Travaux forcés

Après le décès de leur tante (sans enfants), les membres d’une famille n’ont qu’une solution : remettre en état le bar-hôtel pour le revendre à un meilleur prix et ainsi augmenter leur part d’héritage. Le problème est que l’entente entre eux n’est pas vraiment au rendez-vous… De plus, un mystérieux individu profite de la nuit pour fouiller les lieux. Des disputes, des gifles qui claquent, des maladresses, vont compliquer la tâche. Le tout agrémenté par les citations d’un latin plus qu’approximatif du curé, venu les aider dans cette “épreuve”, pour le plus grand bonheur du public !

Acte 1

 

 

Thérèse et Liliane entrent dans le bar.

Liliane, soupire en se déchaussant - Pfou… J’ai les pieds en compote… j’aurais pas dû mettre des talons hauts.

Thérèse - Tu les supportes pas ?

Liliane - Si, mais le problème ici c’est les pavés dans les rues, les chemins pas goudronnés… J’ai passé mon temps à marcher sur la pointe des pieds pour pas les abîmer…

Thérèse - C’est vrai qu’à la campagne on est mieux en baskets !

Liliane – Oui mais, pour une cérémonie, bonjour l’élégance et puis avec des talons, je suis plus grande… enfin, moins petite.

Thérèse - Tu sais, cinq centimètres de plus ou de moins, ça change pas grand- chose…

Liliane - Quand même… Remarque, c’est bien d’être petite, on se fait plus facilement câliner…

Thérèse - Je suis certaine que mon frère fait ça très bien…

Liliane - Oh oui… Paul est très tendre... tendre et solide à la fois. Ça me change de Francis.

Thérèse - En parlant de lui, ça a dû te faire tout drôle de le revoir !

Liliane - Je m’y étais préparée, psychologiquement parlant.

Thérèse - Il ne t’a pas lâchée des yeux.

Liliane - Oui, j’ai remarqué. Il faut dire qu’il était très discret ! Il n’y a que Paul pour ne s’être rendu compte de rien !

Thérèse - Pas si sûr… mais tel que je le connais, s’il s’en est aperçu, il ne fera pas de vagues, d’une part parce que c’est son cousin et d’autre part parce qu’il lui a piqué sa femme.

Liliane - Il ne lui a rien piqué du tout ! Je n’en pouvais plus de Francis et de tous ses mensonges ! Paul m’a toujours soutenue dans les moments difficiles, en toute amitié. Ce n’est que lorsque j’ai pris la décision de divorcer qu’il a avoué m’aimer depuis toujours.

Thérèse - Je sais. Il avait promis à Francis que s’il se mariait un jour il serait son témoin. Il n’avait pas prévu qu’il tomberait amoureux de la mariée ! Malgré tout il a tenu sa promesse et respecté ton choix.

 

 

 

 

Liliane - Ah la la, j’étais si jeune ! Francis était exubérant, amusant, beau parleur. Ton frère, lui, était discret, calme, sérieux… Je pensais qu’il était faible, légèrement ennuyeux. Je m’étais bien trompée.

Thérèse - C’est loin tout ça…

Liliane - Oui, ça va faire un bail et tu sais quoi ? Pas un jour j’ai regretté d’avoir quitté Francis.

Thérèse - Et moi je suis ravie que tu sois ma belle-sœur.

Liliane - Pareil pour moi. Ça me change de Mathilde. Autant Francis était fêtard, autant sa sœur était sinistre !

Thérèse - Et elle n’a pas l’air de s’être améliorée… C’est la seule de mes cousines que j’ai jamais pu encadrer !

Liliane – Tu m’étonnes…

Thérèse - Je plains son fils…

Liliane - Mmh… Enfin, dans deux jours, chacun repartira de son côté.

Thérèse - Rosine a préparé les chambres. (Rosine arrive à son tour.) - La voilà ! Les autres ne sont pas avec toi ?

Rosine - Ils arrivent… (Elle s’assoit près d’elles.) - Je sais pas vous, mais moi je la redoutais cette journée. Finalement ça s’est bien passé.

Thérèse - Oui… et puis c’était l’occasion de se revoir, ça faisait longtemps.

Liliane - Alors moi, j’ai été scotchée… je m’attendais pas à ce qu’il y ait un orchestre... vous vous rendez compte !

Thérèse - Et les fleurs ! C’était fou ! Des monceaux de lys, de roses, d’orchidées…

Liliane – Et puis elle en a eu des compliments votre tante Marthe !

Thérèse - En même temps, c’était pas le jour à lui faire des reproches.

Rosine - Pourtant il y aurait eu de quoi dire…

Thérèse - C’est sûr, mais bon… en tout cas c’était très réussi.

Liliane - Elle a été gâtée !

Rosine - On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

Liliane - Comment ça ?

 

 

 

 

Rosine - Avec la convention obsèques, elle avait tout prévu et depuis longtemps !

Thérèse - Tu veux dire que personne ne s’est occupé de son enterrement ?

Rosine - Mais elle voulait pas ! C’est elle qui a pensé à tout : les fleurs, la musique, les textes…

Liliane - Les textes aussi ?!

Thérèse - C’est elle qui avait écrit ses propres louanges ?!

Rosine - Puisque je vous le dis !

Thérèse - Je comprends mieux pourquoi le curé n’a voulu laissé parler personne…

Rosine - Elle disait que tous autant qu’on était on se moquait pas mal d’elle, qu’elle se moquait de nous tous aussi et qu’il était pas question qu’on lui fasse un enterrement de pauvre. Je lui avais fait remarquer que moi j’étais restée là, eh ben elle a ricané en me disant que si je restais avec elle c’était que par intérêt et qu’elle était bien bonne de s’occuper de moi.

Thérèse - Mais, tu travaillais ici !

Rosine - Je m’occupais des chambres et du bar, enfin, surtout du bar parce que l’hôtel marche plus depuis longtemps… En échange j’étais logée, nourrie, blanchie et elle me donnait un peu d’argent de poche quand j’allais au cinéma ou que j’avais quelque chose à m’acheter.

Liliane - C’était de l’exploitation !

Rosine - Oh, c’est pas grave, j’ai pas de gros besoins. Par contre, une fois que la succession va être liquidée, je me demande ce que je vais faire…

Thérèse - Moi, je me demande comment elle a pu se payer un tel enterrement…

Rosine - Elle devait avoir des sous de côté.

Liliane – Attendez, mais rien que le cercueil… il était magnifique !

Rosine - C’était de l’ébène et les poignées étaient dorées à l’or fin !

Thérèse - Ça vaut une fortune !

Rosine - Elle l’avait acheté depuis au moins un an déjà. Il était entreposé dans une des chambres et elle y allait régulièrement pour l’admirer.

Liliane - C’est morbide…

Thérèse - C’est surtout ruineux !

 

 

 

Liliane - Toutes ses économies ont dû y passer…

Thérèse, amère - Comme ça elle était certaine de rien nous laisser.

Liliane – Par contre, elle a complètement négligé son bar-hôtel… quand on voit l’état des lieux…

Rosine - Elle disait que ça suffisait bien pour les clients. Il faut dire qu’ils se bousculaient pas à la porte.

Thérèse - Tu m’étonnes, ça donne pas envie.

Rosine - Remarquez ça me laissait du temps de libre pour m’occuper du père Noël…

Liliane - Du Père Noël ?!

Rosine - Ben oui… du curé, quoi. Noël c’est son prénom. Je vais à la cure, je lui prépare ses repas, je lui fais son ménage… en échange il me donne un peu d’argent de poche.

Francis, Paul, Mathilde et Barnabé arrivent.

Francis, radieux - Ben voilà, ça, c’est fait !

Le curé arrive à son tour.

Paul - Entrez monsieur le curé. Vous boirez bien quelque chose ?

Francis - Cette blague ! Et nous aussi, ça s’arrose !

Le curé - Allons voyons, mon fils…

Francis - Oh ça va… C’est un secret pour personne qu’elle nous aimait pas et on lui le rendait bien.

Le curé - Un peu de charité chrétienne, mon fils.

Francis - De charité crétine vous voulez dire !

Tous s’installent au différentes tables et sur les tabourets du bar. Rosine et Paul se mettent derrière le bar et servent. Chacun dit ce qu’il veut boire. Liliane apporte les boissons.

Liliane - Tu veux quoi Barnabé?

Barnabé - Euh…

Mathilde - Une grenadine !

Barnabé - Ah… alors avec de la limonade…

 

 

 

 

Mathilde - Sans limonade. De l’eau plate.

Barnabé - Mais…

Mathilde - Le sirop est déjà suffisamment sucré. Tu n’as pas à en rajouter.

Liliane se dirige vers le zinc.

Mathilde, à Liliane - Et moi ! Tu pourrais me demander ce que je veux !

Liliane - Je t’écoute, très chère Mathilde…

Mathilde - Tu m’apportes un verre d’eau.

Liliane - Avec une paille ?

Mathilde est outrée, Liliane sert les boissons.

Paul - Qu’est-ce que je vous sers monsieur le curé ?

Francis - Tu lui sers un jaune et à moi aussi.

Le curé - Pastis durum et (ète) hypocras, vésiculum crassus !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Francis - Oh dites, curé, faut pas charrier. Vous l’avez bien sifflé votre vin de messe tout à l’heure, même que vous vous êtes resservi deux fois.

Le curé - Moi ? Vous vous méprenez mon fils…

Francis - Dites pas non ! Vous avez agité votre clochette pour la communion, mais j’ai relevé la tête, je vous ai vu.

Le curé - In vino véritas…

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Francis - La vérité est dans le vin, ça, je connais. Allez curé, pas de chichis, vous prendrez quoi ?

Le curé - Bon ben, dans ce cas, un whisky, s’il y en a….

Paul le sert.

Mathilde - Monsieur le curé, j’ai un reproche à vous faire.

Le curé - Je vous écoute ma fille…

Mathilde - Alors et d’une, je ne suis pas votre fille et de deux, votre attitude a été détestable !

 

 

 

Le curé - Pourquoi une telle colère ?

Mathilde - Barnabé voulait dire quelques mots et vous avez refusé qu’il s’exprime. D’ailleurs vous avez refusé ce droit bien légitime à chacun d’entre nous.

Le curé - Je n’ai fait que respecter une des volontés de votre tante Marthe…

Mathilde - Sachez que mon fils est un poète et que c’est très frustrant pour lui de n’avoir pu déclamer ses vers.

Liliane - Il n’a qu’à les dire maintenant…

Paul - Mais oui, nous l’écouterons avec plaisir…

Thérèse - Vas-y Barnabé...

Barnabé se tortille, gêné.

Mathilde - Eh bien ! Qu’est-ce que tu attends !

Barnabé - C’est que…

Mathilde - Arrête de faire des manières !

Rosine - C’est si beau les poèmes…

Barnabé - Bon ben, voilà (Il se râcle la gorge.)

Chère grand tante Marthe

« Si tu m’as jamais invité

C’est faute à ta timidité

Tu me traitais toujours de niais

Les rares fois où je te voyais

Et c’était pour faire de l’humour

Que tu me jouais de sales tours

Pour les Noëls tu donnais rien

Comme si tu étais radin

Mais c’était sûrement pas pour ça

Les moyens tu les avais pas.

Si t’as jamais ouvert ton cœur

C’était par fierté, par pudeur.

Ta seule passion c’était le foot,

Une seule équipe entre toutes

A ton avis était la reine

C’était celle de Saint-Etienne.

Alors moi, pour te rendre hommage

Pour faire honneur à ton grand âge

Devant ta tombe à ciel ouvert

Je crierai fort : allez les Verts ! »

 

 

 

 

 

 

Consternation générale, fou rire de Francis, Mathilde lui caresse les cheveux, très fière.

Francis - Bravo mon neveu, j’aurais pas fait mieux. Ç’aurait été dommage de rater ça !

Mathilde, à Thérèse - Dis donc, ta fille ne se serait pas trompée de jour par hasard ?

Rosine - C’est vrai ça, elle est où Zoé ?

Thérèse - Elle arrive tout droit d’Angleterre, c’est vite fait de prendre du retard.

Mathilde - Il suffit de s’organiser, d’anticiper, mais je suppose que c’était trop lui demander…

Thérèse - Elle est adulte, je n’ai pas à lui dicter sa conduite, ni à prendre des décisions à sa place.

Mathilde - J’étais certaine de ta réaction. Aucune autorité, aucune éducation, aucun bon principe inculqué à ta fille !

Thérèse - Et aucun risque que je suive ton exemple ! On a le résultat sous les yeux. Ton fils est complètement sous ta coupe, incapable de s’assumer tout seul, terrorisé à l’idée de te déplaire.

Mathilde, se tournant vers son fils, d’un air menaçant - Tu te sens brimé, toi ?

Barnabé - Non non…

Mathilde - Tu n’es pas bien avec moi ?

Barnabé - Si si…

Mathilde, à Thérèse - Tu vois ! Barnabé est tout simplement bien élevé et tant pis si ça te défrise. Venant de la mère complètement irresponsable que tu es, je ne suis pas étonnée du résultat obtenu avec Zoé.

Paul - Allons allons, c’est quoi ce règlement de compte ? Chacun élève ses enfants à sa façon. On ne doit pas juger…

Liliane, à Mathilde - Il a raison Mathilde, ne sois pas si agressive.

Mathilde - Alors vous deux, pour les leçons de morale, vous repasserez ! (A Liliane.) - Toi tu as quitté mon frère du jour au lendemain…

Liliane - C’est faux !

Francis - Là, Mathilde, tu pousses un peu…

Mathilde, à Paul - Et toi, Judas, tu as trahi ton cousin de la pire des façons !

Paul - Je ne peux pas te laisser dire ça. Ecoute…

 

 

 

 

Mathilde - Rien du tout ! Quant à Thérèse a toujours été laxiste. Pire, elle a voulu un enfant mais n’a pas voulu du père. Tu trouves ça normal ?

Le curé - Du calme ma fille, la tolérance est la base de…

Mathilde - Je ne suis toujours pas votre fille et ne vous mêlez pas de ça. Qu’est-ce que vous y connaissez, vous, en éducation des enfants ?!

Thérèse - En tout cas je ne suis pas une mère abusive, moi !

Mathilde - C’est sûr. Il y a combien de temps que tu n’as pas vu ta fille ?

Thérèse - Un peu plus d’un an, mais la question n’est pas là…

Mathilde - Oh que si ! Dieu sait la vie qu’elle mène et de quoi elle vit !

Thérèse - C’est quoi ces insinuations ? Tu touches pas à Zoé, sinon…

Mathilde - Je vais me gêner…

Thérèse et Mathilde s’empoignent, se tirent les cheveux, se battent. Paul et Francis s’interposent, parviennent à les séparer.

Paul, à Mathilde- Lâche-la !

Francis - Arrêtez bon sang !

Le curé - Uppercut hématome est !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - La violence ne résout rien.

Les deux cousines finissent par se calmer, boivent un verre d’eau etc…

Zoé arrive enfin. Extravertie, genre gothique.

Thérèse - Ah ! La voilà ! Bonjour ma chérie ! Le voyage s’est bien passé ?

Zoé - Ouais, tout baigne. Apparemment y a de l’eau dans le gaz ici, vous tirez tous une de ces tronches… y a un lézard ?

Liliane - Non… on se demandait seulement pourquoi tu n’étais pas arrivée plus tôt.

Zoé - Le ferry c’était ok, mais la route pour arriver dans ce bled… un peu galère.

Mathilde - Il suffisait de partir plus tôt, voire la veille, mais ça, c’était trop te demander, je suppose.

 

 

 

 

Zoé - Moi aussi je suis contente de te revoir ! T’as pas changée… enfin, physiquement les années t’ont pas fait de cadeau, mais alors question caractère t’es comme dans mes souvenirs.

Mathilde - Quelle insolence !

Zoé embrasse les autres.

Zoé - Je pensais pas être autant à la bourre…

Francis - C’est pas grave, la tante Marthe risque pas de t’en vouloir !

Rosine - La dernière fois que tu es venue tu devais avoir sept ou huit ans.

Zoé - C’est possible… Le seul souvenir que j’ai de la tante c’est qu’elle avait les joues pire qu’une râpe à fromage. Elle piquait quand je l’embrassais.

Rosine - Tu m’étonnes pas, elle se rasait. Pourtant je lui ai dit cent fois : « Plus tu les rases, plus les poils repoussent durs ! »

Zoé - Au fait, c’est quoi ce marmot dans un couffin sur le pas de la porte ?

Liliane - Qu’est-ce que tu dis ?!

Paul - Un bébé ?!

Francis - C’est quoi ce délire ?

Thérèse - Il faut aller le chercher !

Tous se précipitent. Paul pose le couffin sur une table. Tous se penchent. Le bébé se met à pleurer très fort. Chacun le berce à son tour, lui donne sa sucette, essaie des « gouzi gouzi, gaga, gouzou gouzou », rien n’y fait. Finalement il atterrit dans les bras de Barnabé.

Barnabé - Bonjour bébé, moi je suis Barnabé, tu es tout beau bébé, blond comme les blés, babille beau bébé…

Le bébé s’arrête net et rit.

Francis - Ouf ! Ça fait du bien !

Rosine - Regardez, il y a une enveloppe dans le couffin !

Thérèse y recouche le bébé, prend l’enveloppe, l’ouvre et lit.

Thérèse - « Barnabé, c’est ton fils, je te le laisse, tu n’as qu’à t’en occuper ! »

Barnabé - Mais… mais…

Mathilde - Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas possible !

Zoé - T’as réussi à sortir des jupes de ta mère ? Chapeau !

 

 

 

Paul - Barnabé, explique-toi…

Barnabé - J’en sais rien… c’est pas moi, je vous jure !

Francis - Encore un coup du Saint-Esprit sans doute…

Le curé - Ne blasphémez pas mon fils !

Francis - Vous me fatiguez, curé. J’ai l’âge d’être votre père, alors changez de disque.

Le bébé se remet à pleurer. Francis le prend et le met d’office dans les bras de Barnabé.

Francis - Tiens, fais ton boulot… papa !

Barnabé - Mais puisque je vous dis…

Francis - Fais-le taire, pour le bien de nos oreilles !

Barnabé - Dis donc faut faire dodo, il est doux ton doudou, dodeline et dors dedans ton édredon…

Le bébé se calme et rit. Thérèse le recouche tout doucement.

Zoé - C’est dingue ! Y a que la voix de son vieux qui le calme.

Barnabé, au bord des larmes - Mais puisque je vous dis qu’il est pas à moi ce bébé !

Zoé - Ah oui ? Moi je trouve qu’il te ressemble vachement.

Thérèse - Elle a raison…

Liliane - Avoue… c’est pas un crime…

Rosine - T’as fait ou t’as pas fait ?

Mathilde - Evidemment que non ! Il est pur comme l’agneau qui vient de naître, j’en mettrais ma tête à couper !

Barnabé - J’ai pas fait, tante Rosine. J’ai jamais fait, je le jure !

Rosine - Mince alors ! T’es encore puceau ! A ton âge ! Mon pauvre…

Mathilde - Je ne vois pas en quoi ne pas se rouler dans la luxure et ne pas vivre dans la débauche est un défaut !

Thérèse , brandissant la lettre - Inutile de nier, la preuve est là et bien là ! (A Mathilde.) - Alors, mémé, on est contente ?

Mathilde - Oh toi…

 

 

 

 

Elles s’empoignent à nouveau. Tous essaient de les séparer. Zoé intervient.

Zoé - Arrêtez ! C’est bon ! C’était une blague !

Tous - Quoi ? Hein ? Une blague ?

Zoé - Il est à moi ce môme. Sacré Barnabé, t’as flippé hein ? Toujours aussi bolosse, t’es un vrai gobe-mouche ! Ah la tête !

Liliane - Tu exagères, c’est pas sympa…

Zoé - Y a pas mort d’homme. J’ai pas pu résister à lui jouer un tour…

Mathilde - De très mauvais goût ! Il a toujours été ton souffre-douleur ! Ce que je disais se confirme. Aucune moralité, aucune conscience du bien et du mal !

Thérèse - C’est vraiment le tien ?

Zoé - Ouais et il pète la forme !

Francis - Surtout côté poumons…

Le curé - Speculum parturiante est, magnificat ad vitam !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - C’est beau de donner la vie.

Thérèse - Et tu as accouché là-bas… sans m’en parler ?

Zoé - C’était plus fun de te faire la surprise, non ?

Mathilde, ricanant - Alors, mémé, on est contente ?

Thérèse - Plus que contente ! Je suis ravie, heureuse, il est magnifique cet enfant ! Je me demande comment j’ai pu croire une seconde qu’il était ton petit-fils !

Elle et sa fille se penchent sur le couffin.

Rosine, à Liliane - Au fait, pourquoi elle était partie en Angleterre ?

Liliane - Elle y avait été pour travailler la langue.

Rosine - Apparemment, elle a bien fait tous les exercices !

Elles rejoignent Thérèse et Zoé.

Liliane, à Zoé - Je ne veux pas t’affoler mais, j’ai l’impression qu’il a la jaunisse du nourrisson…

Zoé - Oh non ! C’est sa couleur d’origine. Je l’ai eu avec un asiatique que j’avais rencontré dans le quartier de Chinatown.

 

 

 

Thérèse - Il n’a pas voulu venir avec toi ?

Zoé - Non mais attends, il y a longtemps que je l’ai largué !

Thérèse - Ah… il ne voulait pas d’enfant…

Zoé - J’en sais rien et je m’en tape. Je veux pas m’encombrer d’un mec, c’est tout. En plus il assurait pas, si tu vois ce que je veux dire. Je l’appellais « le petit citron pressé ! »

Mathilde - J’aurais tout entendu !

Thérèse - Mais, comment tu vas faire sans son père ?

Zoé - Comme toi. T’as bien jeté, le mien !

Thérèse - C’est pas une raison pour faire la même chose…

Mathilde - Elle a suivi l’exemple de sa mère, logique !

Zoé - De quoi elle se mêle la vieille pie !

Thérèse , à Mathilde - Toi aussi tu as élevé ton fils toute seule.

Mathilde - Oui mais moi, j’étais veuve ! Ça, c’est respectable ! Tandis que toi, c’était délibéré et on voit aujourd’hui ce que ça donne ! Enfin… on récolte ce qu’on sème.

Thérèse , montrant Barnabé - Ah oui ? Alors, lui, t’as pas dû l’arroser souvent !

Nouvelle empoignade. Paul les sépare.

Paul - Ça suffit ! Calmez-vous, toutes les deux !

Liliane - Thérèse, ne répond pas à la provocation, tu vaux mieux que ça.

Paul, à Mathilde - Je te conseille d’arrêter tes insinuations et tes insultes. Francis, je compte sur toi pour raisonner ta sœur !

Le bébé se remet à pleurer.

Zoé - Arrêtez votre cirque ! Le voilà qui recouine… Barnabé, amène- toi !

Barnabé - Je sais plus quoi lui dire…

Zoé - Creuse-toi la cervelle… si t’en a une !

Barnabé, se penchant sur le couffin - Popo pipi partout, pas pleurer petit poupon, papier essuiera tout, popotin propre et basta.

Le bébé rit et se rendort.

Thérèse - Il s’appelle comment ?

 

 

 

Zoé - Nào

Liliane - C’est mignon. C’est chinois ?

Zoé - Ouais.

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Zoé - Braillard.

Francis - Logique, rien à dire…

Rosine - Braillard… comme le chevalier…

Liliane - Non, le chevalier c’était Bayard.

Rosine - Ah bon, t’es sûre ?

Liliane - Oh oui…

Francis, à Paul - Tiens, verse une autre tournée, ça fera passer les émotions.

Le curé - Usus Vademecum en pate, risus magna est !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - Il ne tient qu’à nous d’avoir un sourire éclatant.

Tous se resservent à boire.

Francis, regardant autour de lui - Cet endroit est sinistre.

Paul - Oui, il est dans un sale état.

Thérèse - Vivement qu’on s’en débarrasse et qu’on rentre chez nous…

Mathilde - Tu parles d’un héritage ! Quand je pense qu’elle s’est payé un enterrement de princesse et voilà ce qu’elle nous laisse…

Francis - Elle s’est aussi payé notre tête !

Liliane - C’est pas le sens de la famille qui l’étouffait !

Zoé - Vous rigolez ! Elle a pas laissé que ça !

Francis - Et si ! Pas un radis, pas un bijou, aucun objet de valeur. Rien que ce vieux boui-boui délabré et sans clientèle ou presque et qui vaut pas tripette.

Zoé - J’hallucine !

Francis - Même si on trouve un gogo pour l’acheter, on va rien en tirer du tout.

Paul - Sans compter qu’en tant que petits-neveux et nièces on n’a droit qu’à trente-cinq pour cent. Une misère…

 

 

 

Thérèse - On va le revendre trois fois rien…

Francis - Oui… et trent-cinq pour cent de trois fois rien ça va pas faire beaucoup…

Le curé - Sauf si vous décidez d’agir.

Paul - Comment ça ?

Le curé - Il suffit parfois de peu de chose… C’est vrai qu’en l’état ça ne vaut rien ou presque, mais, rafraîchi, modernisé, la valeur de cet établissement peut atteindre un bon prix. Il est situé en plein cœur du village qui, cette année, a été élu le village le plus fleuri du département !

Liliane - Ça se défend…

Thérèse - Mais oui ! Des couleurs plus gaies, changer la déco…

Le curé - Je pense à Rosine en particulier. Il y a de grandes chances pour que le repreneur la garde comme employée.

Rosine - Ah, je serais bien contente !

Mathilde - Personnellement, je ne mettrai pas un sou pour d’éventuels travaux !

Paul - Par contre, si on s’y met tous… pas de frais de main d’œuvre…

Francis - Quelques pots de peinture et le tour est joué !

Paul - Quelques pots de peinture ? Tu es optimiste. Il faudra vérifier le réseau électrique par exemple… changer la robinetterie…

Francis - Houlà… ça va être compliqué …

Liliane - Avec de la volonté on arrive à tout !

Thérèse - Franchement, c’est une bonne idée et j’aime bien bricoler !

Zoé - Ouais et ben moi, j’en ai rien à battre de ce tas de ruines ! Je suis pas peintre, ni maçon et encore moins plombier !

Mathilde - Ne comptez par sur moi, ni sur Barnabé !

Paul - Réfléchissez. Monsieur le curé a raison. Soit on le bazarde, soit on le rénove et on partage le montant de la vente entre nous. Si on choisit cette option, celui ou celle qui ne participera pas à la réfection n’aura rien de plus que ce qui était prévu. C’est normal.

Zoé - Ça ferait combien de tune chacun ?

Paul - Je ne veux pas m’avancer mais, une bonne dizaine de milliers d’euros, c’est sûr !

 

 

 

Zoé - Ah ouais… pas mal ! Ok, je reste.

Mathilde - Dans ce cas… moi et Barnabé aussi, mais ce n’est pas de gaîté de cœur. J’en connais qui seront difficiles à supporter…

Thérèse - On en a autant à ton service !

Paul - On devait rester quarante-huit heures seulement pour régler les formalités, mais maintenant il faut prévoir une bonne huitaine de jours. Tout le monde est disponible ?

Francis - Pas de problème, je suis en arrêt maladie…

Thérèse - C’est bon pour moi aussi. De toute façon je reste avec Zoé… et Nào !

Mathilde - Attention ! Le bébé n’a droit à rien, ou alors… qu’il travaille !

Zoé - T’as de la flotte à la place de la cervelle ou quoi ?

Liliane, à Mathilde - Jamais tu t’arrêtes de dire des bêtises…

Mathilde, à Liliane - Toi, tu n’es qu’une pièce rapportée, normalement ce n’est pas toi qui hérite…

Thérèse - On a dit : partage entre tous les participants.

Mathilde - Oui eh ben, elle n’a pas intérêt à chômer ! J’y veillerai !

Le curé - Je prierai pour la réussite de votre entreprise.

Francis - Perdez pas votre temps, curé, venez plutôt nous donner un coup de main.

Le curé - J’allais justement vous le proposer.

Paul - Voyons, monsieur le curé, vous n’y pensez pas…

Le curé - Si si, j’y tiens. J’aimais beaucoup votre tante et j’ai à cœur d’agir en mémoire d’elle qui était si triste de ne pouvoir entretenir son établissement et de vous le laisser dans un tel état...

Francis - Tu parles…

Mathilde - Inutile d’essayer de tirer profit de la situation, vous n’aurez pas un centime.

Rosine - Quand même ! Et le denier du culte ? Il faudra y penser.

Le curé - Chère Rosine, vous êtes la plus fidèle de mes brebis.

Paul - Je vous promets que vous n’aurez pas à faire à des ingrats, monsieur le curé.

 

 

 

Le curé - Oh, vous savez, mon fils, je ne reçois pas, je redistribue. Il y a toujours plus pauvre que soi…

Francis - Et plus riche aussi !

Rosine - Je vais plus pouvoir m’occuper de vous, mon père. C’est embêtant…

Paul - Comment ça ?

Liliane - Elle faisait ses repas et son ménage.

Le curé - C’est vrai que ça ne va pas être facile pour moi, mais je me débrouillerai…

Thérèse - Il faut trouver une solution, d’autant qu’il propose de nous aider…

Liliane - J’en vois qu’une. Il reste ici, avec nous.

Le curé - Je ne veux pas vous encombrer…

Rosine - La chambre de la Marthe est libre, il pourrait s’y installer !

Le curé - C’est vrai que ce serait l’idéal... Je serais sur place, ainsi je pourrais aider dès que j’ai un moment…

Paul - …Et vous partageriez nos repas… Qu’en dites-vous ?

Le curé - J’accepte avec plaisir, mon fils.

Francis - Plus on est de fous, plus on rit !

Paul - Bon, il va falloir s’organiser, partager équitablement les tâches. Il faudra s’entraider, alors finies les disputes stériles et les rancoeurs. Un seul objectif : rendre cet endroit accueillant et chaleureux, lui redonner tout son éclat pour notre bien à tous.

Le curé - Pédaler (ère) multi tandem, RER tram autobus !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - On avance plus vite à plusieurs que tout seul.

Paul - Il me faut un volontaire pour l’évacuation d’éventuels gravats, le nettoyage et autres… (Silence total.) - Bon ! Barnabé, tu seras volontaire.

Barnabé - Mais…

Paul - Tu seras volontaire, point ! Thérèse et Rosine vous vous occuperez de l’intendance, repas, pansements au cas où… Mathilde aux fournitures. Liliane et Zoé, peinture et finitions. Francis et moi au gros œuvre.

Le curé - Et moi, quelle sera ma tâche, mon fils ?

 

 

 

Paul - Chacun d’entre nous fera appel à vous selon les besoins.

Le curé - C’est entendu ! Je dois vous laisser, c’est l’heure de l’office. Ensuite je passerai à la cure prendre quelques affaires. A tout à l’heure !

Francis - Salut curé, bonne messe !

Il sort.

Rosine - Je vais vous donner les clés de vos chambres. Thérèse et Zoé vous aurez la plus grande puisqu’il y a le bébé (Elle tend la clé.) - C’est la cinq. Liliane et Paul vous irez dans la trois, Francis la quatre, Barnabé la deux et Mathilde la chambre du cercueil, enfin la une, quoi..

Mathilde - La chambre du cercueil !!!

Zoé - Trop cool !

Rosine - Je l’appelle comme ça vu que la Marthe l’avait mis là.

Mathilde - Mais… c’est horrible !

Rosine - Ben quoi ? Il y est plus et puis c’est qu’une boîte !

Mathilde - Non mais, vous l’entendez ? Une boîte !

Rosine - Ben oui, comme une hûche à pain, y a pas de quoi en faire tout un fromage !

Mathilde - C’est hors de question ! Je refuse catégoriquement d’y dormir ! Je me mettrai dans celle de Barnabé.

Barnabé - Tiens maman, prends ma clé…

Mathilde - Tu es fou ? Je t’interdis d’y coucher. On dormira dans la tienne.

Rosine - Mais, y a qu’un lit…

Mathilde - Peu importe, on se serrera !

Zoé, tout bas à Liliane - J’ai bien capté, là ? Il va pas coucher avec sa mère ?!

Liliane - J’espère qu’il est sevré…

Zoé, pouffant - Oh…

Francis, tendant sa clé à sa soeur - Tiens, prends la mienne, j’irai dans la une, ça me dérange pas.

Paul part vers les chambres avec sa valise, suivi de Thérèse, Zoé et le bébé, Mathilde, Barnabé et Rosine.

Liliane veut rejoindre Paul mais Francis vient s’asseoir à côté d’elle et la retient.

 

 

 

Francis - T’as pas changé, tu sais, ou plutôt si, tu es encore plus séduisante qu’avant…

Liliane - Vraiment ?...

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