Un réveillon à la montagne

Une agence immobilière, à la suite d’une erreur, a loué un même studio en montagne, à deux familles différentes. Nous sommes le 31 décembre au soir et la cohabitation va devoir être supportée jusqu’au 2 janvier au matin. Très rapidement, la situation s’envenime et la hache de guerre est déterrée entre ces deux familles au niveau social et à la culture diamétralement opposés. En effet, rien de commun entre Pierre et Martine, cadres supérieurs de la région parisienne et Solange et Nanard, joyeux “prolos” provinciaux. Au cours de cette cohabitation, ce ne sera pas Elise, sœur de Martine, qui se montrera la plus conciliante, allant même jusqu’à partager le chalet en deux parties. En revanche, les jeunes générations et les “anciens” se découvriront avec intérêt et participeront à une réconciliation inespérée.
Pendant trois actes, un “réveillon à la montagne” entraînera le public dans une cascade de dialogues percutants par leur drôlerie et leur rythme endiablé.

Acte 1

 

Une vieille dame dort dans le fauteuil.

Voix off - Pierre ! Pierre !

Pierre - Alors six verres à pied, six verres à pied, oh il y a même les flûtes à champagne, mais ils sont sacrement équipés dans ce chalet, c’est merveilleux ! si ça se trouve, il y a même un seau à glace… mais oui ! qu’est-ce que je disais… alors là, bravo, ils ont pensé à tout, chapeau l’organisation !

Martine - Pierre, mais qu’est-ce que tu fais, tu ne peux pas répondre quand je t’appelle, tu es sourd (Entrant.) ou quoi ?

Pierre - Non, rassure-toi Martine, le virus de la surdité n’existe pas encore, donc pas de danger que je l’attrape, ce n’est pas parce que ta mère est là que… (S’apercevant que la mamie dort dans le fauteuil, il tape sur le seau à glace. D’une voix forte.) S’il vous plaît, contrôle des billets, contrôle des billets.

La mamie continue de dormir.

Pierre (la secouant) - Montparnasse, Montparnasse, le train arrive à destination…

Martine - Pierre, voyons cesse de la taquiner ainsi, tu n’es pas gentil.

Mamie - Qu’est-ce que c’est ? Oh c’est vous Pierre, j’ai dû m’assoupir.

Pierre - Alors, Mamie, on a fait son gros dodo.

Mamie - Vous avez raison, il est encore trop tôt.

Pierre - Non je dis, on a fait son gros dodo ?

Mamie - Aller faire de la moto, à cette heure-ci, vous n’y pensez pas !

Pierre - Mais qui vous parle de moto, je vous demande simplement…

Martine - Pierre, je t’en prie, cesse de l’embêter. Maman si tu souhaites te relaxer un peu, tu seras bien mieux dans la chambre que je t’ai préparée.

Pierre - C’est ça Mamie, allez recharger un peu vos batteries là-haut. Comme ça vous reviendrez en pleine forme pour fêter le réveillon.

Mamie - Mais non, mon gendre détrompez-vous, je n’ai pas du tout les oreillons.

Pierre - J’ai dit le réveillon pas les oreillons parce que les oreillons, à mon avis ça doit faire un moment que vous avez dû les avoir…

Martine - Monte, Maman, tu trouveras ta valise dans la pièce du fond.

Pierre - Attention Mamie, la pièce du fond pas la fesse du pion ! Martine, tu ferais bien d’accompagner Mamie, sinon tu risques de la trouver endormie au milieu de l’escalier.

Martine - Tu exagères Pierre, tu verras qu’après un moment de récupération, elle va nous revenir en pleine forme. Si ça se trouve, c’est elle qui te couchera cette nuit.

Pierre - Ça c’est bien possible, increvable la mamie, elle consomme presque rien mais qu’est-ce qu’elle tient la route ! Pas vrai Mamie hein, bon pied bon œil !

Mamie - Qu’est-ce que vous dites mon petit Pierre, vous entendez les pompiers ? Vous m’inquiétez, je n’entends rien ou alors je deviens sourde.

Pierre (acquiesçant lourdement de la tête) - Mais oui Mamie ça doit être ça.

Martine - Allez viens Maman je t’accompagne.

Mamie sort, suivie de Martine.

Pierre - Tu en profiteras pour rappeler à ta charmante sœur que sa valise est toujours ici, mais… et ça ? (Il désigne un sac.) Ce sont les affaires de Charlotte, ma parole, on me prend pour qui dans cette maison, pour le larbin de service !

Martine - Ne te bile pas ainsi. Élise va certainement venir chercher ses affaires, je vais le lui rappeler. Quant à Charlotte, je préfère attendre qu’elle soit revenue à de meilleures dispositions.

Pierre - Dis-lui que si elle ne descend pas, c’est son père qui va venir la chercher par la peau des fesses, non mais c’est incroyable, ce n’est qu’une gamine et il faudrait qu’on se plie à tous ses caprices et puis quoi encore !

Martine - Il est vrai que la perspective de réveillonner avec nous ne l’enchante guère.

Pierre - On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Mademoiselle adore skier, accepte qu’on lui paie ses forfaits et ses équipements et dans le même temps, elle aurait voulu réveillonner à Paris, et surtout pas avec ses vieux parents, bien trop ringards bien trop “has been” comme elle dit.

Martine - C’est vrai que si elle avait pu bénéficier de l’appartement…

Pierre - Mais je rêve, j’hallucine, tu as vraiment la mémoire courte ma pauvre Martine, l’expérience de la semaine dernière ne t’a donc pas suffi ? Rappelle-toi dans quel état on a retrouvé l’appartement, les bouteilles de coca dans l’aquarium… Demande aux poissons, ils s’en souviennent encore… et les mégots dans les plantes vertes, c’était décoratif, je te l’accorde, tout aussi décoratif que les traces de porto sur la moquette, je ne te reparlerai pas du petit saligaud qui s’est mouché dans les rideaux, encore moins de celui qui a réussi à vomir dans notre lit, il est vrai qu’il a eu la délicatesse de recouvrir son petit cadeau du couvre-lit… charmante intention !

Martine - Mais Pierre, tu avoueras que Charlotte n’est pas responsable du comportement de ses camarades.

Pierre - C’est vrai, je suis d’accord, néanmoins après une telle expérience n’importe qui peut également comprendre que je rechigne à lui laisser l’appartement. Après tout ce n’est pas un si grand châtiment que de venir passer huit jours en famille à la neige. De toute manière, je ne la séquestre pas, que je sache, si elle veut sortir ce soir libre à elle de le faire.

Martine - C’est entendu, Pierre, mais sois un peu indulgent, rappelle-toi que toi aussi tu as été jeune.

Pierre - On dirait que tu t’adresses à Mathusalem, merci c’est agréable.

Martine - Qu’est-ce que tu peux être susceptible ce soir.

Pierre - Pardonne-moi, ce doit être la fatigue de la route, mais ne t’inquiète pas, ça ira mieux l’année prochaine.

Martine - Je préfère ça, allez, à tout de suite.

Pierre - Alors où en étais-je ? Ah oui, voilà ma liste, voyons voir… assiettes, plats, casseroles, parfait ! Tiens, voilà ma chère belle sœur… Alors Élise, que pensez-vous de l’endroit, n’est-ce pas paradisiaque ?

Élise - Vous savez Pierre, ici ou ailleurs quelle importance.

Pierre - Allons, allons, pas d’humeur chagrine un soir comme celui-là, voyons, que demander de plus, un réveillon de rêve dans un cadre idyllique ! Et demain à nous l’ivresse des sommets, à nous les descentes vertigineuses dans un site enchanteur.

Élise - Pas la peine de me réciter le dépliant publicitaire, vous l’avez appris par cœur pour pouvoir m’épater ou quoi ?

Pierre - Mais non, pas du tout, je disais ça comme ça, je ne…

Élise - Cessez de mentir, de vouloir toujours vous justifier, de toute façon, je n’en ai rien à fiche, je n’aime pas la neige.

Pierre - Ça tombe bien, vous garderez Mamie pendant que nous irons skier.

Élise - Ainsi c’est donc ça, je comprends maintenant votre insistance, vous m’avez embarquée uniquement pour que je m’occupe de maman pendant que vous irez vous pavaner sur les pistes.

Pierre - Mais c’est de l’humour, c’est pour rire ma chère Élise, cessez donc de tout prendre à la lettre ! Non, non, ne vous fâchez pas, ça aussi c’est de l’humour, vous savez pertinemment que Mamie est assez grande pour se garder toute seule. Non, vous êtes venue avec nous parce que nous ne voulions pas que vous vous retrouviez toute seule, un soir comme celui-là, voilà tout.

Élise - Le coup de la pitié à présent, décidément mon pauvre Pierre, ce ne sont pas le tact et la délicatesse qui vous étouffent.

Pierre - Mais non, ma chère Élise, vous vous méprenez, ne refusez pas de grâce, l’estime et l’affection que…

Élise - Je vous en prie assez d’hypocrisie, voilà bien un discours typiquement masculin, un discours machiste enrobé de paternalisme. Je n’ai absolument pas besoin de votre pseudo-protection. Vous, les hommes, vous passez votre temps à nous infantiliser, à nous surprotéger. Serait-ce pour masquer votre propre insécurité ou alors peut-être pour mieux nous aliéner et nous maintenir dans notre condition d’exploitée ?

Pierre - Pardon ?

Élise - Vous m’avez très bien comprise !

Pierre - Ma chère belle-sœur, lorsque vous êtes descendue, le pauvre macho, exploiteur, phallocrate et paternaliste que je suis, pensait vous aider à porter vos affaires, mais je m’aperçois que mon intention était inconsciemment malveillante puisqu’elle aurait renforcé votre “aliénation”. Je ne voudrais surtout pas vous maintenir dans une situation de dépendance vis-à-vis de la gent masculine. Chère Élise, vous m’avez éclairé, soyez-en remerciée, je m’efforcerai à présent de respecter vos idées féministes, soyez assurée que je ne vous proposerai plus mon aide en aucune circonstance et si d’aventure, je me laissais aller à vous présenter un plat, à vous ouvrir une porte ou à vous complimenter sur votre toilette… Je vous en conjure, rappelez-moi à l’ordre. Je compte sur vous.

Élise (prenant ses affaires) -...

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