Vi(d)e
Je rencontre Annette pour la première fois en 2011. Je suis une de ses belles-filles. Nouvelle et
singulière. Annette a 82 ans, 54 ans nous séparent.
Un jour, Annette m’ouvre la porte d’un appartement de Gérardmer où elle a vécu trente ans avec
son premier mari, décédé soudainement. Je m’y sens immédiatement mal à l’aise lorsque je
comprends que rien n’a changé depuis. Je suis navrée de l’inconfort de la situation qu’Annette
semble ne pas comprendre mais je ne peux pas rester à l’intérieur. Trop de vide.
Il y a deux ans, Annette a commencé à s’éloigner. Tout lui semble égal désormais. Annette est
toujours là, mais déjà plus tout à fait. Elle dit presque toujours non à ce que nous proposons,
Rémy et moi. Le langage disparaît lui aussi peu à peu. Seuls quelques automatismes de langage,
des formules de politesse soutenues résistent. Les contacts physiques et doux, qui ont toujours
été rares, manquent aujourd’hui cruellement à notre relation. Ils nous auraient peut-être permis
de parvenir encore à communiquer. Une nouvelle période de la vie m’apparaît, celle d’une grande
solitude. Je dois aronter mon propre désarroi, celui de ne plus savoir comment atteindre
Annette. Pour ne pas céder à l’inaction, je décide de me former pour l’aider, pour m’aider aussi à
l’accompagner lors du temps passé chez elle, avec elle.
Dans la cuisine, les repas sont longs et silencieux. Enfermés. Huis clos. Je cherche du
mouvement, du sens. Je ne trouve que du silence et toujours le vide, celui de ces intérieurs figés,
qui fait désormais écho à celui de nos échanges.
Alors, je photographie ce qu’il y a autour de moi. Un fauteuil vide où l’on a pris place, des carnets
de chèques entassés qu’on a signés. Tout ce qui se trouve dans cette maison en lisière de forêt
vosgienne appartenait au second mari d’Annette où elle vit seule depuis sa mort en 2008. Je
photographie aussi son premier appartement dans lequel je retourne douze ans plus tard. À
force, mon regard s’adoucit et saisit, au travers de ces espaces désertés, ce qui a pu s’y vivre.
Retours d’école, préparations de repas, ennui, magazines feuilletés.
Les autres habitants ont quitté les lieux. Seule Annette est restée. Elle occupe ces espaces, les
habite sans rien y déplacer. À sa manière, elle reste avec ceux qui ont disparu.
Décor (1)
Salon d'un appartement ou d'une maison | Décor très chargé. Nombreux fauteuils, bibelots, bibliothèques. Années 60. Rien ne semble avoir été enlevé depuis des décennies. Un fauteuil en particulier marqué par les nombreuses fois où l'on (Annette) s'est assise dedans. |