Qu’il fait beau cela vous suffit

Aleksander est un adolescent en rupture, tiraillé entre son désir d’indépendance, sa langue maternelle qu’il rejette et sa rage envers les règles du collège.
Violette, CPE fraîchement débarquée dans l’établissement, pense pouvoir résoudre les tensions par la discipline et la rigueur. L’expérimenté Jean, prof de physique-chimie, craque tout simplement face à l’agression de trop. Julie, prof de français, invente toujours de nouvelles pédagogies pour transmettre… coûte que coûte.

Qu’il fait beau cela vous suffit “nous plonge dans le quotidien d’un système scolaire en ébullition à travers une galerie de personnages qui tentent de faire ensemble ce que le politique ne semble pas réussir à réparer. Dans ce contexte parfois violent, décalé et absurde, les personnages y apparaissent profondément humains.”

“Fiction poétique et politique, tantôt drôle, tantôt dramatique, pour laquelle les deux autrices et metteuses en scène ont collecté pendant deux ans la parole d’élèves, d’enseignant.e.s et de personnel d’établissements classés dans les réseaux d’éducation prioritaire dit REP.”

 

Prologue

Une émission de radio.

Musique : Désenchantée – Pomme (reprise acoustique).

La journaliste

C’était la reprise acoustique en direct de nos studios, tout en douceur et en finesse, du célèbre Désenchantée de Mylène Farmer par Pomme.

Merci pour cet instant suspendu.

Il est vingt heures, le moment de retrouver notre focus du jour et nos invités particuliers.

Un jingle : « Des paroles sur terre. Des paroles. Des paroles sur terre !

Agathe Villequens.

Vos questions, vos réactions sur Des paroles sur terre. »

La journaliste

Lundi 10 mai, un drame a frappé le collège Pablo-Neruda, dans la cité de Virolles. Un professeur armé a pris en otage sa classe. La police est rapidement intervenue sur les lieux. Patrick Chardu, quarante-sept ans, enseignait depuis vingt ans dans ce collège réputé difficile.

Un élève présent dans la salle de classe a filmé la scène et diffusé son contenu dans une story sur le réseau social Instagram. Depuis, les images sont devenues virales.

Le collège a fermé ses portes plusieurs jours et une cellule psychologique d’urgence a été mise en place.

Cet évènement aurait pu rester au rang de fait divers mais l’affaire a suscité effroi et incompréhension.

Samedi 15 mai, cinq jours après le drame, une grande marche des « Parents de Virolles » a été organisée, qui a vu défiler des milliers de personnes. Très vite, un soutien au mouvement s’est étendu jusqu’à la capitale. Les revendications entendues alors sont assez diverses. D’un côté certains parents réclament plus de contrôles dans la sélection des enseignants, d’autres demandent une redéfinition de la carte scolaire, d’autres encore dénoncent un manque cruel de moyens. Quelques semaines plus tard, à l’initiative de l’ensemble des syndicats d’enseignants, une première journée de manifestations a eu lieu sur l’ensemble du territoire.

Depuis le drame de Virolles, les grèves s’enchaînent. Les syndicats prennent la défense de Patrick Chardu, considéré comme le symbole de l’abandon politique des réseaux d’éducation prioritaire.

Notre émission Des paroles sur terre revient aujourd’hui sur les origines d’un mouvement historique avec nos invités particuliers : Nathan Boucherand, professeur émérite en sociologie des luttes éducatives à l’université Paris-XIX. Bonsoir.

Le professeur Boucherand

Bonsoir.

La journaliste

Mais aussi Nathalie Connaitre, présidente de l’association EPCF, association des parents d’élèves. Bonsoir.

Nathalie Connaitre

Bonsoir, Agathe.

La journaliste

Et monsieur Olivier Jacquin, représentant du syndicat JLP, syndicat d’enseignants majoritaire. Bonsoir.

Olivier Jacquin

Bonsoir.

La journaliste

Sans plus attendre, une première interrogation : les conditions d’enseignement aujourd’hui sont-elles devenues trop difficiles ?

Les enseignantes et enseignants sont-ils poussés à bout ? Nathan Boucherand ?

Le professeur Boucherand

Oui, alors, ce que je voudrais tout d’abord dire c’est attention. Attention aux mots utilisés à tort et à ­travers. Attention à l’hystérie généralisée. On est face, effectivement, à une situation de crise. Oui, de crise. Mais de crise qui est le fait d’un individu.

La journaliste

Selon vous, donc, l’acte de Patrick Chardu ne serait pas lié aux conditions de travail du milieu enseignant. Vous parlez d’hystérie collective /

Le professeur Boucherand

/ D’hystérie généralisée.

La journaliste

Tout à fait, pardonnez-moi.

Le professeur Boucherand

Oui. Je parle d’hystérie généralisée parce que, comme on a pu le voir par le passé et je suis d’accord avec vous, il faut, bien sûr, se méfier de l’eau qui dort, mais comme on a pu le voir par le passé, la peur ne laisse jamais place à rien de bon et il faut parfois faire preuve de recul pour analyser de telles situations. Quand je dis de telles situations, je parle bien entendu de situations qui dépassent l’entendement.

La journaliste

Nathalie Connaitre, vous souhaitiez rebondir.

Nathalie Connaitre

Oui, merci. Pardonnez-moi, au risque de passer pour l’hystérique de service, mais j’ai l’habitude, alors je prends le risque de parler et surtout de parler au nom de tous ces parents d’élèves qui ont peur : la mise en danger de nos enfants ne peut que conduire à l’hystérie. Pardonnez-moi, monsieur Boucherand. Peut-être n’avez-vous pas d’enfants /

Le professeur Boucherand

/ J’ai trois enfants, madame, et je sais tout à fait séparer le cas isolé du cas général et le pépin du noyau, merci.

Nathalie Connaitre

Alors peut-être comprendrez-vous qu’à l’EPCF, nous faisons face depuis cette affaire à une recrudescence inouïe de l’inquiétude chez les parents d’élèves. Ce qui d’ailleurs n’arrange absolument pas la question de la ségrégation sociale et du choix de certains parents de l’enseignement privé.

La journaliste

Oui, c’est tout à fait intéressant, et vous abordez de vous-même un pan du débat que nous allons traiter, mais je voudrais avant cela céder la parole à monsieur Olivier Jacquin, du syndicat JLP, pour entendre son analyse sur le mouvement contestataire actuel chez les enseignants des réseaux d’éducation prioritaire.

Olivier Jacquin

Oui. Merci. C’est un mouvement contestataire à la fois inédit de par son ampleur mais latent depuis, il faut le dire, plus d’une dizaine d’années. On l’entend et on le voit dans toutes les dernières manifestations. Patrick Chardu devient le symbole pour les enseignants de l’abandon politique des réseaux d’éducation prioritaire.

La journaliste

Nous pouvons désormais dire que nous sommes face à une véritable fronde syndicale ?

Olivier Jacquin

Ce que nous vivons est historique. Jamais nous n’avions réussi à mettre l’ensemble des syndicats côte à côte. Je crois que nous sommes en face d’un véritable bouleversement.

La journaliste

On peut voir désormais sur de nombreuses façades de collèges classés en réseau d’éducation prioritaire, des banderoles sur lesquelles est inscrit en lettres noires : JE SUIS PATRICK. Vous y voyez un appel au secours ?

Olivier Jacquin

Quand il y a crise, il faut une réponse rapide.

Un jingle : « Des paroles sur terre. Des paroles. Des paroles sur terre !

Agathe Villequens.

Vos questions, vos réactions sur Des paroles sur terre. »

La journaliste

Notre émission Des paroles sur terre revient avec nos invités particuliers sur les origines d’un mouvement contestataire historique suite à l’affaire dite « Patrick Chardu », ce professeur qui a pris en otage sa classe le 10 mai dernier. Le collège était réputé difficile depuis des années, classé parmi les fameuses ZEP, rebaptisées plus récemment réseaux d’éducation prioritaire.

La scène, filmée par un élève, a été diffusée sur les réseaux sociaux et les images sont devenues virales. Quelques jours après le drame, de premières manifestations de parents d’élèves ont éclaté.

Quelques semaines plus tard, à l’initiative de l’ensemble des syndicats d’enseignants, une première journée de manifestations a eu lieu sur l’ensemble du territoire.

Depuis le drame, les grèves s’enchaînent. Les syndicats prennent la défense de Patrick Chardu, considéré comme le symbole de l’abandon politique des réseaux d’éducation prioritaire, les REP.

Aurore Bourgois Demachy, ministre de l’Éducation nationale, a été contrainte de réagir au plus vite. Elle a reçu les représentants syndicaux majoritaires et devra répondre cet après-midi à l’Assemblée nationale aux députés lors de la session des questions au gouvernement /

Scène I

25 juin.

À l’Assemblée nationale. Huées dans l’hémicycle.

La présidente de l’Assemblée

/ S’il vous plaît, chers collègues !

Le député Toqué

Vous vous cachez derrière cet évènement tragique pour masquer votre incompétence !

La présidente de l’Assemblée

S’il vous plaît, député Toqué ! Demandez votre tour de parole !

Huées et brouhaha dans l’hémicycle.

La députée Crubezy

Mépris des pauvres, mépris des élèves les plus défavorisés, mépris de l’ensemble du personnel éducatif !

Applaudissements et huées dans l’hémicycle.

La présidente de l’Assemblée

Un peu de tenue !

Oui, député Delbreil, j’ai bien noté votre demande.

La parole est à la députée Joseph.

Et s’il vous plaît, chers collègues, restons courtois /

/ (Huées dans l’hémicycle.)

Mais enfin !

La députée Joseph

Continuez ! Continuez de huer les représentants de plus de vingt pour cent de la population française !

Huées dans l’hémicycle.

La présidente de l’Assemblée

Je vais suspendre la séance si vous n’arrêtez pas !

Les huées se calment.

La députée Joseph

Quand cesserez-vous de fermer les yeux sur les réelles causes de la crise qui frappe notre école républicaine ? Combien de Patrick Chardu vous faudra-t-il pour agir concrètement ?

Pourquoi continuer d’injecter de l’argent dans les réseaux d’éducation prioritaire, qui depuis trente-cinq ans nous coûtent toujours plus, sans résultat ?

La députée Reynaert

La notion d’égalité, ça vous dit quelque chose ?

La députée Joseph

L’égalité ? Quand nos territoires ruraux souffrent de votre oubli ? Vous osez me parler d’égalité ?

Ne s’agit-il pas là de déshabiller Paul pour habiller Jean ? Pour ne pas dire Mohammed ?

La députée Crubezy

Ça suffit !

La députée Joseph

Madame la ministre, quand garantirez-vous la sécurité de nos professeurs dans ces banlieues ?

Huées et applaudissements dans l’hémicycle.

La présidente de l’Assemblée

Députée Crubezy, c’est à vous.

Non, député Delbreil, je ne vous ai pas...

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