Réception chez les Schmoll
Ou
La cravate bleue
Une comédie en 3 actes de JB. MARSAUT
Réception chez les Schmoll
ou
La cravate bleue
Comédie
L’action se passe dans le salon d’apparat des Schmoll, petit-bourgeois provinciaux.
Madame Simone Ernestine Schmoll, née Fourier, propriétaire des Etablissements Schmoll, femme autoritaire et insatisfaite, méprisant son mari, en recherche permanente de bons partis pour sa fille et, accessoirement, d’amants fortunés pour elle-même.
Monsieur Charles Schmoll, Directeur des Etablissements Schmoll, souffre-douleur de Madame.
Eglantine Schmoll, fille à marier de Mr et Mme Schmoll.
Georges-Henri de la Lavandière, fils héritier de Mr et Mme de la Lavandière, d’une grande famille d’industriels.
Pierre-Honoré de la Lavandière, riche industriel, père de Georges-Henri.
Madame de la Lavandière, épouse de Pierre-Honoré
Madeleine (Annette Webin), du village de Kühldorf (Alsace), au service des Schmoll.
Acte I, Scène 1
Dans le salon de Mr et Mme Schmoll.
La scène est vide au lever de rideau. Un magnifique bouquet de fleurs trône sur une table.
On entend Monsieur parler depuis une pièce à côté (son bureau, à droite).
Monsieur
Chériiiie ?...Où est ma cravate bleue ? Je ne la vois pas…Simone ?...
Il entre
Monsieur
Chérie, je ?...Ben !?!...Bon.
Il ressort. La pendule sonne cinq heures.
Madame, très élégante, entre
Madame
Bon ! Alors…La coiffure, çà va. Le maquillage…aussi. Ma broche et mon col…parfait. Tout doit être parfait. Le salon…Ah, Seigneur ! Le guéridon qui n’est toujours pas débarrassé. Madeleine !...Il faut que je fasse tout, ici. Et le prétendant d’Eglantine qui va arriver d’un moment à l’autre. Et Monsieur qui n’est pas là, évidemment. Madeleine ! Avez-vous préparé le service pour l’apéritif ?...Madeleine ?
La bonne entre (avec une coiffe alsacienne). Ses cheveux semblent légèrement en désordre, un pan de son chemisier est sorti
Madeleine
Ja, Madame ?
Madame
Eh bien, ma fille ? Que faisiez-vous donc ?...Notre invité arrive dans moins d’une demi-heure et vous n’avez toujours pas débarrassé ? Et Monsieur, où est-il ? L’avez-vous vu ? Sommes-nous prêts ?...Je vous pose une question, Madeleine.
Madeleine
Ach, Ja Madame. Sicherlich, nous sommes prêts. Je m’en occupe. Que Madame ne s’inquiète pas.
Madame
Et ce beau jeune homme, (elle se reprend, légèrement confuse) euh, ce…enfin, ce livreur, avec qui je vous ai vu causer tout à l’heure. Celui qui a livré ces fleurs, et qui vous faisait du boniment…Vous a-t-il dit qui les envoie ? Je n’ai vu aucun mot.
Madeleine
Ach Ja, Madame. Elles sont magnifiques.
Madame
Je sais, mon petit. Ne répondez pas à côté. Je vous demande qui me les a envoyées. Dîtes-moi tout.
Madeleine
Ach, euh…Je ne sais pas, Madame.
Madame
Comment çà, vous ne savez pas ? On me livre des fleurs, des fleurs somptueuses, et même extravagantes…et vous ne cherchez pas à savoir qui me les envoie. C’est un monde !
Madeleine
Euh…non, Madame. (Elle regarde les fleurs) D’habitude, il y a un mot avec.
Madame
Oui, merci Madeleine. Je sais. Justement. Il n’y en avait pas.
Madeleine
Ah.
Madame
Ah…Et c’est tout ?
Madeleine
Euh…Quoi, Madame ?
Madame
Il n’y avait pas de mot…Pas de mot…Et donc…Vous n’avez pas cherché à savoir ?
Madeleine
Oh ma foi non, Madame ! Certainement pas ! Et puis, je ne m’en suis pas aperçu…
Madame
C’est bon, c’est bon. Allez allez, mon petit, nous ne sommes pas en avance…Ah ! Au fait, Madeleine…
Madeleine
Ja, Madame ?
Madame
Vous avez un soupirant ?
Madeleine
Himmel…Ma foi non, Madame. Enfin, euh…Comment…
Madame
Allons allons, Madeleine. Ne faîtes pas l’enfant. Je vous ai vue tout à l’heure, avec le coursier des fleurs…Vous minaudiez, mon petit. Vous minaudiez…N’est-ce pas lui, d’ailleurs, qu’il m’a semblé voir repasser devant chez nous, il y a quelques minutes à peine ?
Madeleine (confuse)
Oh, Madame, je vous en prie. Je…
Madame
C’est bon c’est bon, mon petit. Disposez, disposez.
Madeleine fait mouvement
Madame
Madeleine ?
Madeleine (s’arrêtant)
Ja, Madame ?
Madame
Rajustez quand même votre chemisier, voulez-vous ?
Madeleine
Oh ! Mein Gott...Grand merci, Madame.
Elle sort, en se pressant
Madame, restée seule, sort de son corsage un bristol et le lit en souriant, puis s’apprête devant une glace
Madame
Pas de mot, pas de mot. Teuh ! Tu plaisantes… (Elle lit :) « De la part d’un fervent admirateur »…Mais il aurait pu signer, tout de même…Même pas ses initiales…Oh, tout cela m’excite, moi…Bon. Allons allons Simone, calme-toi. Il faut raison garder. La tête froide. Et nous allons en avoir besoin aujourd’hui, je le sens…
Monsieur entre. Madame range vivement le bristol
Monsieur
Ah ! Vous voilà ma chère, enfin ! Pouvez-vous me dire où se trouve ma cravate bleue ? J’en ai besoin.
Madame
Voyons mon ami ! Je n’en sais rien…Demandez à Madeleine. Madeleine !
Elle se ravise brusquement
Madame
Ah mais dîtes-donc, Charles, justement. Vous n’allez pas mettre cette ridicule cravate bleue, tout de même. Vous n’y pensez pas. Pas aujourd’hui, en tout cas.
Monsieur
Comment çà, pas aujourd’hui ? Elle est très bien, cette cravate bleue ! J’y tiens beaucoup.
Madame
Allons allons. Foutaise. Vous mettrez votre nœud saumon. Il est du dernier chic, et parfaitement adapté pour la visite qui nous est faite.
Monsieur
Ah non, Simone, je vous en prie. Pas le nœud saumon. J’ai l’air d’un plouc avec.
Madame
Mais non mais non. Pas du tout. Je vous l’ai dit, pas de cravate bleue. Vous ne pouvez pas. Hors de question. Soyez sérieux, mon ami.
Monsieur
Mais enfin, c’est que…
Madame
Charles ! …Cessez ces enfantillages, voulez-vous. Vous mettrez votre nœud saumon, un point c’est tout.
Monsieur
Euh…Bon…Bien, bien. Bon. Pff…
Il ressort, dépité
Madame
Madeleine !
La bonne accourt enfin
Madeleine
Ja Madame, qu’est-ce qu’il y a ?
Madame
Avez-vous rangé les affaires de Monsieur ? Il cherchait une cravate.
Madeleine
Ah, oui, la cravate bleue. Je l’ai rangée dans la…
Madame
Très bien. Alors gardez-la.
Madeleine
Je demande bien pardon à Madame ?!
Madame
Je dis : gardez-la…Ou plutôt non, rendez-la moi !...Ou alors jetez-la, c’est égal.
Madeleine
Mais…comment, Madame ? Mais je ne peux pas faire çà !
Madame
Il suffit, voulez-vous. Vous ai-je demandé votre avis ?...Eh bien, apportez-la-moi, tiens. Je saurai quoi en faire.
Madeleine
Euh…bien, Madame.
Elle sort. Madame reprend son maquillage
Madame
Tout de même…J’aimerais bien savoir…Un admirateur…Fervent, même. Mmmhh…Qui cela peut-il bien être ? ...Ah, cela m’émoustille ! Bon. Et notre Eglantine, avec mon futur gendre, grand Dieu ! Il ne s’agit pas de rater cette rencontre. Un si beau parti…Les De la Lavandière, c’est tout de même quelque chose…Un nom, une grande famille…une maison…une vraie, qui ressemble à quelque chose (Plus bas, marmonnant) Pas comme ici… (Reprenant de la voix) Une voiture…Le père très en vue…Il a de l’ambition, lui. (Plus bas, en marmonnant) Pas comme l’autre, là… Avec un tel beau-père, notre fille n’aura aucun souci matériel (Reprenant de la voix) Bon ! Mais que font-ils donc, tous ? Charles ?...Charles, vous venez ?...Vous m’entendez, Charles ?...Char-leueu ?
Monsieur entre
Monsieur
Voilà voilà ! Me voici. Vous êtes contente ?
Il arbore son nœud saumon
Madame
Eh bien oui, Charles. Cela vous va à ravir et cela vous rend plus intelligent. Et c’est très bien ainsi. C’est un minimum pour tenir votre rang quand ce jeune monsieur De la Lavandière sera là. Je ne vais pas vous crier ma joie, tout de même…
Monsieur
Ni moi, rassurez-vous. Moi qui pensais vous faire plaisir…Vous aviez insisté...
Madame (pincée et un rien rêveuse)
Me faire plaisir ?! N’exagérons rien, Charles, je vous en prie…
Monsieur
Disons : Vous satisfaire…
Madame
Encore moins.
Monsieur
Ah.
Madame tourne le dos et se repenche sur sa coiffure et son maquillage. Monsieur est dépité et bougonne, en marchant de long en large et en rajustant, très contrarié, son nœud saumon.
Sur ce, Madeleine survient avec une table roulante pour installer le service à apéritif
Monsieur
Ah ! Madeleine…Dîtes-moi ma fille, vous n’auriez pas vu ma cravate bleue, par hasard ?
Madame tousse
Madeleine
(Faisant mine d’aller chercher quelque chose dans une poche de son tablier)
Ah, mais justement, Monsieur, c’est que j…
Madame tousse à nouveau, plus fort
Monsieur
Oui, vous dîtes ?
Madame est saisie d’une quinte de toux. Monsieur réalise et se précipite à son secours
Monsieur
Et bien ma mie, que vous arrive-t-il ? Attendez…
Il lui tape dans le dos
Madeleine (comprenant)
Oh, Madame. Pardon…Je vais vous chercher votre sirop. Vous avez du prendre froid…
Elle sort précipitamment
Monsieur
Mais enfin, Madeleine, me direz-vous ?!...Madeleine !?...La cravate…
Elle répond depuis le vestibule
Madeleine
Ah, oui…Non non, Monsieur. Je n’ai pas trouvé…votre nœud saumon.
Monsieur
Ben !! Evidemment, puisque je le porte ! Mais où avez-vous donc vos yeux, ma pauvre Madeleine ? Ce n’est pas ce que je vous demandais ! Ventrebleu, est-ce que vous savez où se trouve ma cravate bl…
Madame
Enfin, Charles !! Laissez-donc cette petite, à la fin. Nous avons autre chose à faire de plus important aujourd’hui, il me semble. Notre Eglantine va être mise en présence de son chevalier servant d’un moment à un autre. Ce Georges-Henri est probablement votre futur gendre, je vous le rappelle…Enfin, si nous convenons à ces gens là…J’ai quelques craintes…
Monsieur
Ah oui, c’est vrai. C’est important. Il me tarde de voir à quoi ressemble l’olibrius qui ose prétendre à la main de notre enfant chérie. On m’a dit que c’était un jeune homme de très bonne famille. Mais ceci dit, c’est peut-être un parfait abruti…
Madame
Comme vous dîtes, mon ami. C’est une famille plus que convenable. Aussi, je compte sur vous pour faire honneur à notre maison. La dernière fois que nous avons reçu une visite, rappelez-vous, vous vous êtes couvert de ridicule…au dîner, avec les Du Paillet.
Monsieur
Hein ?! Moi, ma mie ? Avec les Du Paillet ?...Mais…je n’ai rien dit du repas ! Ils étaient assommants. Ah çà, oui, je m’en rappelle ! A-sso-mants.
Madame
Justement. C’est bien le problème. Vous n’avez rien dit. Et j’ai du faire la conversation pendant tout le dîner. Avouez que c’est un monde. Vous savez comme cela me pèse…D’autant que Madame Du Paillet ne pipait mot et me regardait de haut. Une vraie toupie. Et puis vous aviez mis cette cravate ridicule. Même vos ouvriers n’en portent pas d’aussi moches. J’ai très bien vu la mine de la Du Paillet lorsqu’elle vous dévisageait. J’en étais mortifiée.
Monsieur
Mes ouvriers ? Mais enfin Simone, où avez-vous vu que mes ouvriers portent des cravates ?
Madame
Justement. Ils n’en portent pas ! Personne n’oserait porter une chose aussi ridicule. Sauf vous.
Monsieur
Pfff…Alors là, Simone, laissez-moi vous dire que…que vous exagérez…un tout petit peu.
Madame
Du tout, Charles. Je sais ce que je dis. C’est l’évidence.
Monsieur
Tout de même...
Madame
Non.
Monsieur
Mais enfin, Simone…Ernestine…pour cette fois-ci, s’il-vous-plaît…chérie…mmh ?
Madame
Taisez-vous donc, Charles. Vous n’entendez rien à ces choses là. Et ne commencez pas à me faire votre petit numéro de séduction, çà ne prend pas. (Elle sourit) Gamin, va !...Tenez, rendez-vous donc utile, plutôt. Venez m’aider à remonter la fermeture de ma robe.
Monsieur
Pfff…Bon.
Il s’exécute. Madame se contemple dans la glace sur la cheminée, satisfaite
Madame
Voilà. Voilà qui est parfait.
Monsieur (admiratif, pris de tendresse pour sa femme)
Simone…
Il fait mine de l’enlacer
Madame
Tuutt ! Pas touche. Reculez, Monsieur Schmoll.
Elle le repousse gentiment mais fermement
Monsieur
Ernestine… ?! Ma mie…
Madame
Charles, voulez-vous bien !...Notre invité sera là dans une minute. Retenez-vous, enfin. Vous n’êtes pas un porc…
Monsieur (mortifié)
Mais je ne fais que çà…
La bonne entre, avec une potion sur un plateau
Madeleine
Tenez, Madame. Pour votre toux.
Madame
Ma toux ?!Quelle toux…Vous délirez, ma petite! Rangez-moi donc çà, voulez-vous.
Monsieur
Simone, enfin, voyons ! Vous avez été prise d’une quinte il n’y a pas cinq minutes. J’étais là. Soignez-vous, que diable. Qu’on en finisse.
Il continue de marcher de long en large
Madeleine
(Insistante, glissant la cravate bleue dans les mains de Madame avec la potion)
Oui, Madame, il faut vous soigner. Prenez-donc ceci…
Madame
Ah oui, où avais-je la tête (elle tousse). Merci, Madeleine.
Monsieur (bougonnant, pour lui-même)
Quand je pense que cet im-bé-cile de Du Paillet avait e-xac-te-ment le même modèle…mais en rouge…Et lui, bien sûr, cela lui va bien, il est très élégant, et patati et patata…Fichtre !...
Madame
Plaît-il ?...
Monsieur
Non, rien.
Madame (à la bonne)
Bien, mon petit, ne restez-donc pas plantée là, comme une gourde. Allez allez, il faut nous dépêcher, maintenant, disposez l’apéritif et laissez-nous.
Madeleine
Bien, Madame. Sofort.
Elle s’affaire
Madame
Pfff…Ah, ces provinces, avec leur dialecte…Enfin…Charles ?...
Monsieur
Mmmh…
Madame
Ce Georges-Henri…comment est-il ? L’avez-vous déjà vu? N’est-ce pas ce fringuant jeune homme qui accompagnait sa mère à la dernière vente de charité, à l’école des Oies?
Monsieur
Ah, euh…c’est possible, je ne sais pas.
Madame
Comment cela, vous ne savez pas ? Mais enfin, Charles, vous n’avez donc rien remarqué ? Madame de la Lavandière portait un très remarquable chapeau à fleurs, du meilleur goût. Tout le monde ne voyait qu’elle, évidemment. Je l’ai trouvée très à son avantage. Vous n’avez jamais songé à m’en offrir un de la sorte, Charles.
Monsieur
Pardon ?
Madame
Ah, mais vous aviez peut-être les yeux ailleurs…Sur la fille Lavandière, peut-être ? Ce serait bien vous, cela.
Monsieur
Mais ! Enfin, Ernestine !...La tension de cette journée vous égare, allons…
Madame (toujours se poudrant devant la glace)
Tatatata. Je vous connais, mon ami. Comme si je vous avais fait. Vous ne cessiez de lorgner sur elle…Une très belle jeune fille, d’ailleurs…Tout comme son frère, très élégant…Notre Eglantine a bien de la chance…
Monsieur
Ah. Très bien. Sûrement.
La bonne s’apprête à quitter le salon
Madame
Madeleine ?
Madeleine
Ja, Madame ?
Madame
Assurez-vous que mademoiselle se tient prête et qu’elle attend bien sagement dans sa chambre. Nous ne tarderons pas de la faire appeler, après que vous aurez introduit monsieur de la Lavandière.
Madeleine
Ja, Madame.
Madame
Madeleine.
Madeleine
Ja, Madame.
Madame
Arrêtez de dire ‘Ja Madame’ à tout bout de champ, s’il vous plaît. C’est agaçant, à la longue. Je ne sais pas, moi, dîtes : ‘Entendu, Madame’, ou alors : ‘comme Madame voudra’, de temps en temps…
Madeleine
Ja, Madame.
Elle sort. Madame lève les yeux au ciel
Madame
Charles…
Monsieur
Mmh… ?
Madame
Pour notre petite chérie…Eglantine…Avez-vous songé…à sa dot ? Vous y avez réfléchi, bien sûr…
Monsieur
Ah. Oui. Oui oui. Bien sûr…oui oui…Mais, vous savez, ma mie, qu’à ma disparition, les établissements Schmoll…
Madame
A Dieu ne plaise, mon ami.
Monsieur
…comme nous n’avons pas de fils…
Madame
Oui, et alors ? Pourquoi rappelez-vous ce point ? Qui puis-je, mon bon ! La faute à qui…Vous avez bien une fille. Vous ne pouvez quand même pas vous plaindre d’avoir épousé une femme dépourvue de toutes les capacités nécessaires. Pour engendrer des garçons, vous n’êtes pas sans savoir que cela requiert un peu plus d’énergie…
Monsieur hausse les épaules et lève les yeux au ciel
Monsieur
….Et donc, j’espère que ce Georges-Henri n’est pas né de la dernière pluie et qu’il pourra, un jour, reprendre le flambeau…et faire de beaux héritiers, aussi… (Il reste pensif) Au fait, Simone…
Madame
Ouiii ?...
Monsieur
Notre petite Eglantine chérie, comme vous dîtes…avez-vous songé, par hasard, euh…à l’affranchir, enfin, je veux dire…à l’instruire un peu…suffisamment…de la…chose ?...Parce que, il me semble, enfin, je ne suis pas certain que…
Madame
Mais ! Oh…Voulez-vous bien ! Qu’insinuez-vous donc ? Ne suis-je pas une mère méritante ? Oh…Taisez-vous donc, mon ami ! Sachez que notre Eglantine est tout à fait digne de sa mère. Elle est parfaitement préparée pour faire honneur à son mari en remplissant pleinement son devoir. Après son mariage, bien entendu…Et elle vous fera de beaux petits-enfants, vous verrez, insolent…Goujat, va…
Monsieur
Ah bon, bien…Alors tout est pour le mieux, j’imagine…
On entend une sonnette
Madame
Ah !
Monsieur
Ah ! Bigre…Fichtre.
Madame
Madeleine !...
Ils attendent, fébrilement. Madeleine apparaît, laissant entrer Georges-Henri de La Lavandière
Monsieur se précipite
Monsieur
Ah, bonjour très cher ami, quelle joie de vous voir si…si…Hum. Mais donnez-vous donc la peine d’entrer, faîtes comme chez vous. Hum. Venez ici, que je vous présente mon épouse…Chérie, voici monsieur de la Lavandière, comme vous savez…Georges-Henri, -permettez que je vous appelle Georges-Henri-, voici mon épouse, Simone…
Georges-Henri fixe Madame avec émotion, puis jette ostensiblement un coup d’œil sur les fleurs, et enfin s’incline avec obséquiosité devant Madame en lui faisant le baisemain. Madame croit saisir l’allusion et est sous le charme, mais elle reste prudente et distante
Georges-Henri
Madaame… (Se tournant vers Monsieur) Monsieur…C’est un honneur…Merci de me recevoir…
Madame (intéressée, dévisageant Georges-Henri)
Mais tout le plaisir est pour nous, installez-vous donc (Elle lui indique un siège, près d’elle). Venez-donc vous assoir près de moi, à votre aise… (Ils s’installent) Madeleine !
Monsieur
Hum…
Madame
Ainsi donc, cher monsieur de la Lavandière, vous connaissez notre fille, Eglantine ?
C’est, je crois, ce qui nous vaut votre aimable visite ?...
Georges-Henri (dévisageant Madame)
En effet, chère Madame. J’ai eu l’avantage de faire la connaissance de mademoiselle votre fille à la dernière vente de charité, où elle vous accompagnait. Je dois dire que j’ai éprouvé, dès cette rencontre, la plus troublante des inclinations, et je…Mes intentions sont pures, naturellement. Mon âme s’est embrasée ce jour là, n’est-ce pas, euh…et la vision d’une aussi belle figure occupe désormais toutes mes pensées. Aussi ai-je sollicité cette entrevue, afin de vous demander votre permission, chère Madame, de…euh…
Madame
Il est charmant. N’est-ce pas, Charles ?
Monsieur
Hum.
Madame tapote des mains sur la jambe de Georges-Henri
Madame
Vous l’avez. Bien entendu.
Georges-Henri
Oh. Mais, je…
Madame
La maison vous est ouverte. Venez quand il vous plaira.
Georges-Henri
Ah bon ? C’est que j’avais pensé…Si Mademoiselle…
Madame
Mademoiselle sera ravie, n’en doutez pas. Venez prendre le thé tous les jours, si vous voulez. Je sors rarement l’après-midi. Je pourrai veiller sur vous.
Georges-Henri
Ah, bien. Très bien.
Monsieur
Vous savez, mon jeune ami, que les établissements Schmoll que je dirige…
Madame
Madeleine ?
Monsieur
Hum.
Georges-Henri
Vraiment, Madame, je ne sais comment vous remercier. Votre aimable invite me comble, je la reçois…avec joie et empressement, comme un encouragement dans mes efforts pour…
Madame
Madeleine !?
Monsieur
Les établissements Schmoll, disais-je…
La bonne accourt
Madeleine
Oui, Madame ?
Madame
Faîtes-donc mander Eglantine, voulez-vous ?
Madeleine
Pardon, Madame ?! Mais c’est qu’il n’y a que moi, ici.
Madame
Oui, bon ! Ne faîtes pas de l’esprit, ma fille, ce n’est pas le moment. Et allez nous chercher Eglantine, voulez-vous ? Il est grand temps qu’elle paraisse devant notre jeune ami, monsieur Georges-Henri…Allez…
Madeleine
Ja, Madame.
La bonne s’exécute
Madame
Ach…Madeleine !
Madeleine
Ja, Madame ?
Madame
Non rien. Ouh…
La bonne sort
Madame (Pour elle-même)
Mais c’est qu’elle m’énerve, cette petite Alsacienne de Commercy.
Monsieur
Hum, hum. Donc, comme je vous disais...
Madame
Et donc, mon jeune ami, je compte sur vous. Vous viendrez tous les jours, n’est-ce pas ? Nous parlerons, nous échangerons, nous nous étendrons sur tous les sujets…
Georges-Henri
Mmbgl…
Eglantine paraît au salon
Eglantine
Vous m’avez fait demander, mère ? Bonsoir, père.
Monsieur
Hum. Eh bien, euh…Monsieur de la Lavandière, voici donc notre fille Eglantine. Eglantine, voici monsieur de la Lavandière, qui nous fait l’amitié de sa visite. Monsieur de la Lavandière souhaitait te voir…Enfin, euh…Simone ?…
Eglantine
Bonjour, Monsieur Georges-Henri.
Georges-Henri se lève, empressé et obséquieux
Georges-Henri
Bonsoir, Mademoiselle Eglantine. Je suis ravi de vous revoir. Nous nous sommes entre-aperçus, l’autre jour, à la fête de charité. Nous parlions justement de vous, avec votre maman.
Madame
Eh bien ! Venez ici, ma fille…Monsieur de la Lavandière nous fait l’honneur de s’intéresser à notre famille, réjouissez-vous. Il viendra désormais régulièrement partager notre afternoon tea, où il...