Silence, on tourne !

BAPTISTIN (Au public.)
– Bon, alors, vous avez tous l’habitude de faire de la figuration sur des tournages, je ne vais pas vous expliquer comment ça se passe. Aujourd’hui, c’est très simple : vous êtes censés être un public de théâtre, puisque la séquence que nous allons tourner se passe pendant la représentation d’une pièce de théâtre. Le film s’appellera “Une étoile est morte”. Ça raconte la vie d’une grande comédienne qui est morte sur scène pendant une représentation, assassinée par son mari jaloux qui était dans la salle. Et aujourd’hui, nous allons tourner cette séquence : celle où le mari jaloux tue sa femme. Ça risque d’être assez long. À mon avis, vous êtes là pour sept ou huit heures… enfin, si on n’a pas trop de retard…




Silence, on tourne !

Scène 1

Noir salle, musique. À l’ouverture du rideau, la nature du son de la musique change, elle n’est plus dans la salle mais vient d’une radio. Jojo entre. Elle s’adresse en coulisses à des gens qu’on ne voit pas.

JOJO Eh, les gars ? Vous me coupez cette musique ! (Fin musique.) Au boulot ! Dépêchez-vous ! Il va pas se faire tout seul, le film. Et vous m’apporterez la vasque… Vous la mettrez là ! (Elle désigne une marche de l’escalier. Elle voit des seaux d’eau près du bassin.) Et le bassin ? Il va se remplir tout seul ? Faut que je fasse tout, ici !

Elle vide les seaux d’eau dans le bassin. Baptistin entre avec un mégaphone et un paquet de feuilles à la main. Le mégaphone fonctionne mal.

BAPTISTIN (Dans le mégaphone.) Un, deux ! Essai mégaphone ! Un, deux ! Essai mégaphone ! Ça marche pas ! Jojo, il marche pas !

JOJO Tu les as trouvés où, tes techniciens ?

BAPTISTIN Comment ?

JOJO Non, parce qu’ils foutent rien à part écouter de la musique.

BAPTISTIN Je m’en occupe.

JOJO Je te préviens, je ne vais pas me coltiner tout le boulot.

BAPTISTIN Non, non, t’inquiète pas. Je m’en occupe.

JOJO T’as vu ? Les figurants sont en place. (Elle montre le public.)

Éclairage public.

BAPTISTIN (Au public.) Ah ! parfait ! (Dans le mégaphone. On ne comprend rien.) Bonjour à tous ! Je me présente : je suis Baptistin, le premier assistant, et aujourd’hui…

JOJO Arrête ! C’est pas la peine, il marche pas ton truc.

BAPTISTIN Si, ils ont compris. (Au public.) Non ? Je suis Baptistin, le premier assistant.

JOJO Ça ira, t’as assez de monde ?

BAPTISTIN Oui, c’est parfait.

JOJO Le bassin est plein d’eau.

BAPTISTIN Ah ! très bien !

JOJO En revanche, le cascadeur n’est toujours pas là.

BAPTISTIN Je m’en occupe aussi. (Jojo sort. Au public.) Bon, alors, vous avez tous l’habitude de faire de la figuration sur des tournages, je ne vais pas vous expliquer comment ça se passe. Aujourd’hui, c’est très simple : vous êtes censés être un public de théâtre, puisque la séquence que nous allons tourner se passe pendant la représentation d’une pièce de théâtre. Le film s’appellera Une étoile est morte. Ça raconte la vie d’une grande comédienne qui est morte sur scène pendant une représentation, assassinée par son mari jaloux qui était dans la salle. Et aujourd’hui, nous allons tourner cette séquence : celle où le mari jaloux tue sa femme. Ça risque d’être assez long. À mon avis, vous êtes là pour sept ou huit heures… enfin, si on n’a pas trop de retard… mais ne vous inquiétez pas, y aura une pause pipi toutes les quatre heures et une collation vous sera offerte, moyennant trente euros !

Francis entre, enjoué.

FRANCIS Ah ! mon petit Baptistin ! Ça avance ? On en est où ?

BAPTISTIN Ça y est, les figurants sont en place.

FRANCIS (Au public.) Ah ! bonjour à tous !

BAPTISTIN (Au public.) Francis, notre réalisateur.

FRANCIS (Il regarde dans le viseur de champ qu’il a autour du cou.) Ah oui… C’est bien… C’est bien, mais j’ai pas besoin d’autant de personnes.

BAPTISTIN Ah bon ?

FRANCIS Non. Pour ce qu’on va tourner aujourd’hui, le cadre n’ira pas plus loin que ça.

BAPTISTIN Quoi ? Dixième rang ?

FRANCIS Oui, dixième rang, c’est bon.

BAPTISTIN D’accord ! (Au public.) Bon, alors au-delà du dixième rang, vous pouvez rentrer chez vous. Vous serez payés, bien sûr.

FRANCIS Ah ! oui mais non, pardon, je me trompe ! En fin de journée, on fait les contrechamps. J’ai besoin d’une salle pleine, en fait.

BAPTISTIN (Au public.) C’est bon, bougez pas.

FRANCIS T’as pas vu Lola ?

BAPTISTIN Elle est dans sa loge, je crois.

FRANCIS J’ai une grande nouvelle à lui annoncer.

BAPTISTIN Ah oui ? C’est quoi ?

FRANCIS Figure-toi que j’ai parlé à ma femme et… (Il se souvient qu’ils ne sont pas seuls et s’interrompt. Au public.) À tout à l’heure ! Merci ! (À Baptistin.) Tu me dis quand on est prêts à tourner !

Francis sort.

BAPTISTIN (Au public.) Alors, sinon, attention aux portables. N’oubliez surtout pas de les couper. Et pas de photos ni de vidéos pendant le tournage.

Philippe entre.

PHILIPPE Bonjour, mon Baptistin !

BAPTISTIN Ah ! Philippe !

PHILIPPE (Il découvre le public.) Ah ! bonjour à tous !

BAPTISTIN (Au public.) Philippe Bricourt, qu’on ne présente plus. Il jouera le rôle du mari et sera avec vous dans la salle, d’ailleurs.

PHILIPPE (Au public.) Ça va bien ? Je suis sûr qu’on va faire du bon boulot, aujourd’hui. Hein, mon Baptistin ?

BAPTISTIN Oui, oui. J’étais en train de leur expliquer…

PHILIPPE (Au public.) Figurant ! Quel métier merveilleux ! On ne vous voit pas, vous êtes mal payés, vous n’avez aucun avenir, et pourtant on ne peut pas se passer de vous. Ça fait réfléchir.

BAPTISTIN Justement, j’étais en train de…

PHILIPPE J’ai commencé comme figurant, sur Germinal. C’est là que Claude Berri m’a repéré. Je m’en souviens comme si c’était hier. On allait tourner, j’étais à côté de Gérard… Depardieu, je poussais un wagonnet et Claude me dit : « Toi, là-bas, tire-toi ! »

BAPTISTIN Il t’a viré ?

PHILIPPE Oui ! Parce que ça a toujours été mon problème, je rayonne de trop !

BAPTISTIN T’es phosphorescent ?

PHILIPPE Non, je rayonne de trop. J’ai trop de présence, si tu veux.

BAPTISTIN Ah ! d’accord !

PHILIPPE On ne voit que moi ! Tu me mets dans une foule ou à côté d’une vedette, on ne voit que moi ! Je le fais pas exprès, c’est comme ça, j’y peux rien. Je rayonne !

BAPTISTIN Ça doit être drôlement handicapant.

PHILIPPE Tu parles ! Ça peut foutre une carrière en l’air !

Jojo entre, elle ne voit pas Philippe et pourtant il est juste en face d’elle. Cette situation va se répéter tout au long de la pièce avec d’autres personnages. Pour que le comique fonctionne, il faut que Philippe soit toujours dans le champ de vision de celui qui le cherche et celui qui le cherche ne le voit sincèrement pas.

JOJO Baptistin ?

BAPTISTIN Oui ?

JOJO T’as pas vu Philippe ?

PHILIPPE Ben… je suis là !

JOJO Ah ! pardon ! Je t’avais pas vu. Tiens, viens avec moi, je vais te donner ton pistolet.

PHILIPPE Je te suis. (Au public.) À plus tard.

BAPTISTIN (Il lui tend des feuilles.) Tiens, Philippe, ton texte pour aujourd’hui.

PHILIPPE Merci !

Philippe et Jojo sortent.

BAPTISTIN (Au public.) Donc, je vous disais qu’on allait tourner la séquence où le mari jaloux, interprété par Philippe Bricourt, interrompt la représentation pour menacer sa femme, qui est en train de jouer sur scène.

Francis apparaît en haut de l’escalier.

FRANCIS Je trouve pas Lola !

BAPTISTIN Je ne sais pas…

FRANCIS Et le cascadeur, il est arrivé ?

BAPTISTIN Non, pas encore !

FRANCIS J’ai une grande nouvelle à lui annoncer.

BAPTISTIN Il va être content.

FRANCIS Oui… mais non, pas au cascadeur, à Lola ! (En sortant.) Quelqu’un a vu Lola ?

BAPTISTIN (Au public.) Donc je vous disais qu’on allait tourner la séquence où le mari jaloux interrompt…

ROSE (Off.) Baptistin !

BAPTISTIN Oui ?

ROSE (Off.) Baptistin !

Rose entre en peignoir, un filet sur la tête et une perruque à la main. Elle est suivie de Christina, la maquilleuse-habilleuse.

BAPTISTIN Ah ! Rose… (Au public.) Rose Couteau, que vous connaissez tous, bien sûr. (À Rose.) Tu as vu ? Les figurants sont en place.

ROSE Tu l’as trouvée où, la nouvelle maquilleuse ? (À Christina.) Tiens, viens là, toi, viens !

BAPTISTIN C’est Christina, une amie de Jojo. Pourquoi ?

ROSE C’est une cruche, elle est nulle, complètement idiote !

BAPTISTIN (Il désigne Christina.) À mon avis, elle peut t’entendre.

ROSE T’inquiète pas, elle ne parle pas un mot de français. Christina.) Hein, t’es cruche ?

CHRISTINA Da.

ROSE (À Baptistin.) Tu vois ! Ça fait une heure qu’elle essaie de me mettre une perruque et un chapeau, et ça ne tient pas.

BAPTISTIN (Il regarde le haut de sa tête.) Elle est très bien, ta perruque.

ROSE Non mais là je l’ai pas ! Elle est là !

BAPTISTIN Ah oui ! Elle est mieux celle-là.

ROSE Tu peux lui expliquer comment on fait tenir une perruque et un chapeau ?

BAPTISTIN Bien sûr ! Christina ?

CHRISTINA Da.

BAPTISTIN Alors, perruque, chapeau… bien tenir sur la tête de Rose avec des… (Il fait un geste avec les mains, comme pour mimer des épingles.)

CHRISTINA Agrafes ?

BAPTISTIN Oui… Non ! Non, pas des agrafes… tenir avec des…

CHRISTINA Clous ?

BAPTISTIN Non plus ! Changez de rayon, c’est pas par là… C’est tout petit comme ça… (Il mime un mouvement tournant.)

CHRISTINA Vis ?

ROSE Bon, allez, ça suffit, je vais me débrouiller. (Elle arrache la perruque des mains de Baptistin.) Elle est folle !

Rose sort, suivie de Christina.

CHRISTINA Ah ! colle ! Da, da !

BAPTISTIN Non, non, pas… (Il revient, au public.) Oui, bon, qu’est-ce que je disais ? Ah oui ! Alors attention, c’est très important, après chaque pause n’oubliez surtout pas de bien reprendre vos places, sinon on ne sera pas raccord. (Il observe les premiers rangs.) C’est pas très crédible, les couples, là, au premier rang. Ils vous ont mis n’importe comment, on n’y croit pas du tout… Vous allez changer de place. Ce serait mieux que monsieur, là, soit avec madame… Et que monsieur, là, soit avec… monsieur ! Et puis les costumes, ils vous ont pas gâtés… Elle a fait n’importe quoi, la costumière. Elle a fait un vide-grenier ou quoi ? C’est pas de votre faute, vous n’y êtes pour rien, je me doute bien que ce n’est pas vous qui avez décidé de vous habiller comme ça ! Vous êtes censés être au théâtre, alors c’est un peu chic et là… (À une spectatrice.) Ils n’avaient pas une autre robe, madame ? Non, parce que le film est censé se passer à notre époque, et là… Bon, c’est pas grave, on verra ça plus tard.

Lola entre, en peignoir.

LOLA Baptistin ? Pour la séquence d’aujourd’hui, j’ai une ombrelle ou pas ?

BAPTISTIN Oui, je pense. Tiens, Lola, ton texte pour aujourd’hui. (Il lui tend des feuilles.)

LOLA Ah oui ! Merci.

BAPTISTIN (Au public.) Lola, notre jeune première.

LOLA (Au public.) Bonjour ! (À Baptistin.) Qui sont ces gens ?

BAPTISTIN Ben ce sont les figurants, pour faire le public !

LOLA Ah bon ? Mais je ne savais pas qu’on aurait des vraies gens !

BAPTISTIN Si… C’est plus écologique.

LOLA Vous êtes tous des vraies gens ?

PUBLIC Oui !

LOLA Ah oui ! Ils parlent ! Qu’ils sont beaux ! (À Baptistin.) Regarde comme ils sont beaux !

BAPTISTIN Pas tous.

LOLA Ils ont l’air gentils. (Elle s’approche du public.)

BAPTISTIN T’approche pas trop, on ne sait jamais.

LOLA Et ils sont calmes. Ils sont très calmes. Ils dorment, peut-être.

BAPTISTIN Déjà ? Au fait, Francis te cherche partout.

LOLA Mais je suis là, je suis là… (Au public.) À tout de suite. (À Baptistin.) Dis-moi, c’est quoi cette odeur de colle dans les loges ?

BAPTISTIN C’est rien, c’est Rose qui est en travaux. (Lola sort. Il s’adresse au public.) Bon ben voilà, je crois que je vous ai tout dit. Ah oui ! Une dernière chose encore : en tant que public, vous aurez des réactions à faire, comme un vrai public… des applaudissements, des rires, toussoter, crachoter… peut-être une standing ovation à la fin, on verra.

Francis entre par le fond.

FRANCIS (À la cantonade.) Bon ! Tout le monde est prêt ? Il faut y aller, maintenant.

BAPTISTIN Oui, oui, j’étais en train de voir les réactions avec les figurants. D’ailleurs, pour les rires, tu veux un rire comment ? Plutôt populaire, gras, ou bien intello, genre coincé ?

FRANCIS Ben je sais pas. Fais voir.

BAPTISTIN (Au public.) Alors, on va lui faire le populaire, gras, vous savez ? (Il rit grassement.) Attention ! Trois, quatre !

Rires gras du public.

FRANCIS Oui, on sent bien le gras. Et l’autre, intello ?

BAPTISTIN (Au public.) L’intello, c’est un peu la bouche en cul-de-poule. (Il rit, la bouche en cul-de-poule.) Allez-y ! Trois, quatre !

Rires intellos du public.

FRANCIS Tu sais quoi ?

BAPTISTIN Non !

FRANCIS Pas de rires ! C’est mieux.

BAPTISTIN Même pas un petit…

FRANCIS Non, rien !

BAPTISTIN (Au public.) Bon ben alors, ne riez jamais !

FRANCIS C’est mieux.

BAPTISTIN (Au public.) Merci !

La lumière dans la salle descend. Le public est dans le noir.

Scène 2

Jojo entre.

JOJO Allez ! On est en retard. Il faut y aller, maintenant !

BAPTISTIN Eh ben, c’est parti, ma Jojo ! (Dans le mégaphone, qui ne marche toujours pas.) Alors tout le monde en place… (À Jojo.) Jojo, il marche toujours pas.

JOJO Fais voir. (Elle prend le mégaphone.) Il est bouché, ton truc.

Lola entre.

FRANCIS Ah ! Lola ! T’étais où ? Je te cherche partout.

LOLA Je suis là, mon Chouchinou.

FRANCIS J’ai une grande nouvelle à t’annoncer, mon amour. Tu sais que j’ai fait un aller-retour…

LOLA Tu me diras ça tout à l’heure.

JOJO (Elle rend le mégaphone à Baptistin.) Vas-y, essaie.

Baptistin reprend le mégaphone. Philippe entre.

PHILIPPE Personnellement je suis prêt, c’est quand vous voulez.

Baptistin souffle dans le mégaphone. De la ­poussière en sort au moment où Philippe arrive, il l’a prend en plein visage. Il fait demi-tour sans dire un mot et ressort. Baptistin n’a pas vu Philippe.

BAPTISTIN Ça y est, Jojo, c’est débouché. Merci !

Baptistin sort.

JOJO De rien. Francis ! C’est quand tu veux.

FRANCIS Ok ! La lumière, on est bon ?

JOJO On est bon !

Pendant la réplique de Francis, Baptistin et un technicien entrent en poussant un chariot roulant sur lequel se trouve une grande vasque. Ils la soulèvent difficilement tant elle est lourde et la déposent en bas de l’escalier.

FRANCIS On va pouvoir y aller ! (À Jojo.) Qu’est-ce qu’on avait prévu de faire en premier ?

JOJO Alors on avait dit que… (Elle consulte le plan de travail, puis voit la vasque.) Eh ! oh ! Les gars ! Pas là, la vasque ! Là !

Elle soulève la vasque d’une main comme si elle ne pesait rien et la place correctement sur la deuxième marche. Baptistin et le technicien restent sans voix. Le technicien sort.

FRANCIS (À tout le monde sur le plateau.) Ok ! On va tourner...

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