Un Snoopy derrière la porte

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Sidonie est une comédienne fonceuse, égoïste, entreprenante et sexy. A quelques jours de la création de son nouveau spectacle, son partenaire – et compagnon – la laisse tomber. Il lui faut donc trouver rapidement un autre comédien pour interpréter le rôle d’un clown blanc dans une pièce pour enfants. C’est très important pour elle et pour l’avenir de sa compagnie car les subventionneurs seront tous là. Sidonie épluche son carnet d’adresses, téléphone à ses amies mais, après plusieurs tentatives infructueuses, commence à désespérer. Jusqu’à ce que quelqu’un pénètre dans son appartement. Mais c’est Ursule, une comédienne dépressive, suicidaire, myope et obèse qui se présente. Evidemment, cette proposition ne convient pas du tout à Sidonie mais comment refuser à quelqu’un qui tente de se jeter dans la gazinière à la moindre contrariété. De plus Ursule s’est, elle aussi, fait larguée par son compagnon. C’est donc également un hébergement qu’elle recherche. La cohabitation va progresser cahin-caha, remplie de tensions, de fâcheries, d’engueulades. Une tentative de répétition sera abordée… Et quand rien ne va plus, il reste toujours un petit Snoopy en peluche à câliner ! Si, si, regardez derrière la porte, il est là !

 

 

 

Tableau 1

 

Sidonie entre vivement, des sacs à provisions dans les bras. Elle fait deux pas et s’étale par terre. Des boîtes de conserve roulent sur le sol.

Sidonie - Putain, Snoopy !… Fred, tu me gonfles ! Ça fait vingt fois que je te dis de ne pas laisser Snoopy n’importe où dans le passage. (Elle se relève et ramasse un chien en chiffon.) Je t’ai dit mille fois de ne pas toucher à Snoopy, c’est mon Snoopy, ma mascotte, je veux pas qu’on y touche… (Elle le caresse fortement.) Les escalopes c’est à la crème, la main de ma sœur dans la culotte du zouave et Snoopy sur le lit, O.K. ? (Elle fait des mamours au chien.) Mon pépère, ma saucisse à pattes, elle était toute perdue sans sa maman, hein ? Elle retrouvait plus le chemin du couvre-lit… (Brusquement elle le balance sur le lit) Fred, t’es là ?… Non, encore aux toilettes.

Elle appuie sur le répondeur et ramasse les boîtes de conserve qu’elle balance sans ménagement dans le coin-cuisine.

Voix synthétique du répondeur - Vous avez cinq nouveaux messages… Messages numéro un… bip…

Les messages qui suivent défileront pendant le rangement de Sidonie.

Voix du répondeur (homme) (jovial) - Salut les loulous, c’est Jérôme, je vous appelle pour vous dire que… bip…

Voix synthétique du répondeur - Message numéro deux… bip…

Voix du répondeur (homme) - C’est Jérôme, deuxième message. L’appareil s’est arrêté pendant le premier, je vous disais que… bip…

Voix synthétique du répondeur - Message numéro trois… bip…

Voix du répondeur (homme) (agacé) - Toujours Jérôme ! Troisième appel ! Votre appareil a sérieusement besoin d’une révision, on n’arrive pas à aller au bout des messages. C’est super agaçant ! Alors, pour la troisième fois, je disais… bip…

Sidonie - Fred, tu voulais des corn flakes mais y’en avait plus… alors j’ai pris des petits pois. Douze pour le prix de dix ; valable, non ? (Elle ramasse délicatement la dernière boîte et la porte jusqu’aux placards.) Je me souviens plus, c’est toi ou c’est ton frère qui est allergique aux petits pois ?

Voix synthétique du répondeur - Message numéro quatre… bip…

Depuis le début, c’est toujours la même personne qui parle sur le répondeur.

Voix du répondeur (homme) (hurlant) - Fred ! Sido ! J’en ai marre de votre répondeur ! À chaque fois que j’appelle il me coupe la parole. Faites-le vérifier ou rachetez-en un autre ! C’est agaçant ! Alors moi, je suis là, je vous appelle pour un truc important et dès que je commence à parler, clac, terminé ! Je vous jure, c’est pénible. Il ne m’aime pas ou quoi, votre machin ?… Bon… Qu’est-ce qu’il fait, là ? Il coupe pas ?… Faut l’engueuler alors ? Je vous jure, quelle saloperie de matériel ! Bon, ben j’en profite. Je vous appelle pour vous dire que… bip, bip, bip…

Sidonie - C’est Jérôme. Il est fâché avec les répondeurs. Il doit appeler pour le décor de la pièce. Faut qu’on se décide. Tu as choisi ?

Voix synthétique du répondeur - Message numéro cinq… bip…

Voix du répondeur (femme) - Allô ! Sido, c’est maman. Dis-moi ma poule, tu peux me rendre un service ? Figure-toi que j’ai grande envie de partir en week-end à Nice avec M. Anastasian. Oui, je sais ce que tu vas me dire : il a quinze ans de plus que moi, c’est un Arménien, sa femme est morte l’année dernière et on ne sait pas de quoi, mais je t’assure que c’est un homme charmant. Alors pourrais-tu appeler ce soir à la maison, pendant que je serai au club de bridge, et demander à ton père que je passe te voir pour des problèmes de femmes ? Si tu lui parles de grossesse nerveuse, d’utérus, d’ovaires et de rapports douloureux, il n’insistera pas. Il est tellement coincé le pauvre… bip, bip, bip…

Sidonie s’est arrêtée de ranger, prise d’un doute.

La voix au répondeur continue, blablabla…

Sidonie - Je sais qu’il est long quand il est aux chiottes mais là, ça fait vraiment très très long. (Elle va ouvrir une porte ou regarder en coulisses, revient.) Il est pas là… (Elle appelle.) Fred !… Fred !

Petit gingle musical.

On vient d’entendre les trois bip du répondeur.

Changement d’éclairage, lumière plus basse, plus bleue, seulement traversée par un BT qui vient éclairer la main du mannequin sur laquelle est épinglé un mot.

Sidonie va décrocher le mot, commence à le lire.

À cet instant, le mannequin pivote et un comédien vêtu à l’identique le remplace. Autre possibilité : le comédien est en place dès le départ.

Fred -L’explication la plus courte sera la plus simple je crois, alors s’il te plaît, Sido, va jusqu’au meuble hi-fi et regarde la boîte qui est posée sur un livre…

Sidonie - Un livre… Quel livre ?

Fred -Ne pose pas de questions, s’il te plaît, et vas-y !

Sidonie regarde la lettre comme s’il s’agissait d’un plan, se rend au meuble hi-fi.

Sidonie - Je suis au meuble hi-fi.

Fred -Regarde la boîte qui est posée sur un livre… un livre noir…

Elle prend une boîte et un livre, regarde le livre.

Sidonie - Il appelle ça un livre noir. Il peut pas écrire « missel » ?

Fred (énervé) - Et un missel c’est peut-être pas un livre ? Avec des pages ? Et une couverture noire ??? De toute façon le principal n’est pas le livre mais la boîte qui est posée dessus !

Sidonie - Des préservatifs.

Elle dit ça innocemment mais on sent bien qu’elle est prise en faute.

Fred -Il en manque cinq.

Sidonie - Ça dépend comment on voit les choses. Moi, je dirais plutôt qu’il en reste cinq.

Fred -De toute façon c’est cinq de trop vu qu’on n’en utilise pas ensemble !!! Alors c’est gentil d’être prévoyante, je ne me fais aucun soucis pour ma santé, mais comme je sais que tu as aussi été prévoyante avec Jean-Michel, avec Conrad, avec le régisseur du théâtre de Cholet, avec le type de Strasbourg dont j’ai oublié le nom, avec le garçon du restau de Sainte-Maxime et même un peu avec mon frère, moi je dis stop et je me tire. L’explication me semble assez claire. Tchao ! Je te souhaite une bonne fin de boîte !

Sidonie (médusée) - Ben Fred, t’es parti ?… Pour si peu ? Fred ! T’es plus là ? (Elle se déplace en appelant, aperçoit des fleurs qui traînent, éparpillées.) Ah ! ben oui, il a récupéré son vase en opaline, y’a pas de doute ! T’es bien parti, Fred ?

Fred -Ouiiiii ! Faut te l’écrire combien de fois ?

Sidonie (regardant la lettre) - C’est tellement mal écrit…

Fred -Et je te signale au passage que j’ai aussi trouvé les trois boîtes cachées dans le frigo. Les pleines. Alors je te dis merde, Sido, merde à toi, merde à ton spectacle et je me tire. Et je fous Snoopy derrière la porte en espérant que tu te prendras les pieds dedans et que tu te pèteras un os !!!

Fred regagne sa place. Mouvement pivotant, le mannequin reprend sa place. Bascule d’éclairage.

On entend le répondeur égrener des bip, bip, bip.

Sidonie se laisse tomber sur le canapé. On la croit triste, abattue. Ses épaules se soulèvent comme si elle pleurait mais soudain on se rend compte qu’elle rit, qu’elle éclate même de rire…

Sidonie - Mais comment il a su pour le type de Strasbourg ? Ça a duré que dix minutes… (Elle rit encore, aux larmes.) Comment c’était son nom ? Un nom aussi bref que… J’ai oublié, moi aussi. (Elle se lève, va au mannequin.) Alors comme ça, t’es parti, Fred ?… Pauvre con !

Elle flanque un grand coup de poing dans le ventre du mannequin, puis va taper sur le répondeur qui reprend du service.

Voix du répondeur (femme) - Excuse-moi de te demander ce genre de service, ma petite caille, je sais que c’est un peu embêtant vis-à-vis de ton père mais comme je sais que tu es aussi coquine que moi, tu me comprendras sûrement. Telle mère, telle fille, hein ? C’était maman. Gros bisous ma puce.

Noir.

On entend des bips de répondeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau 2

 

Sidonie est assise dans le canapé déplié en lit. Elle téléphone mais, incapable de ne faire qu’une chose à la fois, s’occupe aussi à d’autres actions.

Sidonie - Qui ?… Maurice… Comment tu dis ?… Maurice Merlin. Connais pas. Il est bien ?… Non, parce que Maurice ça fait… Maurice c’est le prénom de mon grand-père. Quel âge il a ?… L’âge de mon grand-père ! Non mais attends, Mireille, je cherche un comédien, pas un gardien de square ! Moi, j’ai besoin qu’il saute, qu’il coure, qu’il soulève des haltères, fasse des claquettes, crache le feu, monte aux rideaux, fasse des roulés-boulés à travers des anneaux de feu tout en jonglant avec des grenades. Avec ton Maurice je suis toutes les cinq minutes aux urgences !… Quoi, quoi, quoi ?… Je sais que les jeunes et bons sont tous pris, à qui le dis-tu, mais c’est pas une raison pour vider les hospices de vieillards. Écoute, je continue à chercher. Si tu as une bonne idée, tu m’appelles. O.K. ? Tchao, ma belle. Je t’embrasse. (Elle raccroche.) Trente-huit ans ! Elle est folle la Mireille ! Est-ce que j’ai une tête à me faire un dinosaure ? (Tout en tournant les pages de son carnet d’adresses, elle va à la cuisine et met de l’eau dans une tasse qu’elle va poser sur un tabouret en bout de lit. Puis elle va chercher une infusette en composant un nouveau numéro de téléphone.) Allô ! Gisèle ?… Ah ! salut ma chérie ! Je suis crevée, t’es au moins la vingtième que j’appelle… Pourquoi la vingtième ? Ben parce que j’en ai appelé dix-neuf avant… Pourquoi je t’ai pas appelée en premier ? Mais parce que t’es la dernière sur mon carnet… Pourquoi t’es la dernière ?… Mais si, je t’aime, Gisèle, arrête d’être parano à ce point… Mais non, j’ai rien contre toi, mais si t’es jolie, mais non t’es pas grosse, mais si je suis sincère, mais non t’es pas bête, mais si tu baises bien… Bien sûr que j’en sais rien mais c’est ce que disent les copains. Écoute, arrête de te faire du mal comme ça. Si t’es la dernière sur mon carnet c’est juste à cause de l’ordre alphabétique. Gisèle égale Gisou, Gisou égale Zouzou et Zouzou moi je l’écris avec un Z, dernière lettre de l’alphabet… Mais si j’aime les juifs ! Écoute, si ça doit faire un drame à chaque fois que je t’appelle je veux bien t’inscrire par ton nom de famille. C’est quoi ?… Zylberstein. Ouais, ça change pas grand-chose… Promis, la prochaine fois je commence par la fin. (Elle lève les yeux aux ciel, agacée. Tout en parlant elle vient tremper son infusette dans la tasse.) Écoute Zouzou, je t’appelle parce que j’ai un problème. Fred s’est tiré et… Mais non, ça va. Non, non, c’est pas le problème… Mais non, garde tes Valium pour toi, j’ai pas besoin de ça, je cherche juste un comédien pour remplacer Fred dans « Magic Mic Mac »… Ben oui, c’est plutôt urgent, la première est pour dans cinq jours, à Bordeaux… Annuler ? T’es folle ! C’est le Festival Jeune Public d’Aquitaine, il faut qu’on y soit, y’aura tous les experts, les mecs de la Drac, du ministère, du conseil régional. Tu connaîtrais pas un jeune type plutôt bien fait de sa personne, propre et bien élevé, avec tout ce qui faut pour entrer dans un pyjama taille 42 et qui, en plus, saurait faire le clown blanc ?… Oui, je monte un spectacle de clowns, c’est du théâtre mais les personnages sont deux clowns et… T’as pas compris ? Gisèle, concentre-toi et baisse ta télé, je vais pas répéter deux fois des choses aussi simples… (La colère monte.) Je cherche un mec, ça tu vois ce que c’est ? Un individu avec deux pattes, une poche kangourou et un permis de conduire avec Ray-Ban. Ce mec – de type masculin, Gisèle ! – je veux que dans la colonne profession, il ait écrit : « comédien ». J’épelle : C.O.M.É… Tu notes ? « Comé », tu ajoutes « dien » comme dans « canadien » avec les mêmes épaules mais avec plus de « comé » que de « cana » en tête. Tu me suis ? Ça fait comédien. Et ce comédien… Mais non, je ne m’énerve pas, je t’explique Gisèle !…...

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