Un passé pas si simple

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Décor: Une salle de séjour + un coin cuisine.
Ce texte existe en version 4H/2H -4F/1h et 3F/3H

Philippe, écrivain, en pleine crise existentialiste, vient de se séparer de son épouse. Si la séparation s’est faite en « douceur », il n’en demeure pas moins qu’il erre comme une âme en peine dans sa propre maison. Avait-il bien épousé la femme de sa vie ? N’a-t-il pas raté le coche avec les autres femmes connues auparavant ? Son fils Laurent, voyant l’état de décrépitude dans lequel son père est en train de sombrer, décide de provoquer un électrochoc.

Ayant retrouvé dans les papiers de son père, les lettres de ses premières amours, il réussit à retrouver la trace des trois femmes qui ont marqué la vie de Philippe avant qu’il ne connaisse et se marie avec celle qui deviendra sa mère.

Amusées et séduites par l’idée de Laurent, voilà donc Françoise (l’épicurienne), Catherine (la fan de cuisine) et Josiane (la reine des histoires belges) qui débarquent chez Philippe, bien décidées à délivrer leur ex compagnon de tous regrets quant à leur éventuel « largage ». Oui, mais voilà… ont-elles vraiment oublié et pardonné le largage en question ? Et avec l’âge, les défauts de chacune d’elles se sont ils atténués ou accentués ? Et leur ancestrale rivalité s’est elle adoucie avec le temps ?

D’abord secoué par une femme de ménage envahissante et un coach « tonique », Philippe, balloté, cocooné, séduit, rejeté par ses anciennes compagnes, va d’agréables surprises, en amères désillusions. Le remède de Laurent serait-il pire que le mal ?

Et si ces trois femmes réunies ne représentaient que la moitié de celle qu’il a laissée partir…

ACTE I

Nous sommes en début de journée, dans la maison de Philippe. A l'ouverture du rideau, la scène est vide mais il règne un désordre indescriptible dans la pièce. Des vêtements sont en vrac sur le canapé, une bouteille et des aliments envahissent la table basse du salon. Dans le coin cuisine, on aperçoit un amoncellement d'assiettes et de casseroles sales. La porte d'entrée s'ouvre et livre passage à Laurent, le fils de Philippe. Il est visiblement étonné d'avoir trouvé la porte non verrouillée. Il est suivi de Huguette, la technicienne de surface qui arrive avec son matériel sur les bras et de Patrice, coatch à domicile.

LAURENT, à la cantonade. – C'est moi P'pa ! (Pas de réponse.) Ouh ouh, t'es là ? (Toujours pas de réponse.)

HUGUETTE, pragmatique. – Y doit pas être bien loin, sa porte n'est pas fermée à clé.

LAURENT, inquiet. – Ce qui est plutôt bizarre, lui qui ne se couche jamais sans avoir fait au moins dix fois le tour de la maison pour vérifier toutes les serrures...

PATRICE, apercevant la table encombrée. – Oh le chantier ! Il pique nique toujours dans son salon, vot' père ?...

HUGUETTE, elle retourne la bouteille de Whisky vide. – Pique nique qu'il n'a pas arrosé avec du champomy, le père Philippe...

LAURENT, constatant. – C'est pourquoi je vais avoir besoin de vos services. Vous Huguette pour me remettre de l'ordre dans la maison...

HUGUETTE, au garde à vous avec son balai . – A vos ordres chef ! (Elle rit.)

LAURENT, constatant. – Et vous Patrice pour me remettre le bonhomme en état de marche.

PATRICE, faisant craquer ses doigts et gonflant ses biceps. – Pouvez comptez sur moi. (Menaçant.) Je m'déplace rarement pour rien. Quelques bons massages et il va repartir au quart de tour le neurasthénique... (Si l'acteur est menu, lui faire jouer les anti athlètes.)

LAURENT, changeant de ton. – Parfait ! Bon papa ! Arrête de te planquer, je sais que tu es là. Alors, tu viens tout de suite ou je vais te chercher !

Sortant de son bureau, tout penaud, Philippe arrive en traînant les pieds. Il est en robe de chambre, pas lavé, ébouriffé avec une barbe de trois jours sur les joues.

PHILIPPE, faussement étonné. – Ah... c'est toi Laurent ? Quelle surprise... Je ne t'ai pas entendu sonner...

HUGUETTE. – Pas besoin de sonner, vot' porte était entre ouverte.

PHILIPPE, étonné, à son fils. – Qui sont ceux là ?

HUGUETTE, lui tendant la main, matériel dans l'autre main. – Huguette Graton, technicienne de surface.

PHILIPPE, ignorant la main tendue. – Technicienne de… Mais je n'ai jamais demandé qu'on vienne me technicier la surface.

HUGUETTE, regardant sa main tendue. – Super, merci... J'ai la main qui sent le mazout, sans doute ?

PATRICE, lui prenant la main d'office et la lui broyant entre ses doigts. – Patrice Masseur, coatch à domicile. Massages, step de fitness... rudiments de self défense... (Tête de Philippe qui secoue sa main de douleur.) Remise en forme intégrale... Satisfait ou remboursé, comme chez Darty !

HUGUETTE, hilare, à Patrice. – Je le crois pas ! Tu t'appelles vraiment Masseur ? Et en plus, tu es kiné ?

PATRICE, le prenant mal. – Et alors, qu'est ce que ça peut te foutre ?

HUGUETTE, hilare, à Patrice. – Rien. J'imagine juste les clients parlant de toi ... et de la main de Masseur...

PATRICE, se forçant à rire. – Ah ah ah ! Très drôle On me l'a déjà faîte cent fois celle là.

PHILIPPE, étonné, à son fils. – Qu'est ce qu'ils viennent fichent ici ces deux olibrius ?

LAURENT. – C'est moi qui leur ai demandé de venir parce que j'en ai marre de te voir vivre, à moitié déprimé, dans cette porcherie.

PHILIPPE, mécontent. – Je ne veux pas qu'on m'embête. J'ai besoin de calme et de solitude.

HUGUETTE, le rassurant. – Soyez tranquille m'sieur Philippe... vous permettez que je vous appelle Philippe... (Sans attendre la réponse.) Je serai la discrétion même... une frêle libellule qui va papillonner de pièce en pièce et devenir la fée de votre logis.

PHILIPPE. – Je suis bien capable de me débrouiller tout seul... Je n'ai pas besoin de libellule, ni de fée du logis.

LAURENT. – Te débrouiller seul ? Alors que, malgré ta maniaquerie, ta porte d'entrée est carrément restée ouverte toute la nuit. Tu cherches quoi ? A te faire attaquer par des rôdeurs ?

PHILIPPE. – Tout de suite les grands mots... Qui peut s'en prendre à un vieil homme sans intérêt, comme moi...

HUGUETTE. – Vot' fils a raison. C'est un truc à se faire découper en rondelles, comme du Justin Bridou. (Elle mime.) Tchac tchac tchac tchac  tchac ! Vous aurez bonne mine après ça, tiens !

PATRICE, se mettant en position de judoka. – Quand je vous aurai appris quelques mouvements d'auto défense, vous ne risquerez plus rien et votre fils pourra dormir tranquille.

PHILIPPE. – On verra ça plus tard. (A son fils.) Tu pourrais peut être m'embrasser au lieu de me gueuler dessus comme un putois.

Il embrasse son fils. Huguette s'invite à l'embrassade. Surpris, Philippe se laisse embrasser 4 ou 5 fois par elle. Huguette va ensuite se mettre en tenue de nettoyage et va commencer son travail tout en se mêlant aux conversations. Pendant les répliques suivantes, Patrice va préparer, sur la table de la salle à manger, son matériel de massage, tapis, serviette, huile de massage qu'il sort de son grand sac. Il se met en tenue et fait des excès de zèle en s'échauffant seul. Huguette et lui vont s'occuper tout en participant à la discussion commune.

LAURENT. – Tu piques !

HUGUETTE, en riant. – On dirait une éponge Spontex. Pour un peu, avec mes poils du menton, on aurait fait velcro tous les deux.

LAURENT. – Tu ne t'es pas rasé depuis combien de jours ?

PHILIPPE. – Mon rasoir électrique a rendu l'âme la semaine dernière...

PATRICE, tout en préparant ses affaires. – Et vous n'avez pas de rasoir jetable en réserve ?

PHILIPPE. – M'en sers jamais, il m'arrache la gueule.

HUGUETTE. – Vous avez raison. Quand on a la gueule de bois... ça peut faire des copeaux. (Elle éclate de rire.)

PATRICE. – C'est comme ça qu'on se fait un portrait rabot. (Il éclate de rire, suivi par Huguette.)

Ils rient tous les deux sous le regard étonné des deux autres.

LAURENT. – Tu ne pouvais pas sortir t'acheter un autre rasoir électrique ?

PHILIPPE. – Impossible, c'était un cadeau de ta mère... pour la fête des pères en 2002. C'est sentimental, tu comprends ?

HUGUETTE. – Moi, j'comprends ça. Un jour, Marcel... Marcel, c'est mon défunt mari qu'est mort maintenant... eh ben Marcel, pour mon anniversaire, il m'avait fabriqué un cendrier de salon avec une carapace de crabe. De toute beauté. Bon ça sentait un peu la marée mais j'ai jamais pu m'en séparer.

PATRICE, moqueur. – Il devait en pincer pour toi, ton Marcel ! (Tête ahurie de Huguette.) En pincer … pinces... de crabe... Tu piges ? (Eclat de rire de Huguette qui vient de comprendre. Tête de Philippe.)

PHILIPPE. – Je te parle de rasoir électrique et nous voilà arrivés sur un plateau de fruits de mer.

LAURENT. – Ne change pas de conversation. Je te rappelle quand même que maman est partie... enfin... que tu l'as gentiment invitée à quitter la maison il y a trois mois, pour incompatibilité d'humeur. Et maintenant, pour un peu, tu lui consacrerais un musée avec tous les objets rappelant son souvenir.

HUGUETTE. – C'est qu'on s'y attache aux souvenirs. Comme moi avec avec ma coquille de crabe.

PHILIPPE. – Je savais bien que tu ne me comprendrais pas. Vous êtes tous pareils, vous les jeunes... aucun sentiment humain ! Vous nous oubliez aussi vite que votre dernier Iphone.

HUGUETTE. – Y z'ont pas les mêmes valeurs que nous, les jeunes....

LAURENT. – Huguette, ça ne vous ennuierait pas de me laisser parler à mon père tranquillement ?

HUGUETTE. – Excusez moi m'sieur Laurent. J'me sens tellement à l'aise chez vous que j'ai tendance à me laisser aller. (Geste sur ses lèvres.) Mais chut, j'dis plus rien. (Se trompant.) Botus et mouche cousue. (Elle reprend son rangement et son nettoyage.)

PHILIPPE. – Que je m'attache à un objet offert par ta mère dans des circonstances aussi particulières, parce que je te signale quand même mon p'tit Laurent que c'est de ta mère dont on parle en ce moment, et que cela ne t'inspire aucun émoi, alors là... ça me laisse... ça me laisse... que je ne sais même pas comment dire...

LAURENT. – Eh bien, ne dis rien p'pa, ça vaudra mieux. Et tu comptes faire quoi ? Que maman revienne t'en acheter un autre à la prochaine fête de pères ?

PATRICE. – Ou que la barbe vous descende sur les godasses...(Il rit.)

PHILIPPE. – Allez y rigolez, ironisez sur un vieux père qui va finir sa vie tout seul, dans la misère, incompris de tout le monde, rejeté par sa propre famille, humilié, bafoué...

HUGUETTE. – Faut pas dire ça m'sieur Philippe, on est venus tous les trois pour vous aider.

PHILIPPE. – A quoi bon. Je suis un homme fini... vieilli... rabougri... vert de gris...

HUGUETTE. – Vous êtes encore très bel homme. (Parlant pour elle.) Et j'suis sûre qu'il y a encore des femmes capables de s'intéresser à vous...

PHILIPPE. – Je suis tout juste bon pour la braderie.

HUGUETTE. – Même en solde, vous m'intéresseriez encore. En plus, j'suis une adepte des fins de série.

PHILIPPE, montrant Huguette. – Voilà, elle l'a dit. J'suis un loser, un has been...

LAURENT. – Bon, t'as fini ton cinéma ? On peut passer à autre chose ?

PHILIPPE, reprenant son fils dans ses bras. – Heureusement que tu es là toi, mon fils. (Il l'embrasse.) Qu'est ce que je ferais sans toi ?

LAURENT, le repoussant gentiment. – Oh pétard, tu ne t'es pas douché depuis quand ? Tu pues le vieux bouc.

PATRICE. – On se croirait dans une bergerie du Larzac.

PHILIPPE, vexé. – Je vous remercie ! Quant à toi, Laurent... la chair de ma chair... qui renie l'odeur de ma chair... ça fait mal, tu sais. Je te rappelle quand même qu'avant de devenir le joli garçon que tu es maintenant, tu es passé par le stade physique d'une affreuse grenouille et que je t'embrassais quand même, moi... et sans dégoût !

HUGUETTE. – Vaut mieux un p'tit têtard que jamais... (Elle éclate de rire. Têtes des autres)

LAURENT. – Non, mais tu t'es vu à 9 heures du matin ? Pas rasé, pas lavé, en robe de chambre, les cheveux gras, les yeux globuleux...

PHILIPPE, se révoltant. – C'est même pas vrai, je n'ai pas les yeux globuleux...

HUGUETTE. – Si si, vous avez les yeux globuleux... surtout le gauche.

PHILIPPE, se tâtant les globes oculaires. – C'est parce que je suis patraque en ce moment... une sinusite... avec une angine... Alors toutes les muqueuses doivent être congestionnées et la pression doit se porter sur mes yeux. Médicalement, ça s'explique.

LAURENT, montrant la bouteille vide. – Médicalement… ce ne serait pas plutôt un abus de whisky qui serait à l'origine de ta pression oculaire ?

PHILIPPE, se défendant. – Eh ben... eh ben... eh ben... justement, voilà ! Comme je me sentais fiévreux, je me suis fait un bon grog au whisky...

HUGUETTE, retournant la bouteille vide. – Un seul grog ? Vous êtes sûr ?

PHILIPPE. – Enfin... deux ou trois... Je ne les ai pas comptés, du moment que ça me faisait du bien. (Sur la défensive.) C'est quand même pas défendu de boire un bon grog quand on est malade...

LAURENT, entrant dans son jeu. – Non... c'est même fortement conseillé.

PHILIPPE. – C'est la recette du grog de ta mère. Une dose de lait, une bonne cuillérée de miel, un demi citron et une dose de whisky. Tu sais qu'elle m'en a guéri des maladies avec sa potion magique.

PATRICE. – C'était la Panoramix de la maison, vot'femme.

PHILIPPE. – On pourrait presque dire ça...

PATRICE, aux autres, montrant Philippe. – En attendant, y me parait guère en état de déplacer des menhirs le Abraracourcix. (Attrapant Philippe.) Allez, venez par ici qu'on commence l'échauffement.

D'autorité, Patrice lui enlève sa robe de chambre. Réaction de pudeur de Philippe qui ne veut pas et se rhabille rapidement.

PHILIPPE. – Eh oh, pas devant tout le monde.

HUGUETTE, riant. – Vous gênez pas pour moi, m'sieu Philippe, j'en ai vu d'autres. Et vous êtes plus intéressant à regarder que mon ramollo de Marcel qui pendouillait de partout.

Patrice fait craquer ses doigts, fait des mouvements de tête, d'épaules et de bras et s'avance vers Philippe.

PHILIPPE. – Je peux m'échauffer tout seul...

PATRICE, à moitié menaçant. – Il me laisse faire mon boulot tranquillement le p'tit monsieur ou j'emploie la méthode forte.

PHILIPPE. – C'est à dire que...

PATRICE, haussant le ton. – Torse nu tout de suite et que ça saute !

PHILIPPE, s'exécutant. – Si vous le demandez gentiment...

A partir de maintenant, Patrice va « s'occuper » de Philippe tout en se mêlant de temps à autre à la conversation. Philippe va « subir » le coatching et va assortir ses dialogues de réflexions et de râles en fonction de cela. Patrice commence par « manipuler » son client, la tête, les bras, les jambes, exercices de pompe etc... Un joli travail de mise en scène qui peut générer des situations cocasses. La montée sur la table de massage se fera un peu plus tard.

LAURENT, fouillant sur la table. – Pendant que tu t'échauffes, je me serais bien pris un grog moi aussi. Dis voir, où est ce que tu as mis l'autre moitié du citron ?

PHILIPPE, gêné. – J'ai du la jeter dans la poubelle de la cuisine...

LAURENT, refouillant sur la table. – Et le miel ?

PHILIPPE, même jeu. – J'ai fini le pot...

LAURENT. – Tant pis, je me contenterai de lait. Il est dans le frigo ? (Il s'apprête à y aller.)

PHILIPPE, intervenant vivement. – Y en a plus... j'ai donné le reste au chat.

LAURENT, interloqué. – Quel chat ? Tu n'as jamais voulu de chat à la maison... tu ne les aimes pas. Ces animaux ingrats qui, comme les femmes, ne viennent se faire caresser que par intérêt. (Philippe veut protester.) Non non, ne proteste pas, ce sont tes propres paroles.

PHILIPPE. – Oui, mais là... elle me faisait de la peine... Elle miaulait à ma porte, crevant de faim et elle me regardait avec ses petites yeux verts en amande... ses petites...

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