Le Toboggan

Christophe Aubertin est présentateur de télévision vedette. Séducteur, quelque peu prétentieux, il semble que rien ne puisse l’atteindre. Mais, c’est bien connu, la roue tourne et l’audience chute. Christophe n’est plus à la mode.
Combien de temps sa secrétaire, avec qui il entretenait une liaison, va-t-elle encore vouloir de lui ? Trouvera-t-il un nouveau concept d’émission ? Et surtout, peut-être n’aurait-il jamais dû ouvrir sa porte à Bob Loiseau, son ami d’enfance depuis longtemps perdu de vue, à qui cette situation semble bien profiter…




Le Toboggan

Scène 1

Le rideau se lève sur la scène vide.

Coup de sonnette à la porte d’entrée, bientôt suivi d’un second coup de sonnette, plus insistant.

Christophe sort de sa chambre, en caleçon.

Christophe

Voilà, Chantal, voilà !… Elle ne me laisse même plus le temps de m’habiller ! Combien de temps je te l’ai dit et répété, Chantal… (Il ouvre la porte et se trouve en face d’un inconnu. Allure d’un petit employé.) Monsieur… ?

Bob

Tu ne me reconnais pas ?

Christophe

Excusez-moi, mais…

Bob

Bob. Bob Loiseau.

Christophe

Vous devez vous tromper d’étage.

Bob

Enfin, Christophe, ce n’est pas possible ! On s’est revus il n’y a pas si longtemps, dans ce bistrot, en face de la Maison de la Radio…

Christophe

Je vois tellement de monde… Bob Loiseau ? Attendez voir, ça me dit quelque chose…

Bob

J’espère bien ! Roanne ! Le collège Saint-Irénée ! La seconde latin-grec !… L’abbé Bobin !

Christophe

C’est bien loin, tout ça !

Bob

Loiseau Robert, ton voisin de pupitre à l’étude !

Christophe

Le gros Bob ?

Bob

Ah ! tout de même ! (Il entre sans que Christophe l’y ait invité.)

Christophe

Il y avait de quoi hésiter ! Tu as tellement changé !… Tu pesais combien dans ce temps-là ?

Bob

J’avais dépassé les quatre-vingts. C’était un problème de puberté. Je faisais de l’anémie graisseuse.

Christophe

Ah ! c’est ça ! Comment est-ce que je t’aurais reconnu ?

Bob

Je n’ai pas changé depuis l’autre jour !

Christophe

Écoute, je suis désolé, mais non, vraiment, je ne me souviens pas de t’avoir rencontré aussi récemment !

Bob

Tu n’étais pas saoul, tout de même ?

Christophe

Quelle heure était-il ?

Bob

Vers les onze heures…

Christophe

Du soir ?

Bob

Non, du matin.

Christophe

En principe, non, je n’étais pas saoul !

Bob

Tu m’as même donné tes coordonnées !

Christophe

Alors tu as raison, oui, je devais être saoul !

Bob

J’avais noté ton numéro de téléphone sur un billet de métro, mais j’ai dû me tromper en l’inscrivant. Figure-toi qu’il était faux !

Christophe, hypocritement.

Non ?

Bob

Je suis tombé trois fois sur la même bonne femme… Elle était furax ! Ça explique que je ne t’aie pas prévenu avant de débarquer chez toi. Excuse-moi, hein ?

Christophe

Mais comment as-tu eu mon adresse ?

Bob

Un coup de bol !

Christophe

Comme tu dis !

Bob

Je ne vais pas entrer dans le détail…

Christophe

Non, surtout pas…

Bob

La fille de mes gardiens a sa meilleure copine qui est secrétaire à France Télé. C’est par elle que…

Christophe

Je vois. Et tu connais le nom de cette petite si complaisante ?

Bob

Non, mais il suffit que je demande à Josyane. Josyane, c’est la fille de mes gardiens.

Christophe, faux jeton.

S’il te plaît. Ça m’intéresserait assez.

Bob

Faut dire que j’ai eu de la veine ! Je n’avais pas le code, mais quelqu’un sortait juste de la maison quand j’arrivais… Je n’espérais pas te trouver chez toi !

Christophe

Je n’y suis plus pour longtemps, hélas.

Bob

Pourquoi ? Tu déménages ? Il est super, ton appart ! Super !

Christophe

Je ne déménage pas du tout. Je viens de m’installer ! Mais je suis sur le point de sortir !

Bob

En calcif ?

Christophe, qui commence à s’impatienter.

J’étais en train de m’habiller quand tu as sonné. J’ai cru que c’était mon assistante.

Bob

Elle est mignonne, je parie. Pour que tu la reçoives en calcif…

Christophe

Elle est surtout très efficace.

Bob

Comme si le reste ne t’intéressait pas ! Les filles, tu ne pensais qu’à ça ! Mais ne te gêne surtout pas pour moi ! Tu oublies que je t’ai déjà vu sous la douche !

Christophe

Écoute, vieux, je suis à la bourre. Excuse-moi, mais je n’ai pas une minute à te consacrer !

Bob

Si tu ne m’avais pas dit de t’appeler, l’autre jour, je ne me serais jamais permis de débarquer comme ça !… Je vais te laisser, puisque tu es pressé. Mais promets-moi qu’on se reverra, hein ?

Christophe

Promis !

Bob

Quand ?

Christophe

Dès que j’aurai un moment de liberté, je t’appellerai.

Bob

Alors là, je risque d’attendre longtemps. Occupé comme tu l’es…

Christophe

Puisque je te promets que…

Bob

Tu n’as même pas mon numéro.

Christophe

Eh bien, laisse-le-moi !

Bob

Voilà ma carte avec les numéros de mon fixe et de mon portable. Comme ça tu es sûr de ne pas me manquer. Je suis presque toujours sur répondeur ; des histoires compliquées avec ma femme, je ne veux pas lui parler, je t’expliquerai…

Christophe

D’accord, mais pas maintenant…

Bob

Je te la pose où ?

Christophe

Où tu veux, mon vieux, là, sur la table…

Bob

Tu permets que je te pique une clope ? J’ai oublié mes cigarettes…

Christophe

Sers-toi, vieux. Et au revoir. Ne m’en veux pas, mais…

Il continue de s’activer, va et vient comme si Bob n’était pas là.

Bob allume une cigarette avec le briquet qui se trouve à côté du paquet et le met machinalement dans sa poche.

Bob

Tu es vraiment quelqu’un d’arrivé, hein ? Tu vas me trouver bête, mais je suis fier de toi, Christophe, fier de toi…

Christophe

Ne dis donc pas de conneries !

Bob

Faut voir les choses comme elles sont ! Qu’est-ce que je suis, moi, à côté de toi ? Un obscur, un anonyme, un médiocre…

Christophe

Tu te sous-estimes sûrement… (Il le pousse vers la porte.)

Bob, faisant volte-face.

Qu’est-ce que j’ai fait dans la vie jusqu’à présent, au même âge que toi ? Je te le demande ?

Christophe

Je n’en sais rien, mon vieux ! Comment veux-tu que je le sache ? On s’est perdus de vue depuis quinze ans !

Bob

Tu te souviens que j’étais toujours le premier en classe ?

Christophe

Pas du tout, pas du tout !

Bob

Et tout ça pour finir comme un petit comptable qui mène une petite vie où tout est étriqué. C’est ce que me reprochait Martine avant de me plaquer…

Christophe

Bah ! Une de perdue, dix de retrouvées…

Bob

Pour toi, peut-être…

Christophe

Moi, tu sais, je n’épouse pas. Pas le temps. Mais tu as l’air de t’en être remis.

Bob

Ah ! tu trouves ? J’ai fait une dépression, j’ai perdu mon boulot et du coup je suis au chômage ! À part ça, tout va très bien, madame la marquise !

Christophe, changeant de ton.

Bon. Il te faut combien ?

Bob

Comment ça ?

Christophe

J’aurais dû comprendre plus vite. T’as besoin qu’on te dépanne ?

Il va pour fouiller ses poches, oubliant qu’il est en caleçon.

Bob

Alors là, Christophe, tu m’offenses !

Christophe

Pourquoi ? J’ai l’habitude !

Bob

Pas moi ! Ma visite était désintéressée, figure-toi. Prends garde, Christophe ! Ne te laisse pas déshumaniser par le succès ! Il est vrai que tu dois être harcelé par les raseurs !

Christophe

Alors là, je ne te le fais pas dire ! (Il ouvre la porte.) Allez, au revoir, mon vieux. Ravi de t’avoir revu.

Bob

Tu permets ? Encore un mot avant de partir…

Christophe

Vite, alors, vite…

Bob

Juste un conseil à te demander…

Christophe

Vas-y. Shoote !

Bob

Figure-toi que j’écris, comme ça, pour m’amuser, des petits sketches, des monologues. Oui, c’est mon violon d’Ingres. Je les interprète parfois moi-même. Tiens, la dernière fois, au baptême de mon neveu… Eh bien, en vrille, mon vieux ! Ils étaient tous en vrille !

Christophe

Ton neveu en a même pissé dans ses langes ?

Bob

Ne te fous pas de moi… Au fond, j’ai toujours rêvé de monter sur les planches. Tu te souviens, à Saint-Irénée, le jour de la distribution des prix, quand j’ai joué dans La Farce de Maître Pathelin ?

Christophe

Pas du tout !

Bob

Mais si ! Je faisais même deux rôles : l’aubergiste et le train arrière de la jument… Je suis à un tournant de ma vie, Christophe. La comptabilité, ras le bol ! Le tout, c’est de savoir si l’amateur que je suis peut devenir un vrai pro. Je ne connais personne d’autre que toi dans le métier. Ça t’ennuierait beaucoup que je te donne un aperçu de ce que je sais faire ?

Christophe, qui ronge son frein.

Pas le moins du monde, mon vieux. Je t’écouterai avec plaisir, un de ces jours, quand on se reverra…

Bob

Pourquoi pas tout de suite ?

Christophe

Quoi ?!

Bob

Là, pendant que tu t’habilles… Je sais que tu es pressé !

Christophe

Tu ne parles pas sérieusement ?

Bob

Je vais te dire mon monologue le plus court. C’est surtout mimé : L’Ayatollah sur le tapis volant. Tu vas voir, c’est bidonnant !

Christophe, explosant.

Tu te fous de ma gueule ou quoi ?!

Bob

Il y en a pour deux minutes !

Christophe

Mais qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour me débarrasser de toi ? Que je te foute dehors à coups de pied dans le cul ?

Bob

Pourquoi tu te fâches, Christophe ?

Christophe

Tu ne comprends pas que tu m’emmerdes ? Que je suis là, depuis un bon moment, à t’écouter déconner ? Mais tu ne m’intéresses pas, mon vieux, je m’en cogne de tes histoires ! Je n’en ai rien à foutre, de Saint-Irénée, de la seconde latin-grec, de l’abbé Bobin, et pour ne rien te cacher, de mon très lointain camarade de collège Bob Loiseau !

Chantal est apparue dans l’encadrement de la porte d’entrée et elle assiste sans un mot à cette sortie de Christophe. Habituée à ses coups de gueule, elle attend, sourire en coin, que ça passe placidement.

Bob

Fallait le dire tout de suite, mon vieux.

Christophe

Je me tue à te le faire comprendre depuis un quart d’heure !

Bob

Je croyais que tu avais davantage de cœur.

Christophe

Eh bien, tu avais tort. Allez, ouste ! Fous-moi le camp ! Et que je n’entende plus jamais parler de toi ! (Regardant sa montre.) Bon Dieu, déjà six heures ! Chantal, vire-moi ce pot de colle !

Il disparaît dans sa chambre.

Bob

Ne craignez rien, mademoiselle, je m’en vais… C’est terrible ce que le succès peut changer les gens. Quand je pense que je lui faisais tous ses devoirs de maths, à ce cancre…

Chantal

Vous êtes tombé au mauvais moment. Il est toujours très stressé avant son émission. Il ne pensait sûrement pas tout ce qu’il vous a dit. Il ne faut pas lui en vouloir.

Bob

Mais je ne lui en veux pas. Vous pouvez le lui dire.

Il sort dignement. Chantal referme la porte derrière lui.

Chantal, vers la chambre.

C’est malin de se mettre dans des états pareils avant de passer en direct !

Christophe, de la chambre.

Tout ça, c’est de ta faute ! Si tu étais arrivée à l’heure…

Chantal

Ça c’est un comble, quand je me fais toujours engueuler parce que je suis en avance ! La prochaine fois, tu prendras ta voiture. Je suis ton assistante, pas ton chauffeur !

Christophe, revenant de sa chambre habillé, en train de nouer sa cravate.

Tu es mon petit rayon de soleil, voilà ce que tu es.

Chantal

Je suis une conne, oui !

Christophe

Oh !… Pourquoi dis-tu ça ? (Il lui donne un petit baiser.)

Chantal

Parce que je crois qu’il ne faut jamais mélanger le sexe et le boulot.

Christophe

Ça ne se pratique pas en même temps !

Chantal

Ça crée une confusion dans les rapports. Je ne sais plus très bien où j’en suis avec toi. Quel rôle joué-je ?

Christophe

Tu dis ?

Chantal

Quel rôle est-ce que je joue exactement dans le contexte de ta vie quotidienne ? Quand je m’interroge, je patauge dans la semoule !

Christophe

C’est pourtant simple : tu es une collaboratrice de premier ordre.

Chantal

Tu veux dire au niveau de l’audiovisuel ?

Christophe

À tous les niveaux !

Chantal

À celui du plumard, ça n’a pas l’air d’être pour toi le septième ciel !

Christophe

Je ne...

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