Acte I
La lumière monte sur le décor… ambiance nuit, pénombre… une myriade de points lumineux rouges et verts, ce sont les voyants des appareils électriques : répondeur, magnétoscope, pendule digitale, etc.
Bruits de passages d’avions à basse altitude.
Des clés cliquettent dans la serrure… la porte s’ouvre… une silhouette s’insinue dans la lumière lunaire venant de l’extérieur, la pièce s’éclaire, Cécile Moilont vient d’appuyer sur l’interrupteur.
Nous remarquons que les fausses braises électriques de la cheminée et le bouquet de tulipes factices viennent également de s’éclairer.
Cécile peut avoir une petite quarantaine, elle porte des lunettes disgracieuses, les cheveux négligés tirés en arrière… elle est vêtue d’un survêtement de sport d’une horrible couleur mauve, plaqué par endroits d’empiècements jaune fluo… la marque « Nike » (ou autre), est en bonne place sur la poitrine et le dos.
Elle s’adresse à voix basse à quelqu’un se trouvant à l’extérieur.
Cécile - Tu peux y aller…
Elle regarde dehors, à droite puis à gauche.
Francis (bas) - Tu pourrais venir m’aider !
Cécile - Non, il vaut mieux que je surveille les alentours…
Un homme essoufflé et suant surgit brusquement, il porte exactement le même survêtement que Cécile, c’est Francis, son mari, légèrement plus âgé.
Francis (râlant) - Je te jure alors ! Ça pèse une tonne !
Cécile - Arrête de râler… Mets-la dans le garage, on la déballera demain…
Francis (bougon) - Non, non, non ! Tu ne veux pas m’aider, d’accord, je me débrouillerai tout seul !
Cécile - Je surveille, je te dis, je n’ai pas envie que les voisins nous voient avec ça… (Francis sort puis entre à nouveau en traînant une énorme malle en osier jusqu’au milieu de la pièce. Épuisé, il s’affale sur le canapé.) Tu ne l’ouvres pas ?
Francis - Une minute, tu permets… je souffle…
Il se sert un whisky dans le bar qui émet un bruit de boîte à musique lorsqu’il en ouvre la porte.
Cécile - Je suis tout émue… Alors, on l’ouvre ?
Francis se lève puis se dirige vers la malle.
Francis - Tu vas rire : j’ai le trac…
Cécile - Normal, c’est la première fois… (Francis redresse la malle à la verticale, ouverture face public, et s’apprête à l’ouvrir.) Attends ! Mon amour, il faut faire un vœu ! Ce soir, c’est tout notre avenir qui se joue ! Embrasse-moi ! (Ils s’embrassent tendrement.) Ça y est ?
Il ferme les yeux et se concentre sur un vœu.
Francis - Ça y est… J’ai souhaité que…
Cécile - Chut ! Faut pas le dire, sinon il ne va pas se réaliser… (Elle ferme les yeux.) Moi ça y est aussi… Vas-y, ouvre…
Francis prend sa respiration en arborant un air solennel, il tire doucement les targettes de la malle puis l’ouvre brusquement.
Nous découvrons qu’elle contient une femme ficelée et bâillonnée : Augustine Mauradec.
Francis (hurlant à la femme) - Tais-toi !!!
Cécile - Mais elle a rien dit !
Francis (bas) - Je sais mais ça les impressionne…
Cécile sort un pistolet gros calibre et le plaque entre les deux yeux de la pauvre femme épouvantée.
Cécile (même jeu) - Tu vas la fermer ou je te farcis de pruneaux !
Francis sort la femme et la pousse sur le canapé, les bras toujours ficelés.
Francis - Elle est lourde, la garce !
Tandis que Francis sort son couteau de poche pour détacher la captive, Cécile extirpe un papier froissé de sa poche et le lit.
Cécile - « Phase deux : téléphoner au mari pour la rançon. »
Francis - La « demande de rançon »…
Cécile - Hein ?
Francis - J’ai écrit « demande de rançon »…
Cécile - Ben oui, c’est pareil…
Francis (colère) - Non, c’est pas pareil ! Je me suis donné le mal d’établir une check-list, alors tu vas me faire le plaisir de la respecter à la lettre !
Cécile - Te fâche pas chéri… c’est vrai, « demande de rançon », c’est nettement plus littéraire… on sent le délinquant cultivé…
Francis - Cécile, arrête de te foutre de ma gueule… (Œillade appuyée en direction de la prisonnière, et parlant plus bas.)… y a du monde… (Cécile se dirige vers le téléphone et décroche.) Qu’est-ce que tu fais ?
Cécile - Eh bien je téléphone pour la rançon… pardon, pour « la demande » de rançon…
Francis - Relis ma check-list, j’ai écrit : « téléphoner d’une cabine publique »… Pourquoi d’une cabine publique ?
Cécile - Ah oui ! Pour ne pas être repérés !
Francis (professoral) - Bien…
Cécile - Quoiqu’ils ne savent pas où on habite… (Soupir de lassitude de Francis.) Qu’est-ce que j’ai dit ?
Francis - Rien…
Elle s’apprête à sortir, puis revient sur ses pas.
Cécile - Une cabine ? Y a plus de cabine dans la résidence, elles sont toutes vandalisées…
Francis - Va au centre commercial !
Cécile - Auchan ? Ils sont fermés ! Tu sais l’heure qu’il est ?
Francis - Bon, tant pis, appelle du portable en masquant le numéro…
Cécile - Un numéro masqué, pour un enlèvement, c’est logique… Quand même, on prend des risques…
Francis - Je sais, mais on l’a enlevée il y a moins d’une heure, son mari n’a pas encore prévenu les flics, il doit la croire encore à une réunion Tupperware…
Cécile (naïve) - Ça va aux réunions Tupperware, les femmes de milliardaires ?
Francis - C’était une image…
Francis appuie sur un bouton de la chaîne hi-fi, nous entendons en fond une musique africaine entraînante.
Cécile - Tu crois que c’est le moment de nous repasser nos souvenirs du Club Med ?
Francis - Nous devons brouiller les pistes, nous devons faire croire au mari que nous sommes des ressortissants sierra-léonais…
Cécile - C’est pas bête ! Mais pourquoi Mexicains ?
Francis (soupir las) - La Sierra Leone n’est pas au Mexique, c’est un pays d’Afrique…
Cécile - Ah bon ?… Mais Sergio Leone, il n’était pas Noir ?
Francis - Cécile… tu uses ma patience, c’est nous qui sommes censés être Noirs, pas Sergio Leone ! Sergio Leone il était Italien ! Et puis on s’en fout de Sergio Leone !…
Cécile (boudeuse) - T’as jamais été cinéphile…
Francis détache la femme.
Augustine est une femme dans la quarantaine, joliment pulpeuse et pleine de charme.
Francis - Vous, vous allez parler à votre mari… Pas de blagues, hein !
Il lui enlève brutalement le bâillon de papier collant, ce qui la fait hurler de douleur.
Augustine - Brute !
Francis - Ben oui, je m’excuse, ça fait mal, mais on n’a encore rien trouvé de mieux…
Augustine - Salaud !
Francis - Tu veux une tarte ?!
Augustine - Lâche !
Francis - La ferme ou je te coupe un orteil !
Augustine - Sadique !
Francis, vaincu, se retourne vers sa femme.
Francis - Mais elle m’énerve… Phase deux, qu’est-ce que tu attends pour appeler son mari ?!
Augustine (choquée) - Il vous parle toujours comme ça ?
Cécile - Non, il fait son intéressant devant vous… (Cécile compose un numéro. Elle a le trac.) Ça sonne…
Francis - Jusqu’ici c’est normal…
Cécile - Je prends l’accent sergio-léonais ?
Francis - Tu sais prendre l’accent sierra-léonais ?
Cécile - Non…
Francis - Alors pourquoi tu veux prendre l’accent sierra-léonais ?
Cécile - Je suis Sergio-Léonaise, je ne vais pas prendre l’accent mexicain ! (À l’autre bout du fil, on décroche. Elle est paniquée.) Ça décroche, qu’est-ce que je fais ?
Francis (exaspéré) - Parle normalement !
Elle bouchonne le mouchoir devant sa bouche.
Cécile (au téléphone) - Anfoine Woradec ?… Fous afons enwevé wotre vamme… Hein ? (À Francis.) Y comprend rien…
Francis (agacé) - Donne ça !… Ah ! je te jure !… (Il lui arrache le téléphone des mains et prend un accent africain, outré.) Monsieur Mauradec ?… Nous sommes un mouvement révolutionnaire sierra-léonais en exil… Nous avons besoin d’argent pour financer notre révolution… Hein ? Non, pas au Mexique, en Afrique !… Combien ? Sept cent trente-deux mille deux cent quarante-cinq, virgule zéro huit euros ! Et c’est pas la peine de marchander !… (Silence.) Allô !… Allô ! (À Cécile.) Il ne dit plus rien…
Cécile - Il est en train de s’habituer à l’idée…
Francis (accent africain) - Allô !… Oui, cinq millions de francs convertis en euros, à 6,55957 ça fait sept cent trente… Vous êtes sûr ? (À Cécile.) Passe-moi la calculette ! (Il refait son calcul.) Effectivement, c’est pas sept cent trente mais sept cent soixante-deux mille deux cent quarante-cinq, virgule zéro huit… Merci… Non, je vous le dis comme je le pense, de nos jours c’est rare de voir des gens honnêtes, surtout des Blancs… Oui, en petites coupures !… Si nous n’avons pas cette somme demain matin, nous tuerons sauvagement votre femme… Ben oui, sauvagement… Je sais mais c’est l’usage… Où ça ?… Un instant… (Paniqué, à Cécile.) Passe-moi ma check-list ! (Elle lui tend le papier froissé qu’il consulte brièvement.) Vous déposerez l’argent dans la poubelle numéro six de l’hôpital de Blairon-le-Hardy… Vous prenez la sortie d’autoroute de Crotton-les-Bloches au niveau de la ZUP des Alouettes, direction Glaisy-sur-Marne… Vous voyez Conforama ? À main gauche, vous laissez Conforama, le McDo et Buffalo Grill… après la décharge, c’est la deuxième à droite. Je vous passe votre femme pour bien vous prouver qu’on la tient !
Cécile la pousse vers le téléphone en lui plaquant son revolver sur la tempe.
Cécile - Un seul mot de travers et t’as plus de cervelle !
Augustine (pitoyable) - Allô !… C’est Augustine… Antoine, ces cannibales vont me tuer, ne m’abandonne pas…
Francis - Criez, je vous torture…
Augustine - Ils me torturent…
Cécile - Mais crie, tu as mal ! (Augustine crie.) Plus fort !
Elle crie à nouveau.
Augustine - Comment, qu’est-ce qui se passe ? Mais ils viennent de me brûler les pieds…
Francis - … avec une cigarette…
Augustine - … avec une cigarette…
Cécile - … allumée…
Mine exaspérée de Francis qui visse l’index sur sa tempe à l’intention de sa femme.
Augustine - Oui ! Et en plus, ils me tutoient !… Mais non, ce n’est pas une blague !
Francis lui prend le téléphone des mains.
Francis (accent africain) - Monsieur Mauradec, je vous conseille de prendre ce kidnapping africain très au sérieux… parce qu’en plus de la tuer sauvagement, je pourrais la violer encore plus sauvagement !… Alors compris, demain matin, à l’hôpital avec des petites coupures ! (Il raccroche, heureux et fier.) T’as vu ?
Cécile (jalouse) - La violer sauvagement ? C’est pas dans ta check-list, ça !
Francis (mal à l’aise) - Euh… j’ai improvisé… c’est une vue de l’esprit, un facteur de pression psychologique pour le faire craquer…
Cécile - Ouais… une vue de l’esprit… (Elle braque soudain Augustine avec le revolver.) Vous ! Refermez-moi ce décolleté, allumeuse !
Augustine éclate en sanglots, Cécile se retrouve toute bête avec son revolver.
Francis - Arrêtez de pleurer ! Un peu de courage, bon sang, ce n’est qu’un kidnapping !
Cécile (plus douce) - Il a raison… Je vous jure que si votre mari paye la rançon nous ne vous tuerons pas… Hein, Francis ?
Francis - Évidemment…
Augustine (dans ses larmes) - Il ne la paiera pas… Je suis sûre qu’il ne la paiera pas…
Francis - Comment ça « il ne la paiera pas » ? Je voudrais bien voir ça !
Augustine - Il a ricané au téléphone !
Cécile - C’est l’émotion…
Augustine - Mais vous ne comprenez donc pas ? Mon mari ne m’aime plus, nous sommes en instance de divorce !… Ça l’arrange de croire qu’il s’agit d’une blague…
Francis (dépassé) - Attendez… On ne s’énerve pas là… Vous voulez dire que… ?
Augustine - Vous lui avez rendu service en m’enlevant : si vous me tuez il n’aura pas de pension alimentaire à payer.
Cécile (outrée) - Mais c’est une ordure !
Augustine (sanglot) - Oui Madame…
Cécile - Un malhonnête !
Francis (réagissant) - Ta ta ta ta ! Elle nous joue la comédie pour nous attendrir ! Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, hein !
Cécile (réagissant) - Mon mari a raison ! (Elle sort son pistolet et une paire de menottes de son survêtement.) Attache-la au radiateur !
Il saisit Augustine par le bras.
Francis - T’as les clés ?
Cécile - Les clés ? (Elle fouille ses poches.) Attends, j’ai dû les oublier dans la camionnette…
Elle sort.
Augustine (désespérée) - Tuez-moi tout de suite, de toute façon la vie n’a plus aucun sens pour moi…
Francis - Chaque chose en son temps s’il vous plaît, on verra ça plus tard !
Augustine (nostalgique) - Pourtant, au début, qu’est-ce qu’on s’est aimé… (Un temps.) Il y a longtemps que vous êtes marié ?
Francis - Treize ans… Pourquoi ?
Augustine (fatidique) - C’est la mauvaise...