Trois chambres à zéro

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Distribution : 6F/4H ou 6F/5H ou 8F/4H ou 8F/3H ou 6F/6H ou 7F/3H ou 7F/4H – Durée : environ 1h50
Décor unique : Salon-salle à manger d’une grande mais modeste maison
Pour échapper à l’expropriation qui les guette, les Durandet n’ont pas d’autre choix que de prendre des locataires pour occuper les chambres de leur grande et vieille maison. Entre une punk, un clochard et une coincée, la cohabitation s’avère délicate…

14 pages

30 minutes environ

ACTE I

Un salon-salle à manger, simple, propre, avec tout le confort. A l’ouverture du rideau, Alice Durandet est assise dans un fauteuil, dans la partie salon. Bernard Petit, le maire de la commune est debout près d'elle et s'apprête à lui montrer un plan. Son secrétaire de mairie est assis sur le canapé et regarde un peu partout, distrait. Lucien, le mari d'Alice, est assis à la table de la salle à manger et classe des timbres de collection dans un album. Il est hypocondriaque et a, devant lui, toute une panoplie de médicaments.

ALICE (énergique) – Non non non et non !

BERNARD (insistant) – Mais enfin, madame Alice, laissez-moi au moins vous expliquer de quoi il retourne...

LUCIEN (à Alice, montrant le maire) – Il retourne... il retourne... il retourne d'où il vient et il arrête de nous embêter avec ça, celui-là ! (Il avale nerveusement trois à quatre pilules.)

ALICE (avec évidence) – On sait parfaitement de quoi tu parles Bernard. C'est la dixième fois que tu viens nous voir pour nous acheter notre maison.

LUCIEN – Et on vous a déjà dit qu'on ne voulait pas ! Vous êtes quand même têtu !

BERNARD (se faisant persuasif) – Je pense que vous n'avez pas bien compris l'importance de ma démarche et de tout l'intérêt qu'il y aurait à...

Josette Merland, l'aide ménagère, arrive avec sa table à repasser qu'elle installe près d'eux. Thomas, le secrétaire de mairie, lui donne un coup de main.

JOSETTE (le coupant, insidieusement) – Il y aurait de l'intérêt pour qui, monsieur le maire ?

BERNARD (à Alice après avoir lorgné Josette de travers) – Ne pourrions-nous pas continuer cette discussion à huis clos, uniquement avec les personnes intéressées ? (Invitant Josette à sortir.) Mademoiselle Merland s'il vous plaît...

JOSETTE – Vous n'êtes peut être pas au courant monsieur le maire, mais je suis aide-ménagère et je suis en service commandé moi, en ce moment.

BERNARD – Oui, eh bien, vous repasserez !

JOSETTE (montrant son fer à repasser) – Vous repasserez ! Il est marrant lui. Qu'est ce que je fais en ce moment, j'fais cuire de nouilles peut être ? (Elle ressort chercher le bac à linge.)

BERNARD – Je voulais dire...

ALICE (prenant la suite) - ... Qu'elle pouvait revenir une autre fois ? On avait bien compris, mais impossible mon pauvre Bernard ! Aujourd'hui vendredi elle est chez nous et lundi prochain, elle sera ailleurs. Ses horaires sont planifiés à l'avance.

BERNARD (cherchant à se débarrasser d'elle) – Elle pourrait peut être aller repasser dans la pièce d'à côté ? (Retour de Josette.)

JOSETTE (avec évidence) – Il y fait bien trop sombre, je ferai du sale boulot. (Fière.) Il me faut de la lumière pour exploiter à fond mes talents de repasseuse.

BERNARD (rajoutant) – Et c'est pas la lumière que vous dégagez qui va vous éclairer beaucoup !

JOSETTE (ne se laissant pas démonter, remontant sa poitrine) – Je vous ferai remarquer que c'est souvent dans les vitrines les moins éclairées qu'on trouve les plus beaux cadeaux ! Et toc !

THOMAS (béat d'admiration devant Josette) – C'est joli ce que vous venez de dire mademoiselle Josette, vous êtes une vraie poêtesse.

JOSETTE (faussement gênée) – Poêtesse, poêtesse, faut rien exagérer. (Un tantinet fière.) Ça me vient comme ça, sans réfléchir...

BERNARD – Sans réfléchir, ça ne m'étonne pas ! (Revenant à la charge et montrant le linge qu'elle repasse.) Mais ça se repasse les yeux fermés des frusques pareilles !

JOSETTE (posant son fer, mains sur les hanches, scandalisée) – Vous voudriez que je repasse les caleçons de monsieur Lucien en fermant les yeux ? Pour que je les brûle ? Mais ça va pas !

LUCIEN (réagissant fermement) – Inquisiteur ! Pirate ! Brûleur de caleçons ! Qu'est ce qu'ils vous ont fait mes caleçons ? Pourquoi ils seraient traités différemment des serviettes de toilette, hein ?

BERNARD (embêté) – J'ai pas dit ça, mais enfin... les serviettes de toilette, en général, ont besoin d'un bon repassage pour être adoucies... tandis que...

LUCIEN (énervé, au bord de la crise) – Tandis que quoi ? Que mes caleçons devraient être aussi raides et durs que du bois ? Et pourquoi j'aurais pas droit, moi aussi, à un peu de douceur dans ce monde de brutes !

ALICE – Calme-toi Lucien, tu vas encore faire une crise de spasmophilie. Prends une pilule jaune pour te détendre.

LUCIEN (tout chamboulé, se jetant sur sa boite de pilules) – Pourquoi il s'en prend à mes caleçons ? (Il est tout agité de tics nerveux.) Mes pilules jaunes...

THOMAS – Vous ne croyez pas, monsieur le maire, qu'on s'égare un peu en ce moment ? On est venu pour parler ravalement de façade et nous voilà rendu dans les calbars de monsieur Lucien !

BERNARD (essayant de se raisonner) – Oui tu as raison. Bon, les choses étant ce caleçon...

LUCIEN (à Alice, toujours agité de tics) – Tu vois, il recommence, il recommence ! Il le fait exprès rien que pour m'énerver.

BERNARD (se reprenant rapidement) – Je voulais dire... (Il détache bien les mots.) les choses étant ce qu'elles sont... il serait sans doute préférable de tout reprendre au début. Je vous demande de m'accorder quelques instants et de ne pas m'interrompre s'il vous plaît.

JOSETTE (en aparté) – Eh ben, si j'suis pas une lumière, j'en connais d'autres qui ne brillent pas par leur modestie ! Et nous voilà reparti pour un discours !

BERNARD (debout, très cérémonieux) – Comme je vous le disais, madame Alice, à quelques mois des prochaines élections municipales, le conseil et moi même avons de grands projets pour la commune dont les besoins, devant la courbe démographique croissante, se font cruellement sentir. (Fort, à Thomas, qui ne cesse de regarder Josette.) N'est ce pas Thomas ?

THOMAS (Thomas, sortant de sa rêverie, acquiesce d'un mouvement de tête.) - Cruellement sentir... Oui oui parfaitement monsieur le maire !

BERNARD - Nous avons donc décidé...

ALICE (l'interrompant doucement) – Attends Bernard... tu es en train de me dire qu'à quelques mois des élections, vous venez, toi et tes conseillers, de réaliser brusquement que la commune manquait d'infrastructures ? (Moqueuse.) Vous n'avez fait le compte de vos concitoyens que la semaine dernière peut être ?

JOSETTE (tout en faisant son repassage et riant bruyamment) – Vous vous êtes planté dans le dernier recensement ?

BERNARD (la regardant d'un oeil mauvais) – Bien sûr que non, mais il faut se projeter dans le futur... toujours avoir une longueur d'avance... poser les bases des réalisations que nous pourrons mettre en oeuvre dès notre réélection...

ALICE (feignant l'étonnement) – Dès votre réélection ? Tu parais bien sûr de toi ! J'ai entendu dire qu'il y avait une liste d'opposition, non ?

BERNARD (riant avec suffisance) – Oui oui, il paraît... Enfin, quand on sait qui est à la tête de cette liste, il y a de quoi se marrer doucement.

ALICE – Ah oui, et qui est-ce ?

BERNARD (s'esclaffant) – Paul Tapon ! Votre cousin mademoiselle Merland !

JOSETTE (tout en repassant) – Eh ben moi, à votre place, je rirais moins, monsieur le maire !

BERNARD (même jeu) – Ah si, je ris, je ris ! Non mais, vous voyez Paul Tapon menant sa campagne électorale ? Sans parler qu'il ne connaît rien aux affaires communales, vous imaginez un instant ses affiches sur les panneaux électoraux (Il cite.) : « Pour gagner démocratiquement, Tapon ! » Ou bien encore : « Pour les anciens, Tapon ! Contre l'insécurité, Tapon ! Contre les impôts, Tapon ! "» Ça ne fait quand même pas très sérieux. Il va nous taponner tous les murs de la ville ! (Il éclate de rire et essaie d'entraîner Thomas avec lui.) N'est ce pas Thomas ?

THOMAS (riant à contre coeur) – Taponner tous les murs ! Ah ah ah, les calembours de monsieur le maire... sont... sont... heu comment dire... sont...

JOSETTE (posant son fer) – Sont pas terribles ! On pourrait en faire autant avec votre nom, monsieur Petit, vous savez (Elle cite également.) : « Pour une grande ville... Votez Petit ! » Ou bien aussi : « Petit... Un maire à la hauteur ! »Avouez que c'est pas terrible ! Ou pire encore : « Votez Petit... pas Tapon ! »

THOMAS (qui éclate d'un rire franc) – Petipatapon, ça c'est marrant ! Alors là, il est bien ce calembour, il est mieux que le vôtre monsieur le maire... (Il s'arrête net devant les gros yeux du maire.)

ALICE – S'il a un bon programme électoral pour la commune, ses chances sont les mêmes que les tiennes.

BERNARD – Quel programme voulez-vous qu'il ait madame Durandet, hein, quel programme voulez-vous qu'il ait ? Un homme qui ne s'est jamais intéressé aux problèmes de la commune, qui occupe son temps à critiquer les autres et qui fait passer ses intérêts personnels avant ceux de la collectivité!

ALICE – Ça, c'est toi qui le dis. Et même si c'était vrai, il ne serait pas le seul dans ce cas.

JOSETTE (soupçonneuse) – C'est tellement vrai que tous les véhicules municipaux sont à l'entretien dans votre garage, monsieur le maire !

BERNARD (réagissant rapidement pour se défendre) – C'est normal puisque c'est moi qui les ai vendus à la commune !

JOSETTE – Ben tiens donc ! Où y a de la gêne, y a pas de plaisir ! (Soupçonneuse.) Vous n'êtes quand même pas le seul garagiste de la commune que je sache !

BERNARD (regardant tout le monde, à tour de rôle) – Attendez, qu'est ce qu'elle veut dire par là, la reine du vaporetto ?

ALICE – Elle veut dire que c'est étrange qu'il n'y ait pas eu différents appels d'offre pour l'achat de ces véhicules.

BERNARD (se défendant) – Mais on en a reçu plein ! Seulement je suis le seul à avoir adressé mon devis dans les délais ! Qu'est ce que vous voulez que j'y fasse ?

THOMAS (brusquement soupçonneux) – C'est bizarre d'ailleurs que tous les autres soient arrivés en mairie deux jours après la date limite d'ouverture des plis !

JOSETTE – C'est vraiment pas de pot pour les autres candidats quand même !

BERNARD – Problèmes des Postes, oubli d'un facteur... que sais-je encore !

LUCIEN (se levant, en colère) – Je vous défends de vous attaquer aux postes ! J'ai été facteur toute ma vie et jamais, vous m'entendez môssieu, jamais un facteur n'oublie une lettre. Ce sont des gens consciencieux, les facteurs, môssieu ! (Portant la main à son coeur.) Ah, mes palpitations... mon coeur...

ALICE (le calmant) – Ne t'énerve pas Lucien, croque vite deux pilules blanches.

LUCIEN (se jetant sur sa boite de comprimés et en avalant trois ou quatre d'un coup) – Oui oui, les pilules blanches...

THOMAS (le regardant faire) – Avec toutes les pilules qu'il s'enfile, il ne va plus avoir faim à midi !

BERNARD – Revenons aux choses sérieuses. (Il s'apprête à déplier son plan.) Voici donc le plan du futur aménagement du quartier que je viens vous soumettre...

ALICE (étonnée) – Le plan ? Quel plan ?

THOMAS (venant au secours du maire) – Une ébauche de plan monsieur le maire ! (A Alice Duarandet.) Une vague idée... une proposition... une suggestion... Que dis-je ? Le résultat d'une réflexion commune...

BERNARD (n'osant pas déplier son plan et regardant son secrétaire) – Hein ? Le résultat d'une réflexion ?... (Comprenant qu'il faut y aller en douceur.) Mais bien entendu, cela va de soi... (Revenant à Alice Durandet.) C'est un projet auquel nous avons mûrement réfléchi en commun et sur lequel j'aimerais connaître votre avis.

ALICE – Ah, tu réfléchis mûrement en commun toi, maintenant ? (Se remémorant.) C'est sûrement mieux pour toi parce que, d'aussi loin que remontent mes souvenirs d'institutrice, je ne me rappelle pas t'avoir vu sortir quelque chose d'intelligent quand tu réfléchissais tout seul.

THOMAS (intéressé) – Vous avez fait l'école à Monsieur Petit ?

JOSETTE (intéressée elle aussi) – Non, c'est pas vrai ?!

BERNARD (un peu ennuyé) – On ne va peut être pas se raconter nos vies !

ALICE (au secrétaire, sans s'occuper de Bernard) – Ah mes pauvres enfants, ne m'en parlez pas ! Je ne crois pas avoir connu de cancres pareils en quarante ans de métier !

THOMAS (de plus en plus intéressé, jetant un coup d'oeil amusé vers le maire) – Si, si parlez-en au contraire, c'est toujours intéressant de connaître les gens avec qui on travaille!

BERNARD (voulant couper court) – Oui, mais là ça n'intéresse personne !

THOMAS – Ben si, moi ! Quand je pense que je suis votre secrétaire depuis si longtemps et que j'ignorais que Madame Durandet fut votre institutrice.

JOSETTE (posant son fer et s'appuyant sur sa table à repasser) - Alors ça c'est marrant !

BERNARD – C'est peut-être marrant...

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