Avant l’ouverture de rideau, on pourra passer la chanson « Les comédiens » de Charles Aznavour.
ACTE 1
SCENE 1
BERANGERE
Bérangère est seule, au milieu de la scène. Elle a son portable à l’oreille.
BERANGERE – Pas de souci je te dis… La maison est complètement vide pour la semaine : aucun danger. Oui oui : je m’étais postée à l’angle de la rue et je me suis assurée qu’ils partaient. (Consultant sa montre.) Ca fait bien deux heures maintenant. Tout est sous contrôle ! Under control !... Et 2 000 euros, ça ne refuse pas, surtout en ce moment. Là, il faut vraiment que je te laisse… J’ai encore une ou deux bricoles à régler avant leur arrivée.
Bérangère gagne la terrasse.
SCENE 2
ARCHIBALD
Bruit de clés. Un homme, très élégamment habillé, entre, une valise à la main. Son portable sonne.
ARCHIBALD (visiblement ravi) – Ah ! C’est vous… Bonjour… Allons : pas de Monsieur Darras entre nous. Archibald suffira, voyons… Vous êtes en route ?... Vers quelle heure pensez-vous arriver ?... Selon le trafic, naturellement… Prenez votre temps… Nous aurons toute la soirée… (Il range son portable.) Voilà une affaire qui s’annonce très bien… Oui : très très bien !
Archibald se frotte les mains, se regarde dans le miroir et grimpe l’escalier.
SCENE 3
BERANGERE puis PATRICE
Retour de Bérangère. Elle arrange les magazines posés sur la table basse.
On frappe à la porte.
BERANGERE (regardant sa montre) – Pile à l’heure !
Bérangère va ouvrir. Un homme en chemisette colorée et bermuda fleuri est sur le pas de la porte. Il a un sac de voyage à la main.
BERANGERE – Bonjour !
Patrice entre. La porte reste entr’ouverte.
PATRICE (exubérant) – Salut la compagnie ! Alors celle-là, c’est ma formule préférée
BERANGERE – Tiens donc
PATRICE – Je la sors dès que je rencontre quelqu’un
BERANGERE – Ah…
PATRICE (rigolant) – Je vous parle de ma formule, hein, pas de méprise !
BERANGERE – Oui oui
PATRICE – Un peu longue mais elle plaît toujours… Là encore, je pense à ma formule
BERANGERE – J’avais compris
PATRICE – Ca c’est bien… Parce que des fois, y’en a qui ne la saisissent pas… (Goguenard.) Toujours ma formule, hein ? Bon… Il faut tout de suite vous dire que je suis dans une troupe de théâtre alors forcément, salut la compagnie, ça s’impose !
BERANGERE – Ravie de l’apprendre
PATRICE – Moi aussi : ravi de la prendre… (Lui serrant la main.) Votre main !... Patrice… Patrice Berger… (Pouffant.) Patrice, mais pas triste !
BERANGERE – J’en ai l’impression… (Réfléchissant.) Une troupe de théâtre : en voilà une coïncidence
PATRICE – Pourquoi ?
BERANGERE (esquivant) – Oh ! Pour rien, pour rien… Mais c’est amusant…
PATRICE – Ah ça, nous, on fait dans le comique. « Les tréteaux se couchent tard », c’est le nom de notre troupe
BERANGERE – Vous m’en direz tant
PATRICE – Ca, sans être bûcheron, je peux en débiter ! « Les tréteaux se couchent tard » : bien trouvé, pas vrai ?... Bon, je vous l’avoue : ce n’est pas de moi, mais c’est joliment léché quand même, hein ?... (Il donne un coup de coude à Bérangère.) Tréteaux, rapport au théâtre… (Chantonnant, en essayant d’imiter Charles Aznavour.) Les comédiens ont installé leurs tréteaux, ils ont dressé leur estrade et tendu des calicots…
BERANGERE (l’interrompant) – Très bien
PATRICE – Le chant ou l’imitation ?
BERANGERE – Je vous laisse juge
PATRICE – On n’est qu’une troupe d’amateurs mais, sans prétention, on se défend pas mal… On a notre public
BERANGERE – Je vous le souhaite
PATRICE – La saison dernière, on a joué « Un pétard dans le placard »
BERANGERE (fausse) – Passionnant
PATRICE – C’était une comédie explosive… (Rigolant.) Rapport au pétard !
BERANGERE – Oui oui
PATRICE – Et l’année d’avant « Mon coiffeur, il me défrise ! »
BERANGERE – Tout un programme
PATRICE – Pour cette pièce, il y avait autant de mise en scène que de mises en pli
BERANGERE – Hum…
PATRICE – Je jouais le coiffeur
BERANGERE – Ah ?
PATRICE (riant) – Un personnage rasoir qui frisait le ridicule
BERANGERE – Un vrai rôle de composition dites donc !
PATRICE – Je vais vous faire une confidence
BERANGERE – Si ça peut vous faire plaisir
PATRICE – Eh bien dans la vie, je ne suis pas coiffeur
BERANGERE – Tiens donc
PATRICE – Non : je suis jardinier municipal
BERANGERE – Si vous le dites
PATRICE – Je suis en charge des espaces verts… Attention ! (Epelant.) V E R S, pas les verres pour boire ! Quoique…
BERANGERE – Je vous crois sur parole
PATRICE – Mais quand je suis sur scène, je ne sais pas ce qui m’arrive… Je suis un autre homme… Je me transcende !
BERANGERE – Ouh là ! Tant que ça !
PATRICE – J’avoue que j’ai une prédilection pour les personnages simplets ou balourds
BERANGERE – C’est étonnant
PATRICE (visiblement ravi) – Transcender et prédilection… J’ai enfin pu les placer, et deux d’un coup !
BERANGERE – Un vrai exploit
PATRICE – Ceci dit, je peux jouer tous les rôles
BERANGERE – Oh ! Sûrement
PATRICE (théâtral à l’excès) – « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
BERANGERE – Déroutant… J’en connais un qui serait amusé
PATRICE – Qui donc ?
BERANGERE (esquivant) – Personne… Je… Je soliloquais
PATRICE – A vos souhaits ! (Reprenant ses déclamations théâtrales.) Et celle-là : « C’est un pic, un cap, que dis-je, une péninsule ! »
BERANGERE – Stupéfiant
PATRICE (assez fier de lui) – Hein… Et celle-ci…
BERANGERE – Ca ira largement
PATRICE (un brin déçu) – Ah ?
BERANGERE (directe) – Si nous en venions au fait
PATRICE – Les festivités, j’adore, surtout Noël
BERANGERE – Vous êtes seul ?
PATRICE (taquin) – Oh oh ! Ca vous intéresse ?
BERANGERE (un peu confuse) – Ce n’était pas dans ce sens-là que…
PATRICE (allusif) – Dans un sens ou dans l’autre, je suis preneur !... Pour tout vous dire, eh ben non : je suis célibataire… Pour me consoler, je me dis que j’ai épousé la comédie… C’est déjà ça… Et vous, vous avez quelqu’un ?
BERANGERE – Dites donc : je vous en pose des questions ?
PATRICE (naturel) – Bah oui : vous m’avez demandé si j’étais seul
BERANGERE – Pas faux… En ce moment, je suis seule… (Sans conviction.) Mais c’est très provisoire
PATRICE – Il est des provisoires qui durent
BERANGERE (soupirant) – A qui le dites-vous
PATRICE – Bah : à vous… Entre nous, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué mais c’était
justement des occasions
BERANGERE – Dans la vie, c’est important d’être réaliste
PATRICE – Le neuf, même recyclé et avec défauts d’aspect, vous comme moi, faut plus trop qu’on y compte
BERANGERE – Parlez pour vous !
PATRICE – Il faut être réaliste disiez-vous…
BERANGERE – Hum… Bon : vous êtes du Nord, c’est bien ça ?
PATRICE – Dans le mille Emile ! Dans la cible Lucile ! (Chantonnant.) Les gens du Nord…
BERANGERE (le coupant) – Merci. Et vous venez de Lille ?
PATRICE – Oh là non, malheureuse ! (Avec fierté.) Je suis d’Arras, dans le Pas-de-Calais, là où pousseraient les meilleures endives… Plus précisément de Tilloy-lès-Mofflaines
BERANGERE – Ca vous regarde. Mais vous étiez censés être plusieurs ?
PATRICE – Oui, mais je suis venu comme qui dirait en éclaireur, même si je ne suis pas une lumière… J’en ai profité pour rendre visite à une cousine qui habite à une centaine de kilomètres d’ici… Une cousine éloignée
BERANGERE – Forcément, vu la distance avec Arras
PATRICE – Je ne l’avais pas vue depuis des lustres
BERANGERE – Pour un éclaireur, les lustres, c’est normal
PATRICE – Alors vous, vous avez l’esprit d’à-propos ! Et ce n’est pas pour me déplaire !
BERANGERE – Tant mieux
PATRICE – Vous devriez faire du théâtre vous aussi
BERANGERE – J’y songerai… Et les autres arrivent quand ?
PATRICE – Le gros de la troupe sera là demain… Quand je dis le gros de la troupe, attention : je ne pense pas à Jean-Luc et ses cent dix kilos… Lui, il est boucher à Monchy-le-Preux. Le Jean-Luc, c’est un peu notre comique tripier
BERANGERE – C’est cela oui… Et au total, vous serez combien ?
PATRICE – On aurait dû être sept, mais Régis ne pourra finalement pas venir. Régis Dupont, d’Hamblain-les-Prés… C’est à une dizaine de kilomètres
BERANGERE – D’Arras je suppose ?
PATRICE – Oui… Ah, un sacré comique le Régis ! Il n’en manque pas une !
BERANGERE – Vous devez bien vous entendre alors ?
PATRICE – Pour ça oui ! Dommage qu’il s’appelle Dupont et pas Heure… Régis Heure, ce serait bien pour une troupe de théâtre, non ?
BERANGERE – Vous en avez beaucoup comme ça ?
PATRICE – On ne peut pas s’imaginer !
BERANGERE – Donc, vous serez six
PATRICE – Voilà
BERANGERE – La maison est suffisamment grande pour accueillir tout le monde
PATRICE – Ca, c’est pas de la baraque à frites ! C’est bien pour ça qu’on vous a choisie… La maison, pas vous… Quoique… Et aussi parce qu’elle est toute proche d’Avignon… Depuis le temps que notre troupe veut assister au festival… Alors, quand la Martine a vu votre annonce, elle a sauté dessus… La pauvre !
BERANGERE – Martine ?
PATRICE – Non : l’occasion
BERANGERE (réfléchissant) – Martine ? Oui… C’est elle que j’ai eue au téléphone
PATRICE – C’est l’épouse du Jean-Luc et notre metteuse en scène
BERANGERE – Jean-Luc, Régis, Martine… Voilà des prénoms qu’on n’entend plus
PATRICE – Et je n’ai pas cité ni la Germaine ni la Suzanne
BERANGERE – Ce n’était pas la peine
PATRICE – Avec tout ce monde, j’aurais dû me reconvertir dans la vente d’antiquités… Au fait, c’est quoi votre prénom ?
BERANGERE – Bérangère
PATRICE – Ah… C’est… (Cherchant à se rattraper.) Et vous êtes d’Avignon ?
BERANGERE – Non : de Cavaillon
PATRICE (reluquant la poitrine de Bérangère) – Ah ! Cavaillon, le pays des melons !
BERANGERE (le coupant) – Oui oui
PATRICE – Et vous travaillez dans l’immobilier, c’est ça ?
BERANGERE (gênée) – Euh… Si vous voulez
PATRICE – Oh, moi je veux bien… Je ne suis pas contrariant… Et il vaut mieux être dans l’immobilier que dans l’immobilisme, pas vrai ?... Bon : 2 000 euros la semaine, ça fait cher, mais ce doit être le prix en cette saison
BERANGERE – Je confirme. (Bérangère ouvre la baie vitrée qui conduit à la terrasse.) Regardez : la vue sur le vignoble est magnifique… Vous voyez les deux collines ?
PATRICE (toujours les yeux sur la poitrine de Bérangère) – Je… Très bien…
BERANGERE – On aimerait les parcourir, n’est-ce pas ?
PATRICE – Et comment !
BERANGERE – Et dessous, il y a un petit bois touffu qui ne demande qu’à être exploré
PATRICE – Je suis preneur les yeux fermés
BERANGERE – Il faut quand même que je vous dise qu’il y a un petit hic
PATRICE – Avec un vignoble, c’est normal
BERANGERE – Le portable ne passe pas toujours
PATRICE – Ce n’est pas très grave. Comme dirait Régis : c’est comme une femme, on fera sans. Et un bon rosé vaut mieux qu’un mauvais réseau, non ?
BERANGERE – Je vous fais confiance
PATRICE – Il n’y a plus qu’à s’installer
BERANGERE (songeuse) – Oui…
PATRICE – Quelque chose vous tracasse ?
BERANGERE – Non… C’est juste que je me rends compte que j’ai oublié le double des clés
PATRICE – Ca arrive même aux meilleurs… Tenez, moi, il y a un mois…
BERANGERE – Le mieux, c’est que j’aille les chercher… Je n’en ai pas pour longtemps
PATRICE – Votre agence n’est pas loin ?
BERANGERE (ne comprenant pas) – Mon… ?
PATRICE – Votre agence immobilière
BERANGERE (se rattrapant tant bien que mal) – Ah oui ! Je suis bête des fois
PATRICE – Si ce n’est que de temps en temps… Parce que moi…
BERANGERE – En attendant, n’hésitez pas à utiliser le bar : je l’ai réapprovisionné
PATRICE – Excellente idée !
BERANGERE – Et je vous remets les clés dès mon retour
PATRICE (chantonnant) – Voici les clés, ne les perds pas sur le pont des Soupirs ! Ah ah ! On ne sait jamais : ça peut servir…
BERANGERE – Dites : l’opérette, ça ne vous tenterait pas plutôt que le théâtre ?
PATRICE – Pas vraiment… Et un petit apéro, c’est quand même mieux qu’un grand opéra, pas vrai ?
BERANGERE – Alors vous, quand vous êtes lancé
PATRICE – Je sais : on ne m’arrête plus… Un vrai bolide
BERANGERE – Vous pouvez aussi profiter de la piscine
PATRICE – Avec plaisir ! Et sans tarder ! En général, c’est par la nage indienne que je Comanche… (Insistant lourdement, Bérangère n’ayant visiblement pas compris.) Indienne, Comanche
BERANGERE – D’accord. Et après, vous nagerez Sioux l’eau ?
PATRICE (amusé) – Pas mal du tout votre jeu de mots… (Bas, à lui-même.) Le reste aussi d’ailleurs
BERANGERE – J’y songe : vous n’avez qu’à vous installer dans la chambre d’amis. Elle donne directement sur la terrasse et la piscine. Vous ne le répéterez pas aux autres, mais c’est la plus sympa
PATRICE – Merci du tuyau ! Après tout : premier arrivé, premier servi
BERANGERE – Allez : je file
PATRICE – File indienne alors !
BERANGERE – Hum…
Bérangère sort par la porte de la cuisine.
PATRICE – Vous sortez par-là ?
BERANGERE – Oui : la maison a deux accès… On peut y entrer par l’avant ou par l’arrière
PATRICE – Bah dites-donc, ça promet !
Bérangère quitte les lieux par la porte de la cuisine.
PATRICE (se frottant les mains) – Ca s’annonce bien, ouais, très bien ! Comme dirait Régis, elle a une ligne avec laquelle on aimerait bien pêcher… Bon : je n’ai plus qu’à sauter dans mon maillot de bain et hop ! Dans la piscine ! In the water ! (Il se dirige vers le bar pour se servir un verre.) Mais avant, un petit réconfort… (Au public.) A la vôtre !... Je sais : l’alcool ne mène à rien, mais ça tombe bien : aujourd’hui, je ne vais nulle part !
Patrice gagne la terrasse, son sac de voyage en main.
SCENE 4
ARCHIBALD
Retour d’Archibald, une chemise cartonnée en main. Il pose sa veste sur le canapé et va se servir un verre. Son portable sonne.
ARCHIBALD – Salut… Non non, tu ne me déranges pas… Ouais : je suis arrivé il n’y a pas longtemps… J’attends une visite sous peu… A toi je peux le dire : c’est une jeune fille qui fait des études de théâtre… A mon avis, elle rêve de décrocher un rôle… Oui, très mignonne évidemment… En tous les cas sur la photo de la lettre qu’elle m’a envoyée… Sinon, tu te doutes que je ne l’aurais pas invitée… Maud ? Non, tu penses bien… Je l’ai posée à l’aéroport en fin d’après-midi... Comme tu dis, ça tombe bien… Calculé ?... Oui, aussi… Le texte du Syndrome de Psyché ? Ca tombe bien, je l’ai avec moi… (Archibald sort des feuilles de sa chemise cartonnée.) Je t’écoute… (Il tourne les feuilles.) Attends… Voilà… Acte 2, scène 3, ligne 17… J’y suis… Tu mettrais valétudinaire à la place de cacochyme ?… Pourquoi pas, mais on n’aurait plus la rime avec abîmes et acronymes… Et l’épiphore ferait défaut, sans parler de la prétérition… La polysyndète de la scène 5 ?... Je t’entends de plus en plus mal… Je te rappelle de mon bureau…
Archibald grimpe l’escalier, la chemise cartonnée dans une main, le verre dans l’autre.
SCENE 5
PATRICE puis BERENICE
Retour de Patrice, en peignoir. Il se dirige vers le bar.
PATRICE – Ce qui est pratique dans cette baraque, c’est que le bar est bien placé. Vous me direz, de chez moi au bistrot, il y a cinq minutes… Enfin, à l’aller, parce qu’au retour, ça peut me prendre une heure. (Il se sert un nouveau verre.) Je sais : pas plus de deux verres par jour… Heureusement qu’il y a la nuit ! (Au public.) A la vôtre !
BERENICE (glissant la tête entre la porte d’entrée laissée entr’ouverte) – Bonjour
PATRICE (déjà sous le charme) – Bon… Bonjour
BERENICE – Je peux entrer ?
PATRICE – Avec plaisir
Bérénice entre. Elle porte une robe très courte.
BERENICE – Comme la porte était entr’ouverte et que j’ai entendu parler, je me suis permise de…
PATRICE – Et vous avez bien fait ! (La dévisageant.) Ah ouais : rudement bien fait !
BERENICE – Je suis Bérénice
PATRICE – Béré… Ravi… Bérénice… C’est charmant… Ah oui, charmant tout plein !
BERENICE – Je sais : ça fait un peu long
PATRICE – Contrairement à votre robe
BERENICE (tournant sur elle-même) – Elle ne vous plaît pas ?
PATRICE (comme envoûté) – Ah bah si… Elle est courte, mais ça en dit long
BERENICE – Bérénice, c’est parce que mes parents adoraient Jean Racine
PATRICE – Moi aussi j’adore quand j’enracine, surtout au printemps
BERENICE – Ils avaient hésité avec Esther
PATRICE (rigolant) – Esther de bois alors !
BERENICE (désarçonnée) – Hum…
PATRICE – Avec moi, comme dirait Régis, on se fend la gueule à coup de hache
BERENICE – Oui… Otez-moi d’un doute
PATRICE – Je veux bien vous ôter tout ce que vous portez… (Se reprenant.) Tout ce que vous voulez
BERENICE – Voilà… Vous… Vous êtes bien Monsieur d’Arras ?
PATRICE – Ah ça, le Monsieur d’Arras, c’est bien moi, je vous le confirme
BERENICE – L’homme de théâtre ?
PATRICE – Oui, aussi, enfin, en toute modestie
BERENICE (soulagée) – Tant mieux ! A un moment, en entendant vos réparties, je me suis interrogée
PATRICE – Ah ? Réparties, mais heureusement pas repartie ! Ce serait dommage
BERENICE – Me voilà donc rassurée… Remarquez, je ne vois pas sinon ce que vous feriez en peignoir ici
PATRICE (naïvement) – Bah… J’attendais de me baigner
BERENICE (avec effusion) – Si vous saviez combien je suis contente de vous rencontrer !
PATRICE – Ah bon ?
BERENICE – C’est une véritable aubaine !
PATRICE – Tant mieux mais…
BERENICE – Une vraie opportunité !
PATRICE – Faut peut-être pas exagérer
BERENICE – J’en connais qui vont être jalouses
PATRICE – Qui ça ?
BERENICE – Toutes les copines de la fac… En arts du spectacle option théâtre, c’est un peu normal, non ?
PATRICE (décontenancé) – Ah ?... Euh… Certainement
BERENICE – Vous me croirez si vous voulez, mais ce sont des études passionnantes
PATRICE – Je… Sûrement
BERENICE – Et c’est pour moi une réelle source de plaisir
PATRICE – Oh là !
BERENICE – Je dirais même de jouissance
PATRICE – Bah dites-donc !
BERENICE – C’est un vrai bonheur que de revisiter tous les vieux classiques
PATRICE – C’est mieux que de recycler des vieux plastiques
BERENICE – Euh oui… En ce moment, on planche sur La Bruyère
PATRICE – La bruyère, c’est très tendance cette saison
BERENICE – Ah ?... Et vous, sans indiscrétion, quel est votre auteur préféré ?
PATRICE – Une bonne hauteur sous plafond
BERENICE – Sans rire, votre pièce favorite ?
PATRICE – La cave
BERENICE – Alors vous !... Moi, c’est Corneille… J’adore tous les vers du Cid
PATRICE – Ah ça, un bon verre de cidre ! Ca ne se refuse pas !
BERENICE (sur sa lancée) – Mais j’aime bien aussi le théâtre moderne, avec toutes ses innovations dramaturgiques
PATRICE – Ah ?
BERENICE – Ce qui me fascine, c’est le changement de place pour le lecteur-spectateur
PATRICE – Ca, la place du spectateur, c’est important… Des fois, il y en a qui réservent un mois à l’avance pour être devant
BERENICE – Nos professeurs insistent sur la mise en scène
PATRICE – La Martine ne vous dirait pas le contraire
BERENICE – Ah ! Lamartine !... Paradoxalement, j’ai appris que la mise en scène pouvait être moins en prise avec le texte
PATRICE – Cer… Certainement
BERENICE – En inventant des genres inclassables, naturellement
PATRICE – Oui, naturellement
BERENICE – Et que pensez-vous des « écritures de plateau », qui envisagent la naissance du spectacle directement depuis le travail des répétitions, en oubliant les anciennes hiérarchies et en sollicitant encore davantage les comédiens ?
PATRICE – Oh là, n’en jetez plus !
BERENICE – Aujourd’hui, c’est un peu vous que je sollicite… Alors, aussitôt que j’ai appris que vous étiez ici, j’ai sauté sur l’occasion
PATRICE – Cette fois-ci, je veux bien être l’occasion
BERENICE – Je… J’avoue que j’ai quand même du mal à vous suivre
PATRICE – C’est dommage : je me dirigeais vers la piscine
BERENICE – Vous avez une piscine ?
PATRICE – Bah oui… Et pas petite ! Vous voulez en profiter ?
BERENICE – Je… Pourquoi pas ? Il fait si chaud !
PATRICE – Ah bah oui : pour être chaud, c’est chaud !
BERENICE – Si vous en êtes d’accord, nous pourrions continuer à échanger sur la scénographie
PATRICE – Sur la… Avec joie
BERENICE – Et aborder l’univers des coulisses
PATRICE – Ah ! Les culs lisses… (Se reprenant.) Les coulisses…
BERENICE – Il y a tant de sujets sur lesquels on pourra s’étendre
PATRICE – Moi, ce sera sur un bon transat ! Mais vous n’avez peut-être pas de maillot de bain ?
BERENICE – Bah…
PATRICE – Entre nous, ce ne serait pas grave
BERENICE – Mais si ! J’y pense d’un coup ! J’ai un bikini dans mon combi
PATRICE (qu’on sent déçu) – Ah ?
BERENICE – On vient de me l’offrir
PATRICE – Le combi ?
BERENICE – Non : le maillot. Il est tout riquiqui mais je trouve qu’il me va pas mal… Vous me donnerez votre avis ?
PATRICE – Ah ? Sur ça, je veux bien
BERENICE – Je suis garée un peu loin mais je serai assez vite de retour
PATRICE – J’espère !
Bérénice quitte les lieux.
PATRICE – Ouh là là ! Qu’est-ce qui m’arrive ? Et pourquoi Bérangère lui a-t-elle dit tout ça sur moi ? Ah ! Bérénice ! Sur le fond, je n’ai pas tout compris à ce qu’elle me racontait, mais pour les formes ! Ouille ouille ouille ! Bérénice ! En combo, en combi ou sans combi ! (Chantonnant.) Un tout petit petit biquini… Qu’elle mettait pour la première fois !
Patrice gagne la terrasse.
SCENE 6
BERANGERE, ARCHIBALD
Retour de Bérangère, un trousseau de clés à la main.
BERANGERE (appelant) – Ouh ouh ! Je suis là !
ARCHIBALD (descendant l’escalier) – Moi aussi
BERANGERE (éberluée) – Ah bah ça ! Mo… Monsieur Darras !
ARCHIBALD (théâtral) – Ecce homo… Surprise ?
BERANGERE – C’est que…
ARCHIBALD – Je vous comprends
BERANGERE (tragédienne) – Vous êtes bien le seul dans ce bas monde
ARCHIBALD – C’est vrai que je vous avais dit que je serai absent pour la semaine
BERANGERE – Effectivement
ARCHIBALD – Mais j’ai eu disons… un contretemps… Vous savez ce que c’est
BERANGERE (naïvement) – Oui : quelque chose de fâcheux et qui n’est pas prévu
ARCHIBALD – Comme mon arrivée
BERANGERE – C’est ça
ARCHIBALD – Mais il m’a semblé que vous cherchiez quelqu’un ?
BERANGERE (gênée) – Non non… Je… Je voulais m’assurer qu’il n’y avait personne
ARCHIBALD – Et vous-même qu’est-ce que…
BERANGERE – Qu’est-ce que je fais ici ?... Forcément, vous vous le demandez ?
ARCHIBALD – Oui
BERANGERE – C’est tout simple quand on y pense… (A elle-même.) Il suffit de trouver… Eh bien, comme je ne faisais rien chez moi, je me suis dit qu’il valait mieux que je fasse des choses chez les autres
ARCHIBALD (taquin) – Des choses ? Bah dites donc…
BERANGERE – Oui… Un peu de travail… Comme la maison était censée être vide, je dis bien censée, c’était l’occasion rêvée d’être tranquille pour faire du ménage à fond
ARCHIBALD – Alors vous, toujours à fond dans le ménage !
BERANGERE – Voilà
ARCHIBALD – Voilà voilà
BERANGERE – Dites : vous êtes revenu pour la semaine ?
ARCHIBALD – Non : juste ce soir. Je repars demain matin
BERANGERE – Tant mieux !... (Se reprenant.) Enfin tant mieux pour vous
ARCHIBALD – Bérangère… Je… Je vais vous faire une confidence
BERANGERE (bas, à elle-même) – C’est contagieux en ce moment
ARCHIBALD – J’attends une visite
BERANGERE – Ah ?
ARHIBALD – Oui… Une jeune femme
BERANGERE – Ah ah…
ARCHIBALD – Bérénice
BERANGERE – Oh !
ARCHIBALD – C’est une étudiante en théâtre
BERANGERE – Oh oh !
AECHIBALD – Elle a insisté pour me rencontrer
BERANGERE – Vous en avez de la chance
ARCHIBALD (assez peu convaincant) – Mais vraiment insisté
BERANGERE – Moi, même en insistant lourdement auprès des mecs, j’ai du mal à avoir un rencard
ARCHIBALD – Je pense qu’elle escompte décrocher un rôle dans une de mes prochaines mises en scène
BERANGERE – Et vous en avez un pour elle ?
ARCHIBALD – Possible…
BERANGERE (fine mouche) – Peut-être pas celui auquel elle pense
ARCHIBALD – On ne peut rien vous cacher
BERANGERE – Difficilement
ARCHIBALD – Evidemment, ma femme n’est pas au courant
BERANGERE – Evidemment
ARCHIBALD – Je ne voudrais pas qu’elle s’imagine…
BERANGERE – Ca : elle déborde d’imagination
ARCHIBALD – Aussi…
BERANGERE (embrayant) – Aussi, je n’ai rien vu ni entendu
ARCHIBALD – Voilà… Surtout que vous ne devriez pas être là
BERANGERE (du tac au tac) – Vous non plus
ARCHIBALD – Je saurai être reconnaissant
BERANGERE – A propos : mon augmentation…
ARCHIBALD – J’y songerai
BERANGERE – Et moi je penserai à vous y faire songer
ARCHIBALD – Si elle arrive, je vous laisse l’introduire
BERANGERE – Alors vous, toujours le mot qu’il faut
ARCHIBALD – Avec beaucoup de doigté, cela va sans dire
Archibald grimpe l’escalier.
SCENE 7
BERANGERE, PATRICE
BERANGERE – Oh là là ! Il ne manquait plus que ça ! Comment je vais m’en sortir avec l’autre dans mes pattes… (Retour de Patrice, en maillot de bain.) Tiens : quand on parle du loup
PATRICE – Il montre sa queue… Je rigole : on sait se tenir !
BERANGERE – Encore heureux
PATRICE – Qu’est-ce qu’elle est bonne !
BERANGERE – Quoi donc ?
PATRICE – Bah… L’eau de la piscine… Je nage dans le bonheur !
BERANGERE – Et moi je me noie dans les ennuis
PATRICE – Dites : c’est gentil d’avoir parlé de moi
BERANGERE (qui n’y comprend rien) – De…
PATRICE – Oui : à Bérénice
BERANGERE – A…
PATRICE – Je vous en remercie
BERANGERE – Mais…
PATRICE – C’était flatteur, mais vous vous êtes quand même avancée à mon sujet
BERANGERE (songeuse) – Et maintenant, c’est moi qui ne peux plus reculer
ARCHIBALD (off) – Bérangère ?
BERANGERE (paniquant) – Oh là là !
PATRICE – Je crois qu’on vous appelle ?
BERANGERE – J’en ai peur
PATRICE – Qui est-ce ?
BERANGERE – Je n’ai pas le temps de vous expliquer… Ecoutez : il y a un tout petit imprévu vraiment minime et…
PATRICE – Comme au théâtre quoi
BERANGERE – Sauf que nous ne sommes pas sur les planches
PATRICE – Pas si sûr, pas si sûr…
ARCHIBALD (off) – Bérangère !
Bérangère ouvre la porte du débarras.
BERANGERE – Vite : dans le débarras !
PATRICE – Oh là ! Ca devient hot votre truc !
BERANGERE – S’il vous plaît !
PATRICE – Bon : c’est bien parce que c’est vous et que ça m’amuse… Mais j’aimerais comprendre…
BERANGERE – Plus tard !
Bérangère a juste eu le temps de fermer la porte du débarras, dans lequel elle a poussé Patrice.
SCENE 8
BERANGERE, ARCHIBALD
Retour d’Archibald.
ARCHIBALD – Vous ne m’avez pas entendu ?
BERANGERE – Si, bien entendu, mais…
ARCHIBALD – J’ai omis de vous dire : j’ai commandé des plats au restaurant japonais et on va venir les livrer
BERANGERE – Je vous aurais bien dit pas de sushis mais là, ce serait malvenu
On frappe à la porte.
ARCHIBALD – C’est sûrement elle
BERANGERE – Si vous le dites
ARCHIBALD – Vous pourriez nous laisser ?
BERANGERE (un œil en direction du débarras) – C’est que…
ARCHIBALD (prenant sa veste laissée sur le canapé) – Puisque vous êtes là, vous pourriez repasser ma veste ?
BERANGERE – Je n’aime pas trop m’occuper des affaires des autres
ARCHIBALD – C’est nouveau
BERANGERE – Ah ?
ARCHIBALD (donnant sa veste à Bérangère) – Regardez : elle est toute froissée
BERANGERE (examinant la veste) – Oh ! Pas tant que ça
ARCHIBALD – Moi je trouve… En plus, un bouton se fait la malle
BERANGERE (bas, à elle-même) – Si ça pouvait arriver à d’autres…
On frappe à nouveau avec insistance.
BERANGERE – J’ai compris. Et c’est pour tout de suite je suppose ?
ARCHIBALD – Oui
BERANGERE – Passez-là moi : je vais la repasser fissa ! Ca ne fera pas un pli
ARCHIBALD – Merci. Vous êtes adorable
BERANGERE – Je sais : je suis trop bonne… Ou la bonne de trop, au choix
Bérangère gagne la cuisine.
Archibald se regarde dans la glace.
SCENE 9
ARCHIBALD, MAUD
Archibald va ouvrir la porte (qui restera une nouvelle fois entr’ouverte). Une femme en tenue plutôt stricte entre. Elle a des valises en main.
MAUD (qu’on sent énervée) – Ce n’est pas trop tôt !
ARCHIBALD (éberlué) – Ah bah ça ! Maud !
MAUD – Oui… Bien malgré moi !
ARCHIBALD – Qu’est-ce qui s’est passé ?
MAUD – Figure-toi que l’avion a été annulé à la dernière minute, sans qu’on ait d’ailleurs des explications précises, tu penses bien
ARCHIBALD – C’est une catastrophe !
MAUD – N’exagère pas ! Un autre vol est prévu demain matin
ARCHIBALD – Ah ? Seulement demain…
MAUD – C’est déjà ça… Tu me vas me dire que j’aurais pu dormir dans un hôtel à côté de l’aéroport
ARCHIBALD – Oui : tu aurais pu… C’était une excellente idée
MAUD – Sauf qu’ils étaient complets… Alors finalement j’ai pris un taxi pour passer la nuit ici
ARCHIBALD – Tu aurais dû me prévenir
MAUD – Pour quoi faire ?
ARCHIBALD – Bah, ça m’aurait permis de… d’aller te chercher
MAUD – Tu étais en route pour Genève
ARCHIBALD – Ah oui : c’est vrai…
MAUD – Le souci, c’est qu’arrivée ici, je n’ai pas pu remettre la main sur mes clés
ARCHIBALD – Elles sont sûrement au fond d’une de tes valises
MAUD – Sans doute… Alors j’ai frappé à la porte, machinalement… Quand j’y pense, ce n’est pas très malin puisque la maison aurait dû être vide
ARCHIBALD – Finalement, tu as bien fait
MAUD – Oui, puisque tu es là
ARCHIBALD – Comme tu vois
Maud range sa veste dans le dressing.
MAUD – Je suppose que toi aussi tu as de bonnes raisons d’être ici
ARCHIBALD – Oh ! Si tu savais !
MAUD – Je ne demande qu’à
ARCHIBALD – Ah ?... Eh bien figure-toi qu’à peine t’avais-je déposée à l’aéroport que je me suis aperçu que j’avais oublié un script à la maison… Oui… celui de La supplique d’Hector… C’est bête, non ?
MAUD – C’est fâcheux
ARCHIBALD – Ca, je l’ai déjà entendu
MAUD – Finalement, mon horoscope avait raison
ARCHIBALD – A quel propos ?
MAUD – Attends… (Maud prend un magazine sur la table basse et le parcourt.) Voilà… Sagittaire. La journée sera sombre pour vous et votre entourage
ARCHIBALD – C’est éloquent
MAUD (poursuivant sa lecture) – Armez-vous de patience et le ciel s’éclaircira de lui-même
ARCHIBALD – On croirait un bulletin météo
MAUD – Il ne me reste plus qu’une chose à faire
ARCHIBALD (un peu inquiet) – Quoi donc ?
MAUD – Prendre une douche : ça me calmera… On pourra reparler de tout ça après
ARCHIBALD – Aucun souci
MAUD – Sauf si tu comptes repartir de suite
ARCHIBALD – Non : comme toi, je vais passer la nuit ici et repartir demain
MAUD – Bon. J’y pense : tu pourrais commander des repas ?
ARCHIBALD – Euh… Oui… Tu as une préférence ?
MAUD – J’ai une envie de japonais
ARCHIBALD – Alors c’est fait… (Se rattrapant.) Enfin, c’est comme si c’était fait
MAUD – Parfait. Tu peux monter mes bagages ?
ARCHIBALD – C’est dans le domaine du possible
Maud grimpe l’escalier.
Archibald prend son portable et compose discrètement un numéro.
ARCHIBALD (bas) – Et elle ne répond pas !... Oh là là ! Là, ça s’annonce moins bien… Ouais : nettement moins bien !
Archibald prend les valises et grimpe l’escalier.
SCENE 10
BERENGERE, PATRICE
Retour sans bruit de Bérangère. Après avoir constaté qu’il n’y avait personne dans la pièce, elle va ouvrir le débarras.
BERANGERE – Ouf ! Vous êtes toujours là !
PATRICE – Pas bougé !
BERANGERE – Comme un bon toutou
PATRICE – Oui. La différence, c’est que quand le chien est content, lui, il remue la…
BERANGERE (le coupant) – Oui oui… Je suis encore navrée de vous avoir poussé là-dedans
PATRICE – De rien ! Parfois, c’est bien de rester dans l’ombre
BERANGERE – Comme au théâtre
PATRICE – Et pour vous comme pour moi, on peut dire que c’était un bon débarras, non ?
BERANGERE – Heureuse que vous le preniez avec le sourire
PATRICE – Je reconnais que cette situation cocasse m’amuse beaucoup
BERANGERE – Moi pas tellement
PATRICE – Tout ça me rappelle une des pièces qu’on a montées il y a quelques années
BERANGERE – Les pièces montées, j’adore !
PATRICE – Alors celle-là, faut que je la note ! (Après un temps.) Un monde dingue ! C’est ça : c’est le titre de la comédie… Je ne sais plus trop de qui… Vincent Durand ou Dupuis… Eh ben figurez-vous que je suis resté dans un placard pendant presque un acte
BERANGERE – Comprenez-moi : j’étais au pied du mur
PATRICE – Comme moi dans ce réduit… Dites : pour plus tard, vous n’auriez pas une cachette plus grande à me proposer ?
On entend des pas dans l’escalier.
BERANGERE – Si : le dressing… et tout de suite !
Bérangère pousse Patrice dans le dressing.
SCENE 11
BERANGERE, ARCHIBALD
Retour d’Archibald.
ARCHIBALD – Ah ! Bérangère
BERANGERE – Toujours là
ARCHIBALD – Vous avez eu le temps de faire ma veste ?
BERANGERE – Oui
ARCHIBALD – Bérangère, je ne voudrais pas abuser de vous
BERANGERE – Oh ! Ca ne risque pas
ARCHIBALD – Vous pourriez nettoyer la chambre verte ?
BERANGERE – Vous comptez l’utiliser ?
ARCHIBALD – Dites-donc ! Ca vous regarde ?
BERANGERE – Oui, si je la nettoie… Mais ce ne sera pas la peine : elle est impeccable
ARCHIBALD – Ah… Et la bibliothèque ?
BERANGERE – Pareil… et même mieux !
ARCHIBALD – En revanche, j’en connais une qui aurait besoin d’un bon dépoussiérage
BERANGERE – Vous pensez à moi ?
ARCHIBALD – Non
BERANGERE (soupirant) – Evidemment : on ne pense jamais à moi
ARCHIBALD – La cave : elle mériterait qu’on s’occupe d’elle
BERANGERE (allusive) – Elle n’est pas la seule
ARCHIBALD – Alors qu’est-ce que vous attendez ?
BERANGERE – C’est que…
ARCHIBALD (ferme, mais sans plus) – Allez : du balai !
BERANGERE – Pour une femme de ménage, c’est le comble
ARCHIBALD (rectifiant) – Non : la cave !
Bérangère va à la cave.
ARCHIBALD – Bon : m’en voilà débarrassé ! Autant l’éloigner : avec elle, on n’est jamais à l’abri d’une parole malencontreuse, et j’ai assez affaire avec Maud
MAUD (off) – Archibald !
ARCHIBALD – Qu’est-ce que je disais ? Et c’est parti ! (Au public.) Mais vous, vous restez !
ACTE 2
SCENE 1
BERENICE puis ARCHIBALD
Retour de Bérénice par la porte d’entrée, laissée entr’ouverte.
BERENICE – Décidément, c’est bizarre : la porte reste toujours entr’ouverte dans cette maison
Bérénice enlève sa robe qu’elle pose sur le canapé ; elle porte un bikini bleu.
BERENICE – C’est quand même bien un combi pour se changer. (A un homme du public.) Navrée pour vous monsieur… Et désolée, mais vous pourrez revenir aux autres représentations, ce sera pareil. On est au théâtre, pas au cabaret ! (Appelant.) Monsieur Darras ? Vous êtes là ?
Archibald descend l’escalier.
ARCHIBALD (assez bas) – Bonjour
BERENICE (surprise) – Bon… Bonjour
ARCHIBALD (ravi) – Je parie que vous êtes Bérénice
BERENICE – Je… Oui… Et vous ?...
ARCHIBALD (avec évidence) – Bah : Archibald Darras
BERENICE (stupéfaite) – Ah bah ça !
ARCHIBALD – Cela a l’air de vous étonner ?
BERENICE – Plutôt
ARCHIBALD – Qu’est-ce que vous voulez dire ?
BERENICE (le dévisageant) – On change avec les années mais là, c’est en accéléré !
ARCHIBALD – Vous pourriez vous expliquer ?
BERENICE – Vous dites que vous êtes Monsieur Darras ?
ARCHIBALD – Oui… Mais avec vous, je vous le répète, ce sera Archibald et même Archi
BERENICE – L’auteur du traité sur la comédie burlesque au Haut Moyen Age ?
ARCHIBALD – Dans l’Europe méditerranéenne, oui
BERENICE – Le metteur en scène de La métamorphose de Britannicus ?
ARCHIBALD – Aussi… Et de La conspiration de Sophocle
BERENICE – Bah alors qui était l’autre ?
ARCHIBALD – L’autre ?
BERENICE – L’homme qui m’a ouvert la porte il y a une vingtaine de minutes
ARCHIBALD (interloqué) – Hein ? Quel homme ?
BERENICE – Celui qui s’est visiblement fait passer pour vous
ARCHIBALD – Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ?
BERENICE – La pure vérité
ARCHIBALD – Je ne vois absolument pas de qui vous parlez
BERENICE – Un gars plutôt lourd, et je pèse mes mots
ARCHIBALD – Comment avez-vous pu me confondre avec un tel individu ?
BERENICE – Bah en fait, si j’ai lu la plupart de vos ouvrages sur le théâtre, j’avoue que jusqu’à cette heure, je ne savais pas à quoi vous ressembliez
ARCHIBALD – Alors que moi, j’avais votre photo. (La dévisageant.) Elle vous correspond en tous points, ce qui me réjouit
BERENICE – Elle est assez récente
ARCHIBALD – Et cet autre, il ressemblait à quoi, lui ?
BERENICE – Oh ! A rien
ARCHIBALD – C’est peu de choses… Et vous avez discuté ensemble ?
BERENICE – Oui
ARCHIBALD – Et alors ?
BERENICE – C’est vrai qu’il tenait des propos assez étranges, mais il a quand même cité Lamartine alors…
ARCHIBALD (inquiet) – Ouh là là ! Je n’aime pas ça
BERENICE – Moi, c’est un de mes auteurs préférés
ARCHIBALD – Mais pas ça du tout !... Je me demande vraiment qui est ce personnage et ce qu’il voulait
BERENICE – Me faire profiter de la piscine
ARCHIBALD – Hein ?
BERENICE – Ce qui explique ma tenue
ARCHIBALD – Alors ça, en revanche, j’aime bien
BERENICE – Tout ça est quand même étrange, vous ne trouvez pas ?
ARCHIBALD – Inquiétant surtout ! (Réfléchissant.) A moins que… Oui : il y a une clinique d’aliénés tout près d’ici
BERENICE – Vous pensez qu’un d’eux se serait échappé ?
ARCHIBALD – Qui sait ?
BERENICE – Et qu’il se serait introduit dans votre maison ?
ARCHIBALD – C’est une possibilité
BERENICE – En tous les cas, elle est magnifique
ARCHIBALD (les yeux fixés sur Bérénice) – Ah ça… Quoi donc ?
BERENICE – Votre maison
ARCHIBALD – Ah ?... J’en conviens. A l’origine, figurez-vous que c’est un corps de femme (Se reprenant.) De ferme
BERENICE – Un corps qui a beaucoup de charme
ARCHIBALD (dévisageant Bérénice de la tête aux pieds) – Pour ça oui !
BERENICE – Il y a de beaux volumes bien mis en valeur
ARCHIBALD – Effectivement
BERENICE – J’adore les formes cintrées
ARCHIBALD – Et moi donc !
BERENICE – Elles embrassent bien le paysage
ARCHIBALD (bas, à lui-même) – Ca, je suis sûr qu’elle embrasse bien !
MAUD (off) – Archibald ? Tu peux venir ?
ARCHIBALD – Tout… tout de suite ?
MAUD (off, avec fermeté) – Oui, tout de suite !
ARCHIBALD – Là, il vaut mieux que j’y aille
BERENICE – Ah bon ?
ARCHIBALD – Je n’ai hélas pas le choix
BERENICE – J’en ai vaguement l’impression
On entend des pas dans l’escalier.
ARCHIBALD – Oh là là ! Vite : entrez là !
BERENICE (protestant, mais sans plus) – Mais…
Archibald pousse Bérénice dans le dressing, juste avant que n’apparaisse Maud dans l’escalier. En toute hâte, il cache la robe sous un coussin de canapé.
MAUD (agacée) – Mais qu’est-ce que tu fais ?
ARCHIBALD – Mon possible pour m’en sortir
MAUD – J’ai besoin de ton aide
ARCHIBALD – Ah ?
MAUD – Oui : je n’arrive pas à ouvrir une de mes valises
ARCHIBALD – Je… Je vais m’en occuper
MAUD – Immédiatement alors : dedans, j’ai mes médicaments pour la tension et sûrement aussi mes clés
Maud se dirige vers le bar.
ARCHIBALD (se dirigeant vers l’escalier) – Tu ne montes pas ?
MAUD – Dans deux minutes : le temps de me servir un verre. La valise est sur le lit
Archibald a grimpé l’escalier. Maud va au bar, se sert un verre, s’assoit sur le canapé et finit par découvrir la robe de Bérénice.
MAUD – Tiens donc !... De mieux en mieux !... Je me demande si… (Se relevant.) J’en connais un qui va devoir s’expliquer et fissa… (Réfléchissant.) Et puis non… Mieux vaut jouer au plus fin et attendre… (Sentencieuse.) Armez-vous de patience et le ciel s’éclaircira de lui-même… En attendant de trouver la femme, elle, elle n’est pas près de trouver sa robe !
Maud cache la robe sous le canapé et grimpe à son tour l’escalier.
SCENE 2
BERENICE, PATRICE
Patrice sort la tête du dressing.
PATRICE – Ca va : on peut sortir
BERENICE – Vous êtes sûr ?
PATRICE – Oui : la voie est libre
BERENICE – Tant mieux !
Patrice et Bérénice sortent du dressing.
BERENICE – A deux, on commençait à étouffer là-dedans
PATRICE (rigolant) – Moi, ça ne me déplaisait pas
BERENICE – Heureusement qu’on était en maillot de bain
PATRICE (les yeux sur Bérénice) – Ah ça oui ! Surtout vous !
BERENICE – En plus, je n’aime pas être dans le noir
PATRICE – Dommage que je n’avais pas ma baladeuse sous la main
BERENICE (allusive) – En revanche, pour la main baladeuse…
PATRICE – Ah ? Je n’ai rien senti
BERENICE (directe) – Moi si ! Bon : assez joué la comédie
PATRICE – Ce n’est pas ce que nous disent les spectateurs… (Au public.) N’est-ce pas ?
BERENICE – Vous êtes qui au juste ?
PATRICE – Bah je vous l’ai dit
BERENICE – Vous n’êtes pas Archibald Darras, n’est-ce pas ?
PATRICE – De la ville d’Arras, c’est sûr… Mais pas Archibald… Moi, c’est Patrice… Patrice Berger… Patrice, mais pas triste !... Alors celle-là, je l’ai déjà sortie… Ma blagounette !
BERENICE – Hein ?
PATRICE – Oh là là ! Je sens la confusion
BERENICE (reniflant) – Et surtout la transpiration
PATRICE – Ah ? (Rigolant.) C’est vrai qu’avec moi, il vaut mieux être sur les échelles que sous les aisselles
BERENICE – Vous vous êtes moqué de moi ?
PATRICE – Je vous assure que non
BERENICE (agacée) – C’est ça !
PATRICE – Il y a dû y avoir méprise je vous dis
BERENICE – Vraiment ?
PATRICE – Oui
BERENICE – Vous pourriez m’expliquer plus clairement ?
PATRICE – C’est jouable mais en attendant, je vais me rafraîchir ; qu’est-ce que vous en pensez ?
BERENICE – Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?
PATRICE – Je ne sais pas mais moi, le plus grand bain… (Rectifiant.) Le plus grand bien
On entend des voix et des pas dans l’escalier.
BERENICE (paniquant) – Ecoutez : je crois qu’on vient !
PATRICE – Je confirme
BERENICE – Pas de temps à perdre : vous là et moi ici !
PATRICE (déçu) – Ah….
Prestement, Bérénice se glisse dans le débarras et Patrice dans le dressing.
SCENE 3
ARCHIBALD, MAUD
Archibald et Maud descendent l’escalier. Maud est en peignoir.
MAUD – Finalement, je vais faire des traversées
ARCHIBALD – Très bonne idée… Ca permettra de t’éloigner
MAUD – Qu’est-ce que tu dis ?
ARCHIBALD – Que ça éloignera tous tes soucis
MAUD – A voir
ARCHIBALD – Après la piscine, tu devrais aller t’allonger un long moment
MAUD – Tu as raison
ARCHIBALD – Parfait ! Ca me laissera le temps
MAUD – Le temps de quoi faire ?
ARCHIBALD – De… de mettre en ordre mes affaires… Il faut que je me débarrasse de certaines légèrement encombrantes
MAUD – Avant, je vais récupérer mon portable… Il doit être dans ma veste
ARCHIBALD – Très bien
MAUD – Et ma veste doit être dans le dressing
ARCHIBALD – Très bien. (Réalisant.) Ah mais non ! Ce n’est pas possible !
MAUD – Si si ! Je suis quasiment certaine que je l’ai mise là en arrivant
ARCHIBALD – Tu es sûre que c’est une bonne idée ?
MAUD – Bah oui : un dressing, c’est fait pour ça, non ?
ARCHIBALD (paniqué) – Oh là là !
SCENE 4
Les mêmes, PATRICE
Maud ouvre la porte du dressing.
MAUD – Monsieur
PATRICE – Madame
ARCHIBALD (soulagé, à lui-même) – C’est vrai que les gens changent vite d’apparence dans cette maison
MAUD (à Patrice) – Vous pourriez sortir ?
PATRICE – Bien sûr
MAUD – Ca me permettrait de prendre ma veste
PATRICE – C’est tout naturel
MAUD – Merci
PATRICE – De rien
Patrice sort du dressing.
MAUD – Ce serait trop vous demander de nous dire qui vous êtes ?
ARCHIBALD (en écho) – Oui : ce serait trop vous demander de nous dire qui vous êtes ?
PATRICE (bêtement) – Qui vous êtes. Voilà : je l’ai dit
MAUD (sèche) – Très drôle !
ARCHIBALD (toujours en écho) – Oui : follement drôle
PATRICE – Content que ça vous ait plu… Ce n’est pas toujours que ça marche
MAUD – Alors ?
ARCHIBALD – Alors ?
SCENE 5
Les mêmes, BERANGERE
Retour de Bérangère.
BERANGERE – Patrice !
PATRICE – C’est ça
MAUD (surprise) – Bérangère ! Qu’est-ce que vous faites là ?
BERANGERE – J’essaie de m’en sortir
MAUD (allusive) – Vous aussi ! Décidément…
ARCHIBALD – J’ai complètement omis de t’en parler mais Bérangère a profité de notre absence pour venir faire un peu de ménage… (A Bérangère.) C’est bien cela ?
BERANGERE – Exactement
MAUD – Sauf qu’on est là
BERANGERE – Voilà… (A Maud.) Et vous-même ?
ARCHIBALD – A cause d’un avion annulé, ma femme est revenue passer la nuit ici et elle redécolle demain matin
MAUD – Oui oui, merci. (Désignant Patrice.) Et vous connaissez cet individu ?
BERANGERE – Oui…. C’est… C’est Patrice
MAUD – On a compris
BERANGERE – Patrice est un… un ami d’enfance
ARCHIBALD (ironique) – Ca ne doit pas dater d’hier
MAUD (sèche) – On se passera de tes remarques
BERANGERE – Il est de passage dans la région… (A Patrice.) C’est bien ça ?
PATRICE – Oui. Je viens du Nord
BERANGERE – De tire-toi et laisse ma peine
PATRICE (rectifiant) – Tilloy-lès-Mofflaines
BERANGERE – Celui-là, je n’arrive jamais à le prononcer
MAUD – Et qu’est-ce qu’il fait dans la maison ?
ARCHIBALD – Oui : qu’est-ce qu’il fait dans la maison ?
MAUD – Arrête de répéter tout ce que je dis !
PATRICE – C’est vrai qu’à force, c’est agaçant
ARCHIBALD – Alors vous…
BERANGERE – Patrice m’a accompagnée… Je voulais la lui montrer
PATRICE – La baraque, pas…
BERANGERE (le coupant) – Oui oui… Il… Il est architecte, c’est pour ça… Une demeure comme la vôtre, ça vaut le détour
MAUD – Vous êtes archi ?
PATRICE – Déjà, archi content d’être ici
BERANGERE – Patrice ne peut s’empêcher de plaisanter
MAUD – Comme c’est intéressant ! Figurez-vous que je suis passionnée par l’histoire de l’art
PATRICE – Moi, j’ai un pote, Jean-Luc, le lard, ça le connaît… (A Bérangère.) On en a parlé : il est boucher à Monchy-le-Preux
BERANGERE – Oui oui
MAUD – L’architecture m’intéresse au plus haut point
PATRICE – Ah ?
MAUD – Et je suis férue de décoration d’intérieur
ARCHIBALD – C’est une fan de design
PATRICE – Tout ça d’un coup : bah dites-donc !
MAUD – Ne dit-on pas que l’aménagement d’une maison est le reflet de l’âme de ceux qui l’habite ?
PATRICE – Euh… Si : sûrement
MAUD – Pour notre intérieur, mon mari est moi n’avons hélas pas la même approche conceptualiste
PATRICE – C’est dommage
MAUD – Pour ma part, je suis une fervente adepte de l’esthétique réduite à la plus pure essence
PATRICE – Faut faire gaffe : l’essence, elle n’est pas toujours pure
MAUD – Alors que lui plaiderait pour un décor teinté qui jouerait sur les contrastes
PATRICE – Ca c’est bien dit
MAUD – A titre anecdotique, figurez-vous que nous avons notamment un dilemme sur les fenêtres
PATRICE – La fenêtre, c’est la porte ouverte aux débats
MAUD – La fenêtre serlienne, il n’y a rien de mieux, pas vrai ?
PATRICE – Je…
ARCHIBALD – Pour ma part, je parlerais plutôt de fenêtre palladienne, mais la nuance est infime, n’est-ce pas ?
PATRICE – Vous savez, moi, l’une ou l’autre…
MAUD – D’accord, mais vous, quel serait votre tendance ?
PATRICE – Bah… En fait, c’est plutôt l’aspect extérieur qui compte… Dans une baraque comme chez une femme d’ailleurs
MAUD – Ah ?... Enfin, tout ça ne nous dit pas ce que vous faites en maillot de bain
PATRICE – Je…
BERANGERE – C’est ma faute. Je lui avais dit qu’il y avait une piscine et il faisait tellement chaud qu’il a piqué une tête
PATRICE – Je l’ai piquée mais je la rendrai : promis !
BERANGERE – Je sais : je n’aurais sans doute pas dû lui dire oui
ARCHIBALD – C’est ce qu’on dit une fois qu’on est mariés
BERANGERE – Garde tes réflexions pour d’autres. (A Patrice.) Mais qu’est-ce que vous faisiez dans le dressing ?
ARCHIBALD – C’est étonnant en effet… Tu vois : je n’ai pas dit pareil
BERANGERE – Bah oui : qu’est-ce que tu faisais dans le dressing ?
ARCHIBALD – Là, c’est de la répétition
PATRICE – Je… Je suspectais la présence de termites
MAUD – De termites ?
PATRICE – Ce sont des insectes
ARCHIBALD (sarcastique) – Merci de la précision
MAUD – Des termites ! De mieux en mieux
PATRICE – C’est le genre typique de demeures qu’elles adorent, avec toutes ces boiseries
BERANGERE – Je confirme. Chez vous, je ne peux pas dire qu’on n’en a rien à cirer
PATRICE – Et on ne le sait hélas que rarement, mais c’est souvent dans les dressings que les termites se cachent
MAUD – Vous ne vous foutez pas de nous par hasard ?
ARCHIBALD – Maud ! Voyons… Et vous en avez trouvées ?
MAUD – Les parasites, ce n’est pas ce qui manque
PATRICE – C’est que… J’ai été interrompu par votre arrivée
MAUD – C’est bête
PATRICE – Bébête je dirais, rapport aux…
MAUD (se contrôlant) – Maud, reste calme ! Zen !
ARCHIBALD – Je te le répète : tu devrais aller t’allonger
PATRICE – Moi, c’est ce que je fais quand au boulot j’ai mal au ciboulot
MAUD – Je vais surtout me prendre un gros cachet
ARCHIBALD – Le rêve de tout comédien !
MAUD – N’en rajoute pas tu veux ! Mais à mon retour, j’espère que vous aurez des explications plus convaincantes à me fournir parce que sinon…
ARCHIBALD – Tu peux compter sur nous
BERANGERE – Oui oui
Maud grimpe l’escalier.
PATRICE (à Archibald) – Si j’ai tout compris, c’était votre dame
ARCHIBALD – Hélas !
PATRICE – Vous exagérez : elle n’est pas si moche que ça… Elle a même du charme
ARCHIBALD – Hum…
PATRICE – En tous les cas, elle n’avait pas l’air contente
BERANGERE – C’est assez fréquent
ARCHIBALD (mollement) – Dites donc !
BERANGERE – En tous les cas, elle nous a rhabillés pour l’hiver
PATRICE – A ce propos, vous permettez que j’aille passer un peignoir ?
ARCHIBALD – Ce serait préférable.
Patrice gagne la terrasse.
Archibald va rejeter un œil dans le dressing.
ARCHIBALD – Où est-elle passée ?
BERANGERE – Qui donc ?
ARCHIBALD – Bérénice
BERANGERE – Parce qu’elle est arrivée ?
ARCHIBALD – Oui… Juste après mon épouse. Je n’ai pas eu d’autre choix que de la cacher dans le dressing
BERANGERE – Votre épouse ?
ARCHIBALD – Bérénice
BERANGERE – Cacher les gens dans le dressing, c’est d’un classique !
ARCHIBALD – Mais elle n’y est plus
BERANGERE – Cherchez la femme !
Archibald regarde sous le coussin du canapé.
ARCHIBALD – Sa robe n’est plus là non plus… La robe de Bérénice, au cas où vous ayez encore du mal à suivre
BERANGERE – Ca va : je m’accroche
ARCHIBALD – C’est fou : tout disparaît dans cette maison
BERANGERE (soufflant) – Sauf la poussière
ARCHIBALD – J’y suis !
BERANGERE – L’important, c’est d’y rester !
ARCHIBALD – Oui : Bérénice a compris ce qui se passait
BERANGERE – Elle a de la chance, parce que moi, des fois…
ARCHIBALD (sur sa lancée) – Et elle a préféré partir
BERANGERE – Si vous le dites
ARCHIBALD – Elle a été fine mouche
BERANGERE – Après les termites
ARCHIBALD – Oui : c’est sûrement ça ! Elle n’a pas voulu me mettre dans l’embarras
BERANGERE (bas, à elle-même) – Alors que moi, je l’ai mis dans le débarras
ARCHIBALD – Finalement, tout s’arrange
BERANGERE – Ca dépend pour qui…
ARCHIBALD (taquin) – Entre nous, Patrice, ce n’est pas votre ami d’enfance, n’est-ce pas ?
BERANGERE – Bah…
ARCHIBALD – Allez : faut pas me la faire à moi
BERANGERE (décontenancée) – Vous… Vous avez deviné ?
ARCHIBALD – Evidemment. Petite cachotière !
BERANGERE – Je…
ARCHIBALD – Vous avez voulu profiter de la maison ?
BERANGERE – Je l’avoue
ARCHIBALD – Pour un petit séjour en amoureux, c’est ça ?
BERANGERE – Ah ?... (Avec soulagement, réalisant enfin.) Oui, voilà…Enfin…
ARCHIBALD – Je peux vous comprendre, mais vous pouviez trouver nettement mieux
BERANGERE – C’est pourtant une superbe bâtisse
ARCHIBALD – Je vous parlais de Patrice
Retour de Patrice, en peignoir.
PATRICE – On parle encore de moi je parie
ARCHIBALD – Et moi je parie que c’est vous qui vous êtes fait passer pour moi auprès de Bérénice
PATRICE (avec emphase) – Ah ! Bérénice !
ARCHIBALD – Je suis dans le vrai ?
PATRICE – En partie…
ARCHIBALD – Mais qu’est-ce qui vous a pris ?
PATRICE – En fait, tout est parti d’un imbroglio… J’aime bien ce mot, je ne sais pas pourquoi
ARCHIBALD – Vous pourriez m’en dire davantage ?
PATRICE – Bah vous êtes Darras et moi aussi
ARCHIBALD – Plaît-il ?
PATRICE – Plaît-il ! Cette expression, c’était la favorite de mon grand-père
ARCHIBALD (s’impatientant) – Alors ?
PATRICE – Bah, je suis d’Arras… Arras, dans le Pas-de-Calais
ARCHIBALD – Merci : je connais ma géographie
BERENICE – Moi, j’ai jamais été forte en capitales
PATRICE – Finalement, c’est un peu comme si vous vous appeliez Damien et que j’étais d’Amiens… D’Amiens, en Picardie
ARCHIBALD – Inutile dans rajouter : j’ai compris
BERENICE – Moi pas tout
ARCHIBALD – Permettez-moi néanmoins d’avoir quelques doutes
PATRICE – Oh ! Mais je vous le permets
MAUD (off) – Archibald !
BERANGERE – Vous avez entendu ?
ARCHIBALD – Une nouvelle fois, le devoir m’appelle
PATRICE – Votre femme aussi
ARCHIBALD – Je pense que nous aurons l’occasion de creuser tout ça
BERANGERE – S’il le faut
ARCHIBALD – En attendant, je vous laisse entre tourtereaux
Archibald grimpe l’escalier.
PATRICE – Moi, j’ai plutôt l’impression que là, je suis le pigeon
BERANGERE – Je suis vraiment désolée de vous avoir mêlé à tout ça
PATRICE – Je suis un peu ramier, alors ça me change
BERANGERE – Franchement, merci d’avoir abondé dans mon sens
PATRICE – C’est ce qu’on doit appeler la réponse du Berger à la Bérangère
BERANGERE – Vous auriez pu me mettre la tête sous l’eau
PATRICE – Je n’allais pas vous enfoncer… Mais j’aimerais y voir plus clair…
BERANGERE (un sourire aux lèvres) – C’est amusant : enfoncer, clair
PATRICE – Pour une fois, je n’ai pas fait exprès
BERANGERE – Ah ?
PATRICE – Il me semble que j’aurais droit à un minimum d’explications, non ?
BERANGERE – Oui
PATRICE – C’était qui ?
BERANGERE – Vous ne vous en doutez pas ?
PATRICE – Laissez-moi réfléchir une minute
BERANGERE – Si ça vous suffit
PATRICE – Quand on se creuse trop la cervelle, on risque d’avoir des trous de mémoire
BERANGERE – C’est joli
PATRICE – Faut pas croire, mais ça cogite vite là-dedans !
BERANGERE – Les apparences sont parfois trompeuses
PATRICE (allusif) – Vous êtes bien placée pour en parler
BERANGERE – Pas faux
PATRICE – Je vous avoue qu’il y en a beaucoup qui ont cherché à me faire passer pour un imbécile, eh ben croyez-moi, ils n’ont pas cherché longtemps
BERANGERE – Je ne sais pas comment on doit le prendre…
PATRICE – Ce sont les propriétaires des lieux, c’est ça ?
BERANGERE – Oui
PATRICE – Gagné !
BERANGERE – Ils devaient être absents toute la semaine
PATRICE – Perdu !
BERANGERE – Ouais : fichu !
PATRICE – Et je suppose que vous avez profité de leur absence pour louer leur maison ?
BERANGERE – On ne peut rien vous cacher
PATRICE – A part dans le débarras
BERANGERE – Là aussi, je n’avais pas le choix
PATRICE – Les mises au placard, c’est rarement voulu. Je subodore que vous n’êtes pas agent immobilier ? (A lui-même.) Subodore, encore un de placé !
BERANGERE – Non. (Après un temps.) Je… Je suis la majordome
PATRICE – En plus simple ?
BERANGERE – Bah… la femme de ménage
PATRICE – Ca me parle mieux
BERANGERE – C’est un peu pareil mais sûrement moins bien payé
PATRICE – Vous aviez la maison à disposition, enfin en théorie, et il ne vous restait donc qu’à trouver des locataires pour la semaine
BERANGERE – Oui. C’est là que j’ai passé une petite annonce
PATRICE – Manque de chance : les proprios ont débarqué
BERANGERE – Si encore ils ne vous avaient pas croisé
PATRICE – Ca va être encore de ma faute !
BERANGERE – Excusez-moi. Quand j’y pense, j’aurais dû écouter les mises en garde de ma sœur… Dire que je l’ai eue au téléphone juste avant votre arrivée
PATRICE – Et pourquoi m’avoir fait passer pour votre ami d’enfance ?
BERANGERE – Ca m’est venu comme ça
PATRICE – L’inspiration
BERANGERE – J’ai été acculée
PATRICE – Pas par moi
BERANGERE – Ce n’était sans doute pas une bonne idée
PATRICE – Non, mais c’était une idée de la bonne. Et pourquoi ne pas leur avoir dit que j’étais votre petit ami ?
BERANGERE – Fallait être réaliste
PATRICE – Sympa
BERANGERE – Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire
PATRICE (théâtral) – Oh ! Je suis rodé… Erodé et rodé… Ceci dit, ami d’enfance, copain, mari, amant, je vous le répète : je peux jouer tous les rôles !
BERANGERE – Un parfait couteau suisse
PATRICE – Avec moi, y’a pas de lézard : j’suis un vrai caméléon ! Fleuriste, fromager, plombier, fermier…
BERANGERE – Et maintenant architecte
PATRICE – Belle promotion, non ?
BERANGERE – Même si vous en archi, ça peut surprendre
PATRICE – Archi ?
BERANGERE – C’est le diminutif d’architecte
PATRICE – Ah oui ! Comme j’ai déjà été coiffeur, les diminutifs, ça devrait me connaître
BERANGERE – J’admets volontiers que mon plan est un peu tiré par les cheveux
PATRICE (rigolant) – Chauve qui peut !
BERANGERE – Mais je reconnais que vous vous êtes bien défendu
PATRICE – C’est bien que le talent soit reconnu à sa juste valeur ! Et l’histoire des termites ! Pas mal, hein ? Ca fourmille là-dedans ! Bon : je n’ai pas trop de mérite… J’ai repris l’idée dans « Y’a un pétard dans le placard ! » Comme dirait Régis : tous les coups sont termites !
BERANGERE – Je me demande quand même s’ils ont tout gobé
PATRICE – Je n’ai pas l’impression d’avoir surjoué
BERANGERE – J’ai des doutes malgré tout
PATRICE – Je pense avoir été convaincant
BERANGERE – C’est la patronne la plus sceptique
PATRICE – Maud si j’ai bien entendu
BERANGERE – Oui
PATRICE – J’aime bien. C’est original
BERANGERE – C’est à son image… Attention : Maud sans e : elle y tient
PATRICE – Sans e, pas d’omelette… Et une grosse omelette vaut mieux qu’une petite femmelette
BERANGERE – Alors vous !... Oh ! Dans le fond, elle n’est pas désagréable
PATRICE – Faut juste creuser longtemps
BERANGERE – Son mari est plus cool
PATRICE – C’est elle qui dirige dans le couple, non ?
BERANGERE – Il y a du vrai. Ceci étant, heureusement qu’elle est là parce que sans elle, pas de carrière pour lui
PATRICE – Il est dans les travaux publics ?
BERANGERE – Non pourquoi ?
PATRICE – Rapport à la carrière
BERANGERE – Faut vraiment s’accrocher avec vous !
PATRICE – C’est vrai que ça vole dans tous les sens, pas très haut je l’admets volontiers
BERANGERE – Il est auteur et metteur en scène pour la télévision et le théâtre
PATRICE – Alors on a un point commun
BERANGERE – Ce doit être le seul
PATRICE – Je comprends mieux maintenant pourquoi, quand on s’est rencontrés, vous avez parlé de coïncidence
BERANGERE – Même si, à mon avis, vous n’êtes pas sur les mêmes registres. Entre nous, ce que fait Monsieur Darras, ce n’est pas ma tasse de thé… Trop prise de tête pour moi toutes ces tragédies !
PATRICE – Ouais : Monsieur Darras… Tout ça explique la confusion de Bérénice…
BERANGERE – La confusion de Bérénice… Ca, ça ressemble à un titre de pièce de Monsieur Darras… Mais, comme lui, j’aimerais en savoir plus…
PATRICE – Laissez : ce serait trop compliqué à vous expliquer
BERANGERE – On cause là, mais ça ne solutionne pas tout de s’épancher
PATRICE – Surtout que si on s’épanche trop, gare à la chute finale. (Chantonnant.) C’est la chute finale
BERANGERE – Et maintenant, qu’est-ce que vous allez faire ?
PATRICE (chantonnant à nouveau) – Et maintenant, que vais-je faire ? Bah… J’aurais bien aimé plonger dans la piscine
BERANGERE – Vous allez leur dire la vérité ?
PATRICE – Je le devrais, non ?
BERANGERE – Vous pourriez
PATRICE – Rassurez-vous : je ne suis pas plus chanteur que maître-chanteur
BERANGERE – Alors on peut peut-être s’arranger ?
PATRICE – Ca ne me dérangerait pas
BERANGERE – Vous m’aviez bien dit que le reste de votre troupe n’arrivait que demain ?
PATRICE – Oui : en début d’après-midi
BERANGERE – Parfait
PATRICE – Parfait, c’est vous qui le dites… Pour rigoler, j’aurais autant aimé qu’on soit là tous en même temps
BERANGERE – Pas moi… Avec vous, c’est déjà suffisamment compliqué
PATRICE – Un gars compliqué, c’est mieux qu’une fille facile, non ?
BERANGERE – Demain matin, les Darras quittent les lieux et tout bien réfléchi, il n’y a que cette nuit qui coince
PATRICE – C’est déjà beaucoup
BERANGERE – Vous seriez prêt à dormir à l’hôtel ?
PATRICE – Bah…
BERANGERE – Oui, pour une nuit… Moyennant une bonne ristourne… 200 euros : ça vous irait ?
PATRICE – L’argent ne m’intéresse pas… Mais ok pour 400 euros
BERANGERE – Coupons la poire en deux
PATRICE – Surtout quand c’est une bonne poire
BERANGERE – D’accord pour 300
PATRICE – C’est bien parce que c’est vous… Et ça vous laisse encore une belle somme, non ?
BERANGERE – Le prix du danger… Ouais, 300 euros, ça devrait largement vous permettre de trouver un hôtel pour la nuit
PATRICE – Mais permettez-moi de vous dire que tout cela n’est pas joli joli
BERANGERE – Je sais, je sais
PATRICE – Bon : si j’ai bien compris, il ne me reste qu’à faire mes valises
BERANGERE – Merci… Vous me tirez une épine du pied
PATRICE – Régis vous dirait que c’est mieux que de tirer une… Non, là, je ne vais pas le dire
BERANGERE – Merci encore pour tout et surtout de m’avoir couvert
PATRICE (chantonnant) – Mais avant de partir, il faudra bien te couvrir
Patrice gagne la terrasse et Bérangère grimpe l’escalier.
Bérénice quitte sa cachette et cherche sa robe… en vain. Des pas dans l’escalier lui font se cacher dans la pièce la plus proche : le dressing.
Retour de Maud.
SCENE 6
MAUD, BERENICE
MAUD – On ne m’enlèvera pas l’idée que cette histoire d’ami d’enfance est plus que louche… On me cache quelque chose… (Au public.) Je suis sûre que vous savez quoi… Oh ! Mais je finirai bien par l’apprendre… C’est comme pour la robe… Le ciel s’éclaircira de lui-même… En attendant, avec tout ça, je n’ai même pas récupéré mon portable… (Maud ouvre le dressing). Oups pardon !
BERENICE (nature) – Hello !
MAUD – Mademoiselle
BERENICE – Je… Je peux sortir ?
MAUD – Certainement
Bérénice sort du dressing.
BERENICE – Merci beaucoup
MAUD – De rien. Décidément, les dressings sont des endroits courus en ce moment
BERENICE – Quand on n’y est pas tous en même temps, ça peut passer
MAUD – Sans indiscrétion, vous pourriez juste me dire ce que vous faites dedans ?
BERENICE – J’attendais qu’on m’ouvre pour sortir
MAUD – Ca se tient… Je pourrais vous poser une autre petite question ?
BERENICE – Si elle est petite, je n’y vois pas de gros inconvénient
MAUD – Voilà : je pourrais savoir qui vous êtes ?
BERENICE – Bien sûr. Je suis…
SCENE 7
Les mêmes, ARCHIBALD
Archibald descend l’escalier.
ARCHIBALD – Bérénice !
BERENICE – C’est ça
ARCHIBALD – Vous êtes là !
BERENICE – Oui
ARCHIBALD – Et vous avez fait connaissance avec ma femme : c’est bien
BERENICE – Avec votre… Oui
MAUD – Vous vous connaissez ?
ARCHIBALD – Je… Si peu
BERENICE – Oh ! Très vaguement
ARCHIBALD – On s’est à peine croisés
BERENICE – Pas eu le temps d’aller plus loin
ARCHIBALD (bas, à lui-même) – Dommage d’ailleurs… Ah ! Bérénice ! Enfin ! On vous retrouve ! J’en connais un qui va être content !
BERENICE – Qui ça ?
ARCHIBALD – Patrice, voyons !... Patrice !
MAUD – Patrice ?
ARCHIBALD – Bah oui : Patrice ! L’ami d’enfance de Bérangère
MAUD – Je l’avais complètement oublié celui-là
ARCHIBALD – Maud, tu me déçois : un type aussi formidable
MAUD – N’exagérons rien !
ARCHIBALD (à Bérénice) – Figurez-vous qu’il vous avait perdue de vue
BERENICE – Ah ?...
ARCHIBALD – Forcément, si vous étiez dans le dressing ! Tout de même : y’a pas idée !
MAUD – Oui : qu’est-ce que vous faisiez vous aussi dans le dressing ?
BERENICE – L’idée de départ ne vient pas de moi mais de…
ARCHIBALD (la coupant) – Oui : de lui, je sais
BERENICE – On m’a dit de…
ARCHIBALD – De vérifier s’il y a des termites, c’est ça ?
BERENICE – Je… Oui
MAUD – C’est une manie !
ARCHIBALD – Au théâtre, c’est ce qu’on appelle le comique de répétition
MAUD – Pas toujours très drôle
ARCHIBALD – Moi, j’aime bien
BERENICE – On ne l’a pas encore étudié
MAUD – Et vous seriez qui par rapport à… Patrice ?
ARCHIBALD – C’est évident
MAUD – Pas pour tout le monde
ARCHIBALD – C’est sa petite amie : ça saute aux yeux !
MAUD – Alors il faudra que j’aille chez l’ophtalmo
ARCHIBALD – Regarde : ils sont tous les deux en maillot de bains !
MAUD – Et alors ?
ARCHIBALD – C’est un signe !
BERENICE – Un signe de beau temps
MAUD – D’après mon mari, vous seriez donc la compagne de…
BERENICE – De Patrick, oui
MAUD – Je croyais qu’il s’appelait Patrice
ARCHIBALD – On a dû mal comprendre
MAUD (ironique) – Oui, sûrement
ARCHIBALD – Des fois, on croit entendre des choses
MAUD – Toi, ce sera l’orl qu’il faudra consulter
ARCHIBALD – Entre Patrice et Patrick, il n’y a qu’un k
MAUD – Un cas plus qu’étrange
ARCHIBALD – Tu te rappelles de Marc Moulin ?
MAUD – Un imbécile pareil, j’en ai rarement rencontré… Quoique je me rends compte qu’il y a de la concurrence
ARCHIBALD – Eh bien tout le monde l’appelait Marcel… Lui, il s’en moquait : après tout, ça donnait une bonne image de Marc
MAUD – Je ne vois pas le rapport
ARCHIBALD – Finalement, moi non plus… C’était pour dire de…
MAUD (regardant Bérénice) – Laissez-moi vous regarder
ARCHIBALD – Oui : laissez-nous vous regarder
MAUD – Non, franchement, désolée de vous le dire, mais vous n’allez pas ensemble
ARCHIBALD – Ah ? Ce n’est quand même pas l’écart d’âge qui te choque… Regarde : nous…
MAUD – Hum… Vous êtes très mignonne
ARCHIBALD – Je confirme
BERENICE – Merci
MAUD – Alors que lui…
SCENE 7
Les mêmes, PATRICE
Retour de Patrice, son sac de voyage à la main.
PATRICE – On parle encore de moi ?
MAUD – Patrick ! Vous tombez bien !
PATRICE (rectifiant) – Non : moi, c’est Patrice
MAUD (à Archibald) – Tu vois !
PATRICE – Je ne vous en veux pas : c’est ressemblant
MAUD – Patrice ou Patrick, vous allez pouvoir éclairer notre lanterne
PATRICE – Pas de souci : j’ai toujours la flamme ! La flemme aussi, assez souvent
ARCHIBALD – Figurez-vous que mon épouse trouvait que vous ne formiez pas un couple assorti avec Bérénice
PATRICE – Je… Avec…
MAUD – Vous vous connaissez depuis longtemps ?
BERENICE – Oh là !
PATRICE – Pareil
ARCHIBALD – Vous avez à coup sûr beaucoup de points communs
PATRICE – Oh là oui !
BERENICE – Des tas !
PATRICE – Faut juste qu’on retrouve lesquels
ARCHIBALD – A commencer, je suppose, par l’amour des belles lettres
PATRICE – Voilà ! Pourtant, je ne suis pas facteur, hein ?
BERENICE – Avec un penchant pour Lamartine
PATRICE – Ah ! La Martine, je ne pensais plus à elle !
BERENICE – C’est un vrai boute-en-train
ARCHIBALD – Un roi de la rigolade !
PATRICE – Ca, j’ai un côté prince sans rire !
ARCHIBALD (à Bérénice) – C’est ce qui a dû vous faire craquer, je parie ?
BERENICE – Euh… oui
PATRICE – Entre autres
ARCHIBALD – Femme qui rit est à moitié dans le lit
MAUD – Les maximes ne disent pas toujours la vérité
PATRICE – Parfaitement ! Le seul que je connaisse, il ne raconte que des salades… Faut dire qu’il est maraîcher
MAUD – Mais j’y pense…
ARCHIBALD – C’est bien ça de penser
PATRICE – Moi, ça m’arrive de temps en temps
MAUD – Oui : je vous vois là, avec votre sac, mais où avez-vous prévu de dormir ?
PATRICE – Bah… Aux dernières nouvelles, dans un hôtel
MAUD – Vous avez réservé je suppose ?
PATRICE – Non… Pourquoi ?
MAUD – Parce qu’avec le festival d’Avignon, vous ne trouverez rien
PATRICE – Même avec 300 euros ?
MAUD – Depuis des mois, tout est complet à 50 kilomètres à la ronde
ARCHIBALD – Bérangère pourrait vous héberger ?
MAUD – Dans son T1 ? Tu n’y penses pas ?
ARCHIBALD – Bah si…
MAUD – Hors de question ! Il n’y a qu’une solution : vous allez passer la nuit ici
PATRICE – Comme ce qui était prévu… (Se reprenant.) Enfin, je veux dire si vous n’avez rien d’autre de prévu
BERENICE – C’est que…
ARCHIBALD – Peut-être que…
MAUD (péremptoire) – Rien du tout !
PATRICE – Si vous insistez
BERENICE – Mais vraiment beaucoup…
MAUD – Ce ne sont pas les chambres qui manquent
PATRICE – C’est ce que m’a dit Bérangère
MAUD – La chambre d’amis près de la piscine sera parfaite
PATRICE – Elle l’est… (Se reprenant.) Enfin, j’imagine
BERENICE – Vous y tenez vraiment ?
MAUD – Oui ! Et n’allez pas me dire que vous n’avez pas de pyjama
PATRICE – Moi, j’en ai un
BERENICE – Je dors nue
PATRICE – Oh là là !
MAUD – Mon mari va vous montrer la chambre
ARCHIBALD – Euh… Oui… Avec plaisir
MAUD – Et vous dînez avec nous, naturellement
PATRICE – Je… Si vous le souhaitez… Et si Béré est d’accord
BERENICE – Si Patounet l’est
MAUD (fausse) – Béré ! Patounet ! Comme c’est mignon !
ARCHIBALD – N’est-ce pas ?
MAUD – Permettez-moi d’aller passer une tenue plus décente
PATRICE – Faites comme chez vous !
Maud grimpe l’escalier.
ARCHIBALD – Alors là, c’est une catastrophe !
PATRICE – C’est sûr que ça se complique…
BERENICE – Un vrai vaudeville !
ARCHIBALD – Sauf que là, je n’ai pas écrit le script
PATRICE – Moi, le scénario me va
ARCHIBALD – Pas besoin de dessin pour comprendre la situation
PATRICE – Ah les deux seins ! (Se reprenant.) Euh… Les dessins
ARCHIBALD – Vous avez capté ?
PATRICE – Ca, c’est que nous dit Régis quand on est ballonné : vous avez capté
ARCHIBALD – Commentaire parfaitement inutile
BERENICE – Et déplacé
PATRICE – Ce qui compte, c’est de sortir de ce mauvais pet… (Se reprenant.) Euh… mauvais pas
BERENICE – C’est une fixation !
ARCHIBALD – Je me demande quand même si mon épouse n’a pas de sérieux doutes
PATRICE – Ah ? Une fois de plus, je l’ai finement joué
ARCHIBALD (à Patrice) – Dans mon malheur, j’ai finalement eu de la chance que vous soyez là
PATRICE – Comme on dit : quand on a le cul bordé de nouilles, on retombe toujours sur ses pâtes
BERENICE – Vous en avez encore beaucoup comme ça ?
PATRICE – C’est à la demande
ARCHIBALD – En tous les cas, j’ai beaucoup apprécié que vous rentriez tous les deux dans mon jeu
PATRICE – Il fallait bien vous sauver la fesse… (Se reprenant.) Euh : la face… Mais qu’est-ce qui m’arrive moi ?
BERENICE – Moi, ça m’a paru normal
PATRICE – La solidarité des gens du théâtre
ARCHIBALD – Alors vous ne direz rien à ma femme ?
PATRICE – Je ne sais pas si la farine va parler, mais le sucre vanillé… Sucre vanillé !
ARCHIBALD – Oui oui : très bien
BERENICE – Je tiendrai ma langue
PATRICE (bas, à lui-même) – Dommage !
ARCHIBALD – Si je m’en sors, je saurai vous remercier en temps utile… Un rôle dans une de mes prochaines mises en scène, ça vous dirait ?
BERENICE (ravie) – Ce serait inespéré !
PATRICE – Pour moi, ça va être compliqué : je ne suis pas d’ici et surtout je ne peux pas laisser tomber ma croupe ! (Se reprenant.) Euh… ma troupe ! Ca me reprend !
ARCHIBALD – Bon. Je pense que chacun sait ce qu’il a à faire
PATRICE (à Bérénice) – Si j’ai bien compris, on va être ensemble jusqu’à demain
BERENICE – Eh oh doucement !
PATRICE – Moi, ça me va ! Mais je vous préviens d’avance : je ronfle comme un sonneur ! Pas vous j’espère ?
BERENICE (vexée) – Vous m’avez bien regardée ?
ARCHIBALD – Il ne fait que ça !... Bon : la chambre d’amis est par là
PATRICE – Je connais le chemin
BERENICE – Je passe la première
PATRICE – C’est mieux que de passer la marche arrière ! Ah ! Je sens qu’on va bien s’entendre !
Ils gagnent la terrasse.
SCENE 9
MAUD
Retour de Maud, en robe de soirée.
MAUD – Bérénice en couple avec cet énergumène ! Mon œil ! Ils se foutent tous vraiment de moi ! Mais patience… Quelle bonne idée j’ai eue de leur dire de rester… Comme ça, on aura toute la soirée pour que les masques tombent… Et croyez-moi : ils vont tomber ! Et je sens qu’on va follement s’amuser ! (Au public.) Vous aussi j’espère !
ACTE 3
SCENE 1
BERANGERE, MAUD
On retrouve Maud, assise sur le canapé.
Retour de Bérangère.
MAUD – Ah, Bérangère !
BERANGERE – Oui : c’est bien moi
MAUD (allusive) – Pour vous, au moins, pas de doute
BERANGERE – Comment ça ?
MAUD – Rien. Je soliloquais
BERANGERE – Moi tout pareil tout à l’heure
MAUD – Puisque vous êtes là, autant profiter de vous
BERANGERE (soufflant) – En général, ce n’est pas ce que me disent les hommes…
MAUD – Vous pourriez dresser la table pour quatre personnes ?
BERANGERE – Ca peut se faire. (Après un temps.) Pour quatre vous dites ?
MAUD – Oui : nous avons invité Patrice à dîner
BERANGERE – Ah ?
MAUD – Il s’appelle bien ainsi ?
BERANGERE – Oui mais…
MAUD – Cette invitation a l’air de vous étonner
BERANGERE – Ce n’est pas tout à fait ce que j’avais prévu
MAUD – Il apportera du sel à la conversation
BERANGERE – D’habitude, le sel, c’est pour la conservation
MAUD – C’est un homme détonnant
BERANGERE – Pardonnez-moi l’expression, mais je dirais plutôt déconnant
MAUD – Il dynamisera le dîner
BERANGERE – De là à le dynamiter
MAUD (fausse au possible) – Il a tellement d’esprit
BERANGERE – Je retiendrais plus le spiritueux que le spirituel
MAUD – C’est dingue : on croirait l’entendre
BERANGERE (réfléchissant) – Vous m’avez bien dit quatre ?
MAUD – Oui
BERANGERE – C’est gentil de m’inviter mais…
MAUD – Oh ! Je n’avais pas pensé à vous
SOLANGE (soupirant) – Comme tout le monde
MAUD – Mais à Bérénice
BERANGERE – Ah ?
MAUD – Ne forment-ils pas un beau couple ?
BERANGERE (visiblement pas sur la même longueur d’onde) – Parce que vous savez pour Bérénice et…
MAUD – C’est mon mari qui me l’a dit
BERANGERE – Votre ?... Ah bah dans ce cas-là… Et ça ne vous a pas choquée de l’apprendre ?
MAUD – Il faut être tolérant, n’est-ce pas ?
BERANGERE – Sans doute mais…
MAUD – Dans la vie, on finit par tout accepter
BERANGERE – C’est vous qui voyez
MAUD – Et entre nous, je m’en moque
BERANGERE – Personnellement, je suis pour la paix des ménages, alors…
MAUD – Et aussi pour faire le ménage en paix, non ?
BERANGERE – Il y a du vrai
MAUD – Voilà maintenant que l’humour de Patrice déteint sur moi… Où va-t-on ?
BERANGERE – Vous, je ne sais pas mais moi, en cuisine. Je vais préparer la table : ça me changera les idées
Bérangère gagne la cuisine.
SCENE 2
MAUD, TONY
On frappe à la porte. Maud va jeter un œil à travers le judas.
MAUD – Qu’est-ce que c’est encore que ce machin ? Décidément, pour une maison supposée vide, c’est le trop-plein !
Maud ouvre la porte. Un homme d’une petite trentaine entre. Il porte un blouson de cuir ; il tient dans une main des sacs de courses et dans l’autre un casque de scooter.
TONY – M’dame
MAUD – Monsieur
TONY – J’suis bien chez (Lisant péniblement un petit mot.) Ar… Archibald Darras ?
MAUD – Oui, lui-même
TONY – C’est vous ?
MAUD (un brin caustique) – Non, navrée : je suis son épouse
TONY – Ah ?... Désolé, mais c’est la première fois que je vois un prénom pareil
MAUD – C’est rare, je le reconnais
TONY – Archibald !... Ouais : c’est très spécial
MAUD – C’est d’origine teutonne
TONY – Késaco ?
MAUD – Germanique, si vous préférez
TONY – Oh ! Sûrement !
MAUD – Allemande, quoi
TONY – Ah ? Ya voll…
MAUD – Et vous, vous êtes ?
TONY – Le livreur de repas
MAUD – Ah oui ! Naturlich
TONY – Et ce gros paquet est pour vous
MAUD (un sourire aux lèvres) – Oh oh !
TONY (montrant les sacs qu’il tient en main) – Je vous parle des sacs
MAUD – Oui, bien sûr… (Lui désignant la table basse.) Vous n’avez qu’à tout poser là
TONY – Entre nous, avec cette chaleur, j’aimerais bien pouvoir me poser moi aussi
MAUD – Comme dirait Patrice : la pause s’impose
TONY – Un ami à vous ?
MAUD – Pas vraiment non… Tant mieux d’ailleurs… (Se rapprochant du bar.) Vous voulez un rafraîchissement ?
TONY – Je ne dis pas non
MAUD – Un jus de tomate ?
TONY – Très bien
MAUD – Epicé ?
TONY – J’irai après… Si je peux utiliser vos toilettes
MAUD – Hum… (Lui tendant un verre.) Vous avez trouvé facilement ?
TONY – Ouais… Mais vous êtes très excentrés
MAUD – Et excentriques… (A elle-même.) Sors de ce corps, Patrice !
TONY – Je reconnais que mon gps m’a aidé
MAUD – Dans votre métier, je suppose qu'il faut quand même un bon sens de l’orientation
TONY (fanfaron) – Le mien est excellent : je ne suis pas une gonzesse !
MAUD – Charmant
TONY – Et j’ai aussi un bon sens de l’observation
MAUD – Ah ?
TONY – La preuve : vous avez remarqué qu’il vous manquait une boucle d’oreille ?
MAUD (réalisant) – Vous avez raison
TONY – Toujours, sauf quand j’ai tort
MAUD – J’ai dû la faire tomber quelque part
Maud cherche sa boucle d’oreille au sol.
TONY – Je vais vous aider ; à deux, c’est toujours mieux, non ?
MAUD – C’est ce qu’on dit. En tous les cas, c’est gentil
Tony s’est mis lui aussi à quatre pattes et il finit par trouver la boucle d’oreille, à côté du canapé.
TONY (à quatre pattes, présentant la boucle d’oreille à Maud) – Je suppose que c’est elle ?
MAUD (prenant la boucle d’oreille) – Oui. Merci pour votre coup de main
TONY (donnant un coup de poing sur le canapé) – D’habitude, avec moi, c’est plutôt le coup de poing
Tony a également trouvé la robe de Bérénice. Il la montre à Maud.
TONY – C’est aussi à vous ?
MAUD – Ma foi non
TONY – Ouais : ça ne vous irait pas du tout
MAUD – Effectivement. Un peu courte jeune homme… La robe, naturellement
TONY – C’est marrant ça
MAUD – Merci
TONY – Je ne parlais pas de vous mais de la robe
MAUD – Sympa… Mais c’est vrai qu’une robe comme ça, ce n’est pas évident à porter
TONY – Ouais, comme le prénom de votre mari
MAUD – Il ne s’en est jamais plaint
TONY (regardant attentivement la robe) – Je crois savoir à qui elle est
MAUD – Vous m’intéressez
TONY – Eh oh ! Doucement ! Vous n’êtes pas du tout mon genre
MAUD – Je vous rassure : vous non plus
TONY (sentant la robe) – Ouais : je suis quasiment sûr que c’est ma robe
MAUD – Tiens donc ! Désolée pour vous, mais elle ne va pas mieux à vous qu’à moi
TONY – Eh oh ! J’suis pas une gonzesse
MAUD – Vous me l’avez déjà dit
TONY – Quand je dis ma robe, c’est sa robe
MAUD – Vous faites dans le possessif dites donc
TONY – Ouais, j’suis possessif, et alors ?
MAUD – Ne vous fâchez pas !
TONY – Avec les dames, rarement
MAUD – C’est heureux
TONY – Quand je dis ma robe, c’est sa robe, enfin celle que je lui ai achetée
MAUD – Vu le peu de tissu, vous n’avez pas dû trop dépenser
TONY – Détrompez-vous : c’est de la marque… Elle m’a coûté un bras
MAUD – Si ça lui fait de belles jambes
TONY – Ah ça ! Les jambes de Bérénice, c’est quelque chose… Un mètre des pieds au…
MAUD (le coupant) – Oui oui… (Réalisant.) Bérénice vous dites ?
TONY – Ouais, Bérénice… Je suis son mec
MAUD – Tiens donc !
TONY – Mais qu’est-ce que sa robe fait là ?
MAUD – C’est vrai qu’elle serait mieux dans le dressing… Très demandé en ce moment
TONY – Je voulais dire dans cette baraque
MAUD – Je rigolais
TONY – Moi pas
MAUD – J’en ai l’impression
TONY – Elle devait passer la soirée chez sa mère
MAUD – Ce n’est pas moi
TONY – Non : elle fait beaucoup plus jeune
MAUD – C’est agréable
TONY – Alors : qu’est-ce qu’elle fabrique ici ?
MAUD – J’ai ma petite idée
TONY – C’est quoi ?
MAUD – Il y a un homme là-dessous
Tony regarde sous le canapé.
TONY – Je ne vois pas personne
MAUD – Je voulais dire dans la vie de Bérénice
TONY – Non ?
MAUD (à elle-même) – Si ce n’est qu’un seul…
TONY – Son nom !
MAUD – Je n’en ai pas la certitude absolue
TONY – Son blase !
MAUD – Au risque de me tromper, il s’appellerait Patrice
TONY – Patrice ?... C’est pas ce prénom que vous avez déjà cité ?
MAUD – Oui
TONY (réfléchissant) – Patrice… Non : connais pas
MAUD – Oh ! Vous n’avez rien perdu
TONY (réaliste) – Si : ma copine… Et c’est qui ce type ?
MAUD – Il est soi-disant archi
TONY – Archi ?
MAUD – Architecte… Enfin, c’est ce qu’on m’a raconté, mais j’y crois très moyen
TONY – Architecte : c’est le bon plan
MAUD – Ca en jette sans doute plus que livreur
TONY – Là, c’est le livreur qui s’est fait jeter
MAUD – Je le crains. Et qu’est-ce que vous allez faire ?
TONY – Mieux garer mon scooter
MAUD – Ah ?
TONY – Manquerait plus que je me prenne une prune ! Ce serait la cerise !
MAUD – D’accord, mais après ?
TONY – Revenir au plus vite ici et régler mes comptes !
MAUD – Ca promet !
TONY – Croyez-moi : avec Tony, il va y avoir du sport !
Tony quitte précipitamment la pièce.
MAUD (se frottant les mains) – Finalement, je ne vais pas devoir attendre trop longtemps… Fini la mascarade !
SCENE 3
MAUD, BERANGERE, PATRICE, ARCHIBALD
Retour de Bérangère et Patrice, main dans la main ; Archibald les suit.
MAUD (mielleuse) – Alors : la chambre vous plaît ?
BERENICE – Parfait
MAUD – Un vrai nid d’amour, n’est-ce pas ?
PATRICE (rigolant) – C’est ce qu’on appelle être dans de beaux draps. (A Archibald.) Ce n’est pas vous qui direz le contraire, n’est-ce pas ?
MAUD – Pourquoi ?
ARCHIBALD (faux) – Bah oui : pourquoi ?
PATRICE – Pour rien… Bon : on n’a pas encore eu le temps d’essayer le lit
MAUD – Vous aurez toute la nuit pour
BERENICE – Hum…
MAUD – Certains invités nous ont dit qu’il grinçait un peu
PATRICE – Tout dépend de ce qu’on y fait, hein pupuce ?
ARCHIBALD (cherchant à changer de conversation) – Nous… Nous passerons bientôt à table
PATRICE – En attendant, moi, j’irai bien me baigner. (A Bérénice.) Tu viens ?
BERENICE – J’accours Pat
Patrice et Bérénice gagnent la terrasse.
MAUD – Comme c’est chou !
PATRICE – Pâte à choux alors !
MAUD – Patapouf oui !
PATRICE – Aussi
MAUD – Finalement, ils forment un joli couple
ARCHIBALD – Il semblerait
MAUD – Il ne faut jamais se fier aux apparences, n’est-ce pas ?
ARCHIBALD – J’allais te le dire
MAUD – Et tu n’as rien d’autre à me révéler par hasard ?
ARCHIBALD (fuyant) – Je… Non
HELOISE – Vraiment ?
ARCHIBALD – Je ne vois pas…
MAUD – Bon… En attendant, je vais voir si tout est prêt en cuisine
Maud prend les sacs de courses et gagne la cuisine.
SCENE 4
ARCHIBALD, TONY
Retour fracassant de Tony.
ARCHIBALD – Dites donc : vous pourriez frapper !
TONY – Ca va venir ! Ca va venir !
ARCHIBALD – Et d’abord : qui êtes-vous ?
TONY – Tony, ça ne te dit rien ?
ARCHIBALD – Ma foi non… Vous êtes là pour…
TONY – Je suis le livreur de repas
ARCHIBALD – Ah, d’accord
TONY – Et toi, tu ne serais pas archi par hasard ?
ARCHIBALD – Oui
TONY – Parfait ! C’est donc bien toi
ARCHIBALD – De prime abord, ce tutoiement a de quoi interloquer. Nous nous connaitrions donc ?
TONY – Par intermédiaire, ouais, par intermédiaire
ARCHIBALD – Diantre !
TONY – Eh oh ! Stop avec ces mots à la mords-moi-le-nœud !
ARCHIBALD – Pardon si mon verbiage vous paraît abscons sinon abstrus, mais je ne comprends pas un traître mot de vos philippiques
TONY – T’inquiète : ça va s’éclaircir
ARCHIBALD – Je le souhaite ardemment
TONY – Bérénice : ça ne te dit rien peut-être ?
ARCHIBALD – Vous parlez de l’œuvre de Racine ?
TONY – C’est ça ! Arrête ta comédie
ARCHIBALD – Tragédie plutôt… Très belle pièce au demeurant… Vous ne trouvez pas ?
TONY (balayant du regard la pièce) – Ouais, je reconnais que la décoration est sympa, mais ce n’est pas le sujet
ARCHIBALD – Avec Racine, ce serait plutôt l’art du verbe… Mais je m’enfonce là dans une rhétorique qui, sans m’avancer, vous est étrangère
TONY – Ouais, là, tu t’enfonces grave
ARCHIBALD – Et je n’y vois goutte
TONY – Hein ?
ARCHIBALD – Je n’y vous guère si vous préférez
TONY – La guerre, tu vas l’avoir !
ARCHIBALD – Pour y voir plus clair, disons que je suis dans le brouillard… Tiens c’est amusant : cela ressemble fort à un oxymore
TONY – Garcimore ou pas, y’a autre chose qui va te faire moins poiler
ARCHIBALD – Ah ?
TONY – Bérénice est ici, pas vrai ?
ARCHIBALD – Je…
TONY – Je le sais : pas la peine de me mentir… (Montrant la robe, qu’il avait mise dans une de ses poches.) Parce que ça, c’est sa robe
ARCHIBALD – Je ne vais pas vous contredire
TONY – Manquerait plus que ça !
ARCHIBALD – Et vous êtes qui par rapport à elle ?
TONY – Devine
ARCHIBALD – J’aurais bien dit son costumier mais cela m’étonnerait fort
TONY – Et ça dure depuis combien de temps votre manège ?
ARCHIBALD – Doucement : je vous arrête tout de suite
TONY – T’es flic ?
ARCHIBALD – Aux dernières nouvelles non, mais je tiens tout de suite à vous préciser qu’il ne s’est rien passé entre nous
TONY – A d’autres !
ARCHIBALD – Avec d’autres, je n’en sais rien
TONY – N’aggrave pas ton cas !
ARCHIBALD – Bérénice est venue ici pour une audition
TONY – T’es audioprothésiste peut-être ?
ARCHIBALD – Pour un casting si vous préférez
TONY – Mais bien sûr !
ARCHIBALD – C’est la vérité
TONY – Un casting chez toi ?
ARCHIBALD – On n’allait pas le faire chez vous
TONY – Très drôle ! Et évidemment, elle n’avait pas besoin de sa robe ?
ARCHIBALD – Vous savez : aujourd’hui, le théâtre est très dépouillé… Le jeu d’acteurs avant tout !
TONY – Et c’est donc pour ça qu’elle se promène à poils ?
ARCHIBALD – Mais n’te promène pas toute nue ! Vous connaissez ? C’est le titre d’une pièce de Feydeau… Pas mon style, mais il en faut pour tous
TONY – T’inquiète : avec moi, il y en aura pour tous !
ARCHIBALD – Comme on dit, des goûts et des couleurs
TONY – Avec bibi, ce sera des coups et des douleurs
ARCHIBALD – Je me permets d’ajouter qu’elle avait un maillot de bain
TONY – Bleu ?
ARCHIBALD – Oui. Ravissant au demeurant
TONY – Normal : c’est moi qui le lui ai offert
ARCHIBALD – C’est généreux de votre part
TONY – Et trop con !
ARCHIBALD – Là, vous vous connaissez mieux que personne
TONY – Franchement : me faire ça à moi !
ARCHIBALD – Je vous le répète : il n’y a rien eu entre Bérénice et moi
TONY – Mon œil !
ARCHIBALD – Pas eu le temps
TONY – C’est ça !
ARCHIBALD – Je vous assure
TONY – Pas la peine : comme toi, j’suis pas flic, mais j’ai une bonne police
ARCHIBALD – Je peux tout vous expliquer si vous m’en laissez le loisir
TONY – La ferme !
ARCHIBALD (sentencieux) – Quand vous êtes enclume, prenez patience ; quand vous êtes marteau, frappez droit et bien
TONY – Et en plus tu me traites de marteau !
ARCHIBALD – Permettez-moi de vous dire que votre courroux ferait de vous un excellent Curiace
TONY – Ca pour être coriace, je le suis !
ARCHIBALD – Et je dirais peu circonspect mais j’ai peur que ce terme vous soit lui aussi étranger
TONY – Dis tout de suite que je suis un imbécile !
ARCHIBALD – Tout de suite, ce serait m’avancer… Quoique…
TONY – Et moi, tu vas voir ce que je vais t’avancer !
Tony empoigne Archibald par le col.
ARCHIBALD – Sachez qu’il ne sert à rien de recourir à la violence
TONY – J’ai un principe : je cogne et on cause après
ARCHIBALD – L’inverse m’agréerait mieux
TONY – Je vais t’agréer autre chose
ARCHIBALD – N’agissez pas sur un coup de tête !
TONY – Le coup de tête, le voilà !
Tony assène un coup de tête à Archibald, qui s’effondre, face contre terre.
TONY – Et maintenant, y’ a plus qu’à trouver Bérénice ! Et sans sa robe, elle n’est pas près de sortir ! J’vais tout retourner dans cette baraque !
Tony cache la robe sous un coussin du canapé, au même endroit où l’avait dissimulée Archibald.
SCENE 5
BERANGERE, BERENICE
Bérangère, qui a assisté à la fin de la scène en passant la tête en travers de la porte de la cave, entre sans bruit, une bouteille de vin rouge dans chaque main. Elle assomme Tony avec l’une (qui se brise) et pose l’autre sur la table basse. Tony s’écroule derrière le canapé.
BERANGERE – Voilà une bonne chose de faite ! Je n’allais quand même pas laisser cet orang-outang tout déverser dans la maison ! Qui est-ce qui range après ? Non mais ! (Regardant le reste de la bouteille qu’elle tient en main.) Si ce n’est pas malheureux ! Une bonne bouteille !
Bérénice entre à son tour. Elle découvre Archibald, au sol.
BERENICE – Qu’est-ce qui s’est passé ?
BERANGERE – Bah…
BERENICE – C’est une attaque ?
BERANGERE – On peut dire ça
BERENICE – Laissez : je m’occupe de lui
BERANGERE – Je ne sais pas si c’est une bonne idée
BERENICE – J’ai mon brevet de secourisme… Avec moi, il sera dans de bonnes mains
BERANGERE – Vaudrait peut-être mieux qu’il soit dans les mains de la bonne
Bérénice retourne Archibald.
BERENICE – Mais pourquoi il a le visage en sang ?
BERANGERE – Demandez à l’autre
BERENICE – L’autre ?
BERANGERE (indiquant la direction de Tony, que Bérénice n’avait pas encore découvert) – L’énergumène, là
BERENICE (découvrant Tony) – Oh là là !
BERANGERE – Ca c’est un cri du cœur !
BERENICE – C’est une horreur
BERANGERE – Il a certes un visage patibulaire mais quand même…
BERENICE – Finalement, je préfère vous le laisser
BERANGERE – Lequel ?
BERENICE – Archibald… et lui-aussi
BERANGERE – Faudrait savoir
BERENICE – Souvent femme varie…
BERANGERE (désignant Tony) – Dites : vous connaissez cet olibrius ?
BERENICE – Je…
BERANGERE – Après tout, ça vous regarde
BERENICE – Vous voulez la vérité ?
BERANGERE – Je suis preneuse
BERENICE – Voilà : c’est mon copain… Enfin, c’était
BERANGERE – Comment ça ?
BERENICE – Je ne le lui avais pas encore dit, mais j’allais le quitter… Il n’en valait plus la peine
BERANGERE – Il a sûrement des qualités
BERENICE – Oui : au lit
BERANGERE – Ah ?
BERENICE – Malheureusement pour lui, il confond culture et culturisme
BERANGERE – Il va bien prendre votre rupture ?
BERENICE – Je sais que ça va lui faire un coup
BERANGERE – Après celui qu’il vient de recevoir
BERENICE – Il rejoindra la collection de mes ex
BERANGERE (soupirant) – Les hommes sont bien mal partagés sur cette Terre
BERENICE – Pourquoi ?
BERANGERE – Pour rien… Aidez-moi : on va le porter dans une chambre
BERENICE – Vous croyez ?
BERANGERE – Allez !
Bérénice s’apprête à soulever Tony.
BERANGERE – Pas lui voyons !
BERENICE – Ah…
BERANGERE – Rien à carrer de ce sauvage !
BERENICE – Il va quand même se réveiller ?
BERANGERE – A un moment ou à un autre, c’est certain
BERENICE – Vous êtes sûre ?
BERANGERE – Je crois que je suis sûre…
Bérangère et Bérénice grimpent l’escalier, en portant Archibald, toujours groggy.
BERANGERE – Vous êtes Bérénice, pas vrai ?
BERENICE – Oui… Et vous ?
BERANGERE – Bah voilà… Comment dire…Ca dépend…
Bérangère et Bérénice ont disparu.
SCENE 6
PATRICE, TONY
Retour de Patrice.
PATRICE – Béré… Tu es là ? (Au public.) Béré ?
Tony se relève en se tenant la tête.
PATRICE – Monsieur…
TONY – Oh ! Ma tête
PATRICE – Ca n’a pas l’air d’aller ?
TONY – Si : à merveille…
PATRICE – Laissez-moi vous aider
Patrice aide Tony à se relever.
TONY – Merci… (Serrant la main de Patrice.) Tony
PATRICE – Je ne crois pas qu’on se connaisse
TONY – Non : ta tronche ne me dit rien
PATRICE – Alors vous, vous avez le tutoiement facile… Et ça me plaît !
TONY – C’est déjà ça
PATRICE – Et j’ai comme l’impression qu’on va bien s’entendre
TONY – A voir. Moi, je suis sympa avec tous ceux qui ne me cherchent pas
PATRICE – Alors faut pas jouer à cache-cache !
TONY – J’en connais une autre qui a intérêt à se cacher
PATRICE – Qui donc ?
TONY – Bérénice
PATRICE – Bérénice ?
TONY – Tu la connais ?
PATRICE – Bah bien sûr ! (Toujours sous le charme.) Ah ! Bérénice !
TONY – Et t’es qui par rapport à elle ?
PATRICE – Bérénice !... Bah… Je dois vous dire qu’elle et moi…
TONY – Ouais…
PATRICE – Bah… C’est ma copine
TONY – Quoi ?
PATRICE – Je sais : ça peut surprendre
TONY – Vu ta tronche, ouais
PATRICE – Oui… Enfin… copine, si on veut
TONY – Qu’est-ce que tu veux dire ?
PATRICE – Je… Je ne peux pas en révéler davantage
TONY – Attends : t’es quand même pas architecte ?
PATRICE – Si… Enfin… Là aussi…
TONY – Et tu t’appelles Patrice ?
PATRICE – Pour ça oui ! Et depuis tout petit
TONY – Mais alors l’autre ?
PATRICE – Quel autre ? (Au public.) C’est marrant : cette réplique, ce n’est pas la première fois qu’elle apparaît dans la pièce, non ?
TONY – Celui à qui j’ai mis mon poing dans le groin
PATRICE – Ca rime
TONY – Peu importe d’ailleurs !
PATRICE – Si : une bonne rime, c’est toujours appréciable
TONY – Hein ? Moi, je te parle du guignol que j’ai assommé
PATRICE – Ce serait quand même important de savoir de qui il s’agit, même si le choix est limité… Une confusion est si vite arrivée… Et je suis bien placé pour le savoir
TONY – Et de confusion à contusion, il n’y a pas grand-chose, non ?
PATRICE – Ah ?
TONY – En somme, avec ton pote, vous êtes du genre partageur
PATRICE – Mon pote ?
TONY – C’est bien connu : quand il y en a pour un, il y en a pour deux !
PATRICE – Plus on est de fous, plus on rit !
TONY – C’est ça ! Mais j’en connais un qui va rire jaune dans deux minutes
PATRICE – Ah ? Pourquoi ?
TONY – Parce que je suis vert de jalousie et je vois rouge !
PATRICE (reniflant) – Et on boit rouge aussi il me semble
TONY – Fous-toi de ma gueule par-dessus le marché !
PATRICE – Je ne m’y risquerais pas ! Une gueule comme celle-là, c’est fait pour monter sur les planches
TONY – Et toi, il ne te reste plus qu’à toucher du bois
PATRICE – Dans les rôles de brutes ou de gangsters, elle ferait des ravages !
TONY – Je vais en faire sous peu
PATRICE (clamant) – Tony truand ! Quel slogan ! Ca s’est envoyé, hein ?
TONY – Mais je vais t’envoyer autre chose moi !
PATRICE – Avant toute confrontation inutile, il faut savoir que Bérénice et moi, c’est comment dire… du chiqué
TONY – Vous vous êtes passé le mot ou quoi ?
PATRICE – Pardon ?
TONY – Même pas capable d’assumer ! Bravo !
PATRICE – Si si j’assume mais…
TONY – Et moi j’assomme ! Et il n’y a pas de mais !
Tony donne un coup de tête à Patrice, qui vacille.
SCENE 7
BERANGERE, PATRICE
Une nouvelle fois, Bérangère est entrée sans bruit ; elle assomme Tony avec la bouteille qu’elle avait laissée sur la table basse ; la bouteille se brise. Tony s’écroule derrière le canapé.
BERANGERE – Et de deux ! Je commence à me faire la main, moi… C’est ce qu’on appelle avoir de la bouteille… Bon : cette fois-ci, ce sera moins grave… Le Beaujolais, c’est pas trop cher
PATRICE (se relevant péniblement) – Mais ça monte vite à la tête !
BERANGERE – Ca va ?
PATRICE – Moui…
BERANGERE – Je suis arrivée à temps
PATRICE – Oui
BERANGERE – Il était moins deux avant qu’il ne vous massacre complètement
PATRICE (consultant sa montre) – Non : moins cinq
BERANGERE – Oh !
PATRICE – Une minute de plus, et je ne répondais plus de moi
BERANGERE – Tiens donc !
PATRICE – Il allait voir de quel bois je me chauffe le gazier
BERANGERE – Sûrement
PATRICE – Le souci, c’est que je suis à l’électricité
BERANGERE – Toujours le mot pour rire
PATRICE – Malgré tout, je reconnais que je vous dois une fière chandelle
BERANGERE – La chandelle, d’habitude, je la tiens
PATRICE – Finalement, je ne sais pas si j’allais me débarrasser si facilement de cet ours mal léché
BERANGERE – Un triste sire
PATRICE – C’est normal de parler de sire après la chandelle
BERANGERE – Vous le connaissez ?
PATRICE – Je n’ai pas cet honneur
BERANGERE – Ah ?
PATRICE – Jamais vu sa bobine auparavant
BERANGERE – Bah pourquoi s’en est-il pris à vous ?
PATRICE – J’avoue que je n’ai pas tout compris… Il avait bu, assurément
BERANGERE – En tous les cas, il ne vous a pas manqué
PATRICE (un brin dragueur) – Et moi, je vous ai manqué ?
BERANGERE – Au lieu de dire des bêtises, suivez-moi dans la chambre d’amis… Je vais m’occuper de vous. (Au public.) Je n’ai peut-être pas mon diplôme de secouriste, mais le bouche-à-bouche, je ne demande qu’à essayer !
Bérangère et Patrice gagnent la terrasse.
SCENE 8
BERENICE, ARCHIBALD
Retour de Bérénice et d’Archibald. Archibald a un bandage à la tête.
BERENICE – Je pense qu’il vaut mieux que je me tire
ARCHIBALD – Et moi qu’il ne vaut mieux pas que je vous…
BERENICE – Oui : je vais mettre les bouts
ARCHIBALD – Alors que moi, je n’ai pas mis mon… Oh là là ! Mais qu’est-ce que je raconte, moi ? (Après un temps.) Vous avez raison : vu le contexte, il est préférable que vous partiez
BERENICE – Je regrette que nous n’ayons pas pu aller plus loin
ARCHIBALD – Et moi donc
BERENICE – Et plus profond
ARCHIBALD – Oh là là !
BERENICE – Dans nos échanges sur le théâtre
ARCHIBALD – Oui : dans nos…
BERENICE – Ce qui me gêne, c’est ma tenue
ARCHIBALD – Elle vous va merveilleusement bien
BERENICE – Je ne peux pas rentrer chez moi comme ça
ARCHIBALD – Vos voisins risquent d’être surpris
BERENICE – Oh non : eux, ils sont habitués
ARCHIBALD – Ah ?
BERENICE – J’aimerais quand même mettre la main sur ma robe
ARCHIBALD – Et moi mettre la main sur…
BERENICE – Les clés de ma voiture sont dans la poche
ARCHIBALD (allusif) – Quand elles ne sont pas dans une valise
BERENICE – Vous ne sauriez pas où elle est ?
ARCHIBALD – Je l’avais cachée sous un coussin… Là…. (Il retrouve la robe.) Ah bah ça ! J’étais pourtant sûr que… Il se passe vraiment des choses étranges dans cette maison
BERENICE – C’est le moins qu’on puisse dire
ARCHIBALD – Tenez !
Archibald tend la robe à Bérénice, qui se rhabille aussitôt.
BERENICE (à un homme du public) – Fini de vous rincer l’œil ! Le spectacle est terminé
ARCHIBALD (rectifiant) – Pas tout à fait : il reste encore quelques minutes avant que le rideau ne tombe
BERENICE – J’y pense : ça tient toujours de m’offrir un rôle dans une de vos pièces ?
ARCHIBALD – C’est comme vos clés : c’est dans la poche
BERENICE – Pas besoin de passer un casting ?
ARCHIBALD – Vous avez largement fait vos preuves, non ?
BERENICE – Merci ! Alors il n’y a plus qu’à me faire la belle
Bérénice se dirige vers la sortie.
ARCHIBALD (amusé et chagrin à la fois) – Et moi je ne me suis pas fait la belle !
Tony se relève au moment au moment où Bérénice quitte la pièce.
TONY – Bérénice ! C’était elle !
ARCHIBALD – Ca m’en a tout l’air !
TONY – Bérénice ! Attends-moi ! Ne me quitte pas ! S’il y en a pour deux, il y en a pour moi !
Tony quitte péniblement les lieux, à la poursuite de Bérénice.
SCENE 9
ARCHIBALD, MAUD puis PATRICE
Retour de Maud, au moment où Bérénice et Tony ont quitté les lieux.
MAUD (à Archibald) – Tu pourrais m’expliquer ce qui se passe ?
ARCHIBALD – J’aimerais bien…
MAUD – C’était qui ?
ARCHIBALD – Oh ! Un pauvre gars !
MAUD – Et c’est quoi ce pansement ?
ARCHIBALD – Disons que je me suis heurté à la dure réalité
Retour de Patrice.
MAUD – Ah ! Patrick !
PATRICE (rectifiant) – Patrice
MAUD – Décidément, je ne m’y ferai jamais !
ARCHIBALD – Rassure-toi : moi non plus
MAUD (montrant le bandage de Patrice) – Eh bien dites donc ! On se croirait dans une infirmerie !
ARCHIBALD (bas) – Après l’asile d’aliénés
PATRICE – Comme dirait Régis, c’est une maison où on bande beaucoup
MAUD – Hum…
PATRICE – Je sais : ce n’est pas très fin
ARCHIBALD – A ce propos, j’ai un petit creux
MAUD (allusive) – Effectivement : il serait temps que tu passes à table, non ?
ARCHIBALD – Hum… (Détournant la conversation.) Vous restez toujours dîner avec nous ?
PATRICE – Bah oui pourquoi ?
MAUD – Parce que Bérénice est partie
ARCHIBALD (très bas) – Hélas !
PATRICE – Ah ! Partie partie ?
ARCHIBALD – Je le crains, je le crains
PATRICE (contrarié, mais sans plus) – Tant pis ! Tant pis !
MAUD – Et elle n’est pas partie seule
PATRICE – Ah ?
MAUD – Tony la suivait… Il s’appelle bien ainsi ?
PATRICE – Je crois
MAUD (à Patrice) – Vous le connaissez ?
PATRICE – Vaguement
MAUD – Vous savez pourquoi il a quitté les lieux ?
ARCHIBALD – Sans doute sur un coup de tête
PATRICE – Je dirais même deux
MAUD – Au théâtre, pourtant, on frappe les trois coups
PATRICE – Que voulez-vous : c’est un petit joueur
MAUD – Le départ de Bérénice n’a pas l’air de vous chagriner plus que ça
ARCHIBALD – Bah si, un peu
MAUD – Je parlais à Patrice
PATRICE – J’ai fini par comprendre qu’elle n’était pas faite pour moi
MAUD – Et vous pour elle
PATRICE (philosophe) – Oui, aussi
SCENE 10
Les mêmes, BERANGERE
Retour de Bérangère, rayonnante. Elle porte la chemisette colorée et le bermuda fleuri de Patrice.
BERANGERE – Et il a trouvé nettement mieux !
Bérangère vient se blottir contre Patrice.
MAUD – Ah bah ça !
ARCHIBALD – Qui l’eût cru ?
MAUD – Comme quoi tout arrive
BERANGERE – Il m’a fallu attendre longtemps
PATRICE – Plus c’est long, plus c’est…
MAUD (le coupant) – Oui oui : on connaît
ARCHIBALD – C’est beau de retrouver son amour de jeunesse
PATRICE – N’allons pas jusque-là
BERANGERE – D’humour à amour, il n’y a qu’un pas
ARCHIBALD – Et avec Patrice, vous êtes servie
BERANGERE – Tout le contraire de mon quotidien
PATRICE – Après tout, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes
BERANGERE – Et tant pis si ce n’est pas avec des jeunes carottes !
MAUD – C’est plus qu’imagé
BERANGERE – Vous réalisez ? Cavaillon et Arras réunis
PATRICE – En parlant de ça, Bérangère a promis de me faire goûter ses melons
BERANGERE – Et Patrice son endive à la crème
PATRICE – A part à la piscine, c’est le seul plat que je réussisse
ARCHIBALD – A propos, il va être l’heure de dîner
MAUD – Bonne idée ! (A Archibald.) Pendant le repas, tu auras tout le temps de m’expliquer pas mal de choses
ARCHIBALD – Aucun souci
MAUD – Parce qu’il y en a quand même qui m’échappent
ARCHIBALD – Quand ce ne sont pas des filles qui s’échappent !
MAUD – A commencer par Bérénice
PATRICE – Ah ! Bérénice !
BERANGERE (sur un ton de réprimande) – Dis-donc !
ARCHIBALD – Et après le repas, qu’est-ce que vous diriez d’une partie de bridge ?
BERANGERE – Le bridge, ça me connaît ! Le dentiste m’en a mis trois !
PATRICE – Elle, c’est les chicots et moi, les chicons ! Chacun son truc !
BERANGERE – On est vraiment complémentaires
MAUD – C’est dingue !
PATRICE – Moi, c’est la belote de comptoir que je préfère
MAUD – Surtout le comptoir, non ?
ARCHIBALD – Et un poker ?
MAUD – D’accord, mais poker menteur alors ! Mon mari y excelle ! (A Archibald.) N’est-ce pas ?
RIDEAU
On pourra à nouveau passer la chanson « Les comédiens » de Charles Aznavour.