Acte I
SCÈNE 1
Chez Mathilde et Maxime.
Mathilde entre à cour. Maxime apparaît à jardin, l’air soucieux.
MATHILDE Ah ! mon chéri ! Tu es réveillé. Il faut absolument que je te parle.
MAXIME Moi aussi.
MATHILDE Pour l’ouverture du bal, on avait choisi la musique Stand by Me. Tu sais, c’est un slow, ça fait…
Elle chantonne Stand by Me.
MAXIME Oui, oui, je connais.
MATHILDE J’ai pensé que c’était peut-être un peu classique, qu’il fallait quelque chose de plus punchy. Et d’ailleurs, je ne peux plus supporter cette chanson, je l’ai beaucoup trop écoutée. Bref, je pensais remplacer par un rock : Shop Around. Qu’est-ce que tu en dis ?
MAXIME Je ne sais pas…
MATHILDE Tu ne vois pas laquelle c’est ? Attends, je vais te la mettre.
MAXIME Mathilde…
MATHILDE Ce qui serait bien, c’est que tu m’entraînes sur la piste avec une petite passe de rock acrobatique. Tu mets ta main gauche sur ma hanche droite, comme ça…
MAXIME Mathilde…
MATHILDE Ah non, c’est l’inverse. Et là, tu fais un moulin avec tes bras et tu me fais tournoyer à 360 degrés…
MAXIME Mathilde !
MATHILDE Quoi ?
MAXIME Je ne vais pas te faire tournoyer, non !
MATHILDE Ça va, ne t’énerve pas !
MAXIME Écoute, il est arrivé quelque chose…
MATHILDE Quoi ? C’est grave ?
MAXIME Ma bague a disparu.
MATHILDE Ton alliance ?
MAXIME Non, ma chevalière.
MATHILDE Ouf ! Tu m’as fait peur. Ta chevalière a disparu ? Bon débarras !
MAXIME Qu’est-ce que tu entends par là ?
MATHILDE Tu sais bien que j’ai toujours détesté ce grigri infâme.
MAXIME Ouiii… ?
MATHILDE Je t’ai déjà dit d’arrêter avec ce « Ouiiii… » Je n’ai pas envie de me faire psychanalyser.
MAXIME Pourquoi penses-tu que je veuille te psychanalyser ?
MATHILDE Voilà, tu continues. Au lieu de me répondre, tu me poses une question ! Je ne suis pas une de tes patientes.
MAXIME Je te réponds : je ne cherche pas à te psychanalyser. D’ailleurs, on ne psychanalyse pas quelqu’un, c’est le patient qui entre en analyse. Mais pourquoi penses-tu que je voudrais te psychanalyser, comme tu dis ?
MATHILDE Je n’en sais rien. Tu as perdu ta bague. Et après ? Ça me fait une belle jambe !
MAXIME J’avais cru comprendre que cela te faisait plaisir.
MATHILDE Non, pas du tout.
MAXIME Mais si, tu as dit : « Bon débarras ! »
MATHILDE Enfin, Maxime, c’est de l’humour.
MAXIME Tu trouves ça drôle ?
MATHILDE Drôle, non. Je viens de boucler les derniers préparatifs pour demain. Tu es au courant qu’on se marie ? Il me reste douze heures pour me faire belle et prendre un tout petit peu soin de moi. Alors tu vois, le sort de ta chevalière, c’est vraiment la dernière chose qui m’intéresse.
Un temps.
MAXIME Je n’ai jamais dit que j’avais perdu ma bague.
MATHILDE Ah bon ? Il n’y a pas de problème, alors ?
MAXIME Ma bague a disparu.
MATHILDE Écoute, mon chéri, viens-en au fait parce que là on n’avance pas du tout.
MAXIME C’est très simple. Comme tu le sais, j’ai reçu de mon grand-père une chevalière en or, gravée aux armoiries de notre famille. En me la donnant, il m’a expliqué que cette bague l’avait accompagné et protégé toute sa vie.
MATHILDE Quand je dis « viens-en au fait », ça ne veut pas dire : « Raconte-moi ton roman familial sur neuf générations. »
MAXIME Je me suis juré de porter cette bague jusqu’à ma mort et de la transmettre à mon tour à mon petit-fils. Je la porte depuis dix ans, tous les jours sans exception. Chaque soir, je la pose sur mon chevet, et chaque matin, je la reprends au même endroit. Or, ce matin, elle n’y était pas.
MATHILDE Et donc ?
MAXIME Comment tu expliques ça ?
MATHILDE Elle est peut-être tombée près de ton chevet ?
MAXIME Impossible, j’ai retourné la chambre deux fois ce matin.
MATHILDE Est-ce que tu l’as enlevée, hier, pendant la journée ?
MAXIME Mais non ! Je ne l’enlève jamais. Sauf le soir pour la remettre à sa place.
MATHILDE Et hier soir, précisément, tu te souviens de l’avoir remise à sa place ?
MAXIME Non, je ne m’en souviens pas précisément.
MATHILDE Ah !
MAXIME C’est devenu un geste automatique ! C’est comme si tu me demandais la dernière fois que j’ai fait la vaisselle.
MATHILDE Oui, alors là, on ne peut pas dire que ce soit automatique.
MAXIME La question n’est pas là.
MATHILDE Écoute, mon chéri, je comprends ta frustration. Mais si ta bague n’était pas à sa place ce matin et que tu ne te souviens pas de l’avoir enlevée hier soir, je ne vois qu’une seule possibilité : c’est que tu l’as égarée hier pendant la journée !
MAXIME Égarer ? Tu m’expliques comment on peut égarer une bague, à plus forte raison une bague familiale qui a plus de cent ans ?
MATHILDE Je suis désolée, mon amour, mais l’âge de cette bague n’a rien à voir là-dedans. Étourdi comme tu es, c’est un miracle que tu ne l’aies pas perdue une seule fois en dix ans ! Elle aura probablement glissé de ton doigt, voilà tout.
MAXIME Glissé ?
MATHILDE Oui, glissé.
MAXIME Mathilde, comment une bague que je porte depuis dix ans aurait-elle pu glisser soudainement de mon doigt hier ?
MATHILDE Mais enfin, c’est très courant ! Tout le monde a déjà perdu bêtement un bijou. Je trouve vraiment injuste que tu me le fasses payer, surtout aujourd’hui !
MAXIME Si cette bague avait glissé de mon doigt, je l’aurais senti tout de suite. Et je l’aurais entendue tomber.
MATHILDE Mais pas du tout ! Tu crois que rien ne nous échappe, mais cela arrive tout le temps. C’est comme ça que procèdent les pickpockets : par le détournement d’attention. Il ne te reste plus qu’à faire le deuil de cette bague.
Un temps.
MAXIME C’est curieux que tu me parles de pickpockets, tout à coup.
MATHILDE Je ne sais pas. C’est l’exemple qui me vient à l’esprit.
MAXIME Tu penses que j’aurais pu me faire voler ma bague ?
MATHILDE Franchement, non. Je ne vois pas qui voudrait voler cette horreur.
MAXIME C’est édifiant d’entendre toutes les hypothèses que tu échafaudes autour de la disparition de cette bague !
MATHILDE J’essaie simplement de t’aider à la retrouver. Maintenant, si tu veux, on peut passer à autre chose.
Courte pause.
MAXIME Tu te souviens de ce que tu as dit tout à l’heure à propos de ma bague ?
MATHILDE Tu peux préciser ? Parce qu’en fait, nous ne parlons que de ça depuis dix minutes.
MAXIME Tu as dit que tu avais toujours détesté ce grigri infâme.
MATHILDE J’ai dit ça ?
MAXIME Grigri infâme, oui, ce sont tes mots. Je suppose que tu faisais référence au fait que cette bague me porte bonheur.
MATHILDE Oui, je n’ai jamais compris chez toi cette superstition.
MAXIME Ce n’est pas de la superstition. Cette bague a de réels pouvoirs.
MATHILDE Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans le mot « superstition » ?
MAXIME Et moi, je me demande pourquoi tu en voulais tellement à cet objet. Après tout, ce n’est pas commun d’être à ce point dégoûté par une bague. Mais peut-être est-ce précisément parce que c’était l’objet auquel je tenais le plus ?
MATHILDE C’est vrai que j’ai toujours trouvé démesuré ton attachement à ce bijou. Et alors ? (Un temps.) Attends, tu ne penses tout de même pas que je t’ai volé ta bague ?
MAXIME Ouiii… ?
MATHILDE Tu m’accuses d’avoir volé ta bague, c’est ça ?
MAXIME Je ne t’accuse de rien, c’est toi qui viens d’en parler.
MATHILDE Non mais je rêve !
MAXIME Mais force est de reconnaître que c’est la seule possibilité.
MATHILDE Enfin, c’est absurde !
MAXIME Pas du tout. C’est parfaitement logique. Je pose chaque soir ma bague sur mon chevet et je la reprends au même endroit chaque matin. Or, ce matin, elle n’y était pas. Nous sommes les deux seules personnes à avoir accès à cette chambre. Il n’y a donc qu’une seule possibilité : c’est que c’est toi qui me l’as prise. Tu te sentais concurrencée par cette bague, alors tu as décidé de la faire disparaître la veille de notre mariage.
MATHILDE Et j’ai bien failli réussir. Mais je ne savais pas que je m’apprêtais à épouser Sherlock Holmes en personne. Je suis démasquée !
MAXIME Je reconnais que c’était bien tenté. Maintenant, la seule chose qu’il me reste à élucider, c’est l’endroit où elle se trouve. Or, comme j’ai fouillé tout l’appartement, j’en déduis que tu as dû la dissimuler sur toi. À moins que tu ne t’en sois déjà débarrassée, ce qui serait vraiment problématique…
MATHILDE Allez-vous me fouiller, monsieur...