Acte I
Scène 1
Arthur, Philippe
Le rideau s’ouvre sur un décor unique : le salon-salle à manger d’une maison, de type « banlieue chic ». Mobilier sobre, voire impersonnel. On découvre Philippe et Arthur en pleine conversation.
Philippe
Non, non, non, Arthur !… Je ne suis pas joueur !
Arthur
Qui te parle de jouer ? Je te parle de gagner ! Gagner plus en travaillant moins… Tu préfères le train-train de la banque ?
Philippe
Mon train-train, comme tu dis, ne me déplaît pas. Et repartir de zéro, franchement…
Arthur
De zéro ? Chez Finantex ? Avec un fixe doublé, hors résultats ? Mais ça ne se refuse pas, Philippe ! Ouvre les yeux ! Je suis en train de te proposer de refaire ta vie avec un mannequin de vingt-deux ans, là !!!
Philippe, montrant la cuisine, baissant la voix.
Je te rappelle que je suis marié…
Arthur
Quand nous l’avons rencontrée, Babette avait justement vingt-deux ans ! Et tu te souviens de Babette à vingt-deux ans !!! L’image devrait donc te parler !
Philippe
Elle me parle d’autant plus que je n’ai aucune envie de la quitter ! Ta proposition m’honore, mais… je ne t’ai pas invité à dîner pour que tu me débauches !
Arthur, malicieux.
Tu le fais bien, toi…
Philippe
Moi ?…
Arthur
Hop hop hop… Ne me prends pas pour un naïf. Vous ne me recevez jamais qu’en présence d’une célibataire ! Plus ou moins avantageuse d’ailleurs…
Philippe
Pas du tout ! (Arthur s’allonge le nez avec ses doigts, façon Pinocchio.) On aime recevoir plusieurs amis ensemble, c’est tout !
Arthur, accentuant les mots.
Et comme par hasard…
Philippe
On ne va tout de même pas te recevoir avec des femmes mariées !
Arthur
Et pourquoi pas ?
Philippe
On reçoit les couples avec des couples, les célibataires avec des célibataires. Ce sont des choses qui se font. Je t’assure que tu te fais des idées.
Arthur
C’est vous qui vous en faites. Je me passe très bien de votre sollicitude. (Un temps, curieux.) Alors c’est qui, aujourd’hui, ta célibataire en goguette ? Si c’est encore une vieille coincée en mal de mâle qui se rend à son énième dîner de la dernière chance…
Philippe
Non, je t’assure que…
Arthur
Hop hop hop…
Philippe, avouant en partie.
Bon, effectivement, Babette a invité une connaissance récente. Mais de là à vouloir vous caser, franchement…
Arthur
Oui, un pur hasard ! Vous êtes tous pareils ! Sitôt enchaînés par les liens pesants du mariage, caser les proches devient le sport matrimonial numéro un ! C’est confortable, note bien : les couples mariés sont mes meilleurs fournisseurs…
Philippe
Fournisseurs ?… Parce que tu te les fais, en plus ?
Arthur
Avec tout le mal que vous vous donnez… Ça serait gâcher !
Philippe
Beaucoup ?
Arthur
Plusieurs…
Philippe
On te présente des filles sérieuses…
Arthur, amusé.
Sérieuses… oui ! Ça ne les empêche pas d’avoir l’esprit pratique…
Philippe, après réflexion.
Remarque, pour Sonia, je m’en doutais un peu !
Arthur
Celle-là, c’était une véritable « incitation au viol » !
Philippe
Tu aurais pu t’en dispenser !
Arthur
Rassure-toi, avec elle, aucun risque d’effraction !
Philippe
Hé bé ! Alors, elle te convenait bien !
Arthur
Tu veux rire ? Me trimbaler au bras d’une bimbo qui produira sur les autres mâles les mêmes instincts coupables qu’elle m’a inspirés dès le premier abord, quelle angoisse ! (Volontairement hypocrite.) Et puis, tu sais, moi, ces filles qui couchent dès le premier soir…
Philippe
Hein ? En sortant d’ici ?…
Arthur
Je me suis proposé de la raccompagner en voiture, mais bon… Tu connais mon sens déficient de l’orientation…
Philippe
La salope !!!
Arthur
Une salope, c’est celle qu’on n’a pas eue. Moi… si !
Philippe, bêtement, ne sachant quoi dire.
Et… elle a réagi comment ?
Arthur
Sincèrement ?
Philippe
Sincèrement !
Arthur, plein de sous-entendus.
Je l’ai tellement bien baisée que j’aurais voulu être à sa place !…
Philippe
À ce point-là ?… (Arthur acquiesce.) La salope !
Arthur
Tu pourrais dire « le salaud », ça changerait un peu et ça serait tout aussi juste !
Philippe
C’est vrai que lui sauter dessus sans même la connaître…
Arthur
Et alors ? C’est encore la meilleure façon de faire connaissance, non ? Bibliquement, « connaître une femme » c’est lui faire l’amour !
Philippe
Encore faut-il qu’elle soit d’accord. Y a tout un protocole, généralement…
Arthur, grave.
Mon vieux, quand les hommes et les femmes cesseront de se désirer, ça sera, comme qui dirait, la fin du monde…
Philippe, après un instant de réflexion.
Fin du monde… que tu as dû entrevoir avec Séverine, je suppose ?
Arthur
Séverine ? Séverine ?! Alors, oui, là, j’avoue : il y a eu viol !
Philippe, surpris.
Ah bon ? Pourtant, Séverine…
Arthur, le coupant.
En effet ! Je n’étais pas consentant.
Philippe, ahuri.
Hein ?! C’est elle qui t’a… ?
Arthur, martyr.
C’est moi qui me suis fait violence.
Philippe, essayant de se faire une idée.
Là… Si tu l’as… Tu as… Tu as eu du courage !
Arthur
Je suis content de te l’entendre dire ! Et tu voulais qu’elle me plaise ? (Lourd de sous-entendus.) Séverine !… Évidemment que je n’ai pas eu le courage…
Philippe
Donc, tu n’as pas… ?
Arthur
Il est des cas où honorer une femme n’est pas un honneur pour l’homme…
Philippe
Babette pensait qu’une gentille fille comme Séverine ferait une parfaite épouse…
Arthur
Ce que j’attends d’une femme n’est ni d’être une épouse, ni d’être gentille.
Philippe
Pff…
Arthur
Disons que je préfère une femme qui ait quelques formes de vices… à une femme qui ait quelques vices de forme.
Philippe, ironique.
La grande classe…
Arthur, après un temps.
C’est curieux, je te connaissais plus porté sur la gaudriole. Dans le temps.
Philippe, ironique.
Disons que je n’ai plus besoin d’être grivois pour me rassurer sur ma virilité !
Arthur
Moi, j’ai besoin d’être viril pour me rassurer de ma grivoiserie. Et, pour être franc, que la fille de ce soir ait été choisie par Babette ne me laisse pas présager une bonne soirée…
Philippe
Va savoir… Babette m’a dit : « Cette fois, c’est la bonne ! »
Arthur, ironique.
Babette s’est mis dans la tête de me refourguer la domestique ? Un plan DSK ?… Je devrais me méfier !
Philippe
C’est malin !
Arthur, montrant la cuisine.
Non, ça ne colle pas, vous n’avez pas de personnel. Chez vous, c’est Babette qui fait tout, apparemment.
Philippe, vexé.
Si Babette est en cuisine, c’est parce que tu es en avance ! Huit heures chez les gens civilisés signifie huit heures trente, et toi, tu arrives à sept heures et demie…
Arthur
Arriver tôt pour partir moins tard ! Mon côté provincial…
Philippe
Tu es couche-tôt, toi ?
Arthur
Non, j’aime pouvoir vivre deux soirées dans la même nuit. Un dîner, puis une sortie. Ça, c’est mon côté parisien, plutôt…
Philippe, se levant.
Bon, eh bien, ce n’est pas parce que tu arrives en avance que la table va se mettre toute seule ! Tu m’excuses ? Moi aussi, j’ai ma part de travail !
Arthur
Fais ton devoir, mon vieux !
Philippe ouvre un tiroir et en sort une nappe. Arthur le regarde faire.
Philippe
Je me demande si tu mérites tous les efforts qu’on fait pour toi…
Arthur
Mais si ! Tiens : si votre invitée me plaît au point de vouloir l’épouser, je t’offre ton poids en bouteilles de champagne. Je te devrai bien ça !
Philippe
Heu… tu sais, moi je ne l’ai jamais vue…
Arthur
Moi non plus ! On part à égalité !
Arthur, le coude posé sur la table, tend sa main, en attente d’un hypothétique bras de fer.
Philippe, hésitant.
Rien ne me dit qu’elle va te plaire…
Arthur, pour le convaincre.
Si elle ne me plaît pas, étant donné que tu as des charges familiales… tu ne me devras qu’une bouteille ! Ce qui, rassure-toi, me suffit généralement à avoir une femme pour la soirée.
Philippe
En clair : si je gagne, tu arroses mon couple à vie ; si je perds, je célèbre ton célibat libertin… (Philippe met sa main dans la main d’Arthur.) Ça me va !
Arthur lui rabat sèchement la main, gagnant facilement le bras de fer à la surprise de Philippe.
Arthur
Tu as perdu en muscles, toi !
Philippe
On n’a plus vingt ans. Toi non plus !…
Arthur
Tut tut tut… Un homme marié paraît son âge, oui ! Un célibataire a l’âge qu’il paraît…
Philippe, vexé.
Merci Arthur…
Arthur
Ce n’est pas une vacherie, c’est une réalité. (Il lui envoie une bourrade.) Tu prends du mou, mon vieux.
Philippe, hésitant.
Finalement, je préférais encore quand tu me parlais affaires !
Philippe va mettre la table. Arthur avise un tableau.
Arthur, décrivant le tableau.
Une banane, une poire, deux petits abricots. Belle famille !
Philippe, naïvement.
C’est une nature morte !
Arthur
C’est bien ce que je dis…
Philippe ajuste la nappe sur la table pour disposer le couvert.
Philippe, vexé, à nouveau.
Tu es cynique, mon pauvre ! Ça te contrarie, hein, que je refuse Finantex !
Arthur, dans un éclat de rire.
Finantex ?… Finantex n’a besoin de personne, rassure-toi ! Il n’y a pas de Finantex ! Finantex n’existe même pas !
Philippe, surpris, s’arrêtant un instant dans sa tâche.
Mais alors, pourquoi tout ce cirque ?
Arthur
On peut rigoler, non ? Tu as oublié nos jeux de rôles, à l’époque ? Comme je supputais que tu allais te mêler de ma vie privée, ça m’amusait de me mêler un peu de ta vie publique…
Philippe, amusé.
Ah… Nous y voilà ! Tu es gonflé ! Quel culot ! J’ai marché… comme il faut ! Non mais attends, l’idée de te présenter quelqu’un, c’est surtout un truc de Babette.
Arthur, ambigu.
C’est vrai que question idées, elle n’était pas la dernière… Je l’ai trouvée nerveuse en arrivant. Me trompé-je ?
Philippe
C’est que… son dîner de ce soir, c’est un peu nos coups de bourre à nous… Elle est overbookée, là !
Philippe essaie d’en rire, Arthur ne suit pas.
Arthur
Si c’est tout ce que tu as à lui proposer comme coup de bourre !
Philippe, sombre.
Ne t’inquiète pas pour elle, va !
Philippe sort d’un tiroir une belle boîte de couverts en argent.
Arthur
Pour moi, le lit constitue la seule table de négociation valable entre l’homme et la femme… (Troublé par Arthur, Philippe pose un couteau à gauche de l’assiette.) Pour peu qu’on sache encore mettre le couvert, bien sûr…
Philippe, mauvais.
Ça veut dire quoi, ça ?…
Arthur, détaché.
Oh, rien. Je tiens à garder mes quelques illusions matrimoniales… À droite, les couteaux !
Arthur rectifie la position des couteaux et fourchettes. Philippe prend un album photo dans un rayonnage.
Philippe
Regarde. Tu vois ces photos ? Babette, Camille, Chloé ! Mon tableau de chasse à moi… Pas franchement une nature morte…
Arthur prend l’album de mauvaise grâce.
Arthur
L’appartement-témoin ! Tu m’auras tout fait ! Ceci dit, ton harem est superbe ! Quel « reproducteur » tu fais…
Philippe
Quel mauvais esprit ! Le pire, c’est que tu les attires quand même !
Arthur
Dans ce monde asexué, ce ne sont plus les gentils qui attirent ! (Arthur repose l’album sur le rayonnage et revient vers le canapé où se trouve toujours Philippe.) Je le regrette, mais c’est ainsi : aujourd’hui, ce sont les cœurs secs qui rendent les...