Revolution Kids

Entre le 23 juillet 1969 et le 9 mars 1989, entre rêve et réalité, l’histoire de deux gamins poètes et misérables, ambitieux et perdus, qui se rencontrent dans le New York bouillonnant et sexuel de la fin des années soixante. Et dans ces jours de toutes les révolutions, de tous les combats, ces deux gamins vont s’aimer, s’influencer, se soutenir et se battre pour devenir, contre toute attente, deux légendes : Patti Smith et Robert Mappelthorpe.

“Christian Siméon est lauréat du Molière de l’auteur francophone vivant en 2007.”




Revolution Kids

Les enfants du lundi

Une remarque avant de commencer, évidemment presque tout est faux.

Presque.

Le noir.

Projection de l’écran d’un réveil qui indique 5 h 28.

On entend la Chanson de Solveig de Grieg.

La musique s’achève.

Le réveil passe à 5 h 29.

Lumière.

Un panneau indique : Jeudi 9 mars 1989
Hôpital de Boston
5 h 29 du matin

Un lit.

Un téléphone.

Une chambre d’hôpital.

Robert debout au centre.

Patti entre.

Elle le découvre.

Il est dans un triste état, flageolant mais debout.

Patti

Robert !

Robert

Patti ? Patti ?

Patti

Tu es debout ?

Mais qu’est-ce que tu fais debout habillé à cette heure ?

Tu devrais être couché.

Tu as arraché les tubes.

Tu es fou.

Retourne t’allonger, je vais appeler les infirmières.

Robert

N’appelle pas.

Patti

Calme-toi.

Robert

Je veux partir.

Patti

Calme-toi, je suis là.

Robert

Tu as trouvé ?

Patti

Qu’est-ce que j’ai trouvé ?

Robert

Un moyen de nous faire sortir d’ici ?

Patti

Robert. Je ne peux pas te faire sortir d’ici.

Robert

C’est incroyable que tu m’aies retrouvé dans le loft de Delancey Street…

Patti

De quoi tu parles ?

Robert

… et que tu nous aies conduits ici, ce matin. À l’hôtel Allerton.

Patti

Mais pourquoi tu parles de l’hôtel Allerton ?

Robert

Parce que c’est là où on est ?

Patti

Mais non.

Robert

Mais si. Je sais bien que je ne vais pas très fort avec cette angine ulcéreuse, mais quand même…

Patti

Ce n’est pas une angine ulcéreuse. Tu sais ce que tu as, Robert.

Robert

De la fièvre. Et j’ai perdu du poids. Et je dois rester allongé…

Patti

C’est ça. Allonge-toi.

Robert

… mais dans le loft de Delancey Street, c’était plus possible, on ne pouvait plus y rester, après les coups de feu de cette nuit.

Patti

Quels coups de feu ?

Robert

On a eu tellement la trouille quand les flics nous ont dit de nous barricader.

Et ce matin quand tu as ouvert et que tu as trouvé devant la porte la silhouette tracée en blanc du corps du mec qui a été abattu cette nuit, on a compris qu’on ne pouvait plus y rester.

Dans le loft.

On ne pouvait plus.

Heureusement que tu étais là, je ne sais pas ce que j’aurais fait tout seul.

Tu as presque dû me porter tellement je suis faible.

(Là l’auteur conseille au comédien de prendre sa respiration. À dire quasi d’une traite :)

Et tu nous as emmenés ici, à l’hôtel Allerton, et c’est bien, je ne critique pas, tu sais, je ne critique pas, c’est bien de nous avoir amenés ici, à l’hôtel Allerton, c’est le plus pourri de la Huitième Avenue et le moins cher et c’est plein de vieilles putes cramées et de camés comme des zombies à moitié à poil hérissés de seringues on dirait des oursins et qui laissent ouverte la porte de leur chambre et on n’a pas très envie de regarder et on voit quand même et c’est pas terrible mais c’est bien, si si c’est bien, on ne peut pas se payer autre chose de toute façon, mais là il faut quand même se le dire, oui là il faut, on n’a jamais été aussi bas, Patti, on n’a jamais été aussi bas.

Patti

Tu délires.

Robert

Je sais bien qu’on n’a pas un rond, mais on ne peut pas rester là, Delancey c’était déjà pas terrible, mais Allerton c’est trop dégueulasse, même pour nous.

Patti

Je vais appeler le médecin de garde.

Robert

Et on va le payer avec quoi, ton médecin ?

Patti

Arrête. J’essaie de comprendre ce que je dois faire alors arrête.

Arrête ! S’il te plaît.

Robert

Ce que tu dois faire c’est nous emmener d’ici.

Patti

Viens au moins t’asseoir sur le lit.

Tu as vu dans quel état tu es ? Tu vas te casser la gueule.

Allez ! Tu vas t’allonger. Je t’aide.

Elle le soutient et le pousse vers le lit.

Robert tend péniblement la main vers le téléphone sur la table de nuit.

Robert

Non ! Attends !

Patti

Qu’est-ce que tu fais ?

Robert

Le téléphone !

Patti

Quoi, le téléphone ?

Robert

Donne-moi le téléphone.

Patti

Pourquoi ? Tu veux appeler qui ? Il est 5 heures du matin.

Robert

Aide-moi, à la fin !

Patti

Couche-toi !

Robert

Patti ! Patti !

Patti

Ah. Tiens !

Elle prend le téléphone et le lui tend.

Il le prend, décroche, écoute puis raccroche.

Robert

Il marche.

Patti

Bien sûr qu’il marche.

Robert

Je voulais vérifier.

Patti

Tu attends un appel ?

À 5 h 29 du matin ?

Mais de qui ?

(Robert sort une petite boîte à musique et il la fait marcher. Elle égrène la Chanson de Solveig de Grieg.)

Qu’est-ce que c’est que cette boîte à musique ?

Robert

C’est ce que tu m’as ramené hier de Paris.

Patti

Hier de Paris ?

Robert

Tu n’as quand même pas oublié ?

Tu l’as achetée à Pigalle, c’est ce que tu m’as dit.

(Il écoute la petite mélodie.)

C’est la Chanson de Solveig, c’est norvégien et c’est ce que tu me ramènes de Pigalle, c’est bien toi, ça.

Et justement c’est incroyable que tu me ramènes ça.

Alors c’était comment ?

Patti

Quoi ?

Robert

Paris ?

Patti

Quoi, Paris ?

Pourquoi tu me parles de Paris ?

Arrête avec cette musique.

Robert

C’était comment ? Et ta sœur ? Elle a aimé ?

Patti

Qu’est-ce que tu racontes ?

Robert

Tu n’étais pas à Paris ?

Patti

Mais non !

Robert

Avec ta sœur ?

Patti

Oui mais pas là !

Robert

C’était quand alors, Paris ?

Je mélange tout.

Où étais-tu ?

Ah oui, à la marche contre le Pentagone ?

Non, ça ne peut pas être ça, j’y étais aussi je m’en souviens.

Patti

Oui, je m’en souviens aussi, merci.

Robert

D’ailleurs c’était quand la marche contre le Pentagone ?

Je ne sais plus.

Tu as refusé de te mettre toute nue.

Il y avait tant de monde que c’était comme si on n’était personne, j’ai détesté.

C’est la première fois qu’on s’est disputés.

Patti

Ne parle pas de ça, chaque fois on s’engueule.

Robert

Où étais-tu hier, alors ?

J’avais peur que tu ne reviennes pas.

Ou que tu ne saches pas où j’étais.

Ou que tu n’aies pas envie de me chercher.

Ou pas le temps.

Et puis je me disais : chaque fois elle me retrouve.

C’est comme ça entre nous.

Patti

Je suis là, Robert. Je suis toujours là.

Robert

Là ?

Où c’est, là ?

Où est-ce que je suis ?

Je ne reconnais pas l’hôtel Allerton.

Pourquoi je ne reconnais pas ?

Où est-ce qu’on est, Patti ?

C’est tout propre ici !

Même toi tu as changé.

Et moi ?

Je voudrais me voir.

J’ai quelle tête ?

Il doit bien y avoir un miroir quelque part.

Patti

Calme-toi.

Robert

Tire-moi de là.

C’est ce que tu as toujours fait.

Alors continue !

Emmène-moi ailleurs.

Où tu veux, c’est toi qui choisis.

Allez ! Choisis ! Ailleurs !

(Un temps.)

Tu ne dis rien ?

Tu n’as pas d’idée...

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