Pièce adaptée du roman de Georges Bégou « Le Prince et le comédien » Adaptation et mise en scène : Reffé Pierre

Amis avec passion- Ennemis avec fureur
Résumé :
Paris, Février 1665, le Prince de Conti, membre de la compagnie du Saint Sacrement, assiste à la troisième représentation du Dom Juan de Molière. A l’issue du spectacle il vient voir Molière dans sa loge et lui demande des explications sur ce qu’il pense être un portrait de son ancienne vie de débauche. Ensemble ils revivent les événements qui les ont unis de Septembre 1653 à Avril 1656 alors que Molière et sa troupe étaient sous la protection du Prince à Pézénas.

Les personnages par ordre d’entrée en scène

Madeleine Béjart et autres rôles
Armande Béjart et autre rôle
Jean-Baptiste Poquelin dit Molière et autres rôles
Armand de Bourbon Prince de Conti
Voix de l’évêque d’Alet

Rappel historique
La pièce se joue alternativement sur deux périodes

1653 Molière et sa troupe « L’illustre Théâtre » arrivent à Pézenas ou ils demandent la protection du Prince de Conti.
La france est sous la gérance d’Anne d’Autriche et de son premier ministre le Cardinal de Mazarin. Le pays se relève difficilement de la période de La Fronde dirigée par le Grand Condé frère aîné du Prince de Conti.

1665 Grace à la protection de Monsieur, frère du roi, Molière et sa troupe règnent sur les spectacles à Paris. Malgré un succès grandissant, la Compagnie du Saint Sacrement a forcé le roi à faire interdire le Tartuffe. Molière a du rapidement écrire « Le Festin de Pierre » (Dom Juan)
La France est gouvernée par Louis XIV.

Note pour le lecteur : les didascalies, proposées en noir sont là pour aider à visualiser les situations et les déplacements des personnages, elles restent à régler lors des répétitions
Pendant l’entrée du public, le rideau de scène est ouvert. Nous sommes dans la loge de Molière en 1665.(bande sons) On entend des voix déclamer sur la scène du théâtre à l’extérieur côté cour, mais les mots ne sont pas compréhensibles. Madeleine seule en scène s'occupe à ranger du linge dans une grande panière.

SCENE 1 1665
Noir dans la salle, toujours du côté cour bruit de tonnerre accompagné d’un cris de détresse puis la voix de Sganarelle dans le dernière réplique du Dom Juan
« Ah ! mes gages, mes gages ! Voilà, par sa mort un chacun satisfait : Ciel offensé, lois violées, filles séduites, famille déshonorée, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. Il n’y a que moi seul de malheureux. Mes gages, mes gages, mes gages ! »

bande sons Applaudissements, on entend des « bravo Molière ». Madeleine, un verre d’eau dans la main s’approche du rideau cour, Armande apparaît, accolade avec Madeleine et court dialogue...

ARMANDE Tu entends le public ? Jean baptiste a été éblouissant...

MADELEINE Oui, ce fut une bonne séance… (elle retient Armande qui s’apprêtait à sortir fond de scène)
Tu l’as vu ? Il était au premier balcon

ARMANDE J’ai cru le reconnaître, mais il y avait tellement de monde…

MADELEINE Allez, va te reposer...

A son tour Molière apparaît, il est trempé de sueur, il boit et retourne aux applaudissements. Madeleine va prendre une chemise propre. Les applaudissements cessent, Molière revient et, tout en commençant le dialogue avec Madeleine, change de chemise, se dirige vers sa table et commence à se démaquiller:

MADELEINE Comment te sens-tu, tu as l’air épuisé ?

MOLIERE..- Tu plaisantes, à peine essoufflé ! Combien aujourd’hui ?
MADELEINE.- La salle était pleine.
MOLIERE.- Heureusement, après le désastre du Tartuffe…
MADELEINE.- Tu ne crains pas que…
MOLIERE.- Mais non, j’ai fait les coupes que le roi a demandées, ils n’oseront pas aller contre son avis une deuxième fois. Et puis, tu as entendu, j’ai les applaudissements pour moi, et comme j’ai le rôle de Sganarelle, on ne peut rien me reprocher, c’est la voix de la bonne conscience… Allons, réjouis-toi, la recette est bonne.(un silence)
MADELEINE.- Il était là…

MOLIERE ,- Impossible ! Il est à Pézénas et paraît-il bien malade…

MADELEINE,- (simulant une bosse à gauche ) Pas d’erreur, il est reconnaissable et quand il est passé près de moi il s’est détourné…

MOLIERE.- Il est donc encore à Paris, on en a pas fini avec lui... Il a des oreilles partout. L’histoire il l’a connaît, c’est ce que j’en ai fait qu’il est venu vérifier. Depuis qu’il s’est fait un bouclier du manteau de la religion, il se croit dédouané de ses anciennes débauches.

MADELEINE,- Mais que peut-il nous faire ? Nous avons l’oreille du roi et le public nous suit… MOLIERE,- Ils sont nombreux ceux que je dérange. Comme des rats ils agissent dans l’ombre MADELEINE,- Mais Conti est un homme fini, il est malade
MOLIERE,- Il n’en reste pas moins un Prince de sang.

MADELEINE,- Crois-tu vraiment que ce Dom Juan le frappe à ce point ?

MOLIERE,- Son passé de débauche lui colle à la couenne et nous en restons les témoins gênants.

MADELEINE,- Tu es incorrigible aussi. La leçon du Tartuffe ne t’as pas suffit : tu t’es mis à dos tous les dévots, les vrais les faux, tu as secoué la bile des curés, des évêques, des archevêques, tu as réussi à monter contre toi les abbés, les jésuites, les jansénistes, tu as provoqué une tempête qui n’est pas encore apaisée et maintenant monsieur défie les nobles, et pas le plus petit, non, le quatrième homme du pays…

MOLIERE .- Le cinquième, tu oublies le dauphin… J’aime quand la colère te fait rougir les pommettes. Allez, ne t’inquiète pas. Et puis, c’est sous l’instigation du roi lui-même que j’ai construit mon personnage. Il ne lui déplaît pas de voir claquer le bec à tous ces grands seigneurs qui lui font des courbettes après avoir mis le royaume à genoux pendant la Fronde. Et puis si Conti se reconnaît libre à lui, c’est La Grange qui joue le rôle et physiquement la ressemblance…

MADELEINE,- Encore heureux que tu ne lui ai pas mis la bosse, c’est la noblesse entière que tu aurais sur le dos.

MOLIERE,- Un seul me suffit. Ce qui m’étonne c’est qu’il ne soit pas déjà là, l’épée à la main, dans une de ses grandes colères… Molière ! Molière ! Peut-être qu’avec la robe la sagesse lui est venue... (ils éclatent de rire )
SCENE 2 1665
( grand bruit dans les coulisses fond de scène. On entend la voix du Prince : « Laissez-moi passer ! »Molière se cache derrière la table. Conti apparaît , en pleine fureur, brandissant sa canne, il respire difficilement, on le sent épuisé. Il est habillé de noir, sa bosse lui déforme le dos et il boîte légèrement, mais son allure reste celle d’un prince de sang.)
CONTI,- Où êtes-vous Molière !

MADELEINE,- (révérence) Monseigneur…

CONTI Bonjour Madeleine, où est ce fourbe, ce traître…(il brandit sa canne)

MADELEINE,- Non, Monseigneur, ne faites pas cela…

CONTI ,- ( voyant Molière caché derrière la table) Ah vous voilà ! (il s’apprête à vider la table, mais Madeleine anticipant le geste met vite la panière au bout) Vermine, (il balaye la table d’un geste et se penche par-dessus pour attraper Molière) scélérat, imposteur (mais épuisé il s’écroule ) Infâme ! (Madeleine lui apporte un siège )

MOLIERE,- ( sortant sa tête il se relève et aide Conti à s’asseoir sur un fauteuil en bout de table qui sera celui sur lequel il se posera chaque fois qu’il jouera son personnage en 1665) Allons, Monseigneur, un prince de sang se fourvoyer dans une rixe avec un saltimbanque, dans votre monde on ne châtie pas soi- même, on envoie ses gens…

CONTI,- ( reprenant difficilement son souffle)Tout dépend de l’adversaire et de la cause du châtiment

MOLIERE - Expliquez-vous Monseigneur ?

CONTI - Ne faites-pas l’innocent Molière, vous m’avez trahi !

MOLIERE - Je ne vois pas en quoi, et puis votre présence ici m’étonne, vos nouvelles fonctions s’accordent mal avec ce lieu

CONTI - Il se dit que ce Dom Juan recueille beaucoup d’éloges, aussi, comme je me méfie de ce que vous écrivez, j’ai voulu vérifier ...

MOLIERE - Et alors ?…

CONTI - Oh! Vous avez du talent, beaucoup de talent, peut-être même trop de talent. C’est une pièce qui a du plaire au roi ?

MOLIERE- Il m’a fait la faveur de l’entendre. La pièce l’a diverti.

CONTI - Et oui ! Même les rois ont des faiblesses…

MOLIERE - Quels sont vos reproches ? C'est sous votre protection que j'ai commencé à écrire, et j’ai toujours été attentif à vos remarques. Vous étiez un bon conseiller... jusqu’à ce que…

CONTI- J’ai pourtant eu l’impression que vous régliez certains comptes…
MOLIERE - Aurais-je du trahir mon modèle ?
CONTI - Ah! vous avouez. Vous avez l’art de vous servir de la comédie pour brocarder ceux que vous détestez, mais si le commun peut se laisser berner par vos facéties, d’autres, moins dupes de vos grimaces, veillent à ce que certaines valeurs ne soient mises à mal.
MOLIERE - Et quelles sont ces valeurs qui vous auraient froissé, surtout vous Monseigneur ?
CONTI - Souvenez-vous de notre première entrevue, le lendemain de votre arrivée à Pézénas, vous nous aviez donné la veille un divertissement fort réussi. Que vous avais-je dit alors ?
(Conti laisse tomber sa cape, il se redresse et va en fond de scène, Molière et Madeleine restent en avant-scène)

 

SCENE 3 1653
MOLIERE - Je dois faire travailler Marquise, elle minaude et ses airs la font paraître moins farouche …

MADELEINE - Le Prince lui a fait des compliments appuyés qui ne semblaient pas lui déplaire et Gros René en était fort satisfait… le sot
MOLIERE - A mari complaisant, femme accueillante…

MADELEINE - Allons Jeannot, le galant serait-il plus jaloux que le mari ?

MOLIERE - Moi ? Mais pas du tout… ( Conti les rejoint. Ils s’inclinent) Monseigneur !

CONTI - Nous aimerions écouter Cinna ce soir. Je sais que cette pièce est à votre répertoire et Corneille a mes faveurs…

MOLIERE - Comme il vous plaira Monseigneur

CONTI - Ou avez-vous pris le goût du théâtre Molière ?

MOLIERE - A Paris, au collège de Clermont, mais je ne jouais pas… J’étais à l’arrière avec les autres fils d’artisans du roi

CONTI - Moi, j’étais au premier rang, dans ce même collège, mais sans raison on ne me priait jamais de donner la réplique…

MOLIERE - (contrefaisant la bosse ) C’est que Monseigneur… ( mais un violent coup de pied de Madeleine le fait taire)… Euh ! Je ne sais…

CONTI - (riant de bon coeur ) Laissez le… (hésitant il regarde Madeleine)

MADELEINE - Madeleine, ( profonde révérence) Madeleine Béjart pour vous être agréable Monseigneur...( dans son dos Molière se moque de sa révérence un peu trop appuyée)

CONTI - Laissez le Madeleine, il a raison, mais sachez que cette bosse n’est pas pour me déplaire et je ne cherche pas à la dissimuler. Elle me distingue des courtisans à l’échine bien lisse, elle renferme en sa rotondité un mystère qui intrigue les femmes : tant que la bête ne mord pas, elles lui trouvent la peau douce. Ma chère sœur, le diable ait son âme, m’a toujours dit que dans cette bosse étaient repliées les ailes d’un ange . Elle avait tort, ce sont celles d’un aigle. Mais revenons à nos affaires : j’ai le dessein de vous donner ma protection. De combien est la pension que les états généraux vous ont versée l’an dernier ?

MADELEINE - De quatre mille livres Monseigneur
CONTI - Bien, une pension de cinq mille vous conviendrait-elle ?
MADELEINE- En complément de celle de l’État ?

CONTI - Eh !Comme vous y allez ! Nous verrons cela, mais je mets une condition à ce contrat…

MOLIERE- Laquelle Monseigneur ?

CONTI D’abord, dites-moi, cet intermède en forme de ballet que vous nous donnâtes hier soir, me semblait une charge contre le Cardinal ?

MOLIERE Disons une aimable mazarinade. Je sais les conflits qui ont opposé votre famille à Mazarin et j’ai pensé que…

CONTI Avec moi, ne versez jamais dans la complaisance Molière, sachez que les querelles des princes n’ont pas à être portés sur une estrade, que nous réglons nos disputes ailleurs que sur la

place publique... que les dessous de la politique dépassent votre entendement. Nous n’aimons pas à être jugés par ceux que nous entretenons.

MOLIERE C’est pourtant eux qui en subissent les conséquences…

CONTI (sèchement) Peuvent-ils être bon juge de ce qui est bien ou mauvais pour eux ? Mais il suffit !Voici ma condition : le théâtre est un art dangereux surtout quand on y apporte la grande habilité qui est la vôtre aussi je veux être averti de tout ce que vous mettrez sur scène. (Molière s’apprête à répondre mais Madeleine intervient)
MADELEINE Monseigneur fait beaucoup de cas pour quelques mots que la clarté des chandelles a peut-être trop éclairés, mais soyez assuré que tout ce que nous jouerons « sous votre regard » sera soumis à votre assentiment...

CONTI La nuance est subtile, présentée adroitement, mais soit, je l’accepte.

MADELEINE Mais pourrons-nous, comme il est d’usage continuer à nous produire sur les places publiques ou chez des personnes de qualité qui le désirent ?

CONTI Bien sûr, mais n’allez pas me demander l’autorisation de vendre de l’orviétan ou du Baume chinois

MOLIERE Votre générosité nous en dispensera, Monseigneur, mais il est vrai qu’une fois ou deux… dans des moments difficiles… j’ai dû…

CONTI Vous, Molière, un homme de lettres… j’aimerais assez voir cela !

MOLIERE (Il prend dans un pot une fausse couleuvre, fait semblant de l’avaler, se roule par terre en proie à tous les symptômes de l’empoisonnement, puis après avoir bu une fiole donnée par Madeleine il se relève d’un bond et crie) L’élixir du Vizir délivre du poison du chancre et des fluxions… Pour la joie et le plaisir, l’élixir du Vizir… Qui veut goûter ?

MADELEINE La santé pour trois pistoles ! A votre bon cœur Monseigneur…
CONTI (dans un grand éclat de rire et lui donnant une bourse)..Vous êtes de plaisants personnages, Voici pour sceller notre contrat, quand à vous Madeleine votre diplomatie n’a d’égale que votre beauté qui garde tout son éclat même hors des chandelles…
MADELEINE (révérence) Tout dépend de l’œil qui la regarde Monseigneur et je suis flattée car l’on dit que le vôtre est expert… (derrière le dos de Conti Molière grimace . Conti se rasseoit )

SCENE 4 1665
MOLIERE Eh bien monseigneur, en quoi ai-je manqué à mon engagement ,

CONTI Je n’ai aucun reproche pendant votre séjour à Pézénas. Vous avez été loyal, rien à redire.

MOLIERE (il porte un regard sur Madeleine puis sur Conti) Les mêmes scrupules n’ont pas étouffé votre Seigneurie…

MADELEINE Jeannot, faut-il te rappeler Marquise ?

CONTI Allons ! Allons ! Oublions nos anciennes frasques et revenons à ce Dom Juan. Vous n’en auriez fait qu’un coureur de jupons cela serait supportable, presque flatteur, mais en faire un pareil rebelle, révolté à ce point contre la société la famille la religion,,. Pourquoi l’avoir ainsi transformé ?

MOLIERE Vous me prêtez trop d’imagination. Quand je décris les vices des hommes je le fais en général, jamais en particulier et je n’ai rien fait si je n’y fait reconnaître les défauts de notre siècle. Mais, pour l’acteur qui joue le rôle, il lui faut bien représenter une figure. Que seraient les peintres sans une belle figure devant eux ? Tout vient de la figure. C’est la figure qui fait les chefs- d’œuvre, non les pinceaux.

CONTI Et quelle figure vous a servi pour votre... chef-d’œuvre ?

MOLIERE Ne vous mésestimez pas Monseigneur, je ne pouvais pas trouver plus belle source d’inspiration.

CONTI Vous reconnaissez donc vous être servi de nos entretiens et même peut-être de certaines confidences…

MOLIERE Voyons Monseigneur, sous le masque de Dom Juan combien de princes et de hauts personnages...

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