ACTE 1
Scène 1
Au mois de février, un après-midi
Léa, Geneviève
Le rideau s’ouvre sur une salle à manger. Une jeune fille est assise dans un des fauteuils. Elle téléphone d’un portable.
Léa (tout miel) - Vous pouvez être sûr que je fais le maximum. A ce soir Clovis.
Au moment où elle raccroche, la porte de la cuisine s’ouvre. Geneviève entre.
Geneviève - Ah ! tu es là ma chérie !… Je crois que j’ai trouvé ! (Sur un ton théâtral.) Ce soir… noisettes d’agneau à la crème de thym ! Qu’en penses-tu ?
Léa (de mauvaise humeur) - Depuis quand sais-tu cuisiner ?
Geneviève - Ce n’est pas moi qui vais préparer le repas.
Léa - Je te rappelle que la domestique, tu l’as mise à la porte !
Geneviève - Licenciée ! Nous l’avons licenciée !
Léa (narquoise) - Je suis sûre qu’elle apprécie la différence !
Geneviève (soupirant) - Ne recommence pas, Léa ! Tu sais très bien que nous n’avons pas eu le choix. Ton père a fait dernièrement de très mauvais placements. Il faut que nous réduisions notre train de vie pendant un moment…
Léa (en colère) - Eh bien, ce moment est très mal choisi ! Je veux épouser Clovis ! Et, par je ne sais quel miracle, il a réussi à convaincre sa mère, qui n’est pas des plus faciles, à venir dîner.
Geneviève - Charmant personnage !
Léa - Elle est P.-D.G. des usines Bareuil.
Geneviève - Connais pas !
Léa - Mais si ! Les plastiques Bareuil !
Geneviève - Non ! Toujours pas !
Léa - Tu le fais exprès, ma parole ! Les boîtes, les sacs en tout genre, les pochettes des supermarchés… Tout cela sort des usines Bareuil !
Geneviève (complètement indifférente) - Impressionnant.
Léa - N’est-ce pas ! Tu peux donc comprendre qu’elle soit très occupée. C’est une chance pour nous qu’elle veuille bien venir.
Geneviève (ironique) - Oh ! trop aimable à elle de daigner nous rencontrer ! Mme Bareuil est peut-être quelqu’un de très occupé mais, si tu dois épouser son fils, il faudra bien qu’elle se libère au moins une journée afin d’assister à son mariage.
Léa (très gênée) - En fait, Clovis ne m’a pas encore demandé de…
Geneviève (stupéfaite) - Quoi ?! Depuis un mois, tu nous rebats les oreilles avec ce Clovis… qui, soit dit en passant, est un prénom ridicule !
Léa - Maman !…
Geneviève - Je n’ai pas fini ! Donc, ce Clovis ne t’a pas demandée en mariage, mais toi tu prépares déjà les cartons d’invitation. C’est ça ?
Léa - Ce n’est pas si simple, maman ! Pour que Clovis fasse sa demande, il faut qu’il soit sûr que je vais plaire à sa mère !
Geneviève - De mieux en mieux ! Ça ne lui suffit pas de s’appeler Clovis, il faut en plus que ce soit un fils à sa maman !
Léa - Arrête !
Geneviève (en colère) - Non ! Je n’arrêterai pas !… Je suis inquiète pour toi. Ce garçon ne me semble pas très amoureux et, qui plus est, il me paraît être plutôt faible !
Léa - Ce n’est pas un faible ! C’est un garçon sensible, il ne veut pas faire de peine à sa mère. C’est une qualité !
Geneviève - Si tu veux. Mais je continue de penser que tout cela n’est pas très romantique !
Léa - Romantique, romantique ! Tu n’as que ce mot à la bouche ! Un mariage basé sur autre chose que l’amour est un mariage tout aussi solide.
Geneviève - Qu’est-ce que tu essaies de me faire comprendre ?… Tu veux épouser un homme dont tu n’es pas amoureuse ? Rassure-moi, Léa… Ce n’est pas les usines Bareuil que tu veux épouser ?
Léa - Et alors ! Qu’y aurait-il de mal à cela ?
Geneviève - Léa ! Ma chérie, je t’en prie, ne fais pas quelque chose que tu puisses regretter.
Léa - Ne t’inquiète pas, maman. J’ai bien réfléchi. C’est ça que je veux : épouser Clovis et être libre !
Geneviève - Etre libre ? Mais tu n’as pas besoin de te marier pour être libre ! Et puis qu’est-ce que ça veut dire ? Que nous t’empêchons de vivre comme tu l’entends ? N’avons-nous pas, ton père et moi, veillé à ce que tu ne manques de rien ? Nous avons toujours essayé de te faire plaisir ! Tes moindres désirs, tes moindres…
Léa (l’interrompant) - C’est vrai ! Et là c’est Clovis que je veux !
Geneviève (inquiète) - Tu dis ça comme si…
Léa interrompt sa mère en la prenant dans ses bras.
Léa (rassurante et câline) - Vous voulez mon bonheur, papa et toi ? (Geneviève hoche la tête, un peu réticente.) Eh bien, mon bonheur est auprès de Clovis. C’est aussi simple que ça.
Geneviève (se dégageant doucement des bras de sa fille) - Si vraiment tu penses…
Léa - J’en suis sûre ! (Comprenant qu’elle a eu gain de cause, elle reprend d’une voix plus énergique.) Bien ! Je suis heureuse que tu approuves ce mariage !
Geneviève (hésitante) - Tu… tu es majeure, ma chérie, et…
Léa - Savoir que tu es d’accord me rassure !
Geneviève - Ah ! alors je… je suppose que je le suis.
Léa - J’en suis très heureuse !… Bon, alors, que me disais-tu au sujet du repas de ce soir ?
Geneviève (pas encore remise) - Euh… je… je disais : que penses-tu des noisettes d’agneau à la crème de thym ?
Léa - Cela me semble parfait ! Mais qui fera le dîner si ce n’est pas toi ?
Geneviève - Monsieur Surgelé !
Léa - Du sur…
Avant que sa fille ne puisse émettre une opposition, Geneviève se dirige vers la porte d’entrée.
Geneviève - Bon, il faut que je parte. A tout à l’heure ! (Elle sort.)
Léa (réagissant un peu tard, elle se précipite vers sa mère, déjà partie) - Maman ! Il faut que nous… (Elle finit sa phrase sur un ton découragé.)… en parlions toutes les deux. (Elle s’effondre sur le canapé en bougonnant.) Du surgelé ! Et pourquoi pas des conserves ? (Après un soupir, elle se lève et prend son portable posé sur le guéridon.) Allô !… Papa ? C’est moi… Alors, où en es-tu ? As-tu trouvé une solution ?… (Soupir exaspéré.) Je te parle de ce soir, le repas avec les Bareuil !… C’est vrai ?… Merveilleux ! Explique-moi !… Comment ?!… « Attends de voir ! »… Papa ! Tu sais que je n’aime pas les surprises !… Papa ?… Allô ! Papa !… Ah ! ce portable !… (Elle raccroche.) Il va encore me dire que la liaison ne passait plus !
Elle pose son portable sur le guéridon et va pour s’asseoir lorsque la porte d’entrée s’ouvre. Joseph entre.
Scène 2
Léa, Joseph
Léa - Papa ! Mais…
Joseph - Je n’ai pas eu le temps de te dire que j’arrivais. La liaison ne passait plus.
Léa (impatiente) - D’accord ! D’accord ! Bon, alors, pour le dîner ?
Joseph - Je te préviens tout de suite : nous allons avoir du pain sur la planche ! Mais tu voulais la grande classe pour ce dîner. Eh bien, tu vas être servie, c’est le moins que l’on puisse dire ! Je t’ai trouvé un majordome et une gouvernante !
Léa - Tu plaisantes ? Maman m’a parlé de vos problèmes financiers et, si elle a renvoyé la bonne, ce n’est pas pour prendre un majordome et une gouvernante !
Joseph - Mais si ! Et c’est là que je suis génial : ils ne vont rien nous coûter !
Léa- Rien nous coûter ?
Joseph - Puisque je te le dis ! Enfin, juste le prix d’un repas et aussi une bonne… euh… attends ! Ils sont dans l’entrée. Surtout tu ne t’énerves pas et tu me fais confiance ! (Il ouvre la porte.) Allez ! Venez, que je vous présente ma fille !
Un couple de clochards entre, serrés l’un contre l’autre.
Scène 3
Joseph, Léa, Gisèle, Louis
Léa - Mon dieu ! (Articulant lentement.) Mais qu’est-ce que c’est que ça ? (Elle prend un mouchoir qu’elle presse sous son nez.)
Joseph - Ma fille, Léa Delatour ! (Se tournant vers Léa.) Léa, je te présente Gisèle et Louis.
Gisèle (après avoir donné un coup de coude dans les côtes de Louis pour qu’il enlève sa casquette) - Gigi et Loulou pour les intimes ! (Elle essuie sa main sur son manteau avant de la tendre à Léa.)
Léa (lui touche le bout des doigts, qu’elle essuie aussitôt avec son mouchoir) - Bon… bonjour ! (Puis se tournant brusquement vers Joseph.) Papa ! (Lui prenant le bras, elle le tire vers le devant de la scène.) « La grande classe », hein !… Tu peux m’expliquer ?
Joseph - Je les ai trouvés devant l’Armée du Salut. Je leur ai promis un repas et…
Léa - … Et une bonne douche ?
Joseph - Et une bonne douche, en effet !
Léa - Tu perds...