Une reine dans ma douche

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Les plus grands conflits naissent toujours de minuscules grains de sable. Cette fois, l’événement se passe dans une salle de bains où un simple bureaucrate voit débarquer une reine qui veut procéder à sa toilette. Comme l’homme est faible, il prête sa douche et c’est alors que le grain de sable vient se glisser dans la tuyauterie. On ne prête pas impunément sa douche.

Dans le théâtre de Gérard Levoyer, le rire n’est jamais gratuit et la comédie devient vite grinçante et truculente. Joyeusement grinçante. Délicieusement truculente. Avec en prime l’idée-force qu’on ne doit pas toucher aux valeurs fondamentales telles que la propriété.




Une reine dans ma douche

Une reine dans ma douche

Jean-Pierre est dans sa salle de bains, en pyjama. Il se brosse les dents.

On frappe à sa porte.

Sans émotion exagérée mais surpris tout de même, il va ouvrir. Il a toujours la brosse à dents à la main et du dentifrice dans la bouche.

Devant lui se tient une femme altière, impressionnante dans sa robe scintillante incrustée de pierreries et de paillettes. Elle a un diadème sur la tête, une étole de fourrure sur les épaules et un réticule entre les mains.

La reine. — Vous en avez encore pour longtemps ?

Jean-Pierre Duplantin, la bouche encombrée de dentifrice. — ess ‘e ‘ou ouez ? (Ce qui veut dire : qu’est-ce que vous voulez ?)

La reine. — Je vous demande si vous comptez utiliser la salle de bains encore longtemps.

Jean-Pierre Duplantin, même grommellement. — ‘i ‘ê ‘ous ? (Ce qui veut dire : qui êtes-vous ?)

La reine. — Ah ! rincez-vous la bouche, on ne comprend rien !

Jean-Pierre s’exécute et revient à son interlocutrice.

Jean-Pierre Duplantin. — Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?

La reine. — Je compte faire ma toilette, monsieur, et je vous demande si vos ablutions vont encore se prolonger.

Jean-Pierre Duplantin. — Encore un peu, oui, mais… je ne comprends pas…

La reine. — Je suis attendue, monsieur, je ne voudrais pas arriver en retard.

Jean-Pierre Duplantin, gentiment. — Écoutez, c’est sûrement une erreur… je suis chez moi. Je suis dans ma salle de bains.

La reine. — Je le vois bien.

Jean-Pierre Duplantin. — Je veux dire que ces murs sont les miens. La peinture également… (Avec les gestes pour bien expliquer.) Le lavabo, la douche, le bidet, les serviettes de toilette, le savon, le rasoir, tout… tout est à moi.

La reine. — Personne ne vous le conteste.

Jean-Pierre Duplantin. — Vous reconnaissez donc que cette salle de bains est bien la mienne ?

La reine. — Mais oui, je n’ai jamais prétendu le contraire.

Jean-Pierre Duplantin. — Alors vous pouvez en déduire qu’il y a une petite erreur, madame, et que vous n’êtes pas chez vous.

La reine. — Où voulez-vous en venir ?

Jean-Pierre Duplantin. — À un peu de bon sens… Vous ne pouvez pas faire votre toilette dans cette salle de bains puisque ce n’est pas la vôtre.

La reine. — Ah ? Et pourquoi ?

Jean-Pierre Duplantin. — Mais parce que j’y suis.

La reine. — C’est pourquoi je vous demande de terminer rapidement et de me laisser la place.

Jean-Pierre Duplantin. — Mais… nous ne nous comprenons pas. Je vais vous expliquer autrement. À l’heure actuelle, ailleurs, il y a une salle de bains vide, madame. Personne ne l’occupe. C’est la vôtre. Allez-y et faites-y votre toilette. Vous verrez, vous ne le regretterez pas, vous y retrouverez vos petites habitudes.

Il lui a parlé comme à une personne déficiente et voudrait la pousser dehors mais la reine résiste.

La reine. — Je ne peux pas. Elle est à trois mille kilomètres d’ici et j’ai besoin de faire ma toilette immédiatement.

Jean-Pierre Duplantin. — Trois mille kilomètres ?

La reine. — Oui, monsieur.

Jean-Pierre Duplantin. — Ça fait beaucoup…

La reine. — Je ne vous le fais pas dire.

Jean-Pierre Duplantin. — Je… Je ne comprends pas… Elle n’a rien d’extraordinaire, cette salle de bains, vous savez, c’est de la faïence banale… du PVC ordinaire. Regardez, le carrelage commence même à jaunir, les joints se désagrègent par endroits, là il y a de la moisissure…

La reine. — Je ne recherche pas le luxe mais la praticité. Elle m’a l’air très fonctionnelle, votre salle de bains, non ? (Pénétrant.) Mais oui, parfaite, on doit s’y récurer sans problème.

Jean-Pierre Duplantin. — Je n’ai pas à me plaindre.

La reine, touchant. — Hum, vos serviettes sont moelleuses… Vous mettez de l’assouplissant dans votre machine ?

Jean-Pierre Duplantin. — Oui, deux bouchons. Et puis dans l’armoire à linge, je place un petit sachet de lavande pour parfumer.

La reine. — C’est très agréable. Vous pouvez m’en sortir une propre ?

Jean-Pierre Duplantin. — Une quoi ?

La reine. — Eh bien, une serviette. Vous êtes ramolli du bulbe, mon pauvre.

Jean-Pierre Duplantin. — Dites donc, faudrait quand même pas…

La reine. — Quoi ?

Jean-Pierre Duplantin. — Rien. Excusez-moi mais ça vous arrive souvent de rentrer comme ça chez les gens ? Vous n’auriez pas un peu forcé sur l’alcool de poire ?

La reine. — Cessez de dire n’importe quoi et sortez une serviette.

Jean-Pierre Duplantin, surpris mais vaincu. — Euh… oui… bien sûr…

La reine. — Les gants également.

Jean-Pierre Duplantin. — Les gants ?

La reine. — S’il vous plaît.

Jean-Pierre Duplantin. — Bien. Vous vous méfierez des robinets du lavabo, ils sont inversés. Le bleu c’est l’eau chaude et le rouge, l’eau froide.

La reine. — Eh bien, c’est normal.

Jean-Pierre Duplantin. — Non, ils sont inversés.

La reine. — Ah ! l’eau chaude, c’est le rouge, alors ?

Jean-Pierre Duplantin. — Non, le contraire.

La reine. — Eh bien, c’est normal. Bleu : chaud. Rouge : froid. C’est aussi comme ça chez moi.

Jean-Pierre Duplantin. — Comme c’est curieux ! Mais de quel pays êtes-vous ?

La reine. — Voyons, monsieur, vous ne me ferez jamais croire que vous ne me reconnaissez pas.

Jean-Pierre Duplantin. — Je regrette…

La reine. — Soyez gentil, fermez la porte. Toute la chaleur s’en va. (Jean-Pierre ferme la porte tandis que la reine ôte son étole.) Je vous passe mon étole. Soyez assez aimable pour l’accrocher au portemanteau.

La reine donne son étole à Jean-Pierre qui se laisse surprendre par son poids et manque de la lâcher.

Jean-Pierre Duplantin. — Ouh, elle pèse lourd.

La reine. — Prenez garde, elle traîne par terre !

Jean-Pierre Duplantin. — Excusez-moi, j’ai été surpris par le poids.

La reine. — Tout de même, faites attention. Ce n’est pas du synthétique.

Jean-Pierre Duplantin. — Vu le poids, c’est du bison ?

La reine. — Non, c’est du vison ! De Sibérie. C’est un cadeau de Vladimir.

Jean-Pierre Duplantin. — Si vous le permettez, je vais l’accrocher dans la penderie de l’entrée. Elle y sera mieux protégée.

La reine. — Si vous voulez. Prenez aussi ma couronne. Et attention aux petites pierres, elles sont comptées. (Jean-Pierre s’éloigne, ouvre la porte, fait deux pas dans le couloir.) La porte !

Jean-Pierre Duplantin, off. — Excusez-moi.

Jean-Pierre vient fermer la porte.

Une fois seule, la reine inspecte les placards, déplace quelques objets. Puis elle fait couler l’eau pour remplir le lavabo et commence à se dévêtir.

Retour de Jean-Pierre qui s’interrompt aussitôt la porte ouverte.

Jean-Pierre Duplantin. — Oh ! pardon ! Je ne savais pas que vous étiez déshabillée.

La reine. — Mais entrez, à la fin ! Et fermez-moi cette porte ! Il faut tout vous dire plusieurs fois.

Jean-Pierre Duplantin. — Je ne voulais pas vous déranger…

La reine. — Ramassez donc mes affaires et pliez-les. (Jean-Pierre referme la porte. L’eau coule toujours lentement.) Vous leur donnerez un rapide coup de fer, tout à l’heure. Vous savez repasser ?

Jean-Pierre Duplantin. — Un peu.

La reine. — Je ne vous demande pas d’exploit, juste un coup de pattemouille pour redonner du pli.

Jean-Pierre Duplantin. — Je ferai comme pour moi.

Un temps.

Jean-Pierre regarde la reine en petite tenue.

La reine. — Qu’est-ce que vous faites ?

Jean-Pierre Duplantin. — Je ramasse vos…

La reine. — Encore ? Mais vous êtes lent ! Oh ! qu’est-ce que vous êtes lent ! Dans mon pays, je suis habituée à un peu plus de célérité. Vous n’avez pas de problème glandulaire ?

Jean-Pierre Duplantin. — Je ne pense pas. Mais…

La reine. — Je vous trouve bien lymphatique. Allez, secouez-vous, hop hop hop !

Jean-Pierre Duplantin, énervé. — Dites, je vous ferais remarquer…

La reine, la coupe d’un ton glacial. — Comment ?

Jean-Pierre Duplantin, plus doux. — Je vous ferais remarquer que vous procédez à vos ablutions dans ma salle de bains et que je suis bien bon de vous le permettre. Vous débarquez chez moi, je...

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