Acte I
La nièce est accoudée au bastingage côté cour. La fausse jeune femme est assise dans un transat fond de pont.
La tante arrive.
La tante. — Ah ! j’étais certaine de te trouver ici ! Tu as vraiment décidé de te pourrir ta croisière !
Nelly. — Mais non…
La tante. — Mais si ! Franchement, avec toutes les animations qu’il y a à bord, toi, tout ce que tu trouves à faire c’est venir sur ce pont, à l’écart.
Nelly. — J’ai pas trop le moral…
La tante. — Et moi ? Tu y penses, à moi ? Qu’est-ce que tu crois que ça me fait d’offrir une croisière à ma nièce pour son anniversaire et de me retrouver seule à la piscine, au cinéma, au spectacle…
Nelly. — C’est vrai, excuse-moi. C’est un super cadeau que tu m’as fait.
La tante. — Tu étais ravie qu’on parte toutes les deux, rappelle-toi.
Nelly, soupirant. — C’était avant de rencontrer Sébastien…
La tante. — Ah non ! Ne me parle plus de cet énergumène avec son foutu chantage : « Si tu pars faire cette croisière, je ne serai plus là pour toi à ton retour ! » Non mais, pour qui il se prend ?
Nelly. — Il m’aime…
La tante. — Oh non ! Il ne t’aime pas. C’est un possessif, un jaloux qui ne supporte pas l’idée que tu prennes du plaisir sans lui. L’égoïste type. D’autant que je te signale que cette croisière était prévue depuis plus de huit mois et que tu ne le connais que depuis quatre mois seulement !
Nelly. — Il a eu peur que je fasse des rencontres…
La tante. — Tu pars avec ta tante, pas avec un gigolo. Et la confiance, alors ? Parce que sans la confiance, un couple, ça vaut rien.
Nelly. — Il n’a pas compris pourquoi on n’était pas dans la même cabine. Il a dû penser que c’était pour que je sois libre au cas où… pour enfin… tu vois…
La tante. — Et ça ne lui a pas effleuré l’esprit deux secondes que c’était pour moi le « au cas où » ? Il s’est dit qu’à mon âge je n’avais pas besoin d’intimité, que je n’intéressais plus personne, alors bien sûr, c’était forcément pour que toi, tu puisses faire la fiesta avec tous les mâles du paquebot !
Nelly. — C’est à peu près ce qu’il a sous-entendu…
La tante. — Merci pour moi ! Et j’ajoute qu’il a une bien piètre opinion de toi. C’est pas de l’amour, c’est de la rage ! En attendant, je te signale que je passe mon temps à te chercher partout, à te traîner de force aux animations, à te regarder manger, les yeux dans le vague, sans même te rendre compte de la qualité du buffet… Et puis, ce serait trop te demander que de sourire de temps en temps ?
Nelly. — Tu as raison, excuse-moi.
La tante. — Je ne te demande pas de me faire des excuses, mais par pitié, prends du bon temps, on est là pour ça !
Nelly. — Je vais faire des efforts, je te promets.
La tante. — Des efforts ? On est sur un paquebot magnifique, on vogue vers Rio de Janeiro où on va faire escale pendant trois jours, le rêve absolu, et toi, tu parles de faire des efforts ?! J’y crois pas !
Nelly. — Je m’en rends compte, tu sais. Je suis heureuse d’être ici, je t’assure, c’est juste que je sais que le retour ne va pas être top…
La tante. — Oui, eh bien, en attendant, profite du moment.
Le serveur arrive avec un plateau garni de verres pleins. Il vient vers elles.
Le serveur. — Désirez-vous une boisson ?
La tante. — Avec plaisir, merci.
Il leur donne un verre et se dirige vers la « jeune femme ».
Le serveur. — Un jus de fruits, mademoiselle ?
Passager clandestin. — Je n’ai rien commandé, merci.
Le serveur. — Toutes nos boissons sont offertes, mademoiselle. C’est compris dans nos tarifs.
Passager clandestin. — Dans ce cas… un jus d’orange.
Le serveur. — Voici.
Passager clandestin. — Merci beaucoup.
Le serveur. — Je vous en prie.
Le serveur trébuche, tourne sur lui-même, fait des acrobaties pour garder son plateau à l’horizontale et retrouve son équilibre (verres collés sur plateau, colorés à mi-hauteur pour faire croire qu’ils sont pleins) et s’en va.
La tante, riant. — Il a dû travailler dans un cirque ! (Montrant le passager clandestin.) Tu vois cette jeune femme ? Depuis qu’on est partis, elle passe son temps sur ce pont, elle ne parle à personne ou presque, elle ne profite de rien.
Nelly. — Oui, j’ai remarqué. Elle aussi a peut-être un chagrin d’amour…
La tante. — Tu n’as pas un chagrin d’amour. Tu pleurniches sur un garçon qui t’a larguée en sautant sur le premier prétexte venu. Point.
Nelly. — Tu crois ?
La tante. — Réfléchis un peu, c’est du grand n’importe quoi ! Il ne savait pas comment se débarrasser de toi, alors il a joué la grande scène du petit ami outragé.
Nelly. — Mais pourquoi ?
La tante. — Pour te culpabiliser, pour que la rupture ne vienne pas de lui. C’est un sadique, un manipulateur. Ah ! tu l’as échappé belle !
Nelly. — Tu as peut-être raison… (Arthur arrive.) Oh non ! Pas encore lui !
La tante. — Voilà le garçon qu’il te faut : beau gosse, friqué… Souris ! Allez, souris, je te dis !
Arthur. — Ah ! je vous trouve enfin ! J’ai parcouru tous les ponts pour vous chercher. (Il montre ses mocassins.) Heureusement que mes Gucci sont confortables ! Il y a un spectacle au programme cet après-midi : Les Folies en mer. Je serais très heureux d’y aller en votre compagnie.
Nelly. — Oh ! vous savez, moi, les plumes, les paillettes, c’est pas trop mon truc !
Arthur. — Ah bon… Alors, allons à la piscine. Au deuxième pont il y en a une à vagues qui est géniale !
Nelly. — Je n’ai pas vraiment envie de me baigner maintenant.
Arthur. — Dans ce cas… Le casino. Les machines à sous c’est amusant, je vous assure ! J’ai quelques centaines d’euros à dépenser.
Nelly. — Ce n’est pas mon cas.
Arthur. — C’est moi qui régale, ne vous inquiétez pas.
Le serveur revient pour débarrasser les verres. La vieille dame arrive, il l’aide à s’installer et lui tend un verre.
La vieille dame. — Merci, mon brave, vous êtes très aimable.
Le serveur. — À votre service, chère madame.
Le serveur trébuche à nouveau.
La vieille dame. — Oh ! mon Dieu !
Le serveur essayant de garder son équilibre passe tout près d’Arthur, attrape un verre de justesse.
Arthur. — Bon sang, quel empoté ! Vous avez failli ruiner mon Lacoste !
Le serveur. — Désolé, monsieur…
Il s’en va. La « jeune femme » vient s’accouder au bastingage côté jardin.
Arthur, à Nelly. — Alors ? D’accord pour le casino ?
Nelly. — Non, je ne pense pas que…
La tante. — Je suis certaine qu’elle sera ravie de vous accompagner au spectacle. N’est-ce pas, ma chérie ? Quoi qu’elle en dise, elle adore ça. Ah ! je la connais bien !
Nelly, sourire forcé. — Je ne veux pas te laisser seule, ma chère tante.
La tante. — Ne t’inquiète pas pour moi. Allez, filez tous les deux ! Vous allez rater le début.
Arthur. — Nous avons juste le temps d’y aller. La revue commence dans exactement… (Il regarde sa montre.) douze minutes à ma Rolex !
M. André arrive côté cour. La tante le dévore des yeux. Sa nièce l’a remarqué et en profite pour se venger.
Nelly. — Ça me ferait plaisir que tu viennes avec nous. (À Arthur.) À vous aussi, n’est-ce pas ?
Arthur. — Euh… oui…
La tante, montrant M. André des yeux. — Non, sans façon. (Tout bas.) J’ai d’autres projets…
Nelly. — Je n’irai que si tu nous accompagnes !
Arthur. — Acceptez, sinon nous allons rater le début.
La tante. — Dans ce cas…
Elle les suit à regret, sourit à M. André qui la salue poliment de la tête. La « jeune femme » part à son tour. M. André l’interpelle.
M. André. — C’est moi qui vous fait fuir ?
Passager clandestin. — Pas du tout, voyons !
M. André. — Chaque fois que je veux vous parler, vous filez plus vite que l’éclair.
Passager clandestin. — C’est un hasard…
M. André. — Je ne crois pas, non.
Passager clandestin. — Mais enfin…
M. André. — Vous avez si peur que ça de tomber amoureuse de moi ?
Passager clandestin. — Oh ! mais voyons, je ne…
M. André. — Je plaisante. J’aimerais simplement avoir le plaisir de passer un peu de temps en votre compagnie… (Il lui prend la main, la porte à ses lèvres.) Comme votre peau est douce…
Passager clandestin, retirant sa main d’un geste brusque. — Je vous en prie !
M. André. — Pardonnez-moi… je ne veux pas vous ennuyer… simplement qu’on fasse plus ample connaissance… promettez-moi de m’accorder un peu de votre temps.
Passager clandestin. — Oui, oui, j’y penserai… Je suis désolée mais je dois vraiment y aller.
M. André. — Dites-moi au moins votre prénom.
Passager clandestin. — Euh…
M. André. — Ou plutôt, non, ne me le dites pas. Le mystère vous va si bien ! À une prochaine fois, alors ?
Passager clandestin. — Oui… sans doute… Excusez-moi.
Il part côté cour, croise l’inspecteur qui s’approche de M. André qui soupire.
L’inspecteur. — Tu t’es pris un vent, on dirait !
M. André. — Vous en avez pas marre de me suivre partout comme un toutou ?
L’inspecteur. — Non. Quand je tiens un os, je le lâche pas.
M. André. — Écoutez, inspecteur, il faut que je vous le dise comment ? J’ai rien à voir avec le vol de ce foutu caillou.
L’inspecteur. — Un diamant de cent carats, perso, j’appelle pas ça un caillou !
M. André. — C’est pas moi, je vous dis ! C’est pas vrai, ça ! Bon sang, je suis sorti de cabane il y a pas six mois ! J’ai passé plus de temps en taule que sur les bancs de l’école, alors très peu pour moi de prendre le risque d’y retourner, même pour une fortune pareille !
L’inspecteur. — Je veux pas te flatter, mais y a que toi pour avoir réussi un coup pareil. C’est ta méthode, je l’ai reconnue.
M. André. — Oui, eh ben, y en a qui se sont inspirés, voilà !
L’inspecteur. — Comment on t’appelle, déjà ?
M. André. — C’est bon, lâchez-moi avec ça…
L’inspecteur. — « Dédé les doigts de fée ». C’est ta signature, mec.