Quoi d’vieux, docteur ?

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Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?
Telle est la conviction du docteur Giraud. Son projet est de s’approprier l’esprit de Freud grâce à une machine de son invention. Mais lorsqu’un éboueur sans gêne, une secrétaire harassée et une inspectrice de la sécurité sociale un peu trop curieuse viennent contrarier ses projets, la situation dérape. La machine se déclenche. La théorie du docteur se confirme. Ils vont tous en faire les frais.

“Il est rare de flasher sur le manuscrit d’une pièce. Celle de Nicolas Hirgair m’a enthousiasmé car elle révèle non seulement un réel ton de dialoguiste, une invention débridée et originale sur le concept cocasse et réel que les objets ont une âme. Bref, tous les ingrédients pour mener à bien un divertissement de qualité et efficace. Mission réussie docteur ! Le rire étant le meilleur des remèdes, là je garantis au public une cure euphorisante du meilleur effet.”
Olivier Lejeune, parrain de la pièce

ACTE I

Dans le cabinet du docteur Giraud, madame Lebœuf, son assistante, entre avec une pile de dossiers dans les bras. Elle se dirige vers le bureau sur lequel est posé un combiné téléphonique. Elle s’en empare et poursuit une conversation téléphonique avec un patient.

Lebœuf, au téléphone. – Hum ! Oui… Hum ! (Elle pose le combiné et va ranger quelques dossiers. Elle revient au bureau et termine sa conversation.) Oui… Oui monsieur Blot, je comprends bien. En attendant votre prochaine consultation, peut-être pourriez-vous resserrer les écrous à l’aide d’un petit tournevis cruciforme ?… Je compatis, n’en doutez pas, monsieur Blot. Néanmoins, le docteur Giraud vous a longuement entretenu sur la courte durée d’utilisation de cette prothèse. Elle est écologique, extrêmement légère et par conséquent biodégradable… N’était-ce pas la condition sine qua non pour que vous puissiez rapidement reprendre vos activités professionnelles ? (La porte du cabinet s’ouvre sur le docteur Giraud.) Monsieur Blot, le docteur Giraud vient justement… (Giraud l’arrête d’un geste brusque de la main.) de ne pas être de retour… Comptez sur moi, monsieur Blot. Au revoir monsieur Blot. (Elle raccroche.)

Giraud. – Blot ?

Lebœuf. – Le danseur étoile.

Giraud. – La jambe artificielle…

Lebœuf. – Oui. Elle a volé dans le public pendant un entrechat. Deux blessés. Il aimerait comprendre.

Giraud. – Je le lui avais dit : des slows ! Rien que des slows ! C’est tout ?

Lebœuf. – Non. Les parents du petit Anthony ont téléphoné. L’enfant a pris les pilules que vous lui avez prescrites.

Giraud. – Oui ?

Lebœuf. – Il a éternué…

Giraud. – Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?

Lebœuf. – Il a éternué et tous ses cheveux sont tombés.

Giraud, contrarié. – Ah… Et ses migraines ?

Lebœuf. – Envolées ! Comme la jambe de monsieur Blot.

Giraud, satisfait. – Bien ! C’est ce que les parents souhaitaient, non ?

Lebœuf. – Dans un sens, oui. Pour les cheveux, je n’ai pas su quoi répondre. Tout le monde est un peu contrarié.

Giraud. – C’est tout ?

Lebœuf. – Non. Votre ex-femme a téléphoné…

Giraud. – Passons.

Lebœuf. – C’est au sujet de sa pension alimentaire…

Giraud. – Autre chose ?

Lebœuf. – Madame Lamiani. Son stérilet auto-nettoyant lui cause des soucis…

Giraud. – Stop ! Ça suffit. Madame Lebœuf, j’aurais besoin d’un cobaye pour une nouvelle expérience. Alors vous allez enfiler votre manteau et me trouver ça au plus vite.

Lebœuf. – Bien. Qu’est-ce qu’il vous faudrait ? Batracien ? Rongeur ?

Giraud. – Une autruche.

Lebœuf. – Plaît-il ?

Giraud. – Je voudrais une autruche. Une autruche de grande taille, docile, très docile. C’est primordial.

Lebœuf, ironique. – Rien que ça ! Vous avez une préférence pour la couleur ? On dit que le bleu revient à la mode…

Giraud. – Leboeuf, si la bêtise est héréditaire, un conseil : faites vous cisailler les trompes ! Je la veux adulte. Pas de marmot ! J’ai horreur de ça.

Lebœuf, découragée. – Autorisez-moi à prendre un congé sans solde, une année sabbatique. Je connais un vieux couvent isolé en Dordogne avec chambres individuelles et fenêtres murées. Cela me ferait le plus grand bien.

Giraud, agacé. – Vous avez une heure ! (Il se calme.) Comprenez-moi : dans moins d’un mois aura lieu le prochain congrès de la très honorable Académie scientifique. Je compte bien m’y présenter. Mais pour cela, il me faut impérativement maîtriser cette invention… Mon chef-d’œuvre ! La moindre erreur pourrait s’avérer fatale et tous mes projets ruinés. (Il part en plein délire.) Je finirais alors à la rue, alcoolisé, errant entièrement nu dans les bas-fonds en braillant des chansons obscènes…

Embarrassée, Lebœuf enchaîne comme elle peut.

Lebœuf. – À ce propos, j’ai fini d’expertiser les objets que vous m’avez confiés.

Giraud. – Alors ?

Lebœuf. – La lampe n’a aucun intérêt. Il s’agit d’une lampe de bureau tout ce qu’il y a de plus classique, sans attache particulière. La chaussure en revanche, aurait appartenu à un comédien. C’est écrit sur la semelle : propriété d’Henry Delcrière, sociétaire de la Comédie-Française.

Giraud. – Et le bouquin ?

Lebœuf. – Pour le livre, vous aviez raison. Il s’agit bien d’un original des mémoires de Freud datant du début du siècle.

Giraud. – Oui ! Fantastique ! Les crétins sont vraiment des imbéciles.

Lebœuf. – Oui ?

Giraud. – Ils jettent n’importe quoi sans se soucier de leur véritable valeur.

Lebœuf. – Oui.

Giraud. – Un original des mémoires de Freud balancé dans une décharge comme un vulgaire détritus !

Lebœuf. – Ben oui.

Giraud. – Par la barbe de Sigmund ! Une décharge, ça a une âme.

Lebœuf. – Ah oui ?

Giraud. – Mais oui ! Durant sa vie, l’homme entretient une véritable relation affective avec les objets qui l’entourent.

Lebœuf, surprise. – Non ?

Giraud. – Si ! Sans le savoir, il imprègne chaque objet de son empreinte magnétique et c’est ce magnétisme qui forme la base de mes expériences.

Lebœuf. – Oui.

Giraud. – Désormais, je vais pouvoir extraire cet héritage magnétique et l’insérer dans mes cobayes.

Giraud se dirige vers sa machine.

Lebœuf. – Comment ?

Giraud. – Grâce à Pamela.

Lebœuf. – Votre ex-femme ?

Giraud. – Ma machine. Je lui ai donné son nom.

Lebœuf. – Délicate attention. Je vous croyais fâchés ?

Giraud. – Justement. Je l’ai créée à son image : pernicieuse, acariâtre, totalement refaite et ramassée dans les poubelles.

Lebœuf. – Une sorte d’hommage en somme… Je comprends maintenant votre empressement à réaliser cette expérience. Vous comptez la présenter au congrès ?

Giraud. – Diable non ! Mon but est de m’approprier l’esprit et le génie de papa Freud grâce à ses écrits. C’est l’ultime intérêt d’une telle expérience. Il va sans dire que cette machine doit rester secrète.

Lebœuf. – Oui.

Giraud. – Vous m’entendez, Lebœuf ?

Lebœuf. – Oui.

Giraud. – Personne ne doit en soupçonner l’existence.

Lebœuf. – Non.

Giraud. – Personne !

Lebœuf. – Oui.

Giraud. – Cessez de faire des phrases, madame Lebœuf ! Et courez me chercher mon cobaye. Il est grand temps pour moi de laisser une trace dans l’Histoire.

Giraud enfile des gants en latex.

Lebœuf. – J’y vais tout de suite… Docteur Giraud ?...

Giraud. – C’est moi.

Lebœuf. – Concernant votre autruche… Je me disais qu’une poule…

Giraud. – Une autruche.

Lebœuf. – Ou un pigeon…

Giraud. – Une autruche.

Lebœuf. – Et une dinde ? C’est un peu la saison…

Giraud, excédé. – Au-tru-che !

Lebœuf, sortant dépitée. – Bon.

Giraud fouille un sac poubelle dans lequel s’entassent divers objets. Il en sort un coussin.

Giraud. – D’où peux-tu venir petit coussin ? D’un landau ? (Il sent le coussin. Visiblement, il sent mauvais.) D’une maison de retraite ? Peut-être as-tu servi à étouffer quelqu’un ? (Giraud fouille de nouveau dans son sac et en sort un micro.) Et toi ? De quoi as-tu été témoin ? Des récits d’un conférencier ? Ou des postillons d’une braillarde Québécoise ? (Il sort une poupée.) Salut poupée ! Quel est ton secret, dis-moi ? Une innocence infantile ? Une pratique vaudou ? Fétiche ou futile ? Nous allons le savoir tout de suite. (Il place la poupée dans la machine et se dirige vers la cage du rat à qui il s’adresse.) Alors, Sigmund junior ! Tu m’as l’air bien énervé aujourd’hui. On va arranger ça. (Il ouvre la cage pour attraper le rat et se fait mordre. Le rat s’échappe.) Ah ! Imbécile de putain de connard de saloperie de fait chier de rat ! Merde ! (On frappe à la porte.) C’est fermé !

Gérard Lampion, un éboueur, entre tout sourire. Giraud retire ses gants.

Lampion. – Bonjour docteur. Calendrier des éboueurs !

Giraud. – Monsieur Lampion.

Lampion. – Cette année, mes collègues et moi, on porte le string ! (Il ouvre grand son calendrier dans lequel on le découvre posant en string.)

Giraud. – Vous parlez d’un argument...

Lampion. – Si la plastique des éboueurs ne vous inspire pas, je me permets de vous proposer le modèle classique : paysages enneigés, champs de tournesols, animaux de compagnie enrubannés comme des œufs de Pâques… Il y a des amateurs.

Giraud. – Je n’en suis pas.

Lampion. – Nous avons aussi le calendrier personnalisé. Une très chouette idée pour fidéliser le client. J’ai pensé à vous lorsque j’ai vu celui-ci. (Il sort un nouveau calendrier de son sac.) Modèle vivisection en laboratoire. Très jolies photos : grenouilles disséquées, chimpanzés couverts d’électrodes ainsi qu’un très beau chien à qui l’on a greffé une tête supplémentaire…

Giraud. – Quelle idée !

Lampion. – C’est pour les aveugles. Une sorte de chien panoramique…

Giraud. – L’initiative est louable mais… Non.

Lampion. – Soyez pas pingre, docteur. N’allez pas donner raison à Pamela.

Giraud, troublé. – Pamela ?!

Lampion. – Votre ex-femme. Je suis passé dans son quartier avant de venir ici. Très...

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