Sous la plage, les pavés

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Samedi soir. Sandrine, artiste peintre accompagnée de Kiki son hamster, a préparé un apéritif dinatoire pour son vernissage. Ses invités arrivent. La soirée démarre sous de bonnes vibrations, mais au fil des verres, les tensions éclatent. Sous le masque des apparences, chacun dévoile son vrai visage. Les petits secrets explosent au grand jour. Chacun tente de ne pas sombrer dans ce grand déballage et le meilleur moyen est encore d’enfoncer son voisin pour s’en sortir.
La palette est colorée. Comédie turquoise comme les cheveux de Madame Saraxe, la voisine agressée. Comédie noire comme les tissus qui recouvrent les toiles. Comédie acide et verte comme le gazon du balcon, lieu de toutes les confessions. Comédie rouge et grinçante comme un rictus : les masques tombent, le tableau est cruel. Comédie multicolore sur la vanité et les faux semblants.

Acte I

Scène 1

Sandrine, Carole, Rémy

 

Samedi soir, 19 h 15. Sandrine seule chez elle. Un hamster, Kiki, dans sa cage. Elle termine les préparatifs de son vernissage. Ses tableaux sont accrochés sur les murs et recouverts d’un morceau de tissu. Elle a préparé un apéritif dînatoire. Elle s’affaire et répète le discours qu’elle a préparé pour chaque tableau en attendant ses invités.

Sandrine, face à un tableau. – J’ai intitulé ce tableau « L’Âme foudroyée ». C’est une métaphore du renoncement. Le conflit permanent entre l’homme et son désir de vivre. Vous remarquerez la dissension chromatique entre l’univers extérieur au sujet, et l’au-delà du cadre. Cette volonté d’aller chercher l’observateur, de le sortir de sa torpeur pour l’accompagner vers la jouissance. Jouissance symbolisée ici par l’exaltation de la lumière. La jouissance et le renoncement sublimés par la peur de mourir. Dépouillé du superflu, orienté vers l’essentiel, l’obsession sous-jacente… (Le téléphone sonne.) Sandrine, artiste peintre, j’écoute… Anne, ma chère sœur… Un ami ? Mais bien sûr qu’il peut venir… C’est qui ce Patrick ?… Chef d’entreprise ?… Garagiste ? Ah ! merde ! Enfin, je veux dire, amène, amène-le… Bien sûr, bien sûr, ce sera charmant, enfin je suppose… Je te rappelle, Anne, que c’est mon vernissage. Tu n’imagines pas à quel point je suis angoissée. Il va même y avoir un journaliste… Comment ça, j’exagère ? Je te rappelle que je suis venue te voir tous les jours quand on t’a enlevé les dents de sagesse… Oui, les amygdales, c’est pareil. Enfin bon, ça… (Sonnerie à l’interphone.) Oups ! Ça sonne de tous les côtés ! Mes invités arrivent. (Elle raccroche.) J’arrive ! J’arrive ! (À l’interphone.) Sandrine, artiste peintre, j’écoute.

Rémy, off. – Salut, c’est nous. C’est quoi le code ?

Sandrine. – Nous qui ? C’est quoi le mot de passe ?

Rémy, off. – Oh ! t’es chiante !

Sandrine. – C’est quoi le mot de passe ?

Rémy, off. – Alors, pour faire une bonne poule au pot, hacher tout d’abord le foie, le cœur et le gésier de la poule…

Sandrine. – N’importe quoi !

Carole, off. – Arrête, Rémy. Le mot de passe c’est… Attends, je l’ai noté. Ah ! voilà : « Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’on n’ose pas… »

Sandrine. – « … c’est parce qu’on n’ose pas que c’est difficile. » (Elle rit.) B74C. (Elle raccroche le combiné, vérifie que tout est en place, tapote la cage du hamster.) Allez, c’est parti ! Je me connecte à mes ressources. Tout va bien se passer. (Au hamster.) Hein, mon Kiki ? (Sonnette.) Sandrine, j’arrive. (Elle ouvre la porte. Carole et Rémy sont morts de rire.) « Hello », « welcome », bienvenue… Pourquoi vous riez comme ça ?

Rémy. – On a croisé une de tes voisines dans l’ascenseur, Carole m’a joué une scène. Je crois qu’on l’a un peu choquée.

Carole, rejoue la scène. – « Me faire ça à moi, alors que je suis enceinte ! Tu es un salaud ! Avec ma meilleure amie, en plus ! Je te hais ! »

Rémy. – « Mais enfin… Je te jure que je n’y suis pour rien. Moi j’étais cool, je profitais de la fête. Et puis cette meuf a commencé à me coller. Elle se frottait à moi pour un oui, pour un non, j’ai rien pu faire… Et toi tu n’étais pas là… »

Carole. – « J’étais au fond du lit avec quarante de fièvre, à cause de tes idées à la con de nous balader en forêt en pleine nuit ! Et toi, tu as profité du fait que j’étais sans défense pour me planter un couteau dans le dos. »

Rémy. – « Pardonne-moi, je t’en supplie, tu le sais, c’est toi que j’aime. Et puis, c’était pas une idée à la con, tu n’avais qu’à mettre une écharpe. »

Carole. – « Salaud ! C’est toi que je vais écharper. Je vais te hacher le foie, le cœur et le gésier, et ensuite je m’occuperai de ta poule. » (À Sandrine.) T’aurais dû voir la tête de la voisine, on a dû l’abandonner. Tu crois qu’on aurait dû abréger ses souffrances ?

Sandrine. – C’est malin ! C’était qui cette voisine ?

Rémy. – Disons soixante-dix ans, pas très grande, lunettes rectangulaires. Que dire d’autre ?… Ah oui… Les cheveux… Magnifique chevelure bleu turquoise !

Sandrine. – Bleu turquoise ! Oh non ! Pas Mme Saraxe ! C’est la commère du quartier ! Elle ne vous a pas vus entrer ici au moins ?

Sandrine sort. Carole et Rémy s’avancent dans le salon.

 

 

Scène 2

Sandrine, Carole, Rémy, Valérie, Mathieu

 

Rémy. – La soirée démarre sous de bonnes vibrations. Bon, si on matait en douce les œuvres de l’artiste ? (Au hamster.) Toi, tu nous balances pas !

Carole. – Attends ! Respire un bon coup avant, j’ai comme l’impression que ça va être grandiose.

Rémy. – Elle m’a l’air de plus en plus déjantée. C’est le coaching qui l’a mise dans cet état-là, ou bien elle était déjà comme ça à la fac ?

Carole. – À la fac, c’était plutôt drôle. C’est à partir du moment où elle s’est mise à manger bio que ça a dégénéré.

Rémy. – Elle n’a pas été exposée à des radiations ?

Carole. – Non, c’est les radis.

Rémy. – Les radis l’ont irradiée ?

Carole. – Oui. Picasso a eu sa période bleue, et Sandrine sa période radis. Elle en mettait sous son oreiller et dans son soutien-gorge. C’était censé stimuler son intellect et sa libido. Le radis a, paraît-il, tout un tas de vertus méconnues.

Rémy. – Gloire au radis !

Carole, regarde un tableau. – Effectivement, elle a fait très fort cette fois.

Rémy. – Ah oui ! C’est énorme ! C’est toujours stimulant de connaître une vraie givrée. Elle est un repère qui nous permet de nous raccrocher à la normalité.

Carole. – Un quart d’heure dans son appart et tu parles comme elle. Me dis pas que tu as touché les radis ?

Rémy. – Non, par contre je me suis approché du hamster. Tu crois qu’il y a un risque ?

Carole. – Carrément ! À ton avis, qu’est-ce qu’elle lui donne à bouffer ?

Rémy. – Ah !!! Je suis contaminé ! Éloigne-moi de cette bête ! Je t’en supplie, Kiki, épargne-moi…

Sandrine revient.

Sandrine. – C’est quoi tout ce bazar ? Qu’est-ce que vous faites ?

Carole et Rémy. – Euh… nous… rien, on était seulement…

On frappe à la porte.

Sandrine. – J’arrive ! J’arrive ! Mathieu, Valérie, « hello », « welcome », bienvenue, entrez.

Mathieu, au téléphone. – Mais je m’en fous, vous me bouclez ce dossier ce soir. Je vous rappelle que notre rendez-vous de demain avec la Sopagi est primordial si nous voulons entrer au conseil d’administration de la holding… les cinq millions d’euros pour l’implantation de notre agence de Pékin…

Sandrine. – On devrait interdire ces appareils.

Valérie. – Je suis désolée, je crois que c’est important.

Mathieu, au téléphone. – Alors si vous devez terminer à deux heures du matin pour me boucler cette présentation, c’est votre job, c’est pour ça que je vous paye. Je vous fais confiance. Vous savez que votre place, c’est un siège éjectable. Bonsoir, Nadine. (Il range son portable.) Je suis désolé. Tu sais, ma belle, quand tu es coté en Bourse, ta vie devient une course. Quand tu gères des millions, tu deviens…

Rémy. – … un bon gros couillon. Salut, Mat.

Mathieu. – Ah ! Rémy et Carole ! Jaurès et Louise Michel réincarnés. Toujours fonctionnaires ? Vous n’êtes pas avec vos copains grévistes sur les barricades, ce soir ? Pas de banderoles à colorier ni de slogan à peaufiner ?

Carole. – Non, ce soir on a décidé de mener une action plus radicale : tenter d’initier le MEDEF à la création artistique.

Mathieu. – Nicolas et Pimprenelle, comme vous êtes mignons !

Rémy. – Nous restons des utopistes. Finie la dictature de Nounours. Le grand soir est proche.

Mathieu. – Pour l’instant, c’est surtout la grande foire. Une foire aux monstres, la cour des Miracles.

Carole. – Tu préfères certainement l’ambiance « marché aux esclaves », la grande foire commerciale, tout à un euro ! La grande braderie, mesdames et messieurs ! Le salarié, l’ouvrier sont en promo ! Grande vente flash dans notre hypermarché ! Exploitez, grossissez, prospérez !

Mathieu. – Holà ! Doucement les privilégiés ; je vous rappelle que ce sont mes cotisations qui vous payent, vous êtes mes employés.

Rémy. – Quel poète ! Parle-moi des fonds de pension, ça m’excite.

Carole. – Oh oui ! Fais-nous vibrer avec l’attractivité de la fiscalité. Une perspective de gains à six pour cent sur quinze ans, et il va falloir que je change de culotte. Tu sais que je t’envie, Valérie.

Valérie. – Oui, oui… euh… si on élevait un peu le débat ? (À Sandrine.) Ta robe est magnifique.

Sandrine. – C’est un petit créateur du Marais, c’est un véritable artiste, et également un ami. Il a dessiné une gamme de soutiens-gorge…

Rémy. – Passer de la culotte aux soutiens-gorge, le débat s’élève.

Mathieu. – Ne l’écoute pas, ma chérie, Rémy est éducateur spécialisé, ça n’implique pas qu’il soit spécialement bien éduqué.

Sandrine. – Bon, allez, ça suffit, vous nous avez déjà joué ça mille fois. Je vous rappelle que cette soirée est en mon honneur.

Valérie. – Oui, présente-nous tes chefs-d’œuvre.

Rémy. – Je me fumerais bien une clope avant.

Sandrine. – Sur la terrasse.

Valérie. – Je veux bien un verre de vin, mon chéri.

Mathieu. – Doucement sur la picole, j’ai pas envie que tu sois malade dans ma Xantia.

Valérie, soumise. – Ah ! d’accord… Alors un jus d’orange.

Carole. – Mat, fais pas ton rabat-joie, tu lui sers son verre de vin.

 

 

Scène 3

Rémy, Mathieu

 

Sur le balcon.

Rémy. – Tu as du feu ?

Mathieu. – Tiens. On est vraiment des parias.

Rémy. – Eh oui ! Les temps sont durs. Ça s’arrange, d’ailleurs, tes petits soucis ?

Mathieu. – Quels soucis ? De quoi tu parles ?

Rémy. –...

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