Nous sommes dans la cellule de Julia Talos fille de Jeanne Talos. Les murs côté cour et côté jardin montent jusqu'aux cintres. Le fond est ouvert sur une chambre qui représente l'espace perdu, le passé de Julia.
La cellule de Julia est séparée de sa chambre par un rideau transparent. De ce fait, Julia pourra voir son passé, mais ne pourra y accéder uniquement lorsque le rideau se lèvera.
Le mur côté cour "nid d'abeille" est mitoyen avec une autre cellule dans laquelle se trouve Karine Touéris. La lumière se fera dans la cellule de Karine selon ses interventions.
L'action sera définie par une lumière froide pour le présent, par une lumière chaude pour le passé.
Jeanne fera ses entrées et sorties, selon le temps de l'action, soit directement par la chambre, soit par la porte de la cellule côté jardin.
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La silhouette de Julia, allongée sur sa couchette, nous tourne le dos. Jeanne, bord scène, tient dans ses bras un couffin. Lumière chaude. Une farandole de personnages s'anime sur les murs de la cellule.
JEANNE émue, fière - Elle s'appelle Julia. C’est ma fille ! Elle vient de naître, elle est belle comme un cœur. Elle pèse 3 kg 450 ! Et elle mesure 10 cm de plus que la normale ! La normale, ce sont les autres bébés. Elle est la plus belle de toutes ! C'est la sage-femme qui l'a dit. C'est ma toute petite à moi. A moi toute seule. Ce que je suis heureuse, heureuse ! Je suis maman ! Je suis maman !
Elle baisse la tête.
NOIR

Durant le noir on entend des crissements de pneus, des coups de revolver, des sirènes de police. Lumière froide dans la cellule. Julia se retourne lentement, elle tient dans ses mains une peluche. (Un kangourou).
JULIA - Maman ! Maman !
Jeanne est dans la chambre, assise sur le lit de Julia, l'esprit vagabond. La voix de sa fille la sort de sa torpeur.
JEANNE - Oui mon ange ?
Elle se dresse et rejoint Julia dans la cellule. Elle est en chemisier et porte des mules. Dès qu'elle pénètre dans la cellule, La farandole s'anime.
JEANNE - Tu as fait un cauchemar ?
JULIA Apeurée - oui.
Elle la prend dans ses bras.
JEANNE - Ce n'est rien mon cœur. Calme-toi, calme-toi.
Julia s'agrippe vivement à sa mère qui lui caresse la tête.
- C'est fini, c'est fini. Tu es en nage. Calme-toi ma chérie.
JULIA - J'ai peur dans le noir maman.
JEANNE - Mais tu n'es pas dans le noir mon ange, la porte est entrouverte, et puis regarde, il y a tous tes copains au plafond.
Julia lève les yeux vers le plafond, observe la farandole un long moment et se love profondément dans les bras de sa maman.
JULIA - J'ai froid.
JEANNE - Toi, te me couves quelque chose.
JULIA - Où il est papa ?
JEANNE - Il dort.
JULIA - Il ne m'a pas entendu ?
JEANNE - Il est très fatigué. Il a beaucoup de travail en ce moment.
JULIA - Et son travail, il sait qu'il a une fille ?
JEANNE - ... Oui. Il faut te rendormir maintenant. Demain nous irons au restaurant chinois, tu sais, celui qui t'offre toujours des sucreries.
JULIA - Je pourrais prendre des crevettes à la vapeur ?
JEANNE - Tu pourras prendre tout ce que tu veux mon ange.
Elle lui dépose un tendre baiser, se lève et va pour sortir par la chambre quand ...
JULIA - Maman !
JEANNE - Oui ?
JULIA - Laisse la porte ouverte.
JEANNE - D’accord ma chérie. Dors maintenant, dors...
Elle sort par la chambre. Julia reprend sa « position de nuit » sur le côté, dos public.
Noir dans la chambre.
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Lumière bleue
Julia se tourne, se lève et shoote dans le sol.
Lumière cellule Karine
JULIA - Putain de bestioles ! Vous ne dormez donc jamais.
KARINE - Ferme là JULIA !
JULIA - Va te faire foutre !
Elle se met à genoux et dirige les quelques cafards vers un trou percé dans le mur mitoyen.
- Allez voir par là, allez, allez ... Elle va être contente de vous voir.
Elle colle l'oreille contre le mur. Soudainement, un cri strident retentit de la cellule voisine.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
KARINE - Putain de bestioles ! Je vais vous écraser la carcasse.
JULIA satisfaite - T'as de la visite on dirait ?
KARINE - Occupe-toi de ton cul !
JULIA - Il va très bien mon cul, il est même, très en forme. Regarde-le mieux la prochaine fois sous les douches, tu ne seras pas déçue.
KARINE - Tu me cherches là ?
Un court silence
- Tu me laisseras te toucher ?
JULIA - Ça dépend.
KARINE - De quoi ? Tu veux quoi ? Des clopes ? Des revues ? Du shit ? Julia ? Dis-moi ce que tu veux. Je peux tout obtenir. Ici, tout le monde m’obéit au doigt et à l’oeil.
JULIA - Elle est partie il y a une demi-heure, je lui laisserai un message si vous voulez. C'est de la part de qui ?
KARINE - Arrête de faire ta connasse. Dis, tu me laisseras te toucher ?
JULIA - Je ne suis pas une gouine moi !
KARINE - Moi non plus à l'extérieur, mais ici on apprend à faire avec. Ce n'est pas si mauvais, ça a même ses bons côtés. Personne ne vient t'envahir, tu restes comme au premier jour.
JULIA - Il est loin le premier jour ... Si loin que je me demande si je suis encore une femme.
KARINE - Laisse-moi te le montrer que t'es encore une femme.
JULIA - C'est comme si je ne ressentais plus rien. Un vide. Plutôt, un creux, c'est ça, un creux. Comme si on avait gratté la vie à l'intérieur. Il n'y a plus que ma voix qui résonne à l'infini. Tu crois que si on ne se sert pas de la matrice elle se pourrit ? Je suis sûre qu'elle se dessèche, comme une vieille pomme. Y-a plus qu'à laisser entrer les vers.
KARINE - Si c'est que ça, je suis équipée. Une vraie VRP du gode. Toutes les tailles, toutes les matières, avec ou sans piles. Je peux te faire découvrir la Voie lactée, J'ai des références. J'ai envoyé sur orbite plusieurs de mes consœurs. Une vraie pro de la fosse !
JULIA triste - J'aime ta façon de parler. Ça donne envie...
KARINE - Je parle comme je parle ! Je n'ai pas eu la chance d'apprendre les bonnes manières à la maternelle moi ! Petite bourge !
JULIA - La bourge t'emmerde ! Connasse !
KARINE - Allez, laisse-moi te toucher. Je meurs d'envie de te faire connaître le grand bonheur.
JULIA - Le grand bonheur...
KARINE - Avec moi t'auras l'impression d'entrer dans un nuage, tu flotteras entre deux airs, à l'abandon dans un coin du ciel.
JULIA - Tu vois quand tu veux, tu y mets les formes.
KARINE - J'ai une grosse motivation. Alors ?
JULIA - On verra...
KARINE - Quand ?
JULIA - Je te ferai signe.
Karine se dirige vers la chambre, se heurte au voile, cherche à distinguer au-dedans, mais celle-ci demeure dans la pénombre.
KARINE - Tu ne m'as jamais raconté comment c'était chez toi.
JULIA - Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
KARINE - Pour savoir, comme ça.
JULIA - Des murs, un toit, un couple qui passe la moitié de son temps à s'engueuler et l'autre à s'ignorer.
KARINE - Tes parents sont le reflet de ton futur, à toi de briser la glace ! Je connais le chapitre sur tes parents. Parle-moi de ta chambre ? Elle était comment ta chambre ?
JULIA - Une chambre.
KARINE - Toutes les chambres ne se ressemblent pas.
JULIA - T'avais pas de chambre chez toi ?
KARINE - Je ne sais pas si le mot chambre convient vu qu'on était six dedans.
JULIA - J'avais oublié que je parlais avec une fille de famille nombreuse.
KARINE - Eh oui ma grande. Mais, ça a ses avantages les familles nombreuses, ça tient chaud en hiver.
JULIA - Moi je me suis toujours sentie seule dans ma chambre.
KARINE - Elle était comment ta chambre ? Y avait du papier peint au mur ? Il était de quelle couleur ?
Au fur et à mesure que Julia énoncera les objets ornant sa chambre, ceux-ci s'éclaireront.
JULIA - Je m'en souviens plus, je ne l’aimais pas. Je l’avais recouvert de posters.
KARINE - T'avais des posters aux murs ?
JULIA - Ouais.
KARINE - C'est chouette les posters.
JULIA - Ca camoufle.
KARINE - C'est mieux que des murs blancs. Et une caisse pour ranger tes jouets, t'en avais une ?
JULIA - Ouais, en bois avec des fleurs dessus.
La caisse prend la lumière
KARINE - Et dedans ?
Un temps
JULIA - des peluches.
KARINE - T'avais des peluches ? Des vraies peluches ?
JULIA - T'as déjà vu des fausses peluches toi ?
KARINE -Parle-moi de tes peluches.
JULIA -Qu'est-ce que tu veux que je te raconte sur des peluches ?
KARINE -C'était quoi comme peluches ?
JULIA - Un gros ours, un petit âne et un dauphin.
L'ours, l'âne et le dauphin apparaissent en lumière
KARINE - Je les vois aussi !
JULIA - Quoi ?
KARINE - Rien continue ! Continue !
JULIA - Quoi continue ? Qu'est-ce que tu veux que je te dise encore ?
KARINE -Tout ! Je veux tout savoir ! Tu leur avais donné un nom à tes peluches ?
JULIA - Non... sauf pour une, Skippy. Rien d'original, c'est un kangourou.
Karine tente d'apercevoir ledit kangourou. Sans succès.
KARINE - Un kangourou ?
JULIA - Avec une poche. Une grande poche.
KARINE - Je ne le vois pas celui-là.
JULIA - Elle a dû le garder. C'est celui avec lequel je m'endormais. Temps T'as jamais eu de peluche ?
KARINE Triste - Si. Moi aussi j'en ai eu une.
JULIA - Bah alors ?
KARINE - C'est pas pareil.
JULIA - Pourquoi c'est pas pareil ? C'était quoi comme peluche ?
KARINE - Un ours.
JULIA - C'est bien les ours.
KARINE - Oui, sauf que celui-ci il avait déjà traîné dans d’autres bras.
JULIA - Comment tu le sais ?
KARINE - Il avait une odeur et une cicatrice sur le ventre.
JULIA - De toute façon une peluche.
KARINE - Moi j'aime bien les peluches... Et des poupées ? T'avais des poupées ?
JULIA - Oui. Surtout une. Je l'aimais bien celle-là.
KARINE - Tu lui avais donné un nom ?
JULIA - Ca ne te regarde pas !
KARINE - Allez ! S'il te plait.
Un temps
JULIA - Laura.
KARINE - Elle était blonde ?
JULIA - Oui. Avec des longs cheveux.
KARINE - Je la vois !
Karine passe doucement sa main le long du rideau "abeille" qui lasépare de la chambre de Julia.
- c’est chouette comme prénom Laura...pourquoi tu l’as appelé Laura ?
JULIA - J'ne sais pas ! Tu me gonfles avec ça ! Tu sais pourquoi tu t'appelles Karine toi ?
KARINE - Non.
JULIA - C'est pareil.
KARINE - Et un bureau pour faire tes devoirs, t'en avais un ?
JULIA - Qu'est-ce que tu me veux à la fin ? Pourquoi tu me poses toutes ces questions à la con ?
KARINE - T'en avais un ou pas ?
JULIA - Ouais. Bon, maintenant tu me lâches avec ma chambre.
KARINE - Avec une poubelle en plastique a côté ?
JULIA - Oui. Et puis un cerf-volant au-dessus de mon lit si tu veux tout savoir.
KARINE - Un cerf volant ? Un vrai cerf volant ? Qui vole ?
Le cerf volant nous apparaît
JULIA - Non. Qui nage.
KARINE - Te fous pas de ma gueule Julia !
JULIA - D'après toi, un cerf volant.
KARINE - T'es vraiment une sale petite bourge à la con ! C'est tellement évident pour toi tout ça...T'as de la chance que...
JULIA - Que je te plaise ?
KARINE - N'en profite pas trop
JULIA - Sinon ?
KARINE - Sinon tu seras très malheureuse quand les autres te tomberont dessus. Il y longtemps que l’on n’avait pas vu une jolie poupée comme toi dans les parages.
Silence
JULIA - Pourquoi tu me parles de ma chambre d'abord ?
KARINE - Pour mieux faire connaissance. Partager.
JULIA - C'est pas utile. Tu ne vas pas y habiter.
KARINE - ...Qui sait ?
JULIA - C'est toi qui m'as dit qu'il ne fallait jamais partager sa peine. Pourquoi tu le ferais alors ?

KARINE - Je n'aime pas gâcher la marchandise. Réflexe de pauvre.
JULIA - Je t'ai déjà dit que je n'étais pas gouine.
KARINE - Je sais, je sais. Laisse-moi te toucher et tu verras. Juste pour voir.

Un temps
JULIA - Tu peux toujours rêver !
KARINE - Tu ne m'as jamais dit ce qui a poussé une petite bourgeoise comme toi à faire une pareille connerie ?
JULIA - L'appel d'air. J'étais sous haute protection.
KARINE - On a les bronches fragiles dans votre monde. Prête à faire n'importe quoi, juste pour changer d'air.
JULIA - Karine, tu m'emmerdes !
KARINE - Tu as buté ce type parce que la petite bourge que tu es en avait marre d'être couvée comme une petite fille, alors elle a voulu jouer à la grande, en faisant une grosse connerie. C'est trop con !
JULIA - Tout le monde veut changer d'air à un moment où à un autre. Toi aussi tu voulais changer d'air.
KARINE - Ne compare pas nos vies, elles sont incomparables.
JULIA - Parce que on n'a pas le droit de souffrir si on n'est pas né dans une cité pour toi ? Vous n'avez pas lemonopole du malheur !
KARINE - Le monopole non, mais on a des longueurs d'avance, c'est pour ça qu'on gagne souvent. Tu veux que je te dise, tu ne devrais même pas être là. Ta misère n'a pas de sens.
JULIA - Et où je devrais être ?
KARINE - En maison de correction, avec les mômes.
JULIA - Va te faire foutre !
KARINE - N'oublie jamais une chose Julia. Y-a des règles dans la souffrance. Elle doit toujours rassurer les autres, leur permettre de se sentir mieux. Dépasser une certaine dose, elle dérange. Elle appuie où ça fait mal.
JULIA - Ce qui veut dire ?
KARINE - Que tu as de la chance de m'avoir rencontré. Ce n’est pas un endroit très fréquentable. Il faut être forte. Très forte.
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Noir dans les deux cellules. La lumière froide passe à la chaleur. Le rideau se lève sur la chambre. Julia est allongée sur son lit. Elle fume. Pénètre Jeanne. Jupe, chemisier, mules.
JEANNE - Bon anniversaire, ma chérie.
Regard étonné de Julia
- Ne me dis pas que tu as oublié jusqu'à ton propre anniversaire tout de même.
JULIA - Bah tu vois, si.
JEANNE - Ton père a donné de l'argent pour que je t'achète ton cadeau. Qu'est-ce qui te ferait plaisir mon ange ?
JULIA - J'aurais préféré qu'il me l'offre lui-même.
JEANNE - Tu sais bien qu'il ne sait pas ce qui te plaît.
JULIA - Il devrait. Je suis sa fille.
JEANNE - Tu crois qu'il n'a que ça à penser.
JULIA - Je sais, son travail.
JEANNE - Il a des soucis.
JULIA - Et bien il n'a qu'à en changer.
JEANNE - Ce n'est pas à son âge qu'on décide de changer de travail.
JULIA - N'empêche qu'il pourrait connaître mes goûts.
JEANNE - Il les connaît, mais il est pudique. Il n'ose pas.
JULIA - C'est con la pudeur.
JEANNE - Peut-être, mais il est comme ça, je ne vais pas le changer maintenant.
JULIA - C'est sûr ... on verra ça plus tard.
JEANNE - Il t'aime tu sais.
JULIA - Je sais. En petite coupure son amour. Un billet par-ci, un billet par-là.
JEANNE - Ne soit pas comme ça Julia.
JULIA - Quoi ? Il nous donne de l'argent comme il envoie un chèque pour la recherche contre le cancer ! Je ne suis pas une maladie !
Silence
- Ca ne te dérange pas quand il te file du pognon pour aller t'acheter un truc ?
JEANNE - Je te dis qu'il n'a pas le temps.
JULIA - Je sais. Mais quand même, tu ne crois pas que les années scolaires durent assez longtemps pour qu'un père vienne chercher sa fille au moins une fois dans l'année ?
JEANNE - C’est comme ça les hommes ma chérie.
JULIA - Tous ?
JEANNE - Je ne sais pas...Je pense que oui. Je n’ai connu que ton père.
JULIA - Ca veut dire que ... en fonction de son jugement sur toi, il te donne une certaine somme, C'est nul.
JEANNE - Il ne fait pas selon un jugement, mais selon ses moyens.
JULIA - Je te parle d'amour maman.
JEANNE - Plains-toi, pauvre malheureuse.
JULIA - Faire un cadeau c'est offrir aussi un peu de soi normalement.
JEANNE - Plus on en fait moins ça va.
Musique Mozart
JULIA - Qu'est-ce que c'est cette musique ?
JEANNE - Ton père écoute de la grande musique.
JULIA - C'est nouveau ça.
JEANNE - C'est son patron qui lui a conseillé. C'est bon pour la relaxation paraît-il. C'est du Mozart.
JULIA - Il n'a pas les oreilles pour écouter Mozart. C'est important d'avoir les bonnes oreilles pour écouter de la musique. C’est important d’avoir les bonnes oreilles pour écouter tout court.
JEANNE - Si ça lui fait du bien.
JULIA - Jusque dans son salon faut qu'il fasse comme on lui dit de faire. C'est lamentable ! Y-a rien de pire que les sous-fifres qui claquent des talons. C'est l'abnégation de tout.
JEANNE - Tu ferais mieux d'écouter ce genre de musique ça t'éviterait peut-être tes fréquentations.
JULIA - Tu sais ce qu'elles te disent mes fréquentations ?
JEANNE - Ne me parle pas sur ce ton Julia !
Mozart plus fort
- Tu vois, on le dérange !
JULIA - C'est surtout qu'il n'a pas envie de venir voir. Faudrait qu'il fasse quelque chose, une réaction d'autorité paternelle par exemple, mais même ça il n'est pas fichu de le faire.
Mozart encore plus fort
JULIA - Ça ne va pas être comme ça tous les soirs !
JEANNE - Tu vois, quand tu mets ta musique à fond et qu'on te demande de la baisser.
JULIA - Parce que toi aussi t'aimes la musique classique maintenant.
JEANNE - Moi j'aime la paix.
JULIA - Ta paix, c’est ton cercueil maman.
JEANNE - Qu’est ce que tu racontes encore ?
JULIA - Tu ne comprends rien ! ...Quelle maison de cons !
JEANNE - Et bien, renie-nous! Qu’est-ce que tu veux que je te dise.
JULIA - Tu confonds tout putain ! J'en ai marre de tout ça ! Mais j'en ai marre ! Un de ces jours, je vais arrêter le film, putain je le jure !
Elle jette ses affaires contre le mur.
JEANNE - Tu as le diable dans la peau ! Calme-toi ! Tu entends, Julia ? Tu entends ?
JULIA - Laisse-moi tranquille ! Va préparer le repas du seigneur et va laver son linge.
JEANNE - C’est méchant ce que tu dis là.
JULIA - Tu sais, dans tout enfant sommeille une erreur, le mauvais chromosome. Pas de pot, vous êtes tombés sur moi.
Julia met sa musique à fond qui couvre aussitôt Mozart
JEANNE - Baisse cette musique!
Elle monte le volume. Sa mère claque la porte. Rentre de nouveau, se dirige droit vers la chaîne hi-fi et coupe le son.
JULIA - Ça va pas ! Qu'est-ce qui te prend ?
JEANNE - Il me prend que je t'ai demandé de baisser le son.
JULIA - Et alors, chacun sa musique. Moi, j'ai besoin de cette musique.
JEANNE - Et nous, nous avons besoin de calme.
JULIA - Ce n'est pas compatible.
JEANNE - Qu'est-ce que tu as ma chérie en ce moment ?
JULIA - J'en ai marre que tu choisisses mes petites culottes, le papier peint de ma chambre et la tête de mes copains.
JEANNE - J'ai eu ton âge, tu sais, moi aussi je n'étais pas toujours d'accord avec mes parents. Seulement ...
JULIA - Et bien tu vois, c'est exactement ça. Je ne suis pas d'accord avec vous. Sur rien.
Un temps dans lequel Jeanne prend sur elle
JEANNE - Tu aimerais que l'on aille au restaurant ce soir ?
JULIA - Maman j'ai dix-huit ans.
JEANNE - Je sais l'âge que tu as, cela n'empêche pas d'aller au restaurant.
JULIA - Je n'ai pas envie de me retrouver entre vous deux pour combler le vide.
JEANNE - De quel vide parles-tu ?
JULIA - Arrête de faire l'autruche.
JEANNE - Je ne joue pas à l'autruche, je ne comprends pas ce que tu veux dire.
JULIA - Et de quoi on parlera ?
JEANNE - Je ne sais pas...De toi.
JULIA - C'est là le problème.
JEANNE - Que veux-tu que nous nous racontions ?
JULIA - Je ne sais pas...tu picoles toujours ?
JEANNE -...
JULIA - T'as raison, il n'y a rien à dire.
JEANNE - Toi, tu as des choses à dire. C'est normal tu es jeune, tu vis de nouvelles choses. Nous t'écouterons.
JULIA - Les choses que je vis ne sont pas celles que tu penses.
Jeanne se ferme
- Tu sais maman, le monde peut être une grande famille quand on prend la peine de le regarder.
JEANNE - Ta famille c'est nous !
JULIA - Je ne l'ai jamais vu au complet cette famille.
JEANNE - C'est encore lui qui nous fait vivre.
JULIA - Et qui nous gonfle avec son boulot à longueur de soirées.
JEANNE - Que veux-tu que je fasse ?
JEANNE - Je ne vais pas le tuer pour te faire plaisir !
JULIA - Il faut toujours envisager que tout va nous péter à la gueule un jour ou l'autre. Ça évite les mauvaises surprises.
JEANNE - Ne parle pas comme ça. C'est vulgaire.
JULIA - La vérité n'est jamais vulgaire.
JEANNE - Tu pourrais le respecter.
JULIA - Toi aussi il te gonfle avec son boulot.
JEANNE - C'est toute sa vie.
JULIA - Et ça l'empêche de demander de tes nouvelles quand il rentre le soir ?
JEANNE - Que veux-tu qu'il me demande, je suis à la maison, ce n'est pas comme si j'avais un travail à l'extérieur.
JULIA - A qui la faute ?
JEANNE - Arrête de nous reprocher tout le temps ceci ou cela Julia. Tu deviens pénible. Regarde ce que tu es devenue. Tu crois que c'est l'image que l'on souhaite voir de sa fille ? Il n'y a encore pas si longtemps tu jouais avec tes poupées.
JULIA - Et moi j'étais la tienne !
JEANNE - Tu es devenue complètement folle ma fille.
JULIA - Folle, parce que je refuse à dix huit ans que tu me choisisses mes petites culottes. Folle, parce que je dois te demander quelle couleur doit être le mur de ma chambre ! Folle parce que je dois te présenter mes petits amis ! Folle, parce que je grandis sans toi !
JEANNE - Quel avenir espères-tu ?
JULIA - L'avenir c'est l'espoir des faibles.
JEANNE - Tu as répondu à la demande de stage ?
JULIA - Pas eu le temps.
JEANNE - Pas eu le temps! Mais tu ne fais rien de tes journées. On ne peut pas vivre comme une pierre toute sa vie.
JULIA - N'importe quoi plutôt que votre vie !
JEANNE - Elle t'a fait vivre jusqu'à maintenant.
JULIA - Survivre ! Regardez l'amour passer c'est survivre.
JEANNE - Arrête avec ce couplet.
JULIA - De toute façon, J'arrête mes études.
JEANNE - Qu'est-ce que ça veut dire ?
JULIA - Ça veut dire, j'arrête. Point final ! Basta !
JEANNE - Et tu comptes faire quoi ?
JULIA - Bosser. Comme tout le monde.
JEANNE - Dans quoi ? Caissière au supermarché ?
JULIA - Tu as fait mieux peut-être ?
JEANNE - Ton père ne sera pas d'accord.
JULIA - Mais il n'est jamais d'accord de toute façon, avec personne, à commencer par lui le pauvre homme.
JEANNE - Ne parle pas de cette façon de ton père.
JULIA - Quoi ? Ce n'est pas vrai qu'il n'est jamais d'accord sur rien ? Il suffit que tu dises une chose pour qu'aussitôt il dise le contraire. Sauf bien sûr si ça vient de l'extérieur. Il n'y a que sa famille qui soit pleine d'abrutis.
JEANNE - Respecte-le. C'est encore lui qui te nourrit.
JULIA - Justement, une bouchée en moins te fera
peut-être prendre conscience.
JEANNE - Prendre conscience de quoi ?
JULIA - Qu’il est temps que vous repreniez votre couple en main. Tu ne vois pas qu'il est malheureux chaque fois que tu me regardes. Tu sais que dans la vie, il y a autre chose que ta fille et la bouteille.
JEANNE - ...Qu'est-ce que tu racontes ?
JULIA - Tu ne vois pas qu'il aimerait bien lui aussi que tu le regardes, que tu l'écoutes, comme tu le fais avec moi.
JEANNE - J’écoute ton père.
JULIA - Comme tu le fais avec moi, maman.
JEANNE - ...
Temps
JULIA - ...Je vais faire de la mécanique.
JEANNE - Ce n'est pas un métier pour une jeune fille, la mécanique.
JULIA - J'ai exactement les mains qu'il faut pour ce boulot. C'est Mathieu qui me l’a dit.
JEANNE - Qui est Mathieu ?
JULIA - Un mec qui adore les nanas qui s'y connaissent en moteurs.
JEANNE - Parce que tu t’y connais en mécanique maintenant ?
JULIA - Depuis que Mathieu m’a appris, oui. Je suis douée parait-il...
Jeanne regarde sa fille impuissante.
- ...Tu ferais mieux d’aller t’occuper du seigneur.
JEANNE - Tu as couché avec ce garçon ?
JULIA - Maman, j'ai dix-huit ans.
JEANNE - Je sais ton âge. Je te demande si tu as couché avec ce garçon ?
JEANNE - Ça fait longtemps.
JULIA - Comment ça longtemps ?
JULIA - Trois ans.
JEANNE - Trois ans que tu couches avec ce garçon !
JULIA - Oui.
JEANNE - Ce n’est pas possible...mais tu es si...ma chérie...ce n’est pas...possible.
JULIA - Et si j'étais enceinte ? Tu ferais quoi ?
JEANNE - Tu ficherais le camp immédiatement de cette maison.
JULIA - La majorité des filles de mon âge ont déjà avorté au moins une fois.
JEANNE - Je me fiche des autres ! Plus posée Julia, je voudrais que tu comprennes que ...
JULIA - C'est à toi de comprendre maman. C'est à toi de comprendre que ta fille est devenue une femme, une femme que des garçons désirent.
JEANNE - Il ne faut pas en parler à ton père.
JULIA - Désirer, tu sais ce que ça veut dire? Il a bien existé au moins une fois ce mot entre vous. Non ?
JEANNE - Ce n’est pas le sujet. Il ne faut pas en parler à ton père.
JULIA - Alors ? Hein ? Le désir ! Il y a bien existé dans cette baraque au moins une fois ! Non ?
JEANNE - Ce n’est pas le sujet !
JULIA - OK. Alors, parlons de moi et de mon mec.
JEANNE - Non ! Ce n’est pas le moment.
JULIA - C'est jamais le moment de rien dans cette baraque !
JEANNE - Viens dîner. Ton père est à table.
JULIA - Je sais, j’entends la télé. Temps pourquoi pas lui en parler, maintenant ?
JEANNE - Il a assez de soucis avec son travail, ce n'est pas la peine de lui en rajouter.
JULIA - Je suis pourtant sa fille ! C'est important de savoir que sa fille s'est déjà faite «tringler».
JEANNE - Ne parle pas comme ça !
JULIA - Puisque c'est vrai. Et avec un prolo qui a les mains pleines de cambouis en plus.
Elle lui décoche une gifle
JEANNE - On arrête pour ce soir. Viens dîner.
JULIA - Pourquoi tu ne veux pas le suivre à la mer ? C'est son truc la mer.
JEANNE - Je n'ai aucune envie d'aller vivre au bord de la mer. Pour y faire quoi ?
JULIA - Tu fais tellement de choses ici.
JEANNE - Je suis très bien ici.
JULIA - Je sais. Tu es née et mourra dans cette putain de maison.
JEANNE - Elle fait partie de ma vie.
JULIA - Et puis il y a les voisines...
JEANNE - les voisines comme tu dis, t’ont nourri pendant plus de deux ans quand ton père était malade. Sans elles, je ne sais pas comment nous aurions fait.
JULIA - Tu attends quoi ma pauvre petite maman ? La médaille de la plus gentille des voisines ! Arrête de vivre pour les autres, une fois au fond du trou tu crois qu'elles feront quoi tes voisines ?
JEANNE - Tu ne sais pas ce que c'est que d'avoir de vrais amis.
JULIA - A qui la faute.
JEANNE - C'est de ma faute si tu n'as pas d'amis maintenant ?
JULIA - Personne n'a jamais eu le droit de venir.
JEANNE - Qu'est-ce que tu racontes ? Nous n'avons jamais interdit à personne le droit de venir te voir.
JULIA - Je te parle de mes amis pas de mes cousins.
JEANNE - Tes amis comme tu dis, ce sont des voyous !
JULIA - Parce qu'ils ont les mains pleines de cambouis ?
JEANNE - Arrête avec ce discours. Tu sais très bien que cela n'a rien à voir. Tu dînes avec nous, oui ou non ?
JUIA - Pas faim.
JEANNE - Tu mangeras mieux demain.
Jeanne sort de la chambre. Julia éteint la lumière. Seule sa silhouette allongée sur son lit se distingue dans la pénombre.
JULIA - j'en ai marre ! J'en ai marre ! J'en ai marre !
Puis, un silence profond envahit la scène durant un long moment. Julia semble s'être endormie. La porte de la chambre s'entrouvre doucement, Jeanne dépose un plateau de nourritures sur le bureau, embrasse le front de Julia et ressort discrètement.
- J'étouffe putain ! J'étouffe !
La porte est à peine refermée que Julia extrait du ventre de sa "peluche kangourou" un sachet de drogue.
- Y-a plus que toi qui me comprenne.
Elle sniffe et se met doucement à délirer.
- J'étouffe ! J'étouffe ! J'étouffe !
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Lumière dans la cellule de Karine
KARINE - Julia ! Julia !
JULIA - Je voulais juste... de l'air...de l'air...de l'air !
KARINE - C'est fini. Tu m'entends ? C'est fini ! Réveille- toi bordel !
Julia sortant doucement de sa torpeur
JULIA - Karine ?
KARINE - Oui ? C'est fini. Tu as fait un cauchemar.
JULIA - J'ai une boule dans le ventre.
KARINE - Je sais ma grande. Mais va falloir que tu arrêtes de penser maintenant. T'as les bonbons qui remontent en surface. Fais gaffe.
JULIA - Quoi ?
KARINE - Ton passé.
Un temps
JULIA - Karine ?
KARINE - Ouais ?
JULIA - Tu crois en quelque chose ?
KARINE - Tu veux dire, des trucs, style, dieu, les religions ?
JULIA - Oui.
KARINE - Je crois en moi, et c'est déjà pas mal par les temps qui courent.
JULIA - Et tes parents ?
KARINE - Quoi mes parents ?
JULIA - Comment c'était chez toi ?
KARINE - Rien d'original. Un père alcoolo qui te tabasse pour oublier qu'il boit et qui boit pour oublier qu'il te tabasse.
JULIA - Et ta mère ?
KARINE - Morte. Enfin, tout comme. Elle est devenue une sorte de légume qui chante toute la journée des chansons dont personne ne comprend jamais rien. Plus on grandit plus on a peur de rater sa vie, dans la plupart des cas, on a raison. Mais pour répondre à ta question, non je ne crois pas en dieu ni en aucune religion et pas plus dans les hommes.
JULIA - Tu as déjà pensé à te foutre en l'air ?
KARINE - Quand j'étais dehors, comme tout le monde, mais depuis que je suis dans ce trou, jamais je ne leur ferai ce cadeau. Cette société m'a mis au monde, elle me gardera jusqu'à la fin de l'histoire.
Silence
KARINE - T'as peur de ta visite ?
JULIA - Oui.
KARINE - Qui c'est ?
JULIA - Ma mère.
KARINE - Je m'en doutais ! Envoie-lui une lettre. Dis-lui de ne pas venir.
JULIA - C'est ce que j'ai fait. Mais elle m'a répondu dans sa lettre que l'on n'avait pas le droit d'abandonner son enfant. Elle a même ajouté dans un post-scriptum qu’elle a lavé toutes mes peluches.
KARINE - C'est toujours la même chose. Fais attention ma grande. Ce genre de visite ça t'ouvre les portes de l'enfance et à la moindre plongée, t'es foutue !
JULIA - Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Elle m'aime. Je suis sa fille...
KARINE - Méfie-toi de son amour, plus il est tendre, plus c'est du puissant. D'abord la carte tendresse et puis après celle des souvenirs. Un grand classique. Si tu veux un conseil, espace-les ses visites. Mieux vaut encore celles des cafards. Les souvenirs ça encombre l'esprit.
JULIA - Qu'est-ce que je peux faire ?
KARINE - Ne lui offre aucune prise. Fouille, fouille dans son amour, cherche la bête et coupe, coupe, encore et encore. Elle doit renoncer Julia. Et toi avec.
JULIA - Je...je ne voudrais pas lui faire trop de mal. Elle est si...douce. Si...fragile.

KARINE - La petite bourge a des scrupules ?
JULIA - C’est ma mère...
KARINE - Alors c'est toi qui tomberas. A ce jeu il n'y a pas de vainqueurs, il n'y a que des perdants.
JULIA - Je leur ai déjà fait assez de mal.
KARINE - C'est ce que tu voulais non ?
JULIA - Je ne sais pas, je ne sais plus. Je pensais que... ça les rapprocherait.
KARINE - Buter un type et faire de la taule pour rapprocher ses parents. Ca c'est un truc que j'avais jamais encore entendu.
JULIA - C’était pourtant bien parti...
KARINE - Quoi ? Qu’est ce que tu racontes ?
JULIA - Quand je me suis retrouvée au poste. Je les ai vu. Ils se sont rapprochés. Ils se sont même tenus par la main. J’ai cru qu’ils allaient s’embrasser.
KARINE - Mais bien sûr ! Parce que tu les imagines sans doute en train de roucouler en te sachant ici ! Notre fille est en prison, quel bonheur de se retrouver en tête à tête. Tu débloques.
JULIA - Je ne les avais jamais vu se tenir par la main...c’était beau...
KARINE - Tu as le choix Julia. Tu deviens dure comme une pierre et tu t'en sors ou tu fonds sur tes souvenirs et tu perds pied.
JULIA - Putain, c'est dur.
KARINE - Je sais, enfin j’imagine...mais, je suis tout près de toi. Personne ne te fera du mal. Je suis là.
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Lumière chambre Julia.
Jeanne est assise sur le bord du lit. Elle tient dans ses bras la peluche "kangourou" et dans l’autre une bouteille de whisky. Elle dispose des cartes de tarots sur le lit. Elle lit le jeu puis rassemble les cartes.
JEANNE - On a beau savoir ce qu'ils ont fait, ce sont toujours nos petits. Toute personne qui a donné la vie le sait. Ca ne change pas ça. Nos petits demeurent toujours nos petits... Et puis il y a d'autres choses qui ne changent pas. Leurs gestes... Ils restent imprimés dans notre mémoire jusqu'à la fin, leurs gestes, quelle que soit la tournure que prend la vie. Pause cette façon qu'elle avait de faire la moue quand elle n'était pas d'accord. D’ailleurs, elle l’a fait toujours cette moue quand elle n’est pas d’accord...elle est souvent pas d’accord...c’est mignon sa petite bouche qui part de travers...Pause Et moi qui n'avait pas assez de lait...pourquoi ? Pourquoi je n’ai jamais pu lui donner le sein à ma petite ? Ma toute petite à moi...
Elle se lève, le "kangourou" porté tel un bébé dans les bras et sort de la chambre. Bruit de clefs dans la serrure.
KARINE - Voilà ton passé. Rappelle-toi ce que je t'ai dit. Il n'y a qu'une seule façon de s'en sortir quand t'es ici. Une seule. Ne la laisse surtout pas partager ta peine. C'est toi qui dois payer, pas elle. Maintenant, serre les poings, sort les griffes. Tu dois être le démon en face d'elle. Le démon.
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Noir cellule Karine.
La porte de la cellule de Julia s'ouvre, c'est Jeanne. Elle est vêtue d'un tailleur.
JEANNE - Bonjour, mon ange.
JULIA - J'ai un prénom.
JEANNE - Avant tu aimais bien quand je t'appelais mon ange.
JULIA - C'était avant.
Jeanne s'approche de Julia qui reste assise sur sa couchette.
JEANNE - Tu ne m'embrasses pas ?
Julia se lève doucement et donne un baiser sans chaleur à sa mère.
JEANNE - Mon enfant, mon tout petit. Comme tu es pâle, ton corps semble si fragile. Je voudrais tellement être à ta place.
JULIA - Arrête avec ton dévouement !
JEANNE - Je n'aurais jamais imaginé être impuissante à ce point. J'étouffe de ne rien pouvoir faire.
JULIA - Je ne te demande rien.
JEANNE - Je sais mon ange.
JULIA - Ne m'appelle pas mon ange ! Il ne viendra pas alors ?
Un long silence s'ensuit
JEANNE - Mets-toi à sa place. Tu l’as presque tué.
JULIA - Le salaud ! Je le savais.
JEANNE - Il t'aime tellement.
JULIA - Ca se voit.
JEANNE - Tu crois que c'est facile pour un père de voir sa fille dans cet endroit.
JULIA - La voir ici ou ne pas la voir ailleurs.
JEANNE - Ne soit pas si dure Julia, si tu savais comme il t'aime.
JULIA - Tu parles, Il a du m'aimer juste la première heure après il a pris conscience que les heures s'additionnent.
JEANNE - Il est très malheureux de ce qu'il t'arrive.
JULIA - Et moi je nage dans le bonheur.
JEANNE - Il est comme, paralysé devant toi. Malgré ce que tu penses, tu restes ma... notre petite fille. Je le revois encore quand il te promenait dans ta poussette quand tu étais bébé. Il était fier, tu sais. Ce qu'il était fier...
JULIA - Un passé. Juste un passé.
JEANNE - Tu te souviens du cap Fréhel ? Quand ton
cerf- volant a atterri sur le rocher aux oiseaux et que ton père est tombé à l'eau en voulant le récupérer.
JULIA - Je suis en taule, je ne souffre pas d'amnésie. Pourquoi tu me parles des vacances ?
JEANNE - Je ne sais pas... histoire de se rappeler les bons moments.
KARINE - Ils n'existent plus ! C'est fini cette époque maman.
JEANNE - Je pensais que cela te ferait du bien de ...
JULIA - Arrête de croire que tu penses bien, maman !
JEANNE - Pourquoi dis-tu ça ?
JULIA - Parce que ça fait aussi du bien d'oublier. Ca renouvelle l'atmosphère. On efface et on recommence. Tu sais, comme ce jeu de gosse. On écrit ce qu'on veut et puis plus rien.
JEANNE - Tu ne peux pas rayer de la carte tout ton passé.
JULIA - Si je te laisse faire, dans deux minutes tu vas me parler de mes robes et de mes carnets scolaires.
JEANNE - C'est amusant que tu me parles de tes carnets scolaires mon ange parce que ...
JULIA - Ne m'appelle pas mon ange !
JEANNE - Si tu veux. Enfin, tout ça pour dire que je suis retombé sur l'un d'eux hier soir en faisant du ménage...
JULIA - J'en étais sûre.
JEANNE - Ce que tu pouvais être bonne élève, toujours dans les trois premières et toujours un prix en fin d'année!
JULIA - Maman, c'est bon.
JEANNE - Plus le prix de camaraderie !
JULIA - C'est bon, j'te dis ! Je suis en taule. Tu sais ce que ça veut dire ?
Comme si elle réalisait un peu plus
JEANNE - Oui
JULIA - Il n'y a rien à ajouter.
Jeanne baisse la tête, puis les épaules, le corps entier semble s’abandonner.
- Putain c'est pas vrai. Mais redresse-toi !
JEANNE - Je souffre tellement de te voir ici.
JULIA - La souffrance ne se partage pas. Aucune merde ne se partage.
JEANNE - Tu es mon enfant, c'est normal que je souffre pour toi.
JULIA - Ici il n'y a pas d'enfant.
JEANNE - Ici ou ailleurs tu le resteras. Tu crois qu'on abandonne son enfant parce qu'il est en prison ?
JULIA - Un peu plus tôt, un peu plus tard, le cordon finit toujours par se sectionner.
JEANNE - Personne ne pourra me séparer de mon enfant, personne !
JULIA - Je ne suis plus ton enfant !
Un temps. Puis, faisant celle qui n'a pas entendu
JEANNE - Tu as vu, j'ai mis le tailleur que tu m'avais offert pour ...
JULIA - On n'est pas à la remise des prix de fin d'année, c'est la prison ici. Tout le monde s'en tape de la façon dont t'es habillée.
JEANNE - Ce n'est pas pour eux que je m'habille, c'est pour toi.
JULIA - Arrête !
JEANNE - Tu m'as toujours dit qu'il m'allait bien ce petit tailleur.
JULIA (tendre) - ...C’est vrai. Il te va bien.
KARINE - Julia, non !
JEANNE - Je l'entretiens bien tu sais. Dès que je l'enlève je le glisse dans une housse, comme ça pas de risque que les mites le dévorent. Un jour il sera pour toi.
JULIA - Maman, c'est bon, arrête.
JEANNE - Il ne te plaît pas ?
JULIA - Non.
JEANNE - Ce n’est pas grave. Il y a d’autres choses, beaucoup d'autres choses. C'est normal, tu es mon unique enfant. Quand tu sortiras...
JULIA - Jamais je ne sortirai d'ici. 6m2 barré par une lourde porte doublée d'une grille avec derrière des pas qui résonnent voilà mon horizon pour les vingt prochaines années. C'est long 20 ans maman. C'est très long...
JEANNE - On va se battre, on va ...
JULIA - Maman, 1+1 ne fait pas un. C'est moi qui suis en taule.
JEANNE - Je sais, je sais.
JULIA - Non, je t'en prie c'est encore pire que tout de faire ça. Relève la tête maman, relève la tête !
JEANNE - Moi aussi je suis enfermée ! Tu comprends ? Moi aussi. Moi aussi...
Julia conserve un visage hermétique
JULIA - On dirait que ça te rend heureuse.
JEANNE - Je suis avec toi. Ca me suffit.
JULIA - Et moi je ne sombrerai pas avec toi.
JEANNE - Tu es ma fille.
JULIA - Pourquoi tu parles toujours au singulier ? Tu m'as faite avec le saint esprit !
Un temps dans lequel les deux femmes ne se lâchent pas des yeux.
JEANNE - Tu ne veux pas me parler de ce garçon ?
JULIA - Tu viens voir ta fille ou bien la une des journaux ?
JEANNE - Je veux essayer de ... comprendre.
JULIA - Il n'y a rien à comprendre.
JULIA - Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Qu'il n'est pas celui dont rêvent toutes les mères. Non, ça c'est sûr, c'est un vrai mec lui.
JEANNE Douce - C'est quoi être un vrai mec ? Tuer des pauvres gens dans la rue ? C'est ça être un vrai mec pour toi ?
JULIA - Désolée de te décevoir, mais j'aime ce mec.
JEANNE - Sais-tu ce qu'aimer veut dire au moins ?
JULIA - Parce que toi tu le sais, bien sûr ! Mais regarde-toi avec ton air ramassé et ton sac en bandoulière. C'est sûr, t'as les moyens de me donner des leçons. Je vais te dire, il a peut-être un flingue dans une main, mais l'autre est toujours dans la mienne. Oui, on sait ce qu'aimer veut dire maman.
JEANNE - Belle preuve d'amour. Regarde où tu en es aujourd'hui.
JULIA - Et toi, rester toute ta vie avec un type avec qui tu n'as jamais pu l'ouvrir sous peine de te faire engueuler comme une malpropre. C'est quoi ? Tu vois, les preuves d’amour ne se ressemblent pas. Certaines femmes se font engueuler toute leur vie sans broncher, d'autres prennent le voile, d'autres se font engrosser, moi je prends vingt ans.
JEANNE - Tu ne vois pas que tu es en train de sombrer.
JULIA - C'est toi qui me parles de sombrer ! Toi qui as coulé depuis déjà si longtemps. Et la tienne de descente a été tellement plus vicieuse. Ca occupe un gosse. Ca comble les vides les couches pleines de merde. Ca évite les coucheries des fins de semaine... Tu as été heureuse combien de temps dans ta vie maman ?
JEANNE - Ce qu'elle m'a offert m'a suffi. Je t'ai eu.
JULIA - Je te parle de ton couple. Combien de temps tu as été heureuse avec lui ?
Jeanne baisse la tête.
JULIA - Il t'a trompé ?
Silence
- Réponds-moi, j'ai besoin de savoir.
JEANNE - Qu'est-ce que cela changera ?
JULIA - Je voudrais savoir si mon père a trompé ma mère.
JEANNE - Que fallait-il que je fasse, que je prenne mes valises ?
JULIA - Tu vois, comme quoi je suis encore innocente. Je n'avais pas imaginé ce cas de figure. Je n'imagine même pas que mes parents puissent se tromper. Quelle conne, je suis.
JEANNE - N'interprète pas mes propos. Je ne t'ai pas dit que ton père m'avait trompé.
JULIA - Ca sentait pourtant la nouvelle du jour.
JEANNE - C'était une sale époque. Nous n'avions pas beaucoup de moyens, je travaillais à la maison, je n'étais pas toujours très bien apprêtée. Les femmes qui travaillent à l'extérieur ont plus de succès.
JULIA - Alors, Il t'a trompé ? Il a baisé ailleurs?
KARINE - Même pas original.
JULIA - Et tu n'as rien fait ?
JEANNE - Que voulais tu que je fasse ?
JULIA - Le tuer !
JEANNE - Tout le monde n'est pas comme toi.
JEANNE - Tu aurais voulu que je fasse quoi, que je lui réponde pour qu'on se déchire.
JULIA - Il faut savoir crever l'abcès. Peut-être que cela lui aurait fait du bien que tu le remettes à sa place une bonne fois pour toutes, au lieu de ne jamais contrarier le seigneur. Pourquoi tu n'as pas continué à travailler au lieu de rester te morfondre à la maison ?
JEANNE - Il fallait bien t'élever. J'aidais ton père dans son artisanat.
JULIA - Et ta vie s'est jouée entièrement entre les murs de cette maison ! Tu avais de l'or entre les mains et tu l’as laissé filer. C'est trop con !
JEANNE - Tu sais, une couturière n'a jamais gagné des fortunes.
JULIA - Tu aurais pu progresser. Ca arrive à plein de gens.
JEANNE - Il ne faut pas revenir en arrière.
JULIA - Je suis sûre que vous n'avez jamais su la couleur de vos yeux.
JEANNE - On s'est beaucoup aimés au début. Après ce n'est plus pareil, c'est normal, c'est la vie.
JULIA - Ses yeux n'ont pas dû changer de couleur. Pourquoi vous m'avez eu alors ?
JEANNE - Parce que... Nous en avions envie.
JULIA - Tu en avais envie. Pas lui.
JEANNE - J'avais l'âge. C'était le moment ou jamais ... Les hommes c'est différent. Et puis, il pensait à son travail. A ramener de l'argent pour le foyer.
JULIA - C'est pratique comme phrase. Elle englobe tout, tu peux la sortir à chaque fois que tu en as besoin. "Les hommes c'est différent" et hop ! Le tour est joué. On n'en parle plus. Et lui, il n'avait pas l'âge ? On fait des enfants par obligation ?
JEANNE - Ce n'était pas une obligation, c'était un désir. Si tu savais à quel point c'était un désir.
JULIA - Un désir parce que tu avais l'âge limite pour être engrossée, voilà le désir ! Alors forcément après, on aime par obligation, on vit par obligation, on crève par obligation ! Je n'ai pas demandé à venir au monde putain !
JEANNE - Moi je t'ai demandé de venir au monde, je t'ai même imploré de venir au monde.
JULIA - Normal, tes poupées étaient cassées.
KARINE - Ca, c’est bien...
JEANNE - ...Tu es méchante.
JULIA - Méchante parce que je ne veux pas te ressembler, c'est ça ? Mais regarde-toi. Regarde-toi !
JEANNE - Je ne suis peut-être pas la mère que tu attendais. Mais Je suis ta mère, et ton père est bien ton père si toutefois tu te posais la question. Que cela te plaise ou non, ce couple qui te pèse t'a mis au monde !
JULIA - Tu parles d'un couple ! Un couple c'est deux, maman. Vous, vous êtes comme les lignes parallèles. Jamais je ne vous ai vu vous embrasser. Sauf pour les anniversaires et les Noël, deux baisers dans l'année, vous n'aviez pas de quoi choper une allergie. Pause Vous ne vous êtes jamais posés la question de savoir pourquoi j'insistais autant pour lui offrir ce rasoir ? Temps Je pensais que c'était parce qu'il n'était pas bien rasé que tu ne l'embrassais pas. C'est con non ?
Jeanne veut prendre Julia dans ses bras qui la repousse.
- ... Si tu savais ... comme, je vous guettais, comme j'imaginais, comme j'espérais. Mais ... jamais, jamais, jamais, jamais !
JEANNE - C'est différent avec le temps ...
JULIA - T'as raison, parle au passé, l'affaire est classée.
JEANNE - Ton père est pudique, moi aussi. C'est une autre génération.
JULIA - A ce niveau, ce n'est plus de la pudeur, c'est de l'ignorance, presque une maladie. Le couple chez vous c'est juste un décor. Pause Si tu savais comme ça fait mal de ne jamais voir s'embrasser ses parents. Ne serait-ce que ... Qu'il te prenne la main dans la rue. J'ai toujours eu l'impression que la maison était un ring de boxe. Le moindre mot, la moindre pensée opposée a toujours suffi à décrocher les gants.
JEANNE - On vit mieux dans la paix.
JULIA - Ce n'est pas la paix maman, c'est un arrangement pitoyable.
JEANNE - Pourquoi es-tu si dure ?
JULIA - Je n'ai pas le choix.
JEANNE - Qu'est-ce que tu veux me faire payer ?
JULIA - Le prix de m'avoir mis au monde.
Long silence dans lequel Jeanne encaisse lourdement ces mots
JEANNE - C'est... ignoble de dire ça à une mère.
JULIA - Et imposer une vie à un être qui n'a rien demandé, c'est quoi ?
JEANNE - Tu comprendras le jour où tu seras maman...
JULIA - Ca m’étonnerait ! Pas envie de te ressembler.
JEANNE - Si tu en es là aujourd'hui c'est notre faute alors ? C'est ça ? C'est notre faute si tu as tué ce pauvre homme dans sa voiture ? C'est cela que tu diras au juge ? Mes parents ne s'embrassaient pas alors j'ai pris de la drogue et puis j'ai tué un innocent qui se trouvait devant moi.
KARINE - Elle perd pied...
JULIA - Y paraît qu'on subit tous les atavismes familiaux. Hérédité quand tu nous tiens
JEANNE - Personne n'a jamais tué personne dans notre famille ! On a toujours été des honnêtes gens.
JULIA - Les gens honnêtes passent leur vie à se faire baiser ! Tu as voué ta vie entièrement à ta famille et maintenant qu'elle se fissure tu ne peux même pas boucher les trous. Tu espérais quoi ? Que je vienne te border jusqu'à ton dernier souffle. C'est ça mettre au monde alors. On assure ses vieux jours. Tu veux que je te dise, mon bras qui a tiré sur ce type, c'était le tien !
KARINE - C’est très bien ! Continue !
Un temps dans lequel Jeanne est comme sonnée.
JEANNE - Tu... n'es rien d'autre qu'un monstre ! Tu m'entends, un monstre !
JULIA - Si ça se trouve, c’était une ordure ce type chez lui. Le genre qui tapait sa femme et ses gosses.
JEANNE - Ca ne te donnait pas le droit de le tuer ! Tu es complètement folle ma pauvre fille !
JULIA - Désolée, je suis ton échec et tu partiras dans le trou avec.
JEANNE - Ce n'est pas possible, ce n'est pas toi qui parles. Pourquoi Julia ? Pourquoi?
JULIA - Pour faire connaissance. Je n’ai pas le choix...je n’ai pas le choix maman...
JEANNE - Tu crois que c'est en se disant des horreurs que nous allons faire connaissance ?
JULIA - Du fond de ma fosse j'ai l'impression de sentir ton regard. Un autre regard ...
JEANNE - Si tu n'avais pas traîné avec n'importe qui, tout ça ne serait jamais arrivé.
JULIA - Tu sais maman, quelque chose de dure entre les cuisses, c'est un grand programme, seulement faut avoir la bonne télécommande. Tu ne peux pas comprendre, t'es née en noir et blanc.
Elle la gifle.
JEANNE - Petite ... traînée !
JULIA - Même tes gifles ressemblent à ta vie ma pauvre maman. C'est mou, triste, sans vie, gris, t'es encore plus grise que les murs de cette prison. On dirait que tu me caresses quand tu me gifles.
Elles se défient du regard. Jeanne s'approche et lui envoie une véritable baffe qui l'envoie au sol.
JEANNE - Excuse-moi, mon bébé ! Je t'ai fait mal ? Je t'ai fait mal, dis ?
JULIA - Arrête de t'excuser, bordel ! C’est moi qui déconne et c'est toi qui t'excuses, mais jusqu'où tu vas aller comme ça ? Il faut que je fasse quoi pour que tu ne me trouves pas d'excuses ? Quoi pour que je te dégoûte ? Il faut quoi ? Quoi ?
Elle la gifle à nouveau de toutes ses forces.
JULIA - Voilà ! C'est bien, vas-y encore ! Encore ! Mais frappe bon dieu !
Jeanne lui tape dessus avec son sac à main dans un mouvement régulier
-Tu vois, quand tu veux, tu t'appliques. Il devait te faire violence aussi pour te sauter papa ?
JEANNE - Tais-toi !
JULIA - Il y a toujours une raison pour qu'un homme aille coucher ailleurs. Et la raison c'est qu'il n'avait pas ce qu'il voulait chez lui. Le pauvre type qui devait se branler à tout va parce que ça ne devait jamais être le bon moment. Ça a du y aller les maux de tête et les règles abondantes.
JEANNE - Tais-toi !
Jeanne s'arrête de frapper le temps de plonger son regard dans celui de sa fille
JULIA - Tu vois j'étais prédestinée. Je suis certaine qu'il devait te baiser en lisant les nouvelles, presque le journal en main et toi en paillasson pour amortir les chocs.
KARINE - Bravo ma belle...
Jeanne pose les mains autour du cou de Julia et commence à serrer
JEANNE - Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi !
JULIA - Je suis sûre d'avoir été éjaculée une fin de semaine, pas loin des faits divers.
JEANNE - Je t'en supplie tais-toi !
JULIA - Si ça se trouve, les caractères s'imprimaient sur la feuille de chou à chaque coup de reins qu'il te mettait. J'ai encore l'odeur de l'encre qui m'envahit les narines.
Jeanne sert de plus en plus fortement puis la gifle, encore et encore...
JEANNE - Mais tu vas te taire à la fin ! Tu vas te taire !
JULIA - Et bien voilà, on y arrive. Fini de cajoler la petite, jusqu'où faut il aller pour se faire comprendre ?
JEANNE - Arrête ! Arrête !
Comme si elle avait un début d'orgasme, Julia se met à gémir. Jeanne arrête aussitôt de la frapper.
JULIA - Ca aussi tu ne peux pas comprendre.
Jeanne relâche son emprise et s'écroule à côté de sa fille
JEANNE - Pourquoi...Pourquoi es-tu si méchante ?
JULIA - Il le faut. Je ne veux pas mourir ici maman, je ne veux pas mourir...
JEANNE - Mais tu ne mourras pas mon ange, je suis là, maman est là. Tu ne crains rien, je suis là...
Julia se met à pleurer. Jeanne se rapproche d'elle. Instinctivement, Julia se niche la tête dans les bras de sa mère qui la berce. Jeanne sort de dessous son vêtement la peluche du kangourou.
KARINE - Non Julia ! Non ! Ressaisis-toi ma beauté...non...
JULIA - Je ne suis plus une gosse. Je ne suis plus une gosse. Je ne suis plus une gosse...
JEANNE - Je sais ma chérie, je sais. Tu...Tu as besoin de quelque chose ? Qu'est- ce qui te ferait plaisir ?
KARINE - C’est ce que je disais, la tendresse, les souvenirs. Elle est forte...
Se ressaisissant, Julia redresse tout son corps
JULIA - Que tu rendes l'obscurité à mes souvenirs.
Un temps
JEANNE - ...Comme tu veux mon ange.
JULIA - Ne m'appelle pas mon ange.
JEANNE - D’accord.
JULIA - Il faut que tu partes maintenant.
JEANNE - Tu veux bien que je revienne demain ?
JULIA - Non ! Ni demain, ni après...
Jeanne reste immobile, d’abord observant sa fille, puis exsangue un bon moment avant de sortir. Julia s’écroule.
- Pardon maman ! Pardon ! Pardon...je t’aime...maman...
KARINE - Julia ! Relève-toi ! Allez...relève toi ma beauté.
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Lumière cellule Karine
Lumière chambre Julia.
Le rideau se lève. Dans le même temps se lève aussi celui qui sépare les deux cellules. Plus aucune cloison ne faisant obstacle les personnages pourront évoluer à leur guise. Karine pénètre dans la chambre. S'assied au bureau, ouvre la malle en bois, en sort les peluches et les prend toutes dans ses bras. Puis c'est au tour de la poupée "Laura" qu'elle berce avec beaucoup de délicatesse ou encore, le cerf volant qu'elle manipule avec joie. Elle finit par s'allonger sur le lit. Jeanne pénètre dans la chambre. Une bouteille à la main et le jeu de cartes dans l'autre.
KARINE - Tiens ! Mais qui voilà...La diseuse de bonne aventure et sa fidèle compagne.
JEANNE - Qui êtes-vous ?
KARINE - Karine toueris. Mi juive mi italienne. Le genre cocktail méditerranéen qui sort les griffes.
JEANNE - Qu'est-ce que vous faites dans la chambre de ma fille ?
KARINE - Je prends le relais.
JEANNE - Le relais ? Quel relais ?
KARINE - Je suis son amoureuse.
JEANNE - Amou...reuse ?
KARINE - Oui, son amoureuse, son garde du corps si vous préférez. Encore une cloison qui saute. On ne programme pas ses enfants madame.
JEANNE - Je vous interdis de vous approcher de ma fille. Vous m'entendez ?
KARINE - Tous les jours je m'approche d'elle madame. Tous les jours un peu plus même. Beaucoup de choses nous rapprochent maintenant, alors que tout vous sépare désormais.
JEANNE - Mêlez-vous de vos affaires.
KARINE - Ce sont mes affaires à partir d'aujourd'hui.
JEANNE - Vous n'avez pas le droit d'être dans cette chambre !
KARINE - J'ai l'autorisation de Julia.
JEANNE - Ce sont ses souvenirs, pas les vôtres.
KARINE - Pour vous ils vous sont bénéfiques ses souvenirs, pour elle ils sont la corde qu'elle se passera autour du cou.
JEANNE - Ma fille ne se passera aucune corde. Fichez le camp de cette chambre !
KARINE - Elle est en danger madame.
JEANNE - Taisez-vous ! Ne touchez pas à cette peluche !
KARINE - Elle est belle.
Elle se caresse la joue avec
- Elle est douce.
JEANNE - Remettez cette peluche où vous l'avez prise !
Elle saisit la poupée "Laura"
JEANNE - Ne touchez pas à cette poupée !
KARINE - Elle s'appelle Laura n'est ce pas ? Voyez, je suis au courant de tout. A la poupée Salut Laura !
Jeanne lui arrache la poupée des mains
- Et ça, c'est le cerf volant du cap Fréhel
JEANNE - Je vous interdis de toucher ce...
KARINE - Je vais vous expliquer quelque chose.
JEANNE - Je ne veux pas vous entendre.
Jeanne lui arrache le cerf volant des mains.
KARINE - Si vous avez autant d'amour que vous le prétendez pour Julia, vous devez m'écouter.
JEANNE - Fichez-moi le camp de cette chambre ! Vous n'avez pas le droit de lui voler ses souvenirs !
KARINE - Je ne lui vole pas, je les lui emprunte. Uniquement pour la protéger.
JEANNE - Occupez-vous des vôtres !
KARINE - Les miens ne me font pas souffrir.
JEANNE - Sortez de la chambre de ma fille !
KARINE - Il va falloir faire tomber le rideau une bonne fois pour toutes sur ce putain de passé parce que sinon, elle n'en sortira pas vivante.
JEANNE - Ne lui faites pas de mal.
KARINE - Ce n'est pas moi qui lui fais du mal. Il ne faut pas que Julia ait accès à ses souvenirs, madame. Il ne faut plus. Plus jamais.
JEANNE - Ca ne vous regarde pas ! Ce n'est pas votre vie.
KARINE - C'est un peu la mienne maintenant.
JEANNE - Julia ! Julia !
Jeanne tente de pénétrer dans la cellule de Julia via sa chambre, mais Karine la retient
KARINE - Il étouffe votre amour.
JEANNE - Qu'est ce que vous en savez vous de l'amour ?
KARINE - Je sais que c'est un truc qui finit toujours par faire mal. Pause Si vous l'aimez vraiment, ne venez plus.
JEANNE - Ce n'est pas possible. Je ne peux pas...je ne peux pas. C'est ma toute petite fille.
KARINE - Ici il n'y a plus de petite fille. On grandit vite dans ce genre d'endroit.
JEANNE - Ma petite fille restera toujours ma petite fille et elle aura toujours besoin de moi et je serai toujours là ! Les sentiments qu'éprouve une mère pour son enfant traversent les murs de toutes les prisons.
KARINE - C'est beau ce que vous venez de dire madame. C'est beau, mais ici c'est inutile. L'amour, les sentiments et tout le baratin de ce genre c'est dehors. Ici, c'est incompatible avec l'environnement. Parfois dire "je t'aime" c'est aussi dire adieu. Ne venez plus, madame. S'il vous plait.
JEANNE - Jamais je ne l'abandonnerai.
KARINE - Alors elle mourra. C'est ça que vous voulez ? Hein ? C'est ça ? Vous voulez apprendre qu'elle s'est foutue en l'air. Vous pouvez comprendre que chaque visite que vous lui donnez c'est comme si vous prépariez déjà la scène. Un souvenir avec papa à la plage = Un bout de la corde. Un souvenir avec la tata et c'est le nœud, encore un autre et c'est le tabouret, encore un et...faut plus venir madame. Plus jamais. Pause C'est moi qui la tiens en vie maintenant.
JEANNE - Julia, mon petit cœur. C'est vrai ce qu'elle dit, Julia ?
Julia ne répond pas et reste prostrée sur elle même dans son coin. Face contre mur. Jeanne s'agenouille et lui caresse lentement la tête.
- Ma chérie. Ma toute petite, parle-moi. Maman ne veut pas te faire du mal, tu le sais bien. Elle n'a jamais voulu te faire de mal. pause dis-moi, toi qu'il ne faut plus que je vienne te voir. Dis-le-moi mon amour...Je t'aime ma chérie, je t'aime.
KARINE - C'est faux ! C'est pas ça l'amour !
JEANNE - Julia...Julia mon cœur...
Elle tente de soulever Julia, mais n'y parvient pas.
KARINE - Mais Bon Dieu! Tu ne vois pas que j'essaie de la sauver ta gosse.
JEANNE - Vous ne voulez pas la sauver vous voulez vous l'accaparer comme une sale putain que vous êtes !
KARINE - Ne me parlez pas comme ça madame.
JEANNE - Julia, regarde-moi ! Regarde-moi ! Je...j'ai acheté le papier peint que tu voulais avant que... Viens, allez, lève-toi, je vais te le montrer.
JEANNE - Julia ! Ne m'abandonne pas ! Je t'en supplie mon cœur, ne m'abandonne pas ! Julia ! Julia ! Julia !
Jeanne s'écroule au sol et se met à pleurer.
KARINE - c'est bavard un souvenir n'est ce pas madame ?
JULIA - Quoi ?
KARINE - Je n'arrive pas à exprimer ce que je ressens mais j'ai mal pour toi mon ange.
JULIA - De quoi tu parles ?
KARINE - Pour être plus clair. Je suis certaine que tu t’es fait baiser ma chérie.
Long silence
JULIA - Qu'est ce que tu racontes ? Elle m'aime.
KARINE - Aimer n'empêche pas les souvenirs de vivre.
JULIA - C'est dur...Putain, c'est dur. C’est... ma maman...si au moins, j’étais sûre qu’il la prenne dans ses bras.
Elle vient s’allonger sur son lit. Elle explose en sanglots.
KARINE - Ne craque pas maintenant. C'est la seule façon de t'en sortir Julia. La seule...
JEANNE - Ne l’écoute pas mon ange.
JULIA - Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler mon ange.
JEANNE - Oui. Pardon. Comment veux tu que je t’appelle ?
JULIA - Vous m’avez donné un prénom à ma naissance.
Long silence
KARINE - Ca a du être un grand moment le choix de ton prénom, mon ange.
JULIA - Pourquoi tu ne dis plus rien ?
KARINE - C'est bavards les souvenirs.
JEANNE - Je...je...pensais.
KARINE - A quoi ? Demande le lui.
JULIA - Pourquoi faire ?
KARINE - Tu ne veux pas savoir ce que disent les cartes à ton sujet ?
JULIA - ...A quoi maman ?
JEANNE - ...A rien.
JULIA - Tu as tiré les cartes avant de venir ?
Jeanne acquiesce d'un léger signe de la tête.
KARINE - Menteuse ! Elle ment ! J’en suis sûr ! Vas-y ma Julia. Elle va craquer. Elle va craquer !
JULIA - Non ! Je ne veux pas lui faire de mal. J'en ai trop fait.
KARINE - On a la mère qu'on mérite.
JEANNE - Je n’ai rien à dire !
KARINE - Menteuse ! Une alcoolique cache toujours quelque chose. Les cartes n'ont pas encore parlé.
JEANNE - Taisez-vous !
JULIA - Maman ?
JEANNE -...ma chérie.
JULIA - Maman ?
JEANNE - Oui ?
JULIA - Tu me caches quelque chose ?
JEANNE - Non ! ...non !
KARINE - Tu parles ! Je commence à voir le vernis s’écailler.
JULIA - Maman !
Julia se rapproche de sa mère. Elle lui saisit les deux mains. Jeanne conserve la tête baissée.
JEANNE - C’est affreux... Je ne peux pas...
JULIA - Maman ! Qu’est ce que...dis moi.
Jeanne s’écroule. Julia se précipite pour l'aider à se relever.
KARINE - Ben voyons ! Ne craque pas Julia. Elle va te la faire à l’envers comme depuis toutes ces années ! Putain de merde ! Pourquoi il ne vient jamais ton père ? Hein ? Pourquoi ?
JEANNE - Taisez-vous !
KARINE - Pourquoi ?
JEANNE - Parce qu'il a mal !
KARINE - Ca fait longtemps qu'il a mal.
JULIA - Quoi ? Qu'est ce que ça veut dire ? C’est quoi ce merdier ?
JEANNE - Non !
KARINE - Ca pue son affaire.
JEANNE - Tu vois bien qu’elle essaie de te récupérer ! Ne l’écoute pas.
KARINE - Ne craque pas Julia. Je te dis qu’il y a anguille sous roche. Tu veux crever ici comme une conne ? C’est ça ?
JULIA - ...Maman ?
Jeanne est effondrée. Julia la secoue.
- Maman ! Parle ! Parle ! Je veux savoir ! Tu m’entends ? Je veux savoir !
Elle gifle sa mère.
- maman, si tu m’aimes, tu dois me dire ce que tu sais. C’est maintenant qu’il faut me le dire si tu veux que je m’en sorte. Qu'est-ce qu'y se passe avec papa ?
Long silence
KARINE - tu te sentiras mieux l’oie blanche.
JULIA - Ferme la !
JEANNE - J’ai essayé plusieurs fois...je t’assure. Je t’assure...c’était trop dur.
KARINE - La douleur se dilue dans les vapeurs. Et Julia dans tout ça ! Tu y as pensé à ta fille, la gentille ?
JEANNE - J’ai voulu la protéger. J’ai voulu te protéger ! Qu’est ce que cela aurait changé ?
KARINE - Elle ne serait sans doute pas ici !
JEANNE - Julia !
Julia refuse la main tendue de sa mère.
- Je ne sais pas pourquoi j'ai fait cela. Je ne sais pas...je ne sais pas ce qui m’a pris.
JULIA - Maman !
JEANNE - On a le droit à l'erreur, non ? Tu as fait une erreur toi aussi.
Julie encaisse le coup
JULIA - ...
KARINE - Elle veut t'embrouiller.
JULIA - Papa n'est pas...Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ?
KARINE - Ca s’appelle la honte ! La gentille épouse modèle qui se fait baiser par un mec de passage, ça ne fait pas beau dans le paysage.
JULIA - Ta gueule ! C’est quoi ce délire ?
JEANNE - Elle a raison...
JULIA - Quoi elle a raison ?
JEANNE - J’avais honte. Terriblement honte. Je n’osais même plus sortir...ton père... pensait que c’était la fatigue dû à la grossesse. Il était si gentil... Il faisait tout. Les courses, le ménage.
JULIA - Et quand il te giflait, il était gentil aussi !
JEANNE - Je buvais trop.
JULIA - Tu sais qu'une nuit, j'en avais tellement marre de l'entendre de taper que je suis allé dans la cuisine chercher un couteau.
KARINE - Moi j'ai l'impression que tu l'aimes plus qu'elle.
JULIA - C’est pour ça que tu t’es mise à boire ?
JEANNE - ...
JULIA - Il est où ? Le vrai. C’est qui ?
JEANNE - A quoi bon...
JULIA - Je te demande de me dire qui est mon père ! Qui était ce mec ?
JEANNE - ...Peu importe.
JULIA - Non ! Je veux savoir ! Il faisait quoi dans la vie ? Il était beau ? C’était un bon coup ?
JEANNE - ...Représentant de commerce.
JULIA - Il est où ?
JEANNE - Il n’est resté qu’une seule nuit.
KARINE - C’est du joli.
JULIA - Je t’ai dit de la fermer !
JULIA - Et il a su ?
JEANNE -Il s’en est douté...mais il n’a jamais rien dit.
JULIA - Et...il le sait qu’il n’est pas mon père ?
JEANNE - Il n’en a jamais parlé.
Julia regarde longuement sa mère.
JULIA - C’est pour ça qu’il a toujours été aussi dur avec moi. C’est moi qui devait payer.
JEANNE - Ne dis pas cela. Il t’a élevé. T’a aimé. T’aime encore...
JULIA - En me mettant des claques et en faisant des chèques. Encore heureux qu’il ne m’a pas violé.
JEANNE - Il a si mal de te savoir là. Toi aussi tu l'as aimé. Souviens toi, tu voulais toujours que ce soit lui qui vienne te border le soir et te raconter une histoire.
JULIA - Voilà pourquoi tu as tout accepté durant toutes ces années.
KARINE - Pas de quoi la ramener non plus !
Temps long.
JEANNE - ...Je n’ai pas toujours tout accepté.
KARINE - Ah ? Les carte se mettent à parler. Les masques vont encore tomber !
JULIA - Qu'est-ce que ça veut dire ?
JEANNE - ...je n’en pouvais plus de mentir à cet homme si bon. J’étouffais tellement dans ce mensonge...tellement. Je...je...
KARINE - Allez ! Ca te fera du bien. Crache le morceau.
JULIA - Maman ? Que s’est il passé ?
JEANNE - C’est affreux !
JULIA - Qu’est ce qui est affreux maman ? Dis le ! Dis le bordel !
Jeanne demeure un long moment bouche bée. Statufiée.
JEANNE - Je te demande pardon mon amour...pardon...pardon.
JULIA - Qu’est ce que tu veux que je te pardonne ? Hein ? Merde !
JEANNE - j’étouffais tellement...
JULIA - Maman ! Dis le merde ! Dis le !
JEANNE - C'était la nuit. Tu t'es mise à pleurer. Tu avais faim...Je t’ai prise dans mes bras pour te donner ton biberon. Tu étais si délicate, si belle...j’avais ta tête dans ma main...j’ai...
JULIA - Maman...
JEANNE - ...J’ai serré ton petit cou, ton cou si frêle...
JULIA - Non ! Non ! Non ! Noooonnn...
KARINE - La salope...
JEANNE - Je te demande pardon ! Pardon ! Pardon ! Pardon !
Elle tombe à genoux
JULIA - C’est lui qui voulait se débarrasser de moi et il t'a demandé de le faire.
JEANNE - Non !
JULIA - J'ai toujours été de trop dans votre petite vie.
JEANNE - Non mon ange...Ce sont ces mains que tu vois qui allaient te tuer.
JULIA - C’est monstrueux.
JEANNE - Je ne voyais plus ce que je faisais, je n'étais plus moi même. Il m’a saisit le poignet et t’a prise dans ses bras. Je n’ai même pas réagis.
JULIA - Ce n’est pas vrai ? Ce n’est pas possible ? Tu as voulu me tuer...
JEANNE - ...mon amour...
Julia s'approche de sa mère, lui saisit les mains qu'elle pose sur son cou. Jeanne baisse la tête, se laisse faire comme un pantin désarticulé.
JULIA - Tu serais capable de recommencer ?
JEANNE - Non...mon dieu, non.
JULIA - Regarde moi !
Poser ses yeux sur Julia est trop dur. Elle demeure tête baissée mais les mains sont toujours autour du cou de Julia.
KARINE -Aimer n'empêche pas les souvenirs d'être bavards.
JULIA -Je ne veux plus jamais te voir. Jamais ! Jamais !
Soudainement les mains de Jeanne se crispe sur le cou de Julia. ...de plus en plus fort. Julia se débat mais Jeanne ne lâche pas. Julia cesse de se débattre et s'abandonne, les bras ballants.
KARINE - Julia !
Karine intervient. Jeanne desserre tout doucement son emprise. Repousse Karine, prend doucement la tête de Julia et l'amène à son sein.
NOIR
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La cloison qui sépare les deux cellules est toujours ouverte. Seul le rideau qui sépare la chambre est en place.
Karine est allongée sur le lit, elle écoute la même musique que Julia au début. Karine rejouera seule la scène entre Julia et Jeanne du début de la pièce. Changeant sa voix quand elle fait parler Jeanne. Julia assiste à la scène.
KARINE/JEANNE - Bon anniversaire, ma chérie.
KARINE - Hum ?
KARINE/JEANNE - Ne me dis pas que tu as oublié jusqu'à ton propre anniversaire tout de même.
KARINE - Bah tu vois, si.
KARINE/JEANNE - Ton père a donné de l'argent pour que je t'achète ton cadeau. Qu'est-ce qui te ferait plaisir mon ange ?
KARINE - J'aurais préféré qu'il me l'offre lui-même
KARINE/JEANNE - Tu sais bien qu'il ne sait pas ce qui te plaît.
KARINE - Il devrait. Je suis sa fille.
KARINE/JEANNE - Tu crois qu'il n'a que ça à penser.
KARINE - N'empêche qu'il pourrait connaître mes goûts.
KARINE/JEANNE - Il les connaît, mais il est pudique. Il n'ose pas.
KARINE - C'est con la pudeur.
KARINE/JEANNE - Peut-être, mais il est comme ça, je ne vais pas le changer maintenant.
KARINE - C'est sûr ... on verra ça plus tard. Tu ne crois pas que les années scolaires durent assez longtemps pour qu'un père vienne chercher sa fille au moins une fois dans l'année.
Silence
KARINE - Maman ?
KARINE/JEANNE - Oui, mon ange ?
KARINE - Tu me prends dans tes bras.
Karine ouvre grand ses bras, qu'elle referme sur elle même.
- C'est ça alors...Ce que c'est chaud...ce que c'est bon...
Un temps assez long dans lequel Karine prend une grande respiration et lâche un profond soupir
- Ce que ça fait mal...Ca fait mal. Ca fait mal...Ca fait mal...
Elle va dans la chambre et pose sa main sur chaque objet. Puis, elle s’arrête sur le Kangourou qu’elle prend dans ses bras.
- Pourquoi tu me fais mal ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Elle tente de lui arracher les bras. C’est un vrai combat contre l’amour qu’elle dispute.
-Tiens ! Et là ? -
-Elle arrache un bras -
-Hein ? Et là ?
Elle arrache le second et s’écroule au sol, en larmes, tenant les bras arrachés dans ses mains.
-Pourquoi je t’ai rencontré petite conne ? Tu n’avais rien à faire ici. T’entends ? Rien ! Rien ! Rien ! Une fille comme toi ça reste dans sa chambre et ça attend que la vie passe, en douceur, sans bruit.
-
-Elle prend le corps ballant de la peluche qu’elle sert fortement contre sa poitrine.
-Il a fallu que tu viennes avec ton trop-plein d’amour qui débordait de partout. Comment voulais-tu que je ne veuille pas y goûter ? Merde ! On n’a pas le droit de mettre sous le nez des gens autant de bonheur. j’avais réussi à m’en passer de votre amour de merde. Je n’aurai jamais cru que ça brûlerait à ce point. C’est vrai, on en parle toujours comme quelque chose de doux, mais c’est tout sauf doux ce truc...Comme elle était belle ta boite à souvenirs ma Julia. Merci ma puce.
Julia retourne se coucher face contre le mur.
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NOIR
Lendemain matin. Toutes les cloisons sont retombées.
Lumière froide dans la cellule de Julia. La cellule de Karine ainsi que la chambre demeureront dans le noir jusqu'à la fin de la pièce.
Julia se met à genoux et dirige les quelques cafards vers un trou percé dans le mur mitoyen.
JULIA - Allez voir par là si j'y suis, allez ! Allez dire bonjour à tata Karine.
Elle colle l'oreille contre le mur. Silence.
- Karine ? Karine ? Eh ? Oh ? Tu dors ? Répond connasse.
Pas de réponse
- Bon d'accord ! Je ne le ferai plus. Je m'excuse. Tu vas pas me faire la gueule pour trois cafards ! Oh !
Elle frappe avec son pied contre le mur mitoyen
- Va te faire foutre tiens !
Silence
- Tu sais, pour ce que tu m'as dit hier, je suis partante. Tu
m'entends ?...Je te l'offre. Karine, tu réponds bordel !
Elle va vers la porte.
- Eh oh ! Gardien ! Maton ! Maton !
Le mirador s'ouvre
- Où est Karine ?
Pas de réponse
- Où est-elle ? Où est Karine ? Vous me répondez ou merde ! Karine ! Karine !
Le mirador se referme violemment
- Bande d'enculés !
Elle frappe contre la porte avec pour seul écho un lourd silence
A elle même - J'avais mis une culotte propre...Tu m'entends Karine ? J'avais mis une culotte propre...
Dans un profond silence, elle se laisse alors glisser le long de la porte.
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20 ANS PLUS TARD...
Julia apparaît seule sur la scène, elle porte dans ses bras un couffin.
JULIA émue, fière - Elle s'appelle Jeanne. C’est ma fille ! Elle vient de naître, elle est belle comme un cœur. Elle pèse 3 kg 450 ! Et elle mesure 10 cm de plus que la normale ! La normale, ce sont les autres bébés. Elle est la plus belle de toutes ! C'est la sage-femme qui l'a dit. C'est ma toute petite à moi. A moi toute seule. Ce que je suis heureuse, heureuse ! Je suis maman ! Je suis maman !
JEANNE - Mais non, ne dis pas de bêtise. Qu’est ce que tu vas encore inventer là mon bébé ?
JULIA - Puisque je te dis que je suis maman.
JEANNE - Julia. Tu ne peux pas être maman puisque, je suis, ta maman.
JULIA - Toi, tu es ma mère. Moi je suis maman.
JEANNE - Quel mal veux-tu encore nous faire ? Nous sommes fatigués ton père et moi.
JULIA - Maman...
JEANNE - Oui ma chérie ?
JULIA - Papa est mort il y a deux ans.
JEANNE - Ah...Deux ans, déjà. Comme le temps passe. Ca te ferait plaisir si je t’emmenais manger des crevettes à la vapeur ?
JULIA - Maman arrête s’il te plaît ! Je te dis que je suis mère moi aussi. Tu m’entends ? Je suis maman ! J’ai des responsabilités maintenant. Je n’ai pas le temps d’aller au restaurant avec toi. Il faut que je m’occupe de mon enfant.
JEANNE - Moi aussi il faut que je m’occupe de mon enfant. Moi aussi...moi aussi. Il n’y a pas que vous qui ayez un enfant. Et puis, pardonnez-moi, mais le vôtre à côté du mien. Faut la voir ma petite comment elle se débrouille. Elle compte déjà jusqu’à soixante, à 4 ans. Tout le monde ne peut pas en dire autant, n'est-ce pas ? Quelle heure est-il ? Mon dieu je vais être en retard pour sa sortie de classe. Au fait, je ne vous ai pas demandé. C’est un garçon ou une fille le vôtre ?
JULIA - ...une fille.
JEANNE - Moi aussi j’ai une fille. C’est bien les filles. Parfois un peu têtues, mais c’est bien les filles...
NOIR