Premier chapitre
Bulf aime Hertebise
Bulf entre, il est seul.
Bulf
Un jour elle est allée chez Monsieur Sieux. Monsieur Sieux, c’est notre voisin. Il est tueur de cochons. Il a un endroit fait exprès, à côté de chez lui. Un endroit pour tuer. Notre voisin, je le connais à peine. Un jour elle est allée chez lui. Elle avait entendu dire que c’était bientôt l’époque. Pour tuer le cochon. Alors elle est allée chez lui, pour voir son cochon. Elle m’a dit « j’ai toujours été intimement attirée par le porc ». Elle m’a dit « bien sûr je refusais de l’admettre ». Monsieur Sieux est tueur de cochons, c’est une chance. C’est l’occasion pour elle d’accepter son penchant pour le porc. C’est sa manière d’être libre. Je lui ai dit « il faut que tu y ailles ». C’est ma façon de lui dire que je l’aime. Elle y est allée. Elle est devenue amie avec Monsieur Sieux. Histoire de tuer le temps avant le jour J, jour de l’abattage. Chaque année, Monsieur Sieux élève un cochon spécialement pour ses voisins. Cette année, le cochon s’appelait Claude. Claude le cochon attendait sa propre mort. Elle, Monsieur Sieux et tous les voisins attendaient le jour de l’abattage. Moi, je commençais à m’ennuyer d’elle. Elle allait chez Monsieur Sieux. Tous les jours. Je ne sais pas de quoi ils parlaient. Elle ne me le disait pas. Elle me racontait simplement ses entrevues avec le cochon. « Claude est plutôt détendu aujourd’hui », me disait-elle. J’essayais d’imaginer Claude dans son enclos, Claude en train de manger, Claude recevant une caresse, Claude détendu. Pourtant Claude savait qu’il serait bientôt mort. Un jour, elle est rentrée et elle m’a dit « c’est demain ». Elle était contente. Elle semblait tellement heureuse. Le lendemain, elle allait tuer le cochon chez Monsieur Sieux. Avec d’autres voisins. Le lendemain, elle est allée chez Monsieur Sieux, la fleur au fusil. Monsieur Sieux est tueur de cochons. Lorsqu’elle est rentrée de chez Monsieur Sieux ce jour-là, elle est arrivée à la maison en me disant « aujourd’hui pour la première fois c’est moi qui ai donné le coup de masse ». Monsieur Sieux est tueur de cochons, ce sont les voisins qui l’ont élu tueur de cochons, maintenant c’est lui le maître, il dirige les opérations. Il sait qui fera quoi. Quel voisin tiendra la tête du cochon au moment de l’égorgement. Il sait qui fera quoi. Quel voisin se bouchera les oreilles lorsque le cochon hurlera. Ce jour-là, il savait que ce serait elle qui donnerait le coup de masse. Monsieur Sieux notre voisin me parle peu. Il me dit à peine bonjour. Je sens qu’il ne m’aime pas beaucoup. Moi aussi je lui dis à peine bonjour. Je ne sais pas de quoi ils parlent ensemble. Quand elle est rentrée à la maison après avoir donné le coup de masse, elle souriait, elle était belle. Elle m’a décrit toute l’opération encore et encore, en rajoutant à chaque fois de nouveaux détails. Je ne savais pas trop quoi répondre, alors je répétais « formidable », « génial »… Ce jour-là je ne l’ai pas quittée des yeux.
Bulf se tait.
Deuxième chapitre
Hertebise rentre à la maison
Hertebise entre.
Hertebise
Aujourd’hui pour la première fois c’est moi qui ai donné le coup de masse !
Bulf
Formidable.
Hertebise
Tu n’imagines pas. C’était comme… jeter un énorme caillou dans une flaque sans eau.
Bulf
Et après ? Le cochon saigne ?
Hertebise
Non. Le sang il vient après. C’est ça le meilleur. Le coup de masse c’est juste pour l’étourdir. Pour que le cochon ne pense pas, tu comprends. Pour qu’il n’ait pas la gorge nouée à l’idée d’être égorgé. Après, une fois qu’il est un peu estourbi, Monsieur Sieux prend son couteau et tranche. Et là, c’est le sang.
Bulf
Oh… génial.
Hertebise
Oui, c’est extraordinaire. Le couteau tranche et. Tu sais ça fait quelque chose comme. Schplaf. Et avec un peu de chance tu arrives à échapper aux éclaboussures. Et à ce moment-là, quelqu’un arrive avec une bassine. Pour recueillir le sang. Faut pas en perdre une goutte, tu comprends.
Bulf
Pour le boudin.
Hertebise
Pour le boudin. (Un temps, un silence, un blanc. En somme : rien.) Quand je suis arrivée chez Monsieur Sieux, il était seul, les autres voisins n’étaient pas encore arrivés. Il m’a regardée. Il m’a souri avec un air gêné. J’ai cru que ça voulait dire quelque chose comme : « je t’attendais enfin tu arrives enfin nous voilà tous les deux mais jamais je n’oserai te montrer combien ça me remplit de joie ». Je crois que Monsieur Sieux m’aime bien. Mais rien n’arrivera. Lui et moi c’est le cochon rien d’autre.
Bulf
Formidable. Me voilà rassuré. Formidable.
Hertebise
En fait il souriait parce qu’il avait une surprise pour moi.
Bulf
Ah oui ? Laquelle ?
Hertebise
Il m’a dit bonjour et en me serrant la pince il a glissé la masse entre mes mains. Sans rien dire. Il n’y avait rien d’autre à ajouter. J’avais déjà compris et j’étais tellement, tellement heureuse.
Bulf
Formidable.
Hertebise
Une belle masse, la masse de son arrière-grand-père, tu te rends compte ?
Bulf
Non, pas vraiment. Enfin si… enfin non je ne sais pas…
Hertebise
Assommer un porc. Je ne pensais pas avoir cette chance un jour. Quand je suis arrivée chez Monsieur Sieux, la bête était déjà pendue par les pieds. Les voisins sont arrivés au compte-gouttes, ils m’ont dit bonjour. Ils ont regardé la bête. Ça oui, Claude c’était un joli cochon. Il pesait environ cent soixante-dix kilos. Ensuite, Monsieur Sieux m’a fait signe d’y aller. Je me suis approchée de Claude et je l’ai regardé de haut en bas. J’ai pris le temps de l’observer, tu comprends. Il criait fort. Monsieur Sieux ne disait plus rien. Alors j’ai frappé. Au premier coup, Claude a cessé de crier. Mais j’ai vu dans ses yeux qu’il était encore là, il voyait. Il n’était même pas étourdi, juste estomaqué.
Bulf
Et… tu as frappé une deuxième fois ?
Hertebise
J’ai...