ACTE I
Scène 1
Noir. Sonnerie du téléphone. On entend une voix provenant du répondeur :
« Bonjour, ici le traiteur “Toudubon”. Vous nous aviez commandé un repas pour 5 personnes pour le réveillon de la Saint-Sylvestre, ce soir. Malheureusement nous ne pourrons honorer votre commande en raison d’un incendie qui s’est déclaré cette nuit dans nos locaux et qui a tout détruit. Croyez que nous sommes désolés et nous espérons que vous saurez trouver une solution pour votre dîner. Avec nos cordiales salutations, nous vous souhaitons de passer malgré tout une bonne fin d’année. tut tut tut… »
Lumière. Charlotte est face au public, catastrophée.
Charlotte : GUILLAUME ! Au secours! c’est une catastrophe!
Guillaume (arrivant précipitamment par jardin) : Quoi ? Que se passe-t-il ? ça ne va pas ?
Charlotte : Non, ça ne va pas du tout.
Guillaume : Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu as appris une mauvaise nouvelle ?
Charlotte : Oui.
Guillaume (s’effondre sur une chaise) : Il est arrivé quelque chose à ton père ?
Charlotte : Non, c’est pire.
Guillaume : Vas-y, dis-moi.
Charlotte : Le traiteur…
Guillaume : Quoi, le traiteur ?
Charlotte : Il ne peut pas nous livrer.
Guillaume : Pourquoi ?
Charlotte : Sa boutique a brûlé.
Guillaume : Ah oui, c’est embêtant, mais ce n’est quand même pas pire que si quelque chose de grave était arrivé à ton père…
Charlotte : Embêtant ? tu trouves ça “embêtant” ? Mais c’est catastrophique! Comment est-ce qu’on va faire ?
Guillaume : Pas de panique, on va trouver une solution.
Charlotte : Tu en as de bonnes ; je ne vais quand même pas cuisiner moi-même pour “tes” invités.
Guillaume : N’exagère pas, on se connait depuis longtemps avec Michel, je vais pouvoir lui expliquer.
Charlotte : Mais quelle idée tu as eu de vouloir inviter ton copain d’enfance pour le réveillon du nouvel an !
Guillaume : Attends, Michel n’est pas qu’un simple copain d’enfance, c’est surtout mon meilleur ami. À l’école il était meilleur que moi ; je copiais sur lui ; je lui dois une grande partie de ma réussite.
Charlotte : Et tu ne trouves pas ça injuste ?
Guillaume : Quoi ?
Charlotte : Que lui qui était meilleur que toi se retrouve simple employé de mairie alors que toi tu as un poste important dans la société de mon père.
Guillaume : Qu’est-ce que tu veux ? Ce sont les aléas de la vie…
Charlotte : Ils ont bon dos, les aléas... Avoue que sans mon père, tu n’aurais jamais eu une si belle promotion.
Guillaume : Ce n’est pas faux. Mais bon, je l’ai bien fait prospérer, son entreprise ; l’argent que je gagne, je ne l’ai pas volé.
Charlotte : Parce que tu crois que ton copain Michel travaille moins dur que toi ?
Guillaume : Mais enfin, Charlotte, il est fonctionnaire ! fonctionnaire de mairie !
Charlotte : Et alors ? Tu as de ces préjugés de vieux bourgeois!
Guillaume : Je ne suis pas si vieux que ça… même si je suis marié à une jolie jeune femme…
Charlotte : C’est vrai que de ce côté-là, il n’a jamais eu de chance avec les femmes. D’ailleurs je ne m’entendais pas du tout avec sa dernière amie.
Guillaume : Oh, il paraît que sa nouvelle compagne est tout à fait charmante.
Charlotte : Tu la connais ?
Guillaume : Non, je ne l’ai jamais vue.
Charlotte : Tu ne sais même pas comment elle s’appelle ?
Guillaume : Non, il tenait à nous faire la surprise en nous la présentant ce soir. Telle qu’il me l’a décrite, tu vas sûrement beaucoup l’apprécier.
Charlotte : Ce n’est pas une raison pour accepter que son frère à elle se joigne à nous.
Guillaume : Les frères des copines des meilleurs copains, c’est sacré.
Charlotte : Si tu le dis… Bon, eh bien mon cher, je crois que la meilleure chose à faire, c’est de tout annuler. Appelle Michel pour décommander.
Guillaume : Non, ce serait dommage. Ecoute, j’ai une meilleure idée : je vais lui demander d’apporter de quoi manger, de venir plus tôt, et on ferait la cuisine tous ensemble. Ça nous permettrait de faire connaissance.
Charlotte : Mais je ne veux pas que des inconnus envahissent ma cuisine !
Guillaume : Et tu dis que c’est moi le vieux bourgeois. Pour une fois que j’ai une idée originale et non conformiste…
Charlotte : Bon, d’accord. Dans ce cas je vais faire quelques courses ; pendant ce temps tu appelles Michel et tu lui expliques tout ça. Qu’est ce que je prends ?
Guillaume : Je ne sais pas, moi, des huîtres, du fois gras, du poisson, comme tu voudras.
Charlotte : Hmmm, je vois, tu me laisses me débrouiller toute seule… Bien, à tout à l’heure. (Elle met son manteau, prend un cabas et sort.)
Scène 2
Guillaume attend un instant, puis s’empare de son téléphone portable et compose un numéro.
Guillaume : Allo, bonjour ma chérie… Non, elle est sortie… Tu… tu as quelque chose à me dire ?... Non, on ne va pas pouvoir se voir aujourd’hui… Le réveillon à préparer… des invités… Enfin, je t’expliquerai… Tu me manques, tu sais… Tu m’as affolé, la dernière fois, quand tu m’as fait… tu sais quoi… J’ai très envie de recommencer… Oui, non, demain c’est le 1er de l’an, ça ne va pas être possible, mais après demain si tu veux, oui, on se voit chez toi ? Non ? tu préfères aller d’abord prendre un verre ? OK, alors à 11 heures au café de la place… ça marche… à très vite ma Sabine… bisous.
Il raccroche et décroche le téléphone fixe.
Allo, oui, Michel, c’est Guillaume. Oui, ça va, enfin, si on veut… Ecoute, on a un gros problème pour ce soir ; figure toi que la boutique du traiteur a brûlé, du coup il ne peut pas nous livrer… Non, on ne va pas annuler, mais est-ce que ça t’embêterait de venir plus tôt et de nous aider à préparer le dîner ? Non ? Je t’adore. Oui, bien sûr, tu viens avec ta copine… et son frère aussi… Je te laisse les prévenir… dès que possible… apportez ce que vous voulez, on improvisera… oui, non, comme tu dis, c’est pas ce qu’il y a dans l’assiette qui compte le plus… enfin, si, quand même un peu, surtout pour un repas… Bon, OK, à tout de suite.
Il raccroche, Coline entre.
Scène 3
Coline : Salut ’pa, je peux prendre des trucs dans le frigo pour ce soir ?
Guillaume : Pour ce soir ? Tu ne manges pas avec nous ?
Coline : Tu plaisantes j’espère… J’ai autre chose à faire que manger avec les darons… J’ai une soirée prévue avec mes potes, comme tout le monde ce soir…
Guillaume : Ta mère est au courant ?
Coline : Oui, oui…
Guillaume : Et je peux savoir où va ma fille unique ?
Coline (cherche dans le frigo) : Pas loin… Mais il n’y a rien dans ce frigo !
Guillaume : Non, le traiteur prévu ce soir a décommandé. Mais dis moi où et avec qui ce soir, et puis tu ne va pas y aller habillée comme ça !
Coline : Écoute, maman est d’accord, elle a mon numéro de portable tout comme toi, c’est le soir du réveillon et j’ai quand même 17 ans !
Guillaume : 17 pas 18 donc j’ai le droit de savoir, et cette tenue est trop…trop…
Coline : Trop explicite, c’est ce que tu veux dire ? Mets toi à la page papa, tout le monde est habillé comme ça aujourd’hui, et puis c’est la fête !!
Guillaume : Je suis sûr qu’il y aura de l’alcool en plus…
Coline : Oh et vous, y ‘aura pas d’alcool peut être ?
Guillaume : Ça suffit ! Je vais voir ça avec ta mère dès qu’elle rentrera, en attendant, veux-tu bien sortir de ma vue et aller dans ta chambre !
Coline : C’est ça, j’ai plus deux ans au cas où tu ne l’aurais pas remarqué.
Guillaume : Pourtant tu te comportes comme tel..
Scène 4
On sonne à la porte. Guillaume va ouvrir. Coline en profite pour s’échapper. On entend la voix de Gérard.
Gérard : Bonjour, ma soeur m’a dit que je devais me pointer chez vous dès que possible…
Les deux entrent en scène.
Gérard : Paraît qu’y faut vous aider à faire à bouffer.
Guillaume : Ah oui, bonjour monsieur… monsieur ?
Gérard : Mon nom c’est Gérard, vous n’avez qu’à m’appeler Gérard.
Guillaume : Oui, c’est original. Moi c’est Guillaume, très honoré. (ils se serrent la main) Ainsi donc vous êtes le frère de…
Gérard : Oui, elle m’a dit “ils ont une galère avec leur traiteur, il faut les aider à préparer le réveillon, vas-y tout de suite si tu peux”
Guillaume : Vous avez fait vite, dites-moi.
Gérard : Oh, faut dire que j’avais pas grand chose à faire ; d’ailleurs j’ai pas grand chose à faire en général, vu que je suis au chômage.
Guillaume : Mon pauvre ami, ce doit être difficile.
Gérard : Quoi ?
Guillaume : D’être sans emploi.
Gérard : Pourquoi ?
Guillaume : Eh bien être sans arrêt à l’affût d’une opportunité, passer son temps à lire les petites annonces, se sentir inutile, ça doit être une sacrée pression.
Gérard : Non, non, tout va bien.
Guillaume : Ah bon ?
Gérard : Oui, vous savez, je ne cours pas après le boulot, ça me laisse du temps pour militer.
Guillaume : Ah oui, vous faites dans l’associatif ? Social, protection de la nature ?
Gérard : Gilets jaunes !
Guillaume : Ah, il en reste encore ?
Gérard : Plus que ce que vous croyez, et prêts à débusquer les profiteurs, si vous voyez ce que je veux dire.
Guillaume : Non, je ne vois pas du tout, mais bref, votre soeur vous a passé la consigne ? Vous avez apporté quelque chose pour le dîner ?
Gérard : Ah non, moi j’ai rien apporté, j’ai pas les moyens, et puis de toutes façons je sais pas faire à manger.
Guillaume : C’est très agréable de vous avoir comme invité…
Gérard : C’est pas de l’ironie, ça ?
Guillaume : Un petit peu, si… Bon, mais si vous ne savez rien faire, pourquoi être venu si tôt ?
Gérard : Je vous l’ai dit : j’ai le temps, et je suis quelqu’un de coopératif ; on me demande d’aider, j’aide. Si vous avez...