Rosa et les sales types

Genres :
Thèmes : · · · ·
Distribution :
Durée :

Un sujet sérieux, l’homophobie, traité sur le mode de la comédie.
Rosa, septuagénaire, est une rebouteuse réputée. Elle semble vivre une vie paisible à Roquefaye, entourée d’amis fidèles. Pourtant, sa vitalité et sa gouaille cachent une blessure profonde. Depuis trente ans elle pleure un fils tué par des voyous venus « casser du pédé » lors d’un bal d’été. Depuis trente ans, elle espère découvrir les coupables que les enquêteurs n’ont jamais pu identifier. La présence récente d’Olivier, en qui elle retrouve un peu de son fils, semble l’apaiser. Mais les temps sont venus pour qu’éclate enfin la vérité. Une délivrance pour Rosa ?

Liste des personnages (9)

Rosa DUBLINFemme • Senior
Septuagénaire rebouteuse. Énergique même si un peu rhumatisante. Elle pleure son fils Julien depuis trente ans.
Olivier RUBENHomme • Jeune adulte
Vingt-trois ans, fonctionnaire, fils du docteur Ruben.
Christelle FOURCADEFemme • Jeune adulte
Vingt-trois ans, aide ménagère de Rosa.
Père ZaccariaHomme • Age indifferent
Âge indifférent mais d’allure jeune. Curé moderne, auteur, compositeur et guitariste.
Jean PARDEILLEHomme • Adulte
Quinquagénaire, maire de Roquefaye.
SuzetteFemme • Senior
Une des amies de Rosa, septuagénaire.
GabieFemme • Senior
Une des amies de Rosa, septuagénaire.
MoniqueFemme • Senior
Une des amies de Rosa, septuagénaire.
Émile RUBENHomme • Adulte
Quinquagénaire, docteur, père d’Olivier.

Décor (1)

Décor uniqueLe salon-salle à manger d’un appartement plutôt vieillot. Il se compose d’une banquette et une table basse côté cour, ainsi qu’une table flanquée de deux chaises côté jardin. Une seule entrée et sortie de ce même côté. Au fond de la scène trônent un buffet, une table TV avec sa télévision ancien modèle. Sur le buffet, parmi d’autres objets décoratifs est posée la photo d’un jeune homme, le fils de Rosa. La pièce est décorée de plantes, bibelots et tableaux démodés.

ACTE I

 Roquefaye. Une petite agglomération entre ville et village dans le midi de la France où tout le monde se connait, ou presque. Les nouveaux habitants s’installant en périphérie, le centre abrite le cœur et l’âme de la vie locale. Rosa habite ici une petite maison de plain-pied. Ses jambes de septuagénaire ne l’autorisent pas la pratique répétée de hauts escaliers.

Nous sommes dans le salon-salle à manger de Rosa, au mobilier vieillot. Il se compose d’une banquette et une table basse côté cour, ainsi qu’une table flanquée de deux chaises côté jardin. Une seule entrée et sortie de ce même côté, qui donne sur un couloir invisible distribuant les autres pièces et la porte d’entrée de l’appartement. Au fond de la scène trônent un buffet, une table TV avec sa télévision ancien modèle. Sur le buffet, parmi d’autres objets décoratifs est posée la photo d’un jeune homme, le fils de Rosa. La pièce est décorée de plantes, bibelots et tableaux démodés. Enfin, une fenêtre virtuelle fait face au public.

Scène 1

Rosa, Olivier

 Rosa, septuagénaire pétulante, est assise, attablée. Elle a déplié un journal dans lequel elle pratique ses mots-croisés quotidiens et réfléchit à haute voix.

ROSA ― Ils sont costauds aujourd’hui… en cinq lettres : elle se trouva fort dépourvue lorsque la bille fut venue… avec un U au milieu… à condition que mon « réfuter » soit bon… ensuite, en 3 horizontal, j’ai « événement tragique »… ça, c’est facile, c’est (Elle écrit.) « dra-me »… ça me fait M en quatrième lettre… La dernière, ce doit être un E… Je ne vois toujours pas. Pfff ! Ma pauvre Rosa, tu as les neurones qui partent en compote… Il fut un temps où tu aurais fait ça les doigts dans le nez… (On entend la sonnerie de la porte d’entrée. Rosa lève la tête.) Ah ! Ce doit être mon rendez-vous. (Elle crie.) Qui c’est ?

OLIVIER, off, crie derrière la porte. Olivier Ruben. J’ai rendez-vous.

ROSA, crie. C’est ouvert. (On entend un bruit de porte qui s’ouvre et se ferme, des pas hésitants.) Au fond du couloir, à droite. (Les pas s’accélèrent.)

OLIVIER, jeune homme de 23 ans, passe la tête par la porte d’entrée du salon. Bonjour Madame Dublin.

ROSA ― Entre, mon petit. (Il entre timidement.) Entre, n’aie pas peur. Viens t’asseoir là. (Elle montre la chaise en face d’elle, plie son journal. Olivier s’assoit.) Tu veux un café ?... Si tu veux un café, tu devras retourner dans l’entrée, la cuisine est à l’autre bout du couloir…

OLIVIER — Non merci, Madame.

ROSA ― Un café ou autre chose…

OLIVIER — Merci, je n’ai pas soif.

ROSA ― Excuse-moi si je reste assise, à mon âge on économise ses pas… Alors c’est toi le fils Ruben ?

OLIVIER — Oui, Madame.

ROSA ― Oh, arrête avec les « madame ». Tout le monde m’appelle Rosa et c’est bien comme ça. Tu as quel âge ?

OLIVIER — Vingt-trois ans, madame Rosa.

ROSA ― Rosa tout court. Madame Rosa, ça fait un peu tenancière de bordel.

OLIVIER — Excusez-moi…

ROSA ― Tu es bien poli maintenant que tu as grandi. Si je me souviens bien, tu faisais partie de cette bande de garnements qui me jetait des cailloux dans les fenêtres à la sortie de l’école…

OLIVIER, se tortille sur sa chaise, gêné. Euh !... ben…

ROSA, en riant. Elle a de la mémoire la vieille, hein !

OLIVIER, honteux. Je n’avais pas dix ans…

ROSA ― Il y a prescription, ne t’inquiète pas. Ce que j’en disais, c’était juste pour mettre les pendules à l’heure. On n’en reparlera plus. D’ailleurs, si tu ne m’avais pas donné ton nom, je ne t’aurais pas reconnu. Tu as bien changé, tu es un homme à présent… Et je crois savoir que tu as quitté le village ?

OLIVIER — Oui, je vis à Paris.

ROSA, soupire. Eh oui ! Tous les jeunes s’en vont chercher du travail ailleurs, puisqu’il n’y en a plus ici, à Roquefaye… À Roquefaye, bientôt, il n’y aura plus que des vieilleries, comme moi. On devrait renommer le village. Antiquailles, tiens, ça lui irait bien.

OLIVIER — Vous exagérez, madam… euh… Rosa. Si on compte toutes les vignes qui ont été plantées ces dernières années, on pourrait aussi bien l’appeler Futailles.

ROSA ― Bien vu, mon petit. Et ton père ne pouvait pas te payer quelques arpents de vignes ? Si ça paye autant qu’on le dit.

OLIVIER — Il aurait pu. Mais moi, le pinard ce n’est pas mon truc.

ROSA ― En parlant de ton père, je suis étonnée qu’il cautionne ta présence chez une vieille rebouteuse comme moi. Le docteur Ruben n’est pas réputé pour apprécier les médecines parallèles. Il n’a jamais caché son mépris à mon égard.

OLIVIER — Mon père méprise tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Et je dois vous avouer qu’il ignore ma présence chez vous.

ROSA ― Tu es prudent. Comme tous les mal foutus qui viennent me voir. Aucun ne lui en parle.

OLIVIER — Ça vaut mieux. Quand on l’a vu piquer une colère, on n’est pas tenté de l’aiguillonner à nouveau.

ROSA ― C’est dommage. On est toujours plus efficace à deux lorsqu’on travaille de connivence… Bref, parlons de toi. Qu’est-ce qui t’amène ?

OLIVIER — Eh bien, comme je vous le disais au téléphone, j’ai une tendinite à l’épaule droite qui me fait souffrir depuis plus de six mois… (Il pose avec difficultés son bras droit sur la table.)

ROSA ― Ah oui, je vois…

OLIVIER — Je ne peux plus lever le bras, ni même soulever une plume.

ROSA, s’écrie soudain. Plume ! C’est ça : plume ! (Elle déplie précipitamment son journal.)

OLIVIER — Pardon ?

ROSA, en remplissant les cases de ses mots croisés. Plume ! Elle se trouva fort dépourvue lorsque la bille fut venue, c’est la plume. P-L-U-M-E. Tu m’as enlevé une belle épine du pied, mon petit.

OLIVIER — Oui, mais…

ROSA, replie son journal. Oui, ton bras, je ne l’oublie pas. C’était juste une parenthèse. Approche. (Elle l’engage à s’avancer au maximum vers elle pendant qu’elle lui pose la main sur l’épaule.) Alors, tu traînes ça depuis six mois… Tu aurais dû venir avant.

OLIVIER — C’est que j’ai suivi l’ordonnance de mon père, avant de perdre patience.

ROSA ― Bien sûr, je comprends. Je vais t’arranger ça, mon petit. Mais il faudra deux ou trois séances. Tu es trop ankylosé pour espérer régler ça rapidement. (Elle lâche son épaule, pour lui prendre les mains.) Oh, mais dis-moi, il n’y a pas que ça, mon petit. Tu as des problèmes d’estomac… et les reins aussi. Tu as régulièrement des calculs dans les reins…

OLIVIER — Comment vous le savez ?

ROSA ― Je le vois. Ou je le sens, comme tu voudras… (Elle lâche ses mains.) On va passer au canapé, on sera mieux. Prends une chaise et emmène-la moi près de la banquette, s’il te plaît. (Olivier obéit avec la main gauche.) Tu es droitier ?

OLIVIER — Oui. Vous comprenez à quel point cette tendinite m’handicape.

ROSA ― Oui… Mets la chaise bien en face de la banquette… pousse la table basse… voilà, comme ça. Assieds-toi sur la banquette… Bien ! (Elle se lève pour aller s’asseoir sur la chaise collée à la banquette.)

OLIVIER — Mais vous marchez !

ROSA ― Bien sûr que je marche. Je ne suis pas paralysée.

OLIVIER — Je veux dire : vous marchez bien.

ROSA ― Je marche bien, mais pas longtemps. Je te l’ai dit, je m’économise… Parce que je fatigue vite… Mauvaise circulation du sang.

OLIVIER — Vous devriez voir mon père.

ROSA ― Et puis quoi encore ! Pour qu’il me traite de sorcière ?

OLIVIER — Ou un autre docteur, peu importe. La circulation du sang, c’est un problème que soignent tous les docteurs.

ROSA ― J’y songerai… Pour l’instant, c’est toi qui dois être soigné. Enlève ça… (Le bras d’Olivier doit être nu. Rosa lui fera donc enlever ou retrousser tout vêtement qui le cachera.) Détends-toi… (Elle va manipuler le bras d’Olivier durant tout le dialogue qui suit, en faisant des stations en différents points, en massant certains avec les pouces.) Par moments, ça risque d’être douloureux, mais je ne peux pas faire autrement… tu serreras les dents…

OLIVIER — Si ça peut me soulager.

ROSA ― Ça ira mieux, tu peux me croire, ce n’est pas ma première tendinite…

OLIVIER — Moi si. Et j’espère que ce sera la dernière.

ROSA ― Et à part ta tendinite, ça se passe bien à Paris ?

OLIVIER — Euh… oui.

ROSA ― Qu’est-ce que tu fais là bas ?

OLIVIER — Je suis fonctionnaire.

ROSA ― Je ne perçois pas un grand enthousiasme.

OLIVIER, avec une conviction forcée. Si, si… Aie !

ROSA ― Je t’ai prévenu, ça peut être douloureux…

OLIVIER — Allez-y, j’essayerai de souffrir en silence.

ROSA ― Tu as l’air de savoir faire ça, je me trompe ?

OLIVIER — Quoi ?

ROSA ― Souffrir en silence… (Olivier ne répond pas. Rosa laisse passer un temps.) Tu sais, l’esprit et le corps sont intimement liés. Lorsque ton estomac refuse de digérer, et que cela dure, c’est qu’il y a quelque chose, dans ta vie, que ton esprit ne parvient pas à digérer non plus. C’est une image, évidemment… Pareil pour tes calculs rénaux à répétition. Tant que tu n’auras pas réglé les problèmes qui te minent, tu souffriras de ces maux là. Tu comprends ? (Rosa laisse passer un temps, attendant d’Olivier une réaction qui ne vient pas.) L’esprit et le corps sont liés, et c’est souvent le cul qui mène la barque. Je suis directe parce qu’à mon âge on peut parler de cul sans honte… Si c’est la pudeur qui te paralyse, sache que j’en ai entendu des plus que salées, et que je ne suis pas là pour juger mais pour soigner…

OLIVIER, un peu pincé. Votre sollicitude me touche, mais je ne suis pas venu dans l’idée de me faire psychanalyser.

ROSA ― Comme tu voudras. Mais penses-y. Tu ne retrouveras ton équilibre physiologique que le jour où ta tête baignera dans la sérénité.

 

Scène 2

Rosa, Olivier, Christelle

 On sonne. Immédiatement après, on entend le bruit de la porte qui claque et des pas dans le couloir.

CHRISTELLE, off. C’est moi. Je peux entrer ?

ROSA, fort sans cesser de manipuler Olivier. Je suis avec un beau jeune homme. Mais tu peux entrer, il est dans une tenue décente.

CHRISTELLE — Quel dommage ! (Entre la jeune fille, un sac à provisions à la main.) Vous me décevez, Rosa. Vous ne déshabillez que les vieux. (Elle vient déposer son sac sur la table.) Il n’y a pas moyen de se rincer l’œil. Bonjour quand même...

ROSA ― Bonjour ma petite.

OLIVIER — Bonjour Christelle.

CHRISTELLE, dévisage Olivier. Olivier ! Je ne t’avais pas reconnu. Tu as maigri !

ROSA ― Vous vous connaissez ?

CHRISTELLE — On a été à l’école ensemble, de la maternelle au lycée, c’est pour dire… Il y a tout de même un moment qu’on ne s’est pas vus. Tu es en vacances ?

OLIVIER — Oui.

CHRISTELLE — Ça te fera du bien. L’air parisien ne te réussit pas. Tu es tout pâle.

OLIVIER, ironique. À part ça, je vais bien, merci… Ah, j’oubliais ! En plus d’être pâle et maigre, j’ai un bras à moitié paralysé.

CHRISTELLE — Rosa va t’arranger ça vite fait. Elle est très forte.

ROSA ― Holà ! Doucement ma petite. Rosa est très forte, mais elle ne fait pas encore de miracles.

CHRISTELLE — Vous êtes en train de soigner le fils du fameux docteur Ruben que nous envie tout le département. Si ce n’est pas un miracle, ça !

ROSA ― Vu sous cet angle, je suis forcée de te donner raison. Mais ne va pas l’ébruiter, qu’on risquerait de me coller une auréole sur la tête avant de m’empailler pour me suspendre entre Saint Roch et Sainte Rita, à l’église.

CHRISTELLE — Depuis le temps que le curé espère vous y voir, à l’église…

ROSA ― C’est la seule façon qu’il peut prétendre m’y voir… Morte !

OLIVIER — Aie !

ROSA ― Si ça fait mal, c’est que je suis au bon endroit…

OLIVIER — Je confirme, c’est douloureux. Mais puisque c’est normal… Un instant, j’ai craint que l’évocation du curé vous déconcentre.

ROSA ― Rassure-toi. Le curé, s’il m’enquiquine parfois, ne me déconcentre pas pour autant… Encore un peu de patience, j’ai bientôt fini.

OLIVIER, grimace de douleur. Et toi, Christelle, tu te fais soigner par mada… par Rosa ?

CHRISTELLE — Moi ? Non, pas du tout. Je suis son aide-ménagère. Je lui fais son ménage, ses courses, je lui tiens compagnie… Le boulot ne  court pas les rues, par ici. Alors, en attendant mieux…

ROSA ― Je te remercie pour le mieux.

CHRISTELLE, sur le ton de la plaisanterie. C’est qu’elle n’est pas facile à vivre, Rosa.

ROSA, même ton. Moi aussi j’aimerais trouver mieux, cette pauvre petite n’est pas fichue de retenir une liste de courses.

CHRISTELLE — Oh ! Alors ça, ce n’est pas vrai.

ROSA ― Est-ce que tu as pris du gruyère ?

CHRISTELLE, sort le fromage du sac à provisions pour le poser sur la table. Gruyère !

ROSA ― Et la chair à saucisse ?

CHRISTELLE, sort un autre paquet du sac. Chair à saucisse !

ROSA ― Les courgettes ?

CHRISTELLE, sort les courgettes. Trois courgettes !

ROSA ― Les yaourts à la vanille ?

CHRISTELLE, sort les yaourts. Yaourts !

ROSA ― Une plaquette de beurre ?

CHRISTELLE, sort le beurre. Beurre !

ROSA ― Un paquet de riz ?

CHRISTELLE, sort le riz. Riz !

ROSA, abandonnant le bras d’Olivier. C’est fini pour aujourd’hui.

CHRISTELLE — Check-list OK ! (Elle remet les paquets dans le sac.)

ROSA, tournée vers Christelle. Non, ce sont les soins du petit qui sont terminés. Toi, tu as encore oublié les bonbons et les gâteaux.

CHRISTELLE — Je ne les ai pas oubliés. Et vous le savez très bien. Vous mangez trop de sucreries, et à votre âge ce n’est pas bon.

ROSA, à Olivier. Tu vois comme elle me maltraite ?

CHRISTELLE — De toute façon, je sais très bien que vous en achetez en cachette quand vous allez au cimetière.

ROSA ― Et en plus, elle me surveille !

OLIVIER — Elle a raison. Vous devriez faire une prise de sang et vous sauriez exactement où vous en êtes.

ROSA ―...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Connectez vous pour lire la fin de ce texte gratuitement.



Retour en haut
Retour haut de page