Prologue
Dans le noir, on entend trois cris qui se succèdent, poussés par les trois actrices. Chaque cri est différent – drôle.
Silence.
Lumière. Applaudissements nourris.
Sophie, Charlotte et Alma saluent devant le rideau face public en se tenant par la main. Alma s’avance puis fait taire les applaudissements d’un signe de main.
ALMA La pièce Trois cris dans la nuit que nous venons d’interpréter ce soir a été écrite et mise en scène par Sébastien Mouron. (Applaudissements.) Avec Charlotte Meurice ! (Charlotte salue.) Sophie Angelot ! (Sophie salue.) Et… Alma Soulier !!!
Les applaudissements redoublent.
Alma salue longuement. Sophie et Charlotte se jettent un regard agacé.
Noir
Acte I
Une grande loge d’un théâtre. Trois coiffeuses devant des miroirs cerclés d’ampoules. Une grosse malle qui fait office de table basse. Un paravent pour s’habiller. Un petit frigo.
On entend le brouhaha de la salle qui se vide.
Entrent Charlotte, en mariée, et Alma, vêtue en nonne.
CHARLOTTE Quelle représentation ! On était au top !
Charlotte chantonne et danse quelques secondes en allant chercher une bouteille de vodka dans le frigo.
Alma enlève son voile de nonne sous lequel se trouve un tailleur classe.
ALMA Ouf, un peu de calme !
CHARLOTTE Quand tu as dit : « Adieu, ce vent de trahison me brûle les entrailles, je pars de ce pas rejoindre les carmélites », t’as déchiré !
ALMA Je sais. Je sais.
CHARLOTTE J’ai envie d’aller danser, ce soir !
ALMA Tu l’as vu, la meuf qui envoyait des textos pendant mon monologue ?
CHARLOTTE Arrête de regarder la salle quand tu joues !
ALMA C’était impossible de faire autrement ! Son portable éclairait sa tronche. Tu ne l’as pas vue ? Il y avait un phare au milieu du public.
CHARLOTTE Elle était où ?
ALMA Rang H, fauteuil 5.
CHARLOTTE Je n’ai pas fait gaffe… J’étais très concentrée dans mon rôle, ce soir.
ALMA (Sur la défensive.) Ah oui ? Parce que moi j’ai joué en me demandant si j’avais bien fermé le gaz ? Elle répondait à ses mails, cette connasse.
CHARLOTTE Allez, ma chérie, détends-toi : demain c’est la dernière, profite !
ALMA Il faudrait que les gens viennent au théâtre et laissent leur portable aux vestiaires comme à l’assemblée.
CHARLOTTE Tiens, au fait, comment va François ?
ALMA (Allant s’asseoir à sa table.) Il est épuisé, le pauvre… C’est bientôt les élections…
CHARLOTTE Ah bon ? Y a des élections ?
ALMA Oui, les législatives ! C’est l’enfer ! Il a besoin de se détendre, alors tous les soirs il va au hammam. D’ailleurs, faut que je me dépêche, pour une fois qu’on peut passer une soirée ensemble…
Sourire d’Alma qui veut tout dire de son amour pour son « François ».
Sur la troisième table, un portable sonne, avec un bruit d’alarme incendie. « Heuin ! Heuin ! Heuin ! »
CHARLOTTE Viviane !
ALMA Elle aurait pu mettre sur vibreur ! Elle nous soûle avec sa mère
CHARLOTTE Tiens regarde !
Charlotte prend le portable et le balance dans la malle.
ALMA (Imitant Sophie.) Elle va encore nous dire : « Il est où mon portable ? Ma mère, j’ai besoin de parler à ma mère ! »
CHARLOTTE D’ailleurs qu’est-ce qu’elle fabrique ?
ALMA Elle doit refaire sa tirade toute seule dans le noir ! « Pierre, Pierre, Pierre ! »
CHARLOTTE (Continuant l’imitation.) Elle va nous faire : « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je n’étais pas dedans ! »
Elles rient.
Entrée de Sophie, en guêpière et talons hauts, super angoissée.
SOPHIE Je ne sais pas ce que j’ai foutu de mes gants ! Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je n’étais pas dedans ! (Charlotte et Alma se lancent un regard.) Quand j’ai dit : « Pierre, Pierre, Pierre… » je ne l’ai pas senti ce soir. En plus, il y avait une amie de ma mère dans la salle ; je suis sûre qu’elle m’a trouvée à chier. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je n’étais pas dedans !
CHARLOTTE Tu étais dedans.
SOPHIE Ah bon ? Vous m’avez trouvée bien ? Vous êtes sûres ? Alma, j’étais comment ?
ALMA Formidable !
SOPHIE (Plus angoissée que jamais.) Non, dis-moi la vérité ! T’es sûre, sûre, sûre ?
ALMA Formidable !
Un peu rassurée, Sophie s’approche de sa coiffeuse.
SOPHIE Vous n’avez pas vu mon portable ? Qu’est-ce que j’en ai foutu ? J’ai eu ma mère juste avant…
Charlotte s’empare d’un journal.
CHARLOTTE Je vous relis le Télérama : « Sophie Angelot, formidable de fragilité et d’émotion, nous fait part de ses grandes inquiétudes sur le monde avec finesse et subtilité. » Tu vois ?
ALMA Et qu’est-ce qu’elle disait sur moi, déjà ?
CHARLOTTE (Lisant.) « Alma Soulier est explosive… »
ALMA (Attrapant le journal.) Ah oui ! C’est ça ! Et elle a fait une faute à mon nom. Si je la croise, celle-là, je vais…
CHARLOTTE … la remercier et lui dire qu’elle aurait pu me citer et mettre un petit mot gentil sur moi…
SOPHIE Au début de l’acte II, j’ai pensé que c’était notre dernière demain. Ça m’a rendue triste d’un coup.
ALMA Qu’est-ce qu’on s’en fout ! On va faire le film !
SOPHIE Mais ce ne sera pas pareil. Au théâtre, c’est tous les soirs !
CHARLOTTE Mais c’est pas grave, on ne se quitte pas, on s’aime pour la vie !
ALMA Et puis on va être ensemble sur le tournage !
SOPHIE Oh oui ! c’est vrai, c’est vrai !
Sophie prend Alma et Charlotte dans ses bras.
Ce beau moment d’affection collective est rompu subitement.
ALMA (Se dégageant.) Aïe, aïe ! J’ai mal au bras. Punaise, j’ai super mal !
SOPHIE Qu’est-ce que t’as ?
ALMA Aïe ! Ça me lance ! Je suis morte ce matin.
CHARLOTTE Quoi ?
ALMA Dans ma série ! Vous auriez vu le truc ! Du sang partout ! (Elle se masse le bras.) Mon associé a trafiqué mes freins parce que j’ai refusé de lui vendre mes parts. J’ai perdu le contrôle de ma bagnole, je me suis pris un platane de plein fouet ! Coup du lapin, et tchao tout le monde ! Je me suis fait super mal… (Charlotte la regarde, soudain inquiète. Alma en fait des caisses.) Aïe, aïe ! Ouh, ouh !
CHARLOTTE Comment ça, tu es morte ?
ALMA Je ne peux plus plier le coude, c’est atroce comme douleur !
SOPHIE Parce que c’est toi qui fais les cascades ?
ALMA Non, justement, au moment où j’ai laissé ma place au cascadeur dans la voiture, j’ai marché sur mon lacet. Je me suis pété la gueule ! J’ai mal !
CHARLOTTE (Comme paniquée.) Pourquoi tu es morte ?
ALMA Ben, j’ai arrêté de respirer !
SOPHIE Mais non, pourquoi tu es morte ?
ALMA Ben, j’arrête la série !
CHARLOTTE Mais pourquoi ? C’est idiot ! Tu ne pourras jamais revenir !
ALMA On s’en fout ! Mon film, ça va être un virage dans ma carrière !
SOPHIE Notre film…
ALMA (Agacée, tout bas.) Oui, notre film.
CHARLOTTE Mais pourquoi t’es morte ? Tu devais juste partir en voyage humanitaire !
ALMA Quand on décroche un rôle au cinéma, on meurt dans sa série, c’est un classique ! Et puis si jamais la prod veut que je revienne, ils diront que j’ai été cryogénisée ou clonée, peu importe…
Le portable de Sophie se met à sonner. À nouveau le son de l’alarme incendie, mais il est étouffé par la malle. Sophie est immédiatement stressée.
SOPHIE Ma mère ! (Elle court vers sa table à maquillage, fouille dans son sac, essaie de comprendre d’où vient le son, mais soudain le portable s’arrête.) Merde ! Merde ! Merde ! Mais ce n’est pas croyable, il est où mon portable ?
CHARLOTTE Aucune idée !
La sonnerie reprend.
Sophie suit le son et arrive devant la malle où Charlotte et Alma se sont assises.
SOPHIE Oh non ! Vous n’êtes pas drôles ! Poussez-vous !
CHARLOTTE Non !
ALMA Laisse-la attendre !
CHARLOTTE Tu l’as déjà eue trois fois aujourd’hui. Tiens bon !
SOPHIE Oui, vous avez raison, je sais, je sais… Ça fait trois fois qu’elle appelle ; il doit y avoir quelque chose, c’est sûr ! (Les filles se lèvent. Sophie plonge dans la malle pour s’emparer de son portable.) Oui, maman, je suis là, je suis là !… Oui, excuse-moi, j’avais mis sur silencieux… Oui, je l’ai aperçue dans la salle. Ça lui a plu ?… Oui, bien sûr, Alma est formidable… Oui, je sais, maman…
ALMA Tu l’embrasses !
SOPHIE Non, Sébastien est dans l’avion, il rentre de Los Angeles. Pourquoi ?… Ben oui, c’est toujours lui qui réalise le film. Pourquoi tu dis ça ?… Quoi ? (Sophie blêmit et se tourne vers les deux autres filles.) Non, ils ont dû confondre. Lis-moi l’article… Ben, mets tes lunettes ! (À ses copines.) Elle me dit que Sophie Marceau va jouer dans notre film !
Immédiatement, Charlotte et Alma s’arrêtent net et s’approchent.
ALMA Quoi ? Elle va jouer dans mon film ? Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?
CHARLOTTE Comment elle sait ça ?
SOPHIE Elle vient de tomber dessus dans un journal.
ALMA Mais quel rôle ? Elle va jouer quel rôle ?
SOPHIE (À sa mère.) Maman, quel rôle ? (Aux filles.) Elle ne sait pas. Ce n’est pas écrit. (À sa mère.) Attends, maman, je te mets sur haut-parleur.
VIVIANE (Voix off.) Salut, les filles ! Alma, tu m’entends ?
ALMA Oui. Bonjour, Viviane. Vous allez bien ?
VIVIANE (Voix off.) Il paraît que tu étais formidable ce soir ! (Sophie masque son agacement.) Et puis, je t’ai regardée hier ! J’ai adoré comment tu as embrassé ton avocat sur la plage devant le coucher de soleil, c’était magique.
ALMA (Flattée, se recoiffant.) Merci, Viviane !
Sophie s’énerve.
SOPHIE Bon, vas-y, maman : lis l’article !
VIVIANE (Voix off.) Ce que tu es agressive avec ta mère ! Pff ! Alors, je lis : « Sophie Marceau vient de signer pour tourner dans l’adaptation du succès théâtral Trois cris dans la nuit de Sébastien Mouron dont le tournage commencera au printemps. » Voilà.
SOPHIE C’est tout ce qu’il y a écrit ?
VIVIANE (Voix off.) Oui.
ALMA Vous êtes sûre ?
VIVIANE (Voix off.) Oui.
SOPHIE Fais une photo de l’article tout de suite et tu me l’envoies !
VIVIANE (Voix off.) Mais quelle photo ? Je sais encore lire, non ?
CHARLOTTE (Blême.) C’est dans quel...