Rosimond, le fantôme de Molière

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Rosimond, auteur de théâtre et comédien fameux du théâtre du Marais, fougueux et imprévisible, toute sa vie cherchera à égaler Molière dont il était de 20 ans son cadet. C’est la confrontation entre ces deux monuments que nous vous livrons: harcèlement, jalousie, coups bas, frustration, ambition, manigances, désirs, Rosimond restera jusqu’à sa mort, inébranlable!

SCÈNE 1

THÉÂTRE DU PALAIS-ROYAL/LOGE DE MOLIÈRE.

Soir du 17 février 1673, Molière s’apprête à jouer le rôle d’Argan dans « Le malade imaginaire ». Il se maquille et répète son texte devant sa glace. Il est éreinté et pris d’une méchante toux chronique.

MOLIÈRE. -

Ce qui me plaît, de Monsieur Fleurant mon apothicaire, c'est que ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de Monsieur, trente sols». Oui, mais, Monsieur Fleurant… ce n'est pas tout que d'être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. (Il tousse.) Maudite toux ! Ah Chienne, ah ! Charogne !... (Il prend la clochette d’Argan et sonne Armande.) Drelin ! Drelin ! Armande ! (Il tousse à nouveau.) Ah ! traîtresse ! Vas-tu t’ôter de moi. (Il actionne à nouveau la clochette.) Armande ! Madame Molière ! Jamais là quand on a besoin d’elle. (Il tousse.)

On frappe à la porte. On entend la voix de Rosimond qui contrefait le régisseur.

Voix de ROSIMOND (contrefaisant le Régisseur.). -

Dans dix minutes monsieur de Molière.

MOLIÈRE. -

Déjà ? Pourquoi ? Quelle heure ? Quel jour ?

Voix de ROSIMOND (Régisseur.). -

Le jour de votre trépas Monsieur de Molière, 17 février 1673.

MOLIÈRE. -

Qui parle ?

Voix de ROSIMOND (Régisseur.). -

Du parterre au balcon, tout est comble, votre public vous attend.

Molière continue de se maquiller.

Voix de ROSIMOND (déclame une réplique de Don Juan de Molière.). -

Jean-Baptiste tu n’as plus qu’un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du ciel. Si tu ne te repens pas, ta perte est résolue.

MOLIÈRE. -

Qui ose tenir ces paroles ?

Voix de ROSIMOND. -

Je t’invite à venir souper avec moi ce soir.

MOLIÈRE (déclame une réplique de son Don juan.). -

Je crois connaître cette voix ? C’est une mauvaise plaisanterie, vous ne m’aurez pas, sortez de mon esprit. (Il se dirige vers la porte et l’ouvre brutalement. Personne. Il hurle.) Ce n’est pas Dom Juan que je joue, mais Argan. (Il referme la porte. Il est pris d’une convulsion. (On frappe à nouveau.) Entrez ! (Apparaît Rosimond, Molière semble horrifié.) Ah ! Je le savais ! Cette voix brouillonne et vulgaire. Tu n’es pas le commandeur, il est déjà écrit, et par moi ! Usurpateur !

ROSIMOND. -

La fièvre vous fait délirer Molière. Vous ne pouvez jouer dans cet état.

MOLIÈRE. -

Ne t’approche pas, Satanas, je ne veux rien de toi.

ROSIMOND. -

Vous devez accepter votre défaite. Votre corps ne vous répond plus. Je suis là. Profitez de moi, je vous remplace. Le public me connaît, il m’acclame tous les soirs au Marais. Allez, lâchez, pour l’honneur de notre profession.

MOLIÈRE. -

Jamais ! Tu n’es que mensonges, sortilèges, subterfuges, tu viens ici pour m’achever. Je te perce à présent.

ROSIMOND. - joueur

Aïe !

MOLIÈRE. -

Le fond de ton âme est noir. Armande avait raison, je m’y serais perdu si je t’avais engagé dans ma troupe.

ROSIMOND. -

C’est votre ambition qui vous a aveuglé.

MOLIÈRE. -

Tu m’aurais englouti.

ROSIMOND. -

Nous avons un point commun tous les deux : On tombe, on se fracasse mais on se relève toujours.

MOLIÈRE. -

Je n’ai rien de commun avec toi. Tu penses me remplacer : quelle indécence ! Retourne dans ton petit théâtre du Marais, là est ta place. Tu ne seras jamais moi, tu entends, jamais… (Il se met à cracher du sang.)

ROSIMOND. -

Je n’ai jamais voulu être vous, vous égaler sans aucun doute et je n’ai pas fini d’y travailler. Vous ne devriez pas jouer ce soir.

MOLIÈRE. -

Et pourquoi non ? Je serais à la démesure de mon personnage. Le public me portera, m’acclamera comme il l’a toujours fait. Ôte-toi de ma vue, opportuniste.

ROSIMOND. -

Mais regardez-vous ! (Il lui montre son visage dans un miroir) Vous avez besoin de repos. Laissez-moi respirer à votre place. J’ai tout appris, j’ai votre prose et vos vers en bouche depuis si longtemps, je vais jouer avec vos mots comme un acrobate, extraire la peinture de vos personnages.

MOLIÈRE. -

Mes personnages seraient insultés si tu les habitais. Sors d’ici monstre funeste !

ROSIMOND. -

Toutes ces années de combat acharné ne riment à rien. Il est temps de nous apaiser vous ne croyez pas ?

MOLIÈRE. -

Emberlificoteur !

ROSIMOND (récite quelques débuts de répliques du « Malade imaginaire ».). -

Mamie, vous me fendez le cœur… Tout le regret que j’aurai si je meurs… Il faut faire mon testament mamour.

MOLIÈRE (Il expectore.). -

C’est mon Malade, c’est ma pièce ! Holà ! Armande ! Holà quelqu’un ! Drelin ! Drelin ! (À Rosimond.) Moi vivant, jamais tu ne déposeras un pied sur la scène du Palais-Royal, mon théâtre. Tu portes malheur, tu me fais peur !

ROSIMOND (Il lui tend une potion.). -

Prenez ceci.

MOLIÈRE. -

Tu veux m’empoisonner en plus.

ROSIMOND. -

J’ai encore besoin de vous.

MOLIÈRE. -

Ah ! (Il expectore dans une coupelle.) Maudit soit…

ROSIMOND (se dirige lentement vers la porte.). -

Je reste aux alentours.

MOLIÈRE. -

Vautour !

ROSIMOND (en sortant avec une réplique de Don Juan.). -

Ô ciel ! Que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n’en puis plus et tout mon corps devient ardent.

Coup de tonnerre.

 

 

 

 

 

SCÈNE 2

1657 - TAVERNE PARISIENNE -

Rosimond 16 ans plus tôt. Il est assis seul devant un pichet de vin, il déclame des vers de Mascarille dans « l’Étourdi » de Molière. Il est passablement ivre. Une jeune femme, La Guiot, le regarde amusée, elle s’approche.

ROSIMOND (déclame à son pichet.). -

Taisez-vous ma bonté, cessez votre entretien,

Vous êtes une sotte, et je n’en ferai rien.

Oui, vous avez raison, mon courroux, je l’avoue ;

Relier tant de fois ce qu’un brouillon dénoue,

C’est trop de patience, et je dois en sortir.

LA GUIOT. -

C’est bien dit, c’est de vous ?

ROSIMOND (continue de déclamer.). -

Mais aussi, raisonnons un peu sans violence :

Si je suis maintenant ma juste impatience,

On dira que je cède à la difficulté,

Que je me trouve à bout de ma subtilité.

ROSIMOND. -

Non, de Molière !

LA GUIOT. -

Molière ? Jamais entendu parler.

ROSIMOND. -

Votre candeur me plaît. Oh ! Si la chance m’était donnée de le rencontrer. Il est l’excellence !

Tavernier, un pichet.

LA GUIOT. -

Vous en avez pas mal éclusé, ce me semble.

ROSIMOND. -

Pas assez pour m’obscurcir l’esprit.

LA GUIOT. -

Vous êtes comédien ?

ROSIMOND. -

Un comédien sans troupe, un comédien dans l’âme, un comédien qui n’a jamais joué à part chez les jésuites quand j’étais collégien, mais comédien je suis, le théâtre m'attend.

LA GUIOT. -

Ça se pourrait. Vous avez une voix, une aisance, un physique.

ROSIMOND. -

Vous me réchauffez l'âme.

LA GUIOT. -

Vous êtes un comique. Avec de l’expérience, vous pourrez le séduire.

ROSIMOND. -

Molière ?

LA GUIOT. -

Le public, voyons.

ROSIMOND. -

Ah ! Et vous ?

LA GUIOT. -

Moi, je suis comédienne.

ROSIMOND. -

Vraiment ? Si jeune et déjà amorale !

LA GUIOT. -

J’aime la fantaisie ! La chance m’a souri. (Ils trinquent.) Je viens de ma province, tout droit jusqu’ici. Dès la semaine prochaine, j’intègre une compagnie.

ROSIMOND. -

Mais quel âge avez-vous ? Pardon ! Vous êtes si jeune.

LA GUIOT. -

Vous l’avez déjà dit.

ROSIMOND. -

C’est comme une caresse. Redire ce qui plaît, c’est toucher de plus près.

LA GUIOT. -

C’est de Molière aussi ?

ROSIMOND. -

Non, c’est de mon invention pure.

LA GUIOT. -

Et vous quel âge avez-vous ?

ROSIMOND. -

Dix-sept ans.

LA GUIOT. -

Vous ne les faites pas.

ROSIMOND. -

Vous trouvez ?

LA GUIOT. -

Vous faites tellement plus.

ROSIMOND. -

Eh bien, je serai votre protecteur.

LA GUIOT. -

Ah ! Non, je n’ai besoin de personne et m’en trouve très bien… Si vous partiez avec nous ?

ROSIMOND. -

A peine arrivée, vous fuyez déjà ?

LA GUIOT. -

Rosidor…

ROSIMOND (rectifie.). -

Rosimond

LA GUIOT. -

Non ! Rosidor c’est notre chef de troupe. Nous sommes six. Nous allons jouer “l’amant indiscret” de Quinault ? Vous connaissez ?

ROSIMOND. -

Je connais tout.

LA GUIOT. -

Il manque le valet, vous y seriez parfait. Rosidor joue le rôle du maître. Vous pourriez faire un couple intéressant. Nous partons en province, Dijon, Lyon, Rouen puis Bruxelles et même la Hollande.

ROSIMOND. -

Diantre ! Tout un programme.

LA GUIOT. -

C’est un homme de troupe, il sait choisir ses comédiens.

ROSIMOND. -

Vous êtes amoureuse, ça se voit, non ne dites rien !

LA GUIOT. -

J’ai besoin d’argent et il n’est pas déplaisant.

ROSIMOND. -

C’est bien là mon tourment.

LA GUIOT. -

Je sens que nous allons faire deux bons amis vous et moi.

ROSIMOND. -

C’en est trop, je me meurs.

LA GUIOT. -

Qu’avez-vous ?

ROSIMOND. -

Vous me crevez le cœur.

LA GUIOT (souriant). -

Là, vous en faites de trop. Alors, je vous présente à Rosidor ?

ROSIMOND. -

Je vous suis.

Il déclame une réplique tirée de la pièce ”Les qui pro quo ou le valet étourdi” de Rosimond.

ROSIMOND. -

Ah ! quand je vois tes deux yeux pétillants comme du vin Claret, ta bouche rouge et fraîche ainsi qu’une cerise, ton teint uni, vif et de couleur exquise, tes petits doigts mignons et tes mains, je me pâme. Et peu s’en faut ma foi, que je ne rende l’âme. (Il conclut.) Je réclame une maîtresse, il me tombe une sœur. (Il reprend.) Jarny ! quand je te touche… (à La Guiot.) Quel est ton petit nom ?

LA GUIOT. -

Judith

ROSIMOND. -

Jarny ! quand je te touche, Judith mon amour, l’eau me vient à la bouche.

 

 

 

 

 

SCÈNE 3

ROUEN. ÉTÉ 1658.

JEU DE PAUME DES BRAQUES.

Molière, 15 ans plus tôt, est sur la scène, songeur le regard face à la salle plongée dans la pénombre. Il vient de terminer la représentation de l’étourdi. Armande, des coulisses, l’interpelle. Rosimond, caché, les observe.

ARMANDE. -

Jean-Baptiste ! Jean-Baptiste ! (Elle pénètre sur la scène et s’approche lentement de lui. D’une voix douce.) Jean-Baptiste ?

MOLIÈRE (flottant.). -

Mon...

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