Édition spéciale
La présentatrice du journal de la chaîne d’info en continu DMK-Télé
Le correspondant de la chaîne à Madrid
Deux journalistes de la chaîne
Le directeur de cabinet du ministre des Transports
Le maire d’un village pyrénéen
On pourra sans inconvénient remplacer les personnages masculins par des personnages féminins et inversement, en modifiant quelques détails du texte.
Sketch faisant la satire de la façon dont les chaînes d’information en continu, lors des grands évènements, tiennent l’antenne en permanence, même quand elles n’ont aucune information.
Suggestion de mise en scène : les apparitions à l’écran, puis les disparitions de l’écran, des personnages autres que la présentatrice pourraient être symbolisées par des jeux d’éclairage, chacun d’eux se trouvant dans un faisceau de lumière qui s’allume pour son apparition et s’éteint pour sa disparition.
La présentatrice. — Mesdames et messieurs, bonjour et bienvenue pour cette nouvelle édition de notre journal… Vous êtes sur DMK-Télé, votre chaîne d’info en continu… (Sur le ton d’un slogan publicitaire.) « DMK-Télé, je reste scotché devant ma télé… Avec DMK-Télé, je suis le premier informé… » Pour ceux qui viennent de nous rejoindre, rappelons que nous sommes depuis deux heures en édition spéciale suite à la mystérieuse disparition du vol TA2468 de la compagnie Transair reliant Paris à Madrid… L’avion, un Boeing 727, qui devait atterrir à douze heures cinq, n’est toujours pas arrivé à destination à maintenant quatorze heures et deux minutes… Sans plus tarder, j’appelle Jean-Luc Kalfon, notre correspondant en Espagne, qui vient d’arriver à l’aéroport Adolfo Suárez de Madrid-Barajas… Jean-Luc, bonjour…
Le correspondant à Madrid. — Bonjour, Sophie…
La présentatrice. — Alors, Jean-Luc, avez-vous des informations ?
Le correspondant à Madrid. — Oui, Sophie… En exclusivité pour DMK-Télé, je suis en mesure de vous révéler que c’est le black-out total ici, à l’aéroport de Madrid-Barajas, et que les autorités espagnoles ne laissent absolument rien filtrer… La disparition de l’avion reste donc, pour l’instant, un mystère d’autant plus mystérieux que personne ici, parmi les dizaines de journalistes présents, ne sait quoi que ce soit…
La présentatrice. — Merci, Jean-Luc, pour ces toutes dernières informations en direct de Madrid… « DMK-Télé, je reste scotché devant ma télé… Avec DMK-Télé, je suis le premier informé… » Nous enchaînons en nous rendant tout de suite à l’aéroport de Roissy, où une de nos équipes a foncé dès la nouvelle connue… Mireille, bonjour…
Première journaliste. — Bonjour, Sophie…
La présentatrice. — Vous êtes aux abords du terminal 2A, où se trouve le comptoir de la compagnie Transair… Alors, Mireille, quelles sont les nouvelles ?
Première journaliste. — La toute dernière information, Sophie, est que le cordon de sécurité installé autour du terminal 2A a été élargi, et que nous nous trouvons maintenant, nous les journalistes, relégués à plus de cent mètres… Nous ne voyons donc absolument rien de ce qui se passe à l’intérieur du terminal, ce qui renforce encore le mystère de cette disparition d’autant plus mystérieuse que nul, ici, ne dispose de la moindre bribe d’information…
La présentatrice. — Merci, Mireille, pour ces informations exclusives DMK-Télé en direct de Roissy… « DMK-Télé, je reste scotché devant ma télé… Avec DMK-Télé, je suis le premier informé… » Mais priorité au direct… Laurence Boulanger nous appelle du ministère des Transports où, semble-t-il, il y a du nouveau… Laurence, bonjour…
Deuxième journaliste. — Bonjour, Sophie…
La présentatrice. — Vous êtes donc dans la cour du ministère des Transports et je crois, Laurence, que vous avez des nouvelles fraîches à nous donner…
Deuxième journaliste. — Tout à fait, Sophie… Nous venons d’apprendre par une source généralement bien informée qu’ici, au ministère des Transports, on ne ferait dans l’immédiat aucun commentaire… Mais je vois le directeur de cabinet du ministre qui traverse la cour, je vais lui demander de nous confirmer l’information… (Elle tend un micro au directeur de cabinet du ministre, qui traverse la scène.) En exclusivité pour DMK-Télé, pouvez-vous nous confirmer le refus du ministère de faire dans l’immédiat le moindre commentaire ?
Le directeur de cabinet. — Absolument… Je confirme… Tant que nous ne savons rien, et nous ne savons rien, nous nous refusons à tout commentaire…
Deuxième journaliste. — Merci, monsieur le directeur de cabinet, pour ces informations…
La présentatrice. — Et bravo, Laurence, pour ce scoop en direct du ministère des Transports… « DMK-Télé, je reste scotché devant ma télé… Avec DMK-Télé, je suis le premier informé… »
Deuxième journaliste. — Mais je vois qu’un autre représentant du ministère s’apprête à sortir par une porte latérale… Je vais essayer d’obtenir de lui la confirmation de…
La présentatrice, la coupant. — Laurence, Laurence, je suis désolée, je vous interromps, mais on me signale dans mon oreillette que nous avons réussi à joindre en visioconférence le maire de Mouclette, un des villages pyrénéens qui auraient pu être survolés par l’avion avant sa mystérieuse disparition… Priorité donc à ce nouveau scoop… Bonjour, monsieur le maire…
Le maire. — Bonjour…
La présentatrice. — Et merci d’avoir accepté de témoigner… Vous le savez, Mouclette est sur un des itinéraires qu’aurait pu suivre l’avion durant son vol… D’où ma question : l’avez-vous vu ou entendu ?
Le maire. — Non, je n’ai rien vu, rien entendu… Je ne peux rien vous dire…
La présentatrice. — C’est très important, cela, monsieur le maire… Vous êtes donc en mesure d’affirmer que vous ne pouvez absolument rien dire au sujet de cet avion ?
Le maire. — Ah ! pour ça, rien, absolument rien…
La présentatrice. — Merci, monsieur le maire, pour ces informations. Informations exclusives DMK-Télé… Maintenant, mesdames et messieurs, une courte page de publicité, mais ne nous quittez pas… Nous restons en édition spéciale… « DMK-Télé, je reste scotché devant ma télé… Avec DMK-Télé, même quand il n’y a aucune info, je suis le premier informé… »
Deux minutes pour comprendre
La présentatrice (ou le présentateur) du journal d’une chaîne de télévision
Son invité (ou invitée)
La présentatrice. — Et maintenant, pour terminer ce journal, notre page réflexion… Aujourd’hui, nous parlerons du problème préoccupant de la désertification de l’Afrique subsaharienne avec notre invité, le professeur Philippe Martin, spécialiste du sujet… Professeur, bonsoir…
L’invité. — Bonsoir…
La présentatrice. — Pour commencer, professeur, pouvez-vous nous exposer les raisons profondes du phénomène ? Simplement, il ne nous reste plus que deux minutes avant la fin de ce journal et la page publicité, je vous demanderai donc d’être concis…
L’invité. — Très bien… Ce qu’il faut d’abord bien comprendre, c’est que ce phénomène de désertification de l’Afrique subsaharienne qui a déjà entraîné des milliers de morts…
La présentatrice, le coupant. — Excusez-moi, professeur, mais le temps s’écoule, il ne nous reste déjà plus qu’une minute vingt secondes, je vous demande donc d’aller à l’essentiel…
L’invité. — D’accord, je vais aller à l’essentiel… (Accélérant son débit.) Je disais donc que ce phénomène de désertification de l’Afrique subsaharienne…
La présentatrice, le coupant. — Professeur, je vous en supplie, resserrez votre expression… Il nous reste en tout et pour tout cinquante-cinq secondes… Que dis-je, cinquante-cinq secondes… Quarante-huit secondes maintenant… Je vous demande donc d’aller vraiment, mais alors vraiment à l’essentiel…
L’invité, accélérant encore son débit. — D’accord, je vais aller vraiment à l’essentiel… La désertification de l’Afrique subsaharienne…
La présentatrice. — Désolée, professeur, mais il nous reste moins de trente secondes… Il est donc temps de passer à la conclusion… Alors dans les vingt secondes qui nous restent, pouvez-vous nous résumer votre pensée sur le phénomène ? En deux mots et en moins de dix secondes…
L’invité. — La désertification de l’Afrique subsaharienne, c’est une catastrophe…
La présentatrice. — Merci, professeur, pour cette analyse éclairante… Demain, dans notre page réflexion, nous accueillerons le professeur Bismuth, qui nous aidera à y voir plus clair sur cet autre phénomène préoccupant : la disparition de la couche d’ozone…
Téléphant Man
Un conférencier, le professeur Schmurtz
Téléphant Man, créature issue du croisement entre un homme et un téléviseur
Au début du sketch, le conférencier est le seul personnage visible. Téléphant Man est caché sous une couverture ou derrière un rideau.
Le conférencier. — Mesdames et messieurs les journalistes, bonsoir… Si je vous ai invités à cette conférence de presse, c’est que j’ai à vous faire part de la nouvelle scientifique la plus sensationnelle depuis l’invention du vaccin contre la rage… Moi, professeur Schmurtz, j’ai réalisé le premier croisement entre un homme et une télévision… Oui, vous m’entendez bien, j’ai réussi à féconder une télévision avec le sperme d’un téléspectateur et à mener la grossesse à terme… Vous ne me croyez pas ? Vous voulez une preuve ? Eh bien, la voilà ! (Il enlève la couverture ou tire le rideau cachant Téléphant Man. Apparaît, assis sur une chaise, un comédien dont la tête est entourée d’un téléviseur en carton, le visage apparaissant derrière ce qui figure l’écran. Il a d’abord les yeux fermés et le visage figé.) Je vous présente Téléphant Man ! Je lis dans vos yeux votre déception devant ce visage vide et sans expression… Rassurez-vous, c’est simplement que Téléphant Man dort… Je vais le réveiller… (Il appuie sur une télécommande, la dirigeant vers Téléphant Man. Le visage de celui-ci s’anime aussitôt.)
Téléphant Man, sur le ton exagérément enthousiaste d’un animateur télé. — Mesdames et messieurs, bonsoir ! Et merci d’être venus si nombreux ! Vous êtes tous fabuleux ! (Il finit sa phrase en lançant au public un baiser façon animateur télé, c’est-à-dire qu’il touche ses lèvres du bout de ses doigts avant de lever les deux bras en V.)
Le conférencier. — Bonsoir, Téléphant Man…
Téléphant Man. — Bonsoir, professeur Schmurtz… Lui aussi, il est fabuleux ! Il a un talent énorme ! Je vous demande de l’applaudir !
Le conférencier. — Alors, Téléphant Man, pour ces messieurs-dames, parlez-nous de votre vie…
Téléphant Man. — Ça me fait très plaisir d’être parmi vous ce soir ! Vous êtes tous fabuleux !
Le conférencier. — Oui mais, plus précisément, comment occupez-vous votre temps ?
Téléphant Man. — C’est top secret ! Je garde l’exclu pour un prime time !
Le conférencier. — Peut-être pouvez-vous tout de même nous dire si vous êtes heureux ?
Téléphant Man. — Super-heureux ! Ça marche trop super pour moi en ce moment ! Le public est fabuleux ! Vous êtes tous fabuleux ! Réellement une soirée exceptionnelle ! Je vous aime tous ! (Nouveau baiser en direction du public.)
Le conférencier éteint Téléphant Man, c’est-à-dire qu’il appuie sur la télécommande dans sa direction et que Téléphant Man se fige, arborant à nouveau un visage immobile et sans expression.
Le conférencier. — Oui, je sais ce que vous vous dites : le langage de cette créature d’un nouveau genre est un peu primitif… Mais n’oubliez pas que Téléphant Man est encore très jeune… Avec l’âge, il acquerra à coup sûr un vocabulaire plus étendu… (Lyrique.) Car oui, mesdames et messieurs, j’en suis certain, ce que je viens d’ouvrir là, c’est une ère nouvelle dans l’histoire de l’humanité… Grâce à moi, professeur Schmurtz, un homme nouveau est né, un homme alliant l’intelligence du vieil Homo sapiens et l’aisance à communiquer de l’homme cathodique…
Soudain, sans que le conférencier ait touché la télécommande, Téléphant Man s’anime à nouveau.
Téléphant Man, sur un ton enthousiaste. — Bravo, bravo Germaine ! Vous venez de gagner à notre grand jeu un magnifique hachoir à purée d’une valeur de dix euros cinquante ! Je suis réellement très heureux de pouvoir vous l’offrir ! Vous l’applaudissez tous ! Elle l’a bien mérité !
Le conférencier, essayant en vain d’éteindre Téléphant Man avec sa télécommande. — Je ne sais pas ce qui se passe… Il a l’air d’avoir un problème… Je n’arrive pas à l’arrêter…
Téléphant Man. — Et maintenant nous...