Une histoire de oufs

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Il suffit que Lily-Rose aille emprunter un escabeau à son voisin de palier et cette chose, si banale, déclenche un véritable tsunami dans l’immeuble : Valentin est obligé de faire croire qu’il est une femme, Alexandra prétend qu’elle est un mec, Casimir tente, avec sa tronçonneuse, de faire des tranches avec le voisin, et Lily-Rose, elle, essaye de calmer tout le monde en improvisant des raps. Une hilarante comédie burlesque qui, hélas, se termine par une histoire d’amour. On ne peut pas toujours faire des fins heureuses. Création au Théâtre de Montreux-Rivièra (Suisse).

La scène est vide.

Puis on entend une voix énervée venant de la cuisine :

Valentin - Non ! (…) Je te dis que non ! (…) Il n’en est pas question, faudra te le répéter combien de fois ?! (…) Je ne suis pas en colère ! (…) Je ne suis pas en colère !!! (Grand bruit.) Et voilà ! Et voilà !! À cause de toi, j’ai renversé le couscous ! Ah là là ! Avec tous les gens qui ont faim, gâcher du couscous ! (…) (Valentin entre en scène, portable à l’oreille.) Juliette, arrête de me harceler, on s’est quittés il y a trois mois ! (…) D’accord : « je » t’ai quittée. (…) Non, tu ne peux pas venir. (…) Non, tu ne peux pas venir ! (…) Mais parce que je ne suis pas seul. (…) Ça ne te regarde pas. (…) Juliette, tu l’auras cherché, je voulais t’éviter ce choc mais puisque tu insistes lourdement : je suis en ce moment dans le salon avec Alexandra. (…) « C’est qui ? » « C’est qui ? » Désolé d’être franc, mais j’ai refait ma vie. (…) C’est impossible ? Tu te trompes : depuis cinq semaines, j’ai quelqu’un. (…) Si. Ma nouvelle copine est là et d’ailleurs elle s’énerve. (Faisant semblant de s’adresser à quelqu’un.) Excuse-moi, Alexandra, tu devines à qui je parle, évidemment. Rassure-toi, ma chérie, ça ne va pas durer. (Au portable.) Juliette, ne m’en veux pas mais je dois couper. (…) Arrête ! Je t’assure que je ne suis pas seul, mon amie est vraiment là et elle en a marre de me voir hurler au téléphone ! (…) Non ! Je refuse de te la passer !!! (La communication est coupée.) Juliette ! Juliette ! (Il coupe aussi.) Elle va débarquer ici. J’en peux plus ! J’en peux plus ! Je ne mérite pas ça. Pourquoi une situation aussi abominable ? Et pourquoi est-ce que ça tombe sur moi ? Je ne demande pas grand-chose à la vie, pourtant : l’argent, l’amour, une bonne santé, le moins de travail possible… Eh bien, non. (Sonnette de la porte d’entrée.) C’est quand même pas déjà elle ?

La sonnette se déchaîne littéralement.

Valentin, écœuré, fait le signe de croix et va ouvrir.

Lily-Rose (style « punk ») - Excusez-moi de vous déranger. Je suis votre nouvelle voisine de palier. La porte d’en face.

Valentin - Ah bon ? Euh… entrez. Entrez.

Lily-Rose (en entrant) - Merci. Je me suis laissé aller sur la sonnette parce que j’étais certaine qu’il y avait quelqu’un dans l’appart : de chez moi, on entendait des hurlements de peaux-rouges sur le sentier de la guerre.

Valentin - Désolé, je… je bavardais avec une amie.

Lily-Rose - Alors là, je compatis.

Valentin - Vous compatissez pour quoi ?

Lily-Rose - Ben, bavarder avec une malentendante, ça doit pas être de la tarte.

Valentin - En effet. Je savais que quelqu’un devait s’installer en face mais j’ignorais…

Lily-Rose (le coupant) - Dites donc ! C’est bien, chez vous… Drôlement super bien, même.

Valentin - Bof…

Lily-Rose - Ah si, j’insiste. (Elle examine longuement la pièce.) Immédiatement, mais alors immédiatement tout de suite, je me sens vachement à l’aise, ici.

Valentin - J’en suis ravi.

Lily-Rose - Je trouve que c’est important de se plaire chez le voisin le plus proche. Au cas où on vient lui emprunter une allumette, un service à fondue, des pommes de terre. (Elle renifle.) C’est clair, propre. (Elle renifle encore.) Tout est élégant. Mais pas trop. La classe.

Valentin - Merci.

Lily-Rose - En plus, ça sent le couscous.

Valentin - C’est pour ce soir.

Lily-Rose - Ah, voilà. Je me disais : ou ça vient de la cuisine, ou il porte une eau de toilette, genre « Couscous pour Homme ».

Valentin - La cuisine.

Lily-Rose - Sans vouloir être indiscrète, parce que, ça, c’est pas du tout mon style, vous vivez seul ?

Valentin - Célibataire.

Lily-Rose - Vous avez bien raison. Entre nous, le mariage, c’est supportable les deux premiers mois maxi ; mais, après, quelle galère !

Valentin - J’ai quand même entendu dire qu’il y a des gens mariés et heureux.

Lily-Rose - Très juste. C’est rare, mais ça existe. Seulement, ça durera encore combien de temps ? Hein ?

Valentin - Allez savoir.

Lily-Rose - Bon ! Je veux pas vous embêter plus longtemps. Vous allez peut-être me trouver sans-gêne, mais j’ai un petit service à vous demander.

Valentin - Alors là, n’hésitez pas. Entre voisins, faut s’entraider.

Lily-Rose - C’est marrant, c’est ce que je dis toujours : un voisin, c’est comme une famille d’accueil : on doit pouvoir compter sur lui, il doit pouvoir compter sur nous. Vous allez voir, c’est simple : est-ce que vous pourriez me prêter un escabeau ?

Valentin - Un escabeau ?

Lily-Rose - Ça fait comme un escalier portable.

Valentin - Je connais.

Lily-Rose - Faut que j’accroche un lustre au plafond. Je vous dis pas le binz. J’essaye, en montant sur une chaise : des clous ; je mets un petit banc sur la chaise, comme au cirque : je manque de me foutre la gamelle par terre ! Du coup, je pose une cocotte-minute sur le banc, qui est sur la chaise, et là, vous allez pas me croire… Dites donc, vous m’écoutez ?

Valentin - Non.

Lily-Rose - Je m’en doutais. Vous me regardiez avec l’air d’avoir fumé un kilo de cannabis.

Valentin - Excusez-moi. J’avais la tête ailleurs.

Lily-Rose - Oh, mais vous excusez pas, c’est humain. Moi-même, si vous saviez, je suis distraite, mais distraite ! Une fois, là, vous allez mourir de rire, j’avais tellement la tête ailleurs que pour acheter un steak, j’entre dans une boulangerie et je dis…

Valentin (la coupant) - Stop ! Chère voisine, je crois que c’est le destin qui vous envoie.

Lily-Rose - Nan ?

Valentin - Si.

Lily-Rose - J’écoute.

Valentin - Voilà : j’aurais, moi aussi, un petit service à vous demander.

Lily-Rose - Alors là, n’hésitez pas. Entre voisins, faut s’entraider.

Valentin - Merci. Je vais vous expliquer, mais c’est délicat. Très délicat.

Lily-Rose - Vous avez du bol : plus délicat que moi, on meurt.

Valentin - Je le sentais. Donc, je peux ?

Lily-Rose - Go !

Valentin - Figurez-vous que je suis harcelé par une ex.

Lily-Rose - Une ex ? Vous couchiez avec elle, maintenant vous couchez plus ?

Valentin - C’est bien résumé. Seulement, mademoiselle n’accepte pas la situation.

Lily-Rose - Ah, les bonnes femmes !

Valentin - Elle me téléphone sans arrêt ; elle me submerge de SMS ; elle débarque ici à n’importe quelle heure et, si je ne lui ouvre pas, elle dort sur mon paillasson !

Lily-Rose - La pauvre ! Elle doit se réveiller avec des méga courbatures !

Valentin - Bien fait pour elle.

Lily-Rose - Ah non ! Là, vous êtes dur.

Valentin - Elle le mérite.

Lily-Rose - Remarquez, y’a pas que les meufs pour se conduire de cette façon. J’ai connu un mec, dans les Bouches-du-Rhône, il acceptait pas non plus que je le largue. J’avais beau lui répéter : « Putain, Mamadou, lâche-moi », le Mamadou, il revenait avec ses gros sabots et…

Valentin (la coupant) - S’il vous plaît. Plus tard, parce que, là, c’est urgent.

Lily-Rose - Au temps pour moi.

Valentin - Donc, cette ex, qui s’appelle Juliette, avant que vous n’arriviez, me harcelait au téléphone, une fois de plus. Et comme elle voulait absolument venir ici, pour l’en dissuader j’ai dit que j’étais avec ma nouvelle copine : Alexandra.

Lily-Rose - Et je parie que c’est Alexandra qui est en train de faire le couscous.

Valentin - Non. Elle existe vraiment mais elle n’est pas là en ce moment. Je l’ai citée uniquement pour décourager Juliette de venir.

Lily-Rose - Pervers. Carrément pervers. Machiavel et vous, c’est pareil.

Valentin - N’exagérons rien. D’autant plus que Juliette ne m’a pas cru. Et comme elle n’était sûrement pas loin, à mon avis elle va débarquer ici d’un instant à l’autre.

Lily-Rose - Message reçu. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour aider mon plus proche voisin, victime de harcèlement sexuel ?

Valentin - Quand elle sera là, pourriez-vous, pendant quelques minutes, vous comporter comme si nous avions une… comment dirais-je… une relation amoureuse ?

Lily-Rose - Vous et moi, chplouk ?

Valentin - On peut le dire comme ça.

Lily-Rose - C’est samedi, j’ai rien de spécial à faire sauf mon histoire de lustre, quelques minutes, no problem.

Valentin - Vous êtes très aimable. Je vous revaudrai ça dès que possible. Si, un jour, vous avez besoin d’une allumette, d’un service à fondue…

Lily-Rose - … je traverse le palier.

Valentin - Voilà. Et rassurez-vous, ce jeu de rôle ne durera pas longtemps : elle vous voit, ça lui flanque un coup, elle repart tout de suite.

Lily-Rose - Si nécessaire, je peux faire des minutes sup’.

Valentin - Ce sera inutile, croyez-moi. Donc, vous êtes d’accord ? Elle arrive et nous faisons semblant d’être ensemble ?

Lily-Rose - O.K. Mais ça consiste en quoi, exactement, faire semblant d’être ensemble ?

Valentin - On se tutoie… On s’appelle par nos prénoms… Moi, c’est Valentin.

Lily-Rose - Lily-Rose.

Valentin - Enchanté. Mais comme j’ai dit à Juliette que j’étais avec Alexandra, pendant ces quelques instants, il faudra que vous soyez Alexandra.

Lily-Rose - Ah ben oui, forcément. Putain, ça va me faire drôle, j’ai pas l’habitude.

Valentin - Vous y arriverez, j’en...

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