Télé-sketches. Vol. 12
Recueil de sketches de 1 à 4 personnages
Aide d’urgence
Une soirée au théâtre
Humour à la manière de…
Le poulet transgénique
La cragnotte
Le retour des touristes
Soyons logiques
Poésie quand tu nous tiens
Recueil de sketches de 1 à 4 personnages
Aide d’urgence
Une soirée au théâtre
Humour à la manière de…
Le poulet transgénique
La cragnotte
Le retour des touristes
Soyons logiques
Poésie quand tu nous tiens
Personnages :
Une employée du bureau d’aide sociale
Un SDF
D’abord, l’employée du bureau d’aide sociale, seule sur scène, assise à un bureau. Sur le bureau, un téléphone et un écriteau où est écrit : « Aides d’urgence » et une énorme pile de dossiers. L’employée écrit une lettre, à la main ou sur un ordinateur. Elle est très lente.
L’employée, disant à haute voix ce qu’elle est en train d’écrire. – « Monsieur… Nous vous accusons par la présente réception de votre lettre… »
Entre un SDF, pauvrement vêtu, qui s’approche timidement du bureau.
Le SDF. – Pardon, madame…
L’employée, continuant à écrire sans lui prêter attention. – « … du 10 février de l’année dernière où vous exprimez votre désir d’une aide d’urgence. »
Le SDF. – Pardon, madame…
L’employée, continuant à écrire sans le regarder. – « Après examen attentif de votre cas, nous sommes au regret de vous informer que… » (Le téléphone sonne. Elle décroche. D’un ton agressif :) Allô ? (D’un ton servile :) Ah c’est vous, monsieur le directeur… Oui, je sais… Je suis désolée… C’est ma faute, je le reconnais… Oui, monsieur le directeur… Vous avez entièrement raison… Bien, monsieur le directeur… C’est promis, monsieur le directeur… (Elle raccroche.) Vieux bouc ! (Au SDF.) Non, mais qu’est-ce vous dites de ça ? Tout un drame sous prétexte que j’ai égaré trois dossiers d’aide d’urgence… Trois dossiers sur des dizaines ! Vous ne croyez pas qu’il y a de quoi être écœurée ? Trente ans de dévouement sans borne, trente ans passés à mettre des petites croix dans des cases, à souligner des phrases en rouge, à user mes gommes et mes crayons au service du bien public, et voilà comment on me récompense… Trois dossiers égarés et je me fais agonir d’injures, traîner dans la boue, couvrir de détritus… (Caricaturant son chef de service.) « C’est inadmissible… Non, mais vous vous rendez compte le drame que ça représente pour les personnes concernées ?… » Vieille pelure !
Le SDF. – Pardon, madame… Excusez-moi, mais…
L’employée, sur un ton de plus en plus pleurnichard. – Qu’est-ce que j’aurai connu, moi, en trente ans d’administration, à part vexations et mortifications ? (Au SDF.) Vous pouvez me le dire ? Un travail minable… Un salaire de misère… Traitée pire qu’un chien… Pas une caresse, pas un morceau de sucre, rien que des coups de trique… (En disant cette dernière phrase, elle prend une règle sur son bureau et l’abat violemment sur les mains du SDF, qui les avait posées sur le bord du bureau, et qui hurle de douleur.) On a bien raison de dire que la vie est une jungle… Vous m’entendez ? Une jungle… Si vous faites partie des rois de la jungle, des lions, des tigres, des chefs de service, de ceux à qui il suffit de rugir pour avoir l’univers à leurs pieds, tant mieux pour vous… Sinon tant pis… Vous faites partie des faibles, des insectes que personne n’écoute quand ils hurlent dans leur désert, des mouches qu’on piétine, qu’on écrase comme des puces… (En disant cette dernière phrase, elle abat le poing sur le bureau, et écrase à nouveau une main du SDF, qui à nouveau hurle de douleur.) Humiliée… Méprisée… Ignorée… En trente ans, pas une promotion, pas un compliment sur mon travail…
Le SDF. – Pardon, madame… mais je suis vraiment au bout du rouleau et…
L’employée. – Au bout du rouleau… Vous avez trouvé le mot juste… Je suis au bout du rouleau… Seulement, moi, contrairement à vous, au bout de mon rouleau, il n’y a personne… Personne pour m’écouter, personne pour me comprendre… Je peux crever dans mon coin, de désespoir, de solitude, d’humiliations accumulées, tout le monde s’en fiche, tout le monde s’en bat l’œil… Moi qui suis tellement sensible, en plus… Moi qu’un rien émeut, qu’un rien bouleverse…
Le SDF. – Pardon, madame… mais si vous pouviez vous occuper de moi…
L’employée, soudain agressive. – Parce que je ne m’occupe pas de vous, peut-être ? Qu’est-ce que je fais depuis dix minutes, d’après vous ? Hein ? Qu’est-ce que je fais ? À qui je parle ? Alors ça, c’est la meilleure… Ça fait dix minutes que je suis à votre écoute exclusive, ça fait dix minutes que pour vous, j’ai délaissé des dossiers urgents qui attendent depuis déjà plus d’un an, et vous avez le culot de me demander de bien vouloir m’occuper de vous ?
Le SDF. – Si vous permettez…
L’employée. – Rien ! Je ne vous permets rien !...