Vous reprendrez bien un peu de haggis ?

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Une nouvelle fois Emile Ratel ne voit guère d’un bon œil le nouveau prétendant de sa fille Lise. Pensez donc, un étranger ! A contrecœur, celui-ci accepte de s’envoler (en caravelle) vers l’Ecosse avec sa femme Berthe à la rencontre des parents de leur futur gendre Donald, fils de Lord Gordon Darnley, descendant de Marie Stuart, et son épouse Déborah. Si Berthe est enthousiaste, le choc des cultures est brutal pour Emile. Qui vient le hanter des ce château ? Qui téléphone et harcèle ses hôtes ? S’il avait été le dindon de la farce du coq au vin, il risque d’avoir l’appétit coupé par le goût amer d’un haggis, spécialité écossaises concoctée à son intention. Des personnages, très typées, les situations cocasses et les jeux de mots s’enchaînent et font mouche dans un affrontement arbitré par les femmes. Après le succès de la pièce “Le coq au vin”, encore bien des mésaventures et des émotions en perspectives pour Emile, et des fous rires en cascades pour le public.

 

SCÈNE 1

 

Le rideau est fermé. On est à la fin de l’été, la température est douce.

Émile arrive avec son matériel de pêche, il s’installe et s’assoit sur une petite chaise pliante.

Émile, au public. – Tiens, vous v’nez là aussi ? C’est un bon coin. (Tout en parlant, il installe sa ligne, mime l’installation de l’hameçon, cherche un ver, l’accroche, etc.) Vous pêchez quoi ? Moi, j’aime bien v’nir ici. Avec le ruisseau à Lebrun qu’arrive là, y a du gardon, du goujon, d’la petite perche, d’la petite friture. Qu’est-ce que vous mettez pour appâter, vous ? Parce que moi, j’la prépare moi-même, ma mixture. J’ai ma recette. Vous voudriez bien savoir ?… C’est parce que c’est vous. Vous prenez du cœur de bœuf haché menu, de la courée de cochon, de la farine, du chènevis, du blé cuit, des vers, des asticots, et le secret : un peu d’anis étoilé. C’est ça qui fait la différence, mais y a que les grands pêcheurs qui connaissent. Le tout bien mélangé, mijoté plusieurs jours. Vous allez m’en dire des nouvelles. (À l’appréciation des acteurs : Émile peut jeter dans la rivière – donc dans le public – soit des confettis, soit mimer et ne rien jeter. Arrivée de Berthe, sa femme. Elle s’installe aussi sur une chaise pliante à l’avant-scène. Berthe ne va pas pêcher, mais tricoter. Elle a aussi apporté le casse-croûte.) Ben alors, qu’est-ce que tu faisais ?

Berthe. – J’suis tombée sur la voisine de Lucette Faupat, on a causé un peu. Elle m’a dit que le père Dugouchet, il est pas en forme.

Émile. – Ah bon ?

Berthe. – Oui, il a fait une « inclusion » intestinale.

Émile. – Bon sang ! Quand on a vu l’père Dugouchet l’ver un sac de farine de cinquante kilos d’une main, on penserait pas qu’il pourrait faire un jour une « inclusion » intestinale… On est vraiment peu de choses… (Ils sont pensifs.)

Berthe. – Tu sais pas ce qu’elle m’a dit aussi ?

Émile. – Comment tu veux que j’le sache ?

Berthe. – Eh ben !…

Émile. – Eh ben ?

Berthe. – Eh ben, la fille des Faupat, il paraît…

Émile. – Il paraît quoi ?

Berthe. – Il paraît qu’elle…

Émile. – Il paraît qu’elle quoi ?… Tu pourrais pas arrêter de jouer aux devinettes ?

Berthe. – Il paraît qu’elle est… enceinte !

Émile. – Et alors ? C’est des trucs qui arrivent.

Berthe. – Oui, mais… elle est pas mariée !

Émile. – Ah oui ! C’est vrai que les jeunes, ils ont tendance à mettre la charrue avant les bœufs, et la mariée devant le carrosse. D’not’ temps… Maintenant, ils font connaissance, ils font un lardon et ils se marient après. En fait, ils ont le tiercé, mais dans le désordre. Et encore, maintenant, y en a qui se marient pas. Si ça continue, y en a qui f’ront un lardon avant d’faire connaissance. (Au public.) Remarquez, de pas se marier, je les comprends un peu. Parce que c’est pas toujours de la tarte. (Il regarde sa femme.)

Berthe, dans ses pensées, n’a pas entendu. – Ça devait arriver. Depuis quelques mois elle fréquentait, pire même… Comment qu’elle m’a dit la voisine de Lucette ? Ils vivaient… euh… Ah oui ! C’est ça : ils vivaient « à la colle », c’est ça qu’elle m’a dit la voisine de Lucette Faupat. « À la colle », ben mon vieux !

Émile, pensif. – À la colle !!! Ben dis donc !!! J’espère pour eux qu’ils se décollent de temps en temps. (Il imagine la scène.) Moi, mon père, dans l’temps, il nous aurait décollés vite fait. Un bon seau d’eau. Et hop ! (Silence. Ils imaginent la scène.) En tout cas, pour de « l’émanticipation », c’est de « l’émanticipation » !

Berthe. – Oui, t’as ben raison… Tu sais, elle me disait qu’elle a vu un film à la télé, la voisine de Lucette Faupat.

Émile. – Ah ! l’maudit poste de télé !

Berthe. – Oui, eh ben dans le film, y avait deux jeunes qui s’embrassaient.

Émile. – Où ?

Berthe. – Au Canada.

Émile. – Ah ! l’maudit poste de télé !

Berthe. – Les jeunes de maint’nant, ils ont les mœurs « estansibles », qu’elle dit la voisine de Lucette.

Émile, affolé, sans comprendre. – Les mœurs « estansibles » ! Ah ! l’maudit poste de télé ! (Pendant toute la conversation, Berthe s’est installée et Émile continue de pêcher. Il va prendre un casse-croûte, il l’ouvre et prend un air offusqué.) C’est une catastrophe !

Berthe. – Oui, pour les parents, c’est pas drôle.

Émile. – Pour sûr, c’est une catastrophe !… T’as oublié les cornichons ! Avec le jambon de Paris, y faut des cornichons !

Berthe. – Tu parles d’un plat ! Tu pouvais y penser toi-même.

Émile, mange avec regret. – Du jambon de Paris sans cornichons ! C’est comme des huîtres sans Muscadet, ou Paris sans la tour Eiffel. (Silence.) Ah ! Paris ! On en a fait un beau voyage à la capitale, quand on est allés chez le cousin de mon copain de régiment… Pas vrai, la Berthe ? (Référence à la pièce « Le coq au vin ».)

Berthe. – Ça c’est vrai l’Émile.

Émile. – Eh ben ! La capitale, c’est quand même grand ! On s’en souviendra.

Berthe. – Sûr que j’m’en souviendrai. Quand on est restés coincés dans leur ascenseur, j’ai ben cru qu’t’allais tomber fou.

Émile. – Tu parles ! Deux heures dans leur « accesseur », une cabine d’un mètre sur deux. Et à cinq là-dedans. Avec une vieille folle qui sortait son chien gros comme un rat, un « yorshire », qu’ils appellent ça. Elle criait, elle gueulait, et son boudin sur pattes aussi. Ça doit être pour ça, y en a qui disent « Parigot tête de veau, Parisien tête de chien ». J’leur souhaite pas aux Parisiens d’avoir la tête de c’chien-là. (Il imite le chien.) Moi, un clébard comme ça, j’en voudrais pas, même dans mon casse-croûte. Ou alors… avec beaucoup de cornichons. (Berthe, qui a compris l’allusion, hausse les épaules.) Faut dire que les Parisiens, ils sont pas ordinaires. Même le cousin de mon copain, il est un brin bizarre. Un jour, il nous dit : « J’vous emmène aux champs. » Alors là ça a été le pompon ! Des champs, c’est pas à moi qu’on va expliquer ce que c’est. Eh ben, à Paris, leurs champs, comment donc qu’ils appellent ça ? Tu te souviens pas ? (Berthe ne se souvient pas non plus.) Des champs… (Une illumination.) Des champs « balisés », c’est ça. « On va aux champs balisés », qu’il nous a dit le cousin de mon copain de régiment. (Émile prend souvent le public comme interlocuteur.) Alors là, j’vous dis pas. Pour être balisés leurs champs, ils sont balisés. Ils ont tout bétonné, une route plus large que Saint-Rouffignac, et d’autres rues, et des maisons, et des « bildingues », et des Noirs… (Il prononce « nouérs ».) Partout, des Noirs…

Berthe. – Et des magasins, plein de beaux magasins qui brillent. Remarquez, les prix ils brillent aussi. L’Émile, quand il a vu le prix d’un sac, il a cru que c’était le prix de tout le magasin !

Émile. – Ah oui ! Un tout petit sac, on pouvait rien mettre dedans, en tout cas pas toutes les commissions. Et puis, dans leurs « masaguins », enfin… leurs magasins, ils ont des tapis et des escaliers qui roulent et qui montent tout seuls tellement qu’y sont feignants les Parisiens.

Berthe, au public. – Même qu’un jour, sur un escalier roulant, l’Émile, il a oublié de marcher en haut à l’arrivée. Du coup, patatras, tout le monde par terre ! C’était pas triste !

Émile, au public. – Ils m’sont tous tombés dessus le cul en l’air, et je m’suis fait drôlement engueuler. Et puis dans leurs champs, des gens, partout des gens. Des gugusses qui parlent tout seuls, des bonnes femmes avec leurs boudins à pattes qui font des crottes, et des Noirs en jaune pour ramasser les crottes. Ça doit être ça qu’ils appellent le travail au noir. Et d’z’autos, à vous en donner l’tournis, et on vous dit pas l’odeur… Et puis, les gens là-bas, ils courent tout le temps pour prendre le « micro ».

Berthe. – Le métro.

Émile. – Oui, c’est ça, le métro. Ah ! on n’est pas près d’les oublier leurs champs !… Leurs champs, ils les ont pas tous bétonnés. Ils en ont gardé un pour mettre leur tour Eiffel. Le champ de… Comment qu’ils l’ont appelé ?

Berthe, au public. – Mars. Oui, et même qu’on y est montés à la tour Eiffel. L’Émile, il a pas voulu prendre leur ascenseur, de peur qu’il se coince aussi, alors il a monté à pied par les marches. Au premier étage, ça suffisait. Et là-haut il osait pas trop regarder tellement qu’c’est haut.

Émile. – Sûr, c’est tellement haut qu’j’en avais des « vestiges ». J’aurais jamais cru tout ça. Des maisons, partout ! Des « bildingues » et des monuments, partout ! Et puis je m’souviens, tellement que t’étais heureuse, j’crois bien qu’t’as pleuré la Berthe. Faut dire que c’était la première fois qu’on sortait vraiment.

Émile et Berthe sont un peu émus au souvenir de leur voyage. Berthe ne répond pas tout de suite.

Berthe. – Oui, et ça avait été grâce à notre fille Lise et son fiancé Louis-Raymond.

Émile. – Oui, ils avaient fait le boulot à la ferme. Il m’avait bien surpris le gars avec ses drôles de manières. Finalement, j’l’aurais bien gardé comme gendre… Ah oui ! On vous a pas dit ? (Au public.) Eh ben, finalement, ça l’a pas fait avec Lise.

Berthe. – Non ! Deux mois après, ça a cassé. On n’a pas su pourquoi ! Avec les jeunes, faut pas chercher. C’est dommage, parce qu’on commençait à bien s’habituer.

Émile. – Ouais ! J’commençais même à comprendre des fois quand il causait, c’est pour vous dire… (Silence et regrets.) C’est p’t-êt’ les mœurs « estansibles ». (Silence.) Ouais ! Parce que là, elle vient de dégoter un autre gars… mais encore moins du coin… (Presque gêné.) Il est… anglais ! (Fataliste...

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