle.

Pierre - Et qu’est-ce qu’on fait, là, en ce moment ? Du mime ?

Geneviève - Pourquoi vous n’avez pas empêché mon départ à la retraite vendredi prochain ?

Pierre - Vous n’allez pas remettre ça. Le big boss a décrété que vous aviez atteint la limite d’âge. Je n’y peux plus rien, moi.

Geneviève - La limite d’âge ! Comme si j’étais une vieille compote périmée. Le big boss ! Il s’est regardé, ce vieux cochon ? Et vous, ça vous fait ni chaud ni froid que je m’en aille ?

Pierre (en l’engueulant) - Vous allez me manquer, voilà, vous êtes contente ?

Geneviève (sur le même ton) - Non, je ne mérite pas d’être envoyée à la casse, je suis encore en pleine puberté !

Pierre - Puberté ?

Geneviève - Pierre, on est tous les deux pareils. Le boulot, c’est notre drogue. Il me faut ma dose…

Pierre - Eh bien, quand vous serez en manque, vous passerez sniffer l’air du bureau. Maintenant ça suffit. C’est votre dernière ligne droite alors en piste pour le sprint final. Et que je ne vous entende plus couiner.

Geneviève - Je n’ai pas fini, vous m’écouterez jusqu’au bout.

Pierre (estomaqué) - Attendez, vous osez me donner des ordres ?

Geneviève - À une semaine de la retraite, qu’est-ce que je risque ? Ça fait vingt ans que je vous bouffe des yeux…

Pierre - Bouffe des yeux ?!

Geneviève - Vingt ans que j’investis dans le soutien-gorge pigeonnant, le parfum ensorcelant, la crème déplissante, le cyclorameur raffermissant, les cierges pour sainte Rita, patronne des causes désespérées…

Pierre (de plus en plus atterré) - Là c’est pas un plomb que vous avez pété, c’est toute l’armoire électrique…

Geneviève (explosant) - Non, j’évacue vingt ans de trop-plein. Ce soir je ne vous crie pas mon amour… je vous le gueule. (Hurlant.) « Pierre, je vous aime !!! » (S’effondrant.) Je suis vidée ! Mais je lui ai dit ! Amen.

Pierre (sidéré, après un temps) - Comment après ça ne pas croire au vendredi 13 ! Geneviève, je suis très touché....

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