Une fille trop au net…

Lucie, artiste peintre, et Camille, chanteuse lyrique, sont colocataires dans un hôtel particulier que leur loue généreusement Madame Rose à un prix très raisonnable.
Camille doit passer une très importante audition dans deux jours, et n’arrive pas à produire le contre-ut final de la partition.
C’est Madame Rose qui trouve la solution et fait venir Luciano Patatrotti, célèbre baryton d’opérette, pour aider la jeune chanteuse dans son travail.
Réussiront-ils à surmonter à temps le blocage de Camille ? Alors que les parents des filles viennent pour le week-end, et que deux jeunes garçons se présentent successivement dans l’espoir de rencontrer Lucie, avec qui ils affirment avoir échanger sur un site de rencontre…
Lucie semble ne rien n’y comprendre tandis que Renaud, son petit ami, se met en colère. Mais qui donc a bien pu tchatter avec « Castor romantique » et « Lion fougueux » ?




Une fille trop au net...

Acte I

Lucie. – Ne bougez pas Madame Rose, ça change l’ombre et la lumière sur votre visage…

Madame Rose. – C’est pas mon genre de rester immobile aussi longtemps… ça me démange de partout. (Elle se gatte le front, une oreille, etc.) Je serais assise sur une fourmilière, ça serait pas pire !

Lucie. – C’est la dernière pose, promis. Encore un peu de patience et j’aurai terminé.

Madame Rose. – Ouais… En attendant, c’est pas facile d’être modèle !

Camille se met à faire des vocalises.

Madame Rose. – Qu’est-ce que c’est ?

Lucie. – C’est Camille. Elle s’échauffe la voix.

La voix de Camille est de plus en plus forte.

Madame Rose. – C’est plutôt nos oreilles qu’elle échauffe !

Lucie. – Elle chante très bien vous savez. Elle prépare une audition. Si elle est retenue, elle va participer à un opéra !

Madame Rose. – Moi, l’opéra, ça me plombe. Toujours des drames, un qui meurt à la fin et qui en finit plus de le crier… j’aime mieux l’opérette « Poussez, poussez, l’escarpolette, lalalala… »

Camille monte en puissance, grimpant dans la tonalité.

Madame Rose. – Une voix comme ça, je savais pas que ça existait…

Camille fait un couac énorme. Lucie et Madame Rose sursautent.

Madame Rose. – Elle est pas encore à l’opéra Garnier !

Camille arrive.

Camille. – Zut ! J’en ai marre, marre.

Lucie. – Tu as failli me faire ruiner ma toile ! Mon pinceau est passé à un centimètre…

Camille. – Je n’y arriverai jamais. Impossible de sortir cette satanée note finale ! J’en ai assez, j’abandonne. Je n’irai pas à l’audition. Je ne veux pas me ridiculiser.

Lucie. – Tu vas y arriver, j’en suis sûre. Tu as encore tout le week-end pour répéter.

Camille. – Tu parles ! Je suis dégoûtée…

Madame Rose. – Eh ben, ma grande, faut pas être défaitiste comme ça dans la vie !

Camille. – Je ne suis pas défaitiste, je suis réaliste. Sans la note finale, c’est mort ! À quoi ça sert que je m’époumonne. En plus, apparemment, je dérange…

Lucie. – Mais non ! C’est juste que j’étais concentrée sur ma peinture… ça m’a surprise, c’est tout.

Camille. – Allez, laisse tomber. De toute façon il n’y a pas Renaud pour t’aider à me donner la réplique.

Lucie. – Je me débrouillerai… je ferai les deux voix…

Camille, se mettant à pleurer. – C’est mort je te dis, mort !

Elle repart.

Lucie. – Oh, la pauvre !

Madame Rose. – T’inquiète, ma belle, elle va se calmer.

Lucie. – J’espère… C’est si important pour elle !

Madame Rose. – C’est grave si elle l’a fait pas cette note ?

Lucie. – La décision du jury va en dépendre…

Madame Rose. – Ben alors… Bon, je reprend la pose ?

Lucie. – Non, ce n’est pas la peine. J’ai fait le principal. Je n’ai plus qu’à donner quelques coups de pinceau par ci par là…

Elle recouvre le tableau d’une toile fine.

Madame Rose. – J’espère que tu m’as pas ratée !

Lucie. – Je crois que vous serez contente…

Madame Rose. – C’est chouette d’avoir pensé à faire mon portrait.

Lucie. – C’est ma façon de vous remercier. Cet hôtel particulier est si agréable… et je sais très bien que le loyer que vous en demandez est très en-dessous du marché.

Madame Rose. – Je voulais pas qu’il reste inoccupé en attendant que j’y revienne pour mes vieux jours et puis, j’aime la jeunesse et les artistes, alors… j’y serais encore si le vieux grincheux d’en face était pas venu se plaindre de toutes les allées et venues. Faur dire que mes filles savent fidéliser la clientèle.

Lucie. – Elles sont où maintenant vos… filles ?

Madame Rose. – On a toutes mis nos économies en commun pour acheter un grand appartement. Je voulais pas qu’elles finissent sur le trottoir et elles non plus.

Lucie. – En tout cas, ici c’est l’idéal pour nous. On a de l’espace, on est au calme… moi, ça stimule mon imagination et Camille peut vocaliser sans déranger personne. (Montrant le chevalet.) Si un jour je suis célèbre, ce tableau vaudra une petite fortune !

Madame Rose. – Je veux pas te casser le moral, ma belle, mais le temps que ta signature soit cotée, il me servira plus qu’à me payer un bel enterrement.

La porte s’ouvre. Renaud lâche son sac de voyage, tout souriant.

Renaud. – Surprise !!!

Lucie. – Renaud ! Mais… qu’est-ce que tu fais là ?!

Renaud. – J’ai connu des accueils plus chaleureux…

Lucie. – Je te croyais à Singapour…

Renaud. – Grève sauvage des bagagistes. C’est cool, non ? Bonjour Madame Rose.

Il l’embrasse.

Madame Rose. – Salut beau gosse. Alors comme ça, le steward a son week-end ?

Renaud. – Eh oui ! (À Lucie.) Ça n’a pas l’air de t’enchanter on dirait ?

Lucie. – Que tu es bête ! Je suis ravie !

Renaud. – Prouve-le.

Lucie lui fait plein de petits bisous.

Renaud. – J’aime mieux ça ! Je suis devenu sourd ou Camille n’est pas là ?

Lucie. – Elle n’arrive pas à sortir son contre-ut. Elle ne veut plus répéter et a décidé qu’elle n’irai pas à l’audition.

Renaud. – Attends, ça fait plusieurs semaines qu’elle travaille son morceau, ce serait dommage de renoncer !

Madame Rose. – Plusieurs semaines !… ah oui, quand même…

Renaud. – Je vais la chercher. Ça tombe bien que je sois là. On va la faire travailler à mort. Elle va bien finir par la sortir cette note !

Il attrape son sac et sort côté chambres.

Madame Rose, montrant le chevalet. – Je peux voir ?

Lucie. – Je préfère qu’il soit vraiment terminé, ensuite il sera à vous ! Je ne dis pas que ce sera un chef d’œuvre mais…

Madame Rose. – Avec ma tête ça risque d’être un chef d’œuvre en péril…

Lucie. – Oh ! Madame Rose !

Madame Rose. – Faut bien rire de ses malheurs. J’ai fait mon temps, c’est tout. C’est peut-être difficile à croire mais, à l’époque, j’ai eu mon petit succès…

Lucie. – Je n’en doute pas une seconde !

Renaud revient, trainant une Camille qui traine des pieds.

Renaud. – Allez, fais pas ta tête de cochon. On s’y met, on répétera autant de fois qu’il faudra.

Camille. – Ça servira à rien !

Renaud. – Essaie de ne pas penser à la note finale. Moins tu te focaliseras dessus, plus elle viendra.

Lucie. – Il a raison. Allez, on y va !

Madame Rose. – Je peux écouter ?

Camille. – Oh non ! Ça va me stresser.

Lucie. – Et le jury, il va pas te stresser peut-être ?

Renaud. – C’est parti !

Il prend sa partition, donne l’autre à Lucie. Madame Rose s’installe sur le canapé. Renaud et Lucie toussotent, font quelques vocalises. Camille essaie de se décontracter, souffle… Camille met la musique en route. Renaud et Lucie se tiennent les mains. Camille se « cache » à l’écart et les observe.
Ils chantent.

Renaud. – « Que la journée fut longue, enfin je te rejoins »

Camille. – « Que font-ils là tous deux, heure entre chien et loup ? »

Lucie. – « Elle fut pour moi aussi une journée sans fin »

Camille. – « Ils s’étreignent, se caressent, mais, c’est un rendez-vous ! »

Renaud. – « Nous voici enfin seuls, ô amour de ma vie »

Lucie. – « Ô toi, Ô mon aimé, si doux, si beau si tendre »

Renaud. – « Ah… donne-moi tes lèvres, d’un baiser j’ai envie »

Lucie. – « Pas ici mon cher cœur, on pourrait nous surprendre… »

Camille. – « Non, ce n’est pas un rêve, ce n’est pas un hasard
Mon cœur se déchire, se coupe en deux et saigne
Ils sont là, tous les deux, c’est un vrai cauchemar
Elle se dit mon amie et me trahit, la teigne ! »

Renaud. – « Viens, suis-moi mon aimée, je veux tes bras, ton corps »

Lucie. – « On est fous, je le sais mais, c’est plus fort que nous… »

Ils s’éloignent.

Camille. – « Tous ces mots me poignardent, encore et encore
Je sens que je m’écroule et je tombe à genoux…

Je meurs ! »

Sa voix part en vrille. Tous plissent les yeux et rentrent la tête dans les épaules.

Madame Rose. – Aïe aïe aïe… eh ben, c’est pas gagné !

Camille, desespérée. – Je vous l’avais dit ! Cette note ne passe pas !
Je n’ai aucune chance, je n’irai pas, un point c’est tout !

Lucie. – Tu as encore le temps de…

Camille. – De rien du tout ! C’est mort, je te dis ! C’est foutu, cuit et archi-cuit !

Elle sort.

Renaud. – Pauvre Camille… Je ne vois pas comment l’aider. On ne peut rien faire de plus.

Madame Rose. – Elle a jamais pris de cours de chant ?

Lucie. – Bien sûr que si ! Elle vise peut-être trop haut, après tout.

Renaud. – Si on ne vise pas haut, on n’arrive à rien.

Madame Rose. – Il a raison, on réussit pas si on a pas l’ambition. Moi j’ai commencé toute seule, au bois de Boulogne et maintenant je suis chef…

Renaud. – Elle en est capable, elle fait un blocage psychologique, j’en suis certain.

Madame Rose. – Elle a peut-être pas eu le bon prof.

Lucie. – Les vrais professionnels sont chers…

Madame Rose. – Ça dépend, moi je connais quelqu’un qui est un maître chanteur…

Lucie. – Non mais, Madame Rose, on parle de chant là, du vrai.

Madame Rose. – Mais moi aussi. On l’appelle comme ça parce que c’est un crack. Il travaille avec les plus grands noms de l’opérette !

Renaud. – Vous avez ça dans vos relations ?

Madame Rose. – Entre autres…

Renaud. – Et vous pensez qu’il pourrait l’aider, en deux jours seulement ?

Madame Rose. – Elle a rien à perdre d’essayer.

Lucie. – Vous croyez qu’il accepterait de venir ?

Madame Rose. – Il m’a jamais rien refusé. En plus, je sais qu’il est libre, il vient de rentrer de tournée…

Lucie. – Ce serait inespéré…

Renaud. – Et une chance énorme pour Camille…

Madame Rose. – Dès que je suis chez moi, je l’appelle.

Renaud. – Vous voulez mon portable ?

Madame Rose. – Pas la peine, je connais pas son numéro par cœur.

Renaud. – Eh bien le week-end va être chargé… avec la fête des mères.

Madame Rose. – Moi, on me l’a jamais souhaitée, la fête des mères.

Lucie. – Jamais ?

Madame Rose. – Jamais. Ça doit être bien…

Renaud et Lucie se regardent et se font un signe de la tête.

Lucie. – Si votre ami accepte, revenez avec lui et restez avec nous.

Madame Rose. – Je veux pas déranger.

Renaud. – Au contraire ! Il sera...

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