SCÈNE 1
Claire est assise à une table à l’intérieur d’un café. Un verre de vin blanc est posé devant elle. Elle est élégamment habillée, mais porte des tongs. Elle semble absente. Charlotte, qui porte un tailleur élégant mais strict, entre et se dirige vers Claire.
Charlotte. – Claire ! Enfin tu es là ! (Claire souffle et lève les yeux au ciel à l’approche de Charlotte.) Non mais tu as vu l’heure ?
Temps. Claire la regarde.
Claire. – Cinq mois qu’on ne s’est pas vues… Bonjour, ma sœur.
Charlotte. – Oui, bonjour. (Elles s’embrassent.) Tout le monde t’attend, qu’est-ce que tu fabriques ?
Claire. – Comme tu le vois, je bois un petit verre pour me détendre… Je ne sais pas pourquoi, je sens que je vais en avoir besoin.
Charlotte. – Donc encore une fois tu comptes arriver en retard.
Claire, regardant sa montre. – Faux, je suis juste à l’heure.
Charlotte. – Être juste à l’heure, Claire, c’est déjà être en retard.
Claire. – J’ai déjà de la chance d’être là. Si tu savais ce qu’il m’est arrivé en venant !
Charlotte. – Quoi donc ?
Claire. – Figure-toi qu’à l’entrée de la ville j’ai renversé un éléphanteau échappé d’un zoo.
Charlotte, bouleversée. – T’as renversé Dumbo ? (Temps. Claire la regarde. Charlotte comprend, elle se lève.) Oui oh, fais ta maligne, si tu crois que je t’ai crue…
Claire. – Dumbo… T’as de ces références…
Charlotte. – Dumbo était le héros préféré de Louis. Souviens-toi, petit il avait un poster géant dans sa chambre, c’est même toi qui le lui avais offert.
Claire. – J’ai offert ça, moi ?
Charlotte. – Bon, on y va ! Il reste du monde que je n’ai pas vu, comme papa et maman qui se font attendre, et je ne veux pas laisser Paul, seul, accueillir le restant de la famille.
Claire, regardant devant elle. – À l’observer, il semble y prendre plaisir.
Charlotte. – Tu connais son aisance relationnelle.
Claire, regardant vers l’extérieur. – Oui… D’ailleurs la cousine Sylvie semble beaucoup apprécier cette aisance. Il est très tactile, non ?
Charlotte. – Dans son travail il croise tellement de femmes… Toutes ses patientes le disent : c’est un homme rassurant et chaleureux. Ton ami n’est pas avec toi ? (Temps.) Ça m’aurait étonnée. Et ta fille ? Je ne l’ai pas encore vue.
Claire. – Julie arrivera plus tard avec Franck.
Charlotte. – L’ingénieur aéronautique ? (Temps.) Tu laisses une enfant de seize ans sortir avec ce garçon bien plus âgé qu’elle, tu sais ce que j’en pense.
Claire. – Oh ! regarde ! V’là la tantine Pierrette et le tonton René. Ça a dû leur faire un choc, ce mariage, à ces vieux cons.
Charlotte. – Ça a fait un choc à tout le monde. Si tu veux tout savoir, en ce qui me concerne, j’ai vomi pendant trois jours.
Claire. – Positive, Charlotte ! Pense aux belles vacances à venir en Chine avec Bi.
Charlotte. – Et Bi ! Alors ça aussi ! T’appelles ça un prénom, toi ?
Claire. – Ce que tu peux être coincée !
Charlotte. – Je ne suis pas coincée. Seulement, il y a des traditions à respecter, des devoirs à respecter, une éducation à respecter, on ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Maintenant, lève-toi !
Claire. – Voilà papa !
Charlotte, regardant de façon précise. – Papa… Qui est cette fille à côté ?
Claire. – Ils ont l’air proches.
Charlotte. – Tout le monde est proche, tout le monde se dit bonjour.
Claire. – Mais tout le monde ne se roule pas des galoches.
Charlotte. – Oh ! mon Dieu !
Claire. – Rassure-moi, tu ne vas pas vomir ?!
Charlotte. – Mais elle est… elle est…
Claire. – … plus grande que lui, oui.
Charlotte. – Oui, mais aussi…
Claire. – … plus jeune.
Charlotte. – Beaucoup plus jeune ! C’est un défaut d’optique ou il semblerait qu’elle soit…
Claire. – … asiatique ?
Charlotte. – C’est une épidémie !
Claire. – À Noël, tous sur la muraille habillés en sapins, ça va être exotique !
Charlotte, reprenant ses esprits. – Non, il n’a pas pu l’embrasser.
Claire. – Là, il a sa main posée sur sa fesse gauche !
Charlotte. – Papa.
Claire. – C’est maman qui va être contente.
Charlotte. – Maman.
Claire. – Rassure-moi, tu ne vas pas chouiner tout le long du mariage ?
Charlotte, se reprenant. – Tu as raison, rassemblons-nous. Enfin moi, si tu veux mon avis…
Claire. – Non.
Charlotte. – Quoi, non ?
Claire. – Je ne veux pas ton avis. (Regardant toujours au loin.) Ah ! voilà maman !
Charlotte. – Elle est venue seule ?
Claire. – Non, Henri doit suivre comme le bon toutou qu’il est.
Charlotte donne une claque sur l’épaule de Claire.
Charlotte. – J’aime beaucoup Henri. Henri a toujours été très gentil.
Claire. – Avec maman toujours, avec papa un peu moins.
Charlotte. – Si maman est heureuse…
Claire. – C’est le principal. Si papa pleure d’avoir été trahi par son meilleur ami…
Charlotte, lui coupant la parole. – C’est la vie ! (Faisant signe à son mari.) Oui, chéri, on arrive. (À Claire.) C’est lui qui est parti pour une autre que maman, dois-je encore te le rappeler ? Une hôtesse de l’air pitoyable. Heureusement qu’Henri était là pour épauler maman.
Claire. – Pour épauler maman ? Pour se la taper, oui ! Elle l’a fait mariner un moment, mais vu la fortune du type elle a fini par céder.
Charlotte. – Oui, enfin c’est du passé tout ça, maintenant lève-toi, on y va.
Claire. – Non, je vais reprendre un second verre ; d’ailleurs, je te le conseille, ça te détendra.
Charlotte. – Je ne suis pas tendue.
Claire, s’adressant à une personne extérieure. – Jeune homme !
Charlotte, faisant signe à son mari. – Oui, chéri, cette fois on arrive.
Claire, s’adressant à une personne extérieure. – Vous nous mettrez un deuxième fond de culotte, merci. (Regard étonné de Charlotte.) Un petit blanc avec un fond de cassis, tu verras, ça… (Elle soupire comme pour libérer du stress.)
Charlotte, voyant les tongs de Charlotte. – C’est original les tongs pour un mariage.
Claire, sortant des chaussures de son sac. – T’inquiète, j’ai tout prévu. (Elle enfile ses chaussures.) Nom de Zeus ! Je sens que je vais en chier, elles sont toutes neuves !
Charlotte. – Surtout que la journée risque d’être longue.
Claire. – Tu veux déjà m’achever ?!
NOIR
SCÈNE 2
La chanson « Felicità » interprétée par Al Bano and Romina Power démarre. Lumières. Nous sommes dans une salle de mairie. Une bande-son accompagnera la scène en fond sonore pour donner le rythme de la cérémonie. Charlotte et Claire sont côte à côte, debout, Claire porte des chaussures à talons. Charlotte a la tête tournée vers l’arrière pour suivre l’entrée des mariées. Claire chantonne les paroles, elle simule un micro dans la main. La tête de Charlotte revient face public. La musique s’arrête. Elles s’assoient.
Claire, à Charlotte. – « La Felicità », le bonheur !
Charlotte. – Je sais ce que ça veut dire, j’ai fait italien seconde langue.
Claire. – Ah ! voilà le maire !
Le maire, voix off. – Mesdames et messieurs, veuillez vous lever.
Les deux se lèvent. Claire ne semble pas très à l’aise avec ses chaussures et se dandine.
Charlotte. – Qu’est-ce que tu as ?
Claire. – Ces chaussures me font un mal de chien.
Le maire, voix off. – Nous allons procéder à la célébration du mariage de Mme Élisabeth Demare…
Charlotte. – Oh…
Claire. – Ah ! non, hein !
Le maire, voix off. – … avec Mme Bi Chang Kong.
Charlotte. – Oh… (Claire lui lance un regard noir.) Enfin, ça ne te fait rien, toi, madame et madame qui se marient ? Si un jour on m’avait dit que j’allais assister à un premier mariage pour tous… dans ma famille !
Claire. – Charlotte, notre sœur est heureuse, c’est le principal, non ? « Felicità » !
Charlotte. – Claire, il y a des limites au bonheur.
Claire souffle.
Claire. – Bon, qu’est-ce qu’il farfouille notre maire ? Il a perdu un truc.
Charlotte. – Moi je dis, quitte à changer de partenaire, elle aurait pu au moins rester dans le même moule.
Claire. – …
Charlotte. – Le moule...