Vivement les vacances !

Prenez une école primaire rurale et concentrez-y les personnages les plus farfelus, originaux ou carrément cinglés. Faites-leur vivre les scènes du quotidien de l’établissement : le conseil d’école, le rendez-vous parents-profs, l’inspection, la récréation, la panne de la photocopieuse, et bien d’autres, et vous obtenez une comédie irrésistible composée de neuf saynètes truculentes dans lesquelles s’affrontent ou se télescopent des cancres irrécupérables, des professeurs aux pédagogies diamétralement opposées, une directrice dépressive croulant sous les tâches administratives, des intervenants extérieurs complètement allumés ou encore des parents d’élèves intrusifs et hauts en couleur ! Une comédie endiablée et délirante mais très facile à monter dans un seul décor et dont la distribution est modulable à l’envi.
Selon que l’on décide de monter tout ou partie des saynètes, le nombre de comédiens et comédiennes peut évidemment varier mais certains rôles peuvent être tenus par la même personne avec un minimum d’artifices et certains rôles masculins peuvent être facilement adaptés pour devenir féminins ou inversement. De plus, les rôles d’élèves peuvent aussi être tenus par des adultes et apporter ainsi des effets comiques différents. On peut aussi multiplier les comédiens tenant des rôles d’élèves en changeant les prénoms à chaque saynète. Bref, quasiment tout est possible.

 

1/ Le conseil d’école

Cinq femmes : la directrice, Mlle Piquegrue,
Irène Patin-Couffin, Josiane et Olympe Hique.

Trois hommes : le maire, Jacques Célère et Rémi Lassido.

Le rideau s’ouvre sur une énorme cacophonie. Tous les protagonistes sont assis autour de la table (sauf Josiane), face au public (un peu comme la Cène) avec la directrice au milieu essayant vainement de demander la parole en levant le doigt. Tout le monde vocifère et s’interpelle bruyamment (improvisation de chacun) sans que l’on puisse distinctement comprendre ce qui se dit et surtout pas ce que répète sans cesse la directrice.

La directrice. – Bien… Nous avons épuisé… Nous avons épuisé l’ordre du jour… Nous avons épuisé l’ordre du jour et nous allons… Nous allons signer… Nous allons signer le compte-rendu puis nous passerons au verre de l’amitié… Comme le veut la tradition…

Visiblement, nous sommes dans une discussion qui a dégénéré et pendant laquelle les gens semblent s’opposer deux à deux. Seule Josiane est calme et se contente de faire la poussière comme si de rien n’était. Au bout de quelques secondes de ce brouhaha, une voix off intervient.

Voix off. – Stop ! Coupez ! (Les comédiens se figent instanta-nément.) Enfin un peu de calme ! Chers spectateurs, veuillez nous pardonner cet incident indépendant de notre volonté. Nous sommes dans le pittoresque petit village de Saint-Fulcran-sur-Gourgnoule et, comme vous le voyez, nous sommes à la fin d’un conseil d’école au cours duquel le climat s’est tendu peu à peu avant que la dernière question à l’ordre du jour ne mette vraiment le feu aux poudres. Profitons de cette accalmie pour vous présenter les différents protagonistes. (Chaque fois qu’un personnage est cité, il s’anime en silence en mimant sa fonction ou son caractère tout en donnant l’impression de continuer la discussion puis se fige à nouveau et on passe au suivant.) Commençons par Mme Chopineau, la directrice de l’établissement, qui a bien du mal à se faire entendre et à cadrer les débats, ce qui peut expliquer en partie son caractère dépressif et son air de chien battu. Il faut avouer que les échanges entre ses collègues, le rude syndicaliste, M. Jacques Célère, adepte de la pédagogie Freinet, et Mlle Piquegrue, nostalgique de l’instruction publique et de l’enseignement à la baguette, sont généralement plus qu’animés, leurs conceptions de la pédagogie étant diamétralement opposées. Nous avons aussi la représentante des parents d’élèves, Mme Irène Patin-Couffin, qui peut être, elle aussi, assez virulente à l’encontre de la directrice mais pas autant qu’envers le maire, le très respectable mais très imbu M. Georges Trifouillet, partisan d’une démocratie toute féodale, très soucieux de sa réélection et évidemment des finances municipales. Finances qui lui permettent de mettre à disposition des personnels comme la discrète mais efficace Josiane Labride, l’ATSEM faisant aussi office de femme de ménage, cantinière, factotum, bref, la véritable cheville ouvrière de l’école. C’est aussi le cas des deux autres irréconciliables que sont M. Rémi Lassido, l’intervenant en éducation musicale, écologiste militant, inconditionnel de Graeme Allwright, et virtuose de la mandoline mais ennemi juré de l’intervenante en éducation physique et sportive, l’ancienne championne départementale du lancer de bottes de paille, l’athlétique Mlle Hique, répondant au doux prénom d’Olympe mais qui a tendance à confondre gymnastique et stage commando. Essayons à présent de mieux comprendre ce qui se passe dans ce premier conseil d’école de l’année. Trois, deux, un, action !

La cacophonie repart de plus belle et Josiane, excédée, met son aspirateur hyper-bruyant en marche, ce qui a pour effet immédiat de faire taire tout le monde.

Josiane, éteignant son aspirateur. – C’est fini, oui ? On va pas y passer la nuit ! Écoutez un peu Mme la directrice et qu’on en finisse. J’ai encore tout le ménage à faire, moi.

Tous, en maugréant. – Oui. Bon. Soit. Allons-y. Au point où on en est…

Le maire. – Nous vous écoutons, madame Chopineau.

La directrice. – Bien ! Nous avons épuisé l’ordre du jour de ce premier conseil d’école de l’année. Nous allons signer le compte-rendu rédigé par M. Célère puis nous passerons au verre de l’amitié, comme le veut la tradition. Avez-vous terminé, monsieur Célère ?

Jacques Célère. – À l’instant. Je pense avoir retranscrit l’essentiel.

Mlle Piquegrue, piquante. – L’essentiel pour vous ?

Jacques Célère. – Je ne vous permets pas de mettre en doute mon impartialité.

Mlle Piquegrue. – Vous, impartial ? Allons donc ! Imparfait certainement mais impartial j’en doute fort…

La directrice. – Allons, voyons, mademoiselle Piquegrue…

Jacques Célère. – Imparfait vous-même ! C’est un temps du passé qui vous sied à merveille.

Mlle Piquegrue. – Oh ! dites tout de suite que je suis vieille !

Jacques Célère. – Vous n’êtes pas vieille, vous êtes ringarde, vous êtes dépassée, has been…

La directrice. – Allons, voyons, monsieur Célère…

Jacques Célère. – Vous enseignez à la baguette, pour ne pas dire à la schlague ! Vos méthodes…

Mlle Piquegrue. – Je ne vous permets pas de critiquer mes méthodes ! Elles ont fait leurs preuves, mon petit monsieur, alors que les vôtres ne produisent que des cancres.

Jacques Célère. – Allons donc ! Non seulement mes élèves sont tout à fait au niveau mais ils sont, de plus, autonomes et responsables.

La directrice. – Bien ! Si nous passions au verre de l’a…

Mlle Piquegrue. – Responsables de quoi ? De la décadence de la société ? Quand ils arrivent dans ma classe, ils ne savent rien faire si ce n’est bavarder.

Jacques Célère. – Ils ne bavardent pas, ils s’expriment ! C’est justement ce que vous ne comprenez pas.

Mlle Piquegrue. – Ils ont déjà la musique avec M. Lassido pour s’exprimer, c’est bien suffisant.

Olympe Hique. – Holà ! Que faites-vous de l’EPS ? En sport, ils s’expriment parfaitement, complètement, et sans doute mieux qu’en musique.

Rémi Lassido. – Ce qu’il ne faut pas entendre ! Avec vous ils expriment leur sauvagerie, oui, leurs instincts les plus basiques !

Mlle Piquegrue. – Comme avec M. Célère…

Rémi Lassido. – Alors que grâce à l’éducation musicale…

Jacques Célère, à Piquegrue. – Avec vous, ils sont brimés.

Rémi Lassido. – Ils accèdent à l’essentiel, au subtil…

Olympe Hique. – Subtil ? Quelle foutaise ! Des niaiseries, oui !

La directrice. – Bien ! Si nous passions au verre de l’a…

Rémi Lassido. – Le chant, une niaiserie ? Sachez que c’est l’épanouissement de l’âme, ma chère ! Mais ça vous dépasse ça.

Jacques Célère. – Comme vous !

Mlle Piquegrue. – Gauchiste !

Rémi Lassido. – Le chant, c’est un émerveillement permanent, un…

Olympe Hique. – Quand on chante juste, peut-être.

Rémi Lassido. – Vous insinuez que je chante faux ?

Jacques Célère. – Rétrograde !

Olympe Hique. – C’est pas moi qui le dis, c’est M. le maire.

Mlle Piquegrue. – Bolchevique !

Irène. – Quoi ? Vous prétendez que M. Lassido chante faux ?

Le maire. – Mais absolument pas.

Irène. – C’est sans doute parce que vous trouvez qu’il vous coûte trop cher, comme toujours.

Le maire. – Je n’ai jamais dit ça.

Rémi Lassido. – Athlète de veau !

Olympe Hique. – Chanteur de salle de bains !

Irène. – Si vous ne l’avez pas dit, vous l’avez pensé.

Rémi Lassido. – Je ne vous permets pas !

La directrice. – Et si nous passions au verre de l’ami…

Olympe Hique. – Mais même la Marseillaise, les gamins la chantent de travers !

Mlle Piquegrue. – Là, je suis de votre avis. C’est scandaleux.

Jacques Célère. – On vous reconnaît bien là.

Rémi Lassido. – De toute façon, ils ne sont pas près de la chanter sur un podium nos petits sportifs.

Olympe Hique. – Qu’est-ce que ça veut dire, ça ?

Rémi Lassido. – Ça veut dire ce que ça veut dire. Parce que vous, à part le foot…

Olympe Hique. – Mais je vais lui en coller une, à Beethoven !

La directrice. – Bien ! Si nous passions au verre de l’a…

Irène. – Tout ça parce que la municipalité ne recrute que des intervenants de seconde zone afin de moins les payer.

Olympe Hique. – Quoi ?

Rémi Lassido. – Comment ça, seconde zone ?

Le maire. – Les finances municipales ne sont pas sans limites et je suis le garant de…

Irène. – D’une mauvaise gestion qui nous condamne à payer toujours davantage d’impôts.

Olympe Hique. – Revenons un peu à cette histoire de seconde zone.

Irène. – Vous n’êtes pas des plus diplômés ! Osez soutenir le contraire, monsieur le maire.

Le maire. – Si les enseignants faisaient leur travail, on n’aurait pas besoin de…

Jacques Célère. – Comment ?

Mlle Piquegrue. – Ça c’est le bouquet !

La directrice. – Allons, allons ! Si nous passions au verre de l’a…

La cacophonie est totale pendant les répliques suivantes, toutes dites quasiment en même temps.

Le maire. – Parfaitement ! De mon temps on n’avait pas tout ça…

Irène. – Il ne vous a pas échappé que les temps ont changé, tout de même ?

Olympe Hique. – Qui est de seconde zone, je vous prie ?

Rémi Lassido. – Ça ne peut être que vous.

Mlle Piquegrue. – Je suis outrée ! C’est une honte de s’en prendre aux enseignants. Du moins à ceux qui font consciencieusement leur métier.

Jacques Célère. – Dites donc, espèce de vieille bique, je suis aussi consciencieux que vous…

Le maire. – Les instituteurs enseignaient tout et on n’était pas moins instruits pour ça.

Irène. – Ça reste à démontrer en ce qui vous concerne !

Mlle Piquegrue. – Ne parlez pas de ce que vous ne concevez pas.

La directrice. – Bien ! Nous allons passer au verre de l’amitié.

À partir d’ici les personnages se lèvent en disant leurs répliques et se prennent deux à deux par le col.

Le maire. – Si vous étiez un homme, je vous aurais déjà mis mon poing dans la goule, madame Patin-Couffin !

Irène. – Vous n’êtes qu’une brute !

Olympe Hique. – Qui c’est la brute ?

Rémi Lassido. – Mais vous évidemment !

Jacques Célère. – J’aurais bien parié sur Mlle Piquegrue.

Mlle Piquegrue. – C’est un coup de parapluie que vous cherchez ?

Olympe Hique. – Cette fois tu vas l’avoir, toi !

Rémi Lassido. – À moi ! Au secours !

Josiane rebranche son aspirateur qui fait alors un bruit assourdissant et tout le monde se tait.

Josiane. – Ça suffit ! Vous réglerez vos comptes plus tard. Moi j’ai le ménage à faire et je ne veux pas le faire de nuit, alors on se tait et on signe ce satané compte-rendu. (Elle prend le compte-rendu des mains de la directrice et le donne au maire qui le fera passer aux autres. Tous signeront rapidement.) Compris ? Non mais des fois… On se croirait dans une volière. Mériteriez d’attraper la grippe aviaire, tiens. Allez, signez ! Et on se presse un peu.

Tous, tout en signant. – Oui, bon. On verra plus tard. Vous ne perdez rien pour attendre. Pour voir vous verrez. Finissons-en…

Josiane. – Et voilà le travail ! Tenez, madame Chopineau.

La directrice. – Merci Josiane. Bien, je fais une photocopie pour chacun d’entre vous et on passe au verre de l’amitié.

Josiane. – Voyez, quand vous voulez ! Fallait pas des plombes. Et pis l’école c’est sacré. C’est pas l’endroit pour régler ses comptes ou s’écharper. Qu’est-ce qu’ils diraient les mômes s’ils vous voyaient faire, hein ?

Jacques Célère. – Vous avez raison, Josiane.

Mlle Piquegrue. – L’école est en effet un sanctuaire.

Rémi Lassido. – C’est vrai, on exagère.

Olympe Hique. – On y est peut-être allé un peu fort.

Le maire. – Il faut savoir raison garder.

Irène. – Soit ! Restons-en là.

La directrice, pleurnichant. – Je suis désolée mais la photocopieuse ne marche plus.

Irène. – Ça, comme la mairie n’a jamais voulu de contrat de maintenance, ce n’est pas étonnant.

Le maire. – Nous n’avons pas les moyens.

Mlle Piquegrue. – Vous les auriez si vous n’embauchiez pas n’importe qui.

Olympe Hique. – Elle ne va pas s’y mettre aussi, cette sorcière de Piquegrue !

Mlle Piquegrue. – Moi, sorcière ? Vous allez tâter de mon parapluie !

Rémi Lassido. – Bravo, madame Piquegrue ! Allez-y !

Olympe Hique. – Ah oui ? Viens un peu ici, toi. Cette fois, tu vas avaler ton harmonica !

Rémi Lassido. – Au secours ! À moi ! Retenez-la ! (Il sort poursuivi par Olympe, elle-même poursuivie par Piquegrue.)

Olympe Hique, off. – Attends un peu !

Mlle Piquegrue, off. – Je vais vous en donner de la sorcière !

Jacques Célère. – Mademoiselle Piquegrue, voyons ! Attendez ! La violence ne mène à rien ! (Il...

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