Attention, paparazzi… Te

Dolorès Montero, la sublime actrice, a décidé de prendre un peu de repos dans un centre de remise en forme. Un paparazzi va se faire passer pour un curiste, bien décidé à voler quelques clichés. Pas si simple ! Une énergique femme médecin, voyant des maladies partout, va s’occuper de « son cas » : régime sévère et médication hasardeuse seront à l’origine de tous ses malheurs pour le bonheur des spectateurs ! Une séance de massage par un faux kiné, qui a usurpé la place du vrai pour retrouver l’amour de sa belle, va ajouter à ses épreuves, malgré toute la sollicitude de Stéphanie, l’assistante du docteur. Pour finir, il va faire les frais de la vengeance dune épouse exaspérée par les infidélités de son mari. Bref, c’est l’histoire d’une photo qui ne sera jamais prise. Du rire, encore du rire, rien que du rire tout au long de cette pièce au rythme soutenu. A ne pas rater !

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Acte I

 

Près du comptoir se trouve un couple (50-60 ans). Ils attendent la personne de l’accueil. Une jeune femme passe, en peignoir de bain. Le mari la déshabille du regard, mine de rien… Une autre passe à son tour : même manège…

Mme Bourguignon - Ne te gêne pas surtout… Fais comme si je n’étais pas là !

  1. Bourguignon - Hein, quoi ? De quoi parles-tu ?

Mme Bourguignon - Comme si tu ne le savais pas !

  1. Bourguignon - Je t’assure que je ne vois pas du tout de…

Mme Bourguignon - Arrête ça tout de suite !

  1. Bourguignon - Je veux bien mais qu’est-ce qu’il faut que j’arrête ?

Mme Bourguignon - Et en plus tu me prends pour une idiote ! Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer ton manège. Il faut dire que tu es très discret !

  1. Bourguignon - Mais enfin, bibiche, qu’est-ce que j’ai fait ?

Mme Bourguignon - Ah non ! Je t’en prie, tu sais très bien de quoi je parle ! Il suffit qu’une fille passe pour que tu la dévores des yeux.

  1. Bourguignon - Moi ?!

Mme Bourguignon - Oui, toi, pas le voisin.

  1. Bourguignon - Je regarde les filles ? Moi !

Mme Bourguignon - Non tu ne les regardes pas, tu les déshabilles du regard avec des yeux exorbités, en t’attardant comme par hasard sur leur hémisphère nord et leur hémisphère sud !

  1. Bourguignon - Quoi ?!

Mme Bourguignon - Il faut te faire un dessin ? Sur leur poitrine et leur derrière, puisqu’il faut te mettre les points sur les « i ».

  1. Bourguignon - N’importe quoi… Tu te fais tout un cinéma, ce n’est pas mon genre.

Une des deux jeunes femmes repasse par le hall. Il tourne la tête et la suit des yeux avec avidité.

Mme Bourguignon - Tu vois ! Tu ne peux pas t’en empêcher !

  1. Bourguignon - Hein ? Tu m’as parlé ?

Mme Bourguignon - Voilà que tu recommences !

  1. Bourguignon - Tu te montes la tête…

Arrive une femme en blouse blanche qui met un terme à la dispute.

Stéphanie - Excusez-moi de vous avoir fait attendre. Madame et monsieur Bourguignon ?

Mme Bourguignon - Oui, c’est ça.

  1. Bourguignon - Je suis Savoyard et je m’appelle Bourguignon ! Enfin, c’est toujours de la fondue… tant qu’on ne me traite pas de vieux croûton… Ah ! ah ! ah !

Stéphanie (s’efforçant de rire un peu) - Ah oui… Ah ! ah !…

Mme Bourguignon - Ne faites pas attention, il se croit très drôle.

Stéphanie (polie) - Oh ! mais, c’est très amusant…

  1. Bourguignon - Tu vois ! Tu ne sais plus rire…

Mme Bourguignon - Oh si ! Mais il faut dire que moi, ça fait trente ans que j’entends ça… alors excuse-moi !

Stéphanie (toussotant) - Bien, alors je me présente : je suis Stéphanie, l’assistante du docteur Rissel. Encore une fois, j’espère n’avoir pas trop tardé à vous accueillir…

Mme Bourguignon - Oh ! mais pas du tout voyons !

  1. Bourguignon - Ça nous a permis d’apprécier les lieux…

Mme Bourguignon - … et aussi quelques curistes, n’est-ce pas Robert ?

Stéphanie - Rassurez-vous, je n’ai pas pour habitude de ne pas être ponctuelle mais il s’agit d’un jour spécial… Comme tout le monde ici, à votre tour d’être dans la confidence : Dolorès Montero doit arriver aujourd’hui pour un petit séjour dans notre centre.

Mme Bourguignon - Dolorès Montero !

Stéphanie - En personne ! Vous vous rendez compte ? Quel honneur pour notre établissement et pour le docteur Rissel !

Mme Bourguignon - C’est mon actrice préférée, elle a un jeu extraordinaire.

  1. Bourguignon - Et le reste aussi…

Regard furibond de Mme Bourguignon.

Stéphanie - Je vous demanderai de modérer votre enthousiasme. Mlle Montero a bien précisé qu’elle venait ici incognito et pour se reposer. Elle n’apprécierait pas qu’on lui saute dessus pour lui demander un autographe, enfin ce genre de chose, vous voyez ?

Mme Bourguignon - Comme je la comprends ! Ces gens ont une vie tellement mouvementée ! Elle a besoin d’une pause… Nous aussi d’ailleurs. Soyez sans crainte, en ce qui nous concerne nous ne la dérangerons pas.

  1. Bourguignon - On la regardera seulement… mais discrètement.

Mme Bourguignon - Pour la regarder je te fais confiance, mais pour la discrétion, c’est une autre paire de manches !

Stéphanie (examinant des fiches) - Alors, voyons… Vous êtes ici pour la cure remise en forme.

Les deux filles passent ensemble : même manège de M. Bourguignon.

  1. Bourguignon - Je sens que ça marche déjà…

Regard furibond et coup de coude de sa femme.

Stéphanie (le nez dans ses fiches) - Beaucoup nous le disent. Il suffit de passer la porte et on se sent plein de bonnes résolutions. Je vais vous conduire à votre chambre. Vous verrez, elle est très agréable avec sa petite terrasse qui donne sur le parc. Si vous voulez bien me suivre… Ah ! au fait, le docteur Rissel vous recevra à dix-sept heures ! Son bureau est à gauche au bout du couloir.

Mme Bourguignon - Ah bon ! Il y a une visite médicale ?

Stéphanie - Non, non, le docteur va seulement faire un bilan avec vous sur vos éventuels soucis de santé et vos objectifs à atteindre, comme par exemple si vous souhaitez perdre un peu de poids, ou simplement vous relaxer, ou vous remettre un peu au sport…

  1. Bourguignon - Est-ce qu’on peut avoir un entretien individuel ?

Stéphanie - Euh… oui bien sûr, si vous le souhaitez.

Mme Bourguignon - Individuel ! Pourquoi ? Tu as des choses à me cacher ?

  1. Bourguignon - Mais pas du tout, qu’est-ce que tu vas encore imaginer !

Mme Bourguignon - Alors là c’est trop fort ! Tu ne me l’avais jamais faite celle-là !

Stéphanie - Ne le prenez pas mal madame, de nombreux couples préfèrent que ça se passe ainsi. Chacun a besoin de cultiver son jardin secret…

  1. Bourguignon - Tu vois !

Mme Bourguignon - Je ne vois rien du tout. Tu es à peine capable de tondre la pelouse, je ne vois vraiment pas pourquoi tu cultiverais ton jardin, d’autant plus s’il est secret ! On y va ensemble un point c’est tout ! Non mais…

  1. Bourguignon - Ne te fâche pas, bibiche, c’était juste pour dire…

Mme Bourguignon - Eh bien, tais-toi !

Stéphanie (elle toussote) - Si vous voulez venir vous installer…

Mme Bourguignon (péremptoire) - On vous suit.

Les deux filles reviennent et s’installent dans les chaises longues. M. Bourguignon traîne pour pouvoir les « reluquer » à son aise.

Mme Bourguignon - Et alors, tu viens, oui ?

  1. Bourguignon - Tout de suite, bibiche, tout de suite…

Ils sortent.

Sophie - Alors c’est pas une bonne idée ce séjour ?

Isabelle - J’avoue que si…

Sophie - Sauna, bains de boue, Jacuzzi… C’est fou ce que ça fait du bien !

Isabelle - Oui… Si ça pouvait me vider la tête, ce serait mieux.

Sophie - Oh non ! Ne me dis pas que tu penses encore à Jérôme !

Isabelle - On n’est là que depuis quatre jours.

Sophie - Il en reste six. Tu l’oublies, point barre !

Isabelle - Si tu crois que c’est facile…

Sophie - Après ce qu’il t’a fait, un peu que c’est facile ! Non mais je rêve !

Isabelle - Il m’a tellement suppliée de lui pardonner… Il faisait peine à voir…

Sophie - C’est ça oui… Avec ses grands yeux mouillés et sa truffe humide… Un peu plus il te donnait sa papatte pour avoir son susucre !

Isabelle - Tu exagères… Il était désespéré à l’idée de me perdre.

Sophie - Bien sûr ! Tu es l’amour de sa vie, c’est pour ça que tu l’as retrouvé au lit avec une autre !

Isabelle - Tais-toi !

Sophie - Dans votre petit nid d’amour…

Isabelle - Arrête !

Sophie - Bien au chaud sous votre couette !

Isabelle - Tais-toi, je te dis !

Sophie - Excuse-moi, mais c’est ça la réalité.

Isabelle - Il m’a juré qu’il ne s’était rien passé. Quand le moment de… enfin tu vois quoi… eh bien il n’a pas pu parce qu’il s’est rendu compte que c’était moi qu’il aimait, rien que moi.

Sophie - Alors qu’avant il ne savait pas trop, alors il s’est dit : « Tiens, je vais faire un test comparatif, des fois qu’Isabelle serait pas la bonne… » Rien que de plus normal, on voit ça tous les jours ! C’est un garçon méthodique ton Jérôme !

Isabelle - Tu as raison, c’est affreux ! Je ne veux plus le revoir de ma vie entière !

Sophie - J’espère bien ! D’autant que les beaux mecs, il y en a plein les rues. Tiens, rien qu’ici, tu as vu le prof d’aquagym ?

Isabelle - Il est pas mal…

Sophie - Pas mal ! Un mélange de George Clooney et de Schwarzenegger !

Isabelle - Justement, il est un peu trop musclé à mon goût…

Un homme entre avec son sac et se dirige vers l’accueil.

Sophie - Tiens, et lui ?

Isabelle - Là, c’est carrément pas assez…

Sophie - Ce que tu es compliquée ! Si on se faisait un petit massage ?

Isabelle - Tu n’es pas au courant ? Leur kiné s’est cassé le pied hier, ils attendent son remplaçant.

Sophie - J’espère qu’il est doué pour le « palper-rouler » !

Isabelle - Pourquoi « il » ? C’est peut-être une femme.

Sophie - Ce serait bien ma veine ! Bon, ben, on va aller se balader dans le parc et après on ira au cours de fitness.

Isabelle - Oui, d’accord…

Elles sortent. L’homme pose son sac, prend son portable et appelle.

  1. Verdier - Allô ! Max ? C’est moi. J’y suis… Tu es sûr de ton tuyau, au moins ?… évidemment que j’ai le matos… ça va le faire, j’te dis, t’inquiète. Je vais te faire the photo of the siècle ! On m’appelle pas Pierrot la mitraille pour rien !… T’inquiète, je te dis. J’ai même pas besoin de mettre le flash, il y a une super luminosité… C’est ça… Allez, à plus…

La secrétaire médicale revient.

Stéphanie - Bonjour. Monsieur… ?

  1. Verdier - … Verdier, Pierre Verdier.

Stéphanie - Bien. Alors, votre petite fiche… Voilà. Excusez-moi de vous avoir fait attendre. C’est une journée un peu spéciale. Comme je le dis à tous nos clients, nous avons le privilège de recevoir bientôt dans nos murs… Dolorès Montero !

  1. Verdier - Non !

Stéphanie - Si, comme je vous le dis !

  1. Verdier - Elle ? Ici !

Stéphanie - C’est un établissement haut de gamme.

  1. Verdier - Bien sûr mais…

Stéphanie - Je comprends, nous recevons monsieur et madame Tout-le-Monde mais justement, personne ne viendra la chercher ici. C’est qu’elle est traquée par les journalistes, vous savez. Enfin, quand je dis journalistes… des journaleux, oui ! Sans scrupules, avides d’argent, prêts à tout pour avoir une photo d’elle en peignoir ou pendant une séance de massage, allez savoir.

  1. Verdier - Vous parlez des fameux paparazzi…

Stéphanie - Paparazzi ! Des parasites, vous voulez dire ! Des individus sournois qui guettent leurs proies, prennent des photos à leur insu et les vendent à prix d’or à des magazines d’un voyeurisme révoltant.

  1. Verdier - Qui eux-mêmes se vendent comme des petits pains. Quand il y a la demande, il y a la production.

Stéphanie - On la provoque, la demande. En flattant les plus bas instincts des gens, c’est facile.

  1. Verdier - Peut-être mais… efficace et rentable !

Stéphanie - Et ces pauvres vedettes qui n’ont droit à aucune vie privée…

  1. Verdier - Allons… ce n’est pas si terrible d’être célèbre. Et puis la plupart d’entre elles le veulent bien.

Stéphanie - Oh ! ça m’étonnerait !

  1. Verdier - Quand on veut passer inaperçu, on ne va pas à Saint-Trop’ au mois d’août pour ensuite crier au scandale parce qu’on vous a pris en photo.

Stéphanie - C’est un peu vrai…

  1. Verdier - Sans compter que pour certains, ça relance leur carrière. Quant aux autres, ils font un procès et ils gagnent du fric facilement.

Stéphanie - Ce n’est pas faux…

  1. Verdier - Croyez-moi : si on se retrouve dans la presse people, c’est qu’on le veut bien. Il y en a qu’on n’y verra jamais.

Stéphanie - D’accord mais, prenons le cas de Dolorès Montero par exemple. Elle est ici pour se relaxer et n’a vraiment pas envie qu’on vienne la traquer alors qu’elle prend un peu de repos. Vous avez beau dire mais, des gens qui ne pensent qu’à faire de l’argent sur le dos des autres, moi ça me révolte, pas vous ?

  1. Verdier - Oh si ! Personnellement je trouve ça honteux.

Stéphanie - Nous sommes peu nombreux à le penser, hélas …

  1. Verdier - Ah ! la nature humaine… il y aurait beaucoup à dire…

Stéphanie - Oh oui ! (Un jeune homme arrive.) Bonjour monsieur.

Jérôme - Bonjour, je viens remplacer M. Servet.

Stéphanie - Ah ! enfin ! Vous ne pouvez pas savoir comme je suis soulagée. Monsieur Verdier, je vous présente notre nouveau kinésithérapeute, monsieur… ?

Jérôme - Appelez-moi Jérôme… entre collègues…

Stéphanie - D’accord Jérôme. Vous êtes passé au service du personnel ?

Jérôme - Euh… oui, oui, bien sûr, tout est réglé.

Stéphanie - Très bien. Oh ! monsieur Verdier, je vous oubliais ! Je vais vous montrer votre chambre.

  1. Verdier - Dites-moi simplement le numéro, je trouverai.

Stéphanie - ça ne vous ennuie pas ?

  1. Verdier - Absolument pas, vous êtes très occupée, si ça peut vous décharger un peu…

Stéphanie - J’avoue que ça m’arrangerait. Merci beaucoup, c’est très gentil.

  1. Verdier - C’est normal.

Stéphanie - Vous êtes au 46. Vous verrez, la chambre est très agréable avec sa petite terrasse qui donne sur le parc. Voici votre clé. (Il commence à partir.) Oh ! j’oubliais : le docteur Rissel vous recevra d’ici une demi-heure. Son bureau est à gauche au bout du couloir.

Il ne répond pas et s’en va.

Stéphanie - Bon, à nous deux, Jérôme. Votre local est ici. (Ils vont dans la salle de massage.) Tout est là : les serviettes, les crèmes et les différents appareils.

Jérôme - C’est très bien équipé.

Stéphanie - M. Servet était très pointilleux à ce sujet. Oh ! je dis « était » comme s’il était mort !! (Elle rit.) Ce n’est tout de même pas le cas !

Jérôme - Heureusement ! Un pied, ce n’est pas bien grave…

Stéphanie - Se le faire écrabouiller par une moto, ça doit faire très mal !

Jérôme - Sur le coup, parce que, après, une fois dans le plâtre…

Stéphanie - Tout de même… Il a dû chanter la tyrolienne en breton, moi je vous le dis ! Enfin, ce sont des choses qui arrivent.

Jérôme - Surtout lorsqu’on laisse traîner ses pieds un peu partout.

Stéphanie - Vous êtes là, c’est le principal. Sans kiné, c’était impossible.

Jérôme - Pour les clients, c’est sûr.

Stéphanie - Pour eux mais surtout pour… Dolorès Montero ! Oui, vous avez bien entendu, elle arrive aujourd’hui et aura un grand besoin de vos services.

Jérôme - Do… Do… Dolorès Montero ?!

Stéphanie - Avouez qu’il y a pire comme cliente, non ?

Jérôme - Et… il faudra que je la masse ?!

Stéphanie (riant) - Évidemment ! Vous êtes là pour ça, non ?

Jérôme (fébrile, il tourne dans le local) - Oh là là ! Oh là là !!!

Stéphanie - Eh bien, dites donc, ça vous fait de l’effet, on dirait ! (Le téléphone sonne.) Excusez-moi… (Elle va décrocher.) Allô… Oui… Oui… Non, ce n’est plus la peine. Nous avons un remplaçant… Il est arrivé, oui… Je ne sais pas mais tout est réglé, c’est le principal… C’est ça, au revoir. (Elle raccroche et rejoint Jérôme.) Vous êtes passé par l’agence d’intérim ?

Jérôme - Hein ? Euh… oui… oui…

Stéphanie - Ah bon… C’est eux que j’ai eus au téléphone. Ils voulaient envoyer quelqu’un, je leur ai dit que vous étiez déjà là, ils avaient l’air très surpris.

Jérôme - Ah ! mais ça, c’est tout eux ! Question organisation, ils sont nuls…

Stéphanie - Et on s’étonne que tout marche mal ! Alors, ça y est, vous vous sentez chez vous ?

Jérôme - Tout à fait. C’est bien, très bien…

Stéphanie - Votre chambre est au rez-de-chaussée, à côté de celle de M. Servet. Allez donc y ranger vos affaires.

Jérôme (il attrape son sac) - Ah oui ! Bien sûr… Merci. À tout à l’heure.

Stéphanie - Je vais avertir le docteur Rissel de votre arrivée. (Elle sort.)

  1. Verdier vient de sa chambre. Comme il est seul, il en profite pour « tester » son attirail. Sous le peignoir, autour du cou, il a un appareil photo qui pend assez bas pour qu’on ne le voie pas dans l’échancrure. Dans sa manche, fixé par un élastique, un appareil numérique. Il teste, secoue la manche, l’appareil tombe dans sa main, clic clac, il lève le bras, l’appareil disparaît. Il va dans le local de massage pour voir où il pourrait bien se cacher, ressort, cherche le bon angle pour viser par où arrivera Dolorès Montero.

Stéphanie et le docteur arrivent.

Stéphanie - Pourtant, je suis certaine de lui avoir dit… Ah ! le voilà, c’est lui ! Monsieur Verdier !

  1. Verdier - Oui ?

Stéphanie - Vous avez oublié le docteur Rissel.

  1. Verdier - Je ne l’ai pas oublié, je n’ai pas besoin de passer une visite, c’est tout.

Dr Rissel - En général, quand on dit ça, c’est que justement on en a besoin.

  1. Verdier - Qu’est-ce que vous en savez, vous ?

Dr Rissel (elle tend la main) - Je suis le docteur Rissel.

  1. Verdier - Excusez-moi, je ne pouvais pas deviner…

« Shake-hand » musclé du docteur.

Dr Rissel - Vous avez les mains moites.

  1. Verdier - Ah bon ?

Dr Rissel - Oui, et ce n’est pas très bon signe.

  1. Verdier - Comment ça ?

Dr Rissel - C’est un symptôme qui traduit une sudation excessive due à l’engorgement de vos glandes sudoripares parce que enveloppées par une masse graisseuse et adipeuse qui les comprime, ce qui entraîne forcément leur hypersécrétion, incontrôlable et malfaisante à plus d’un titre puisque participant à l’auto-ventilation de vos organes, à la dilatation des pores de votre peau, d’où points noirs, boutons et autres désagréments. (Pendant ce discours, elle le palpe sous les bras, lui triture les joues et le nez, etc.)

  1. Verdier - ça alors ! C’est grave ?

Dr Rissel - Oui et non… Comment vous dire… Si tout cela se conjugue avec une faiblesse hépatique que je crois sous-jacente. (Elle touche tout.) Blanc des yeux un peu jaunâtre, couperose qui ne demande qu’à exploser, vésicule biliaire douloureuse…

  1. Verdier - Mais non, mon foie ne me fait pas mal !

Dr Rissel - Vraiment ? Vous m’étonnez…

  1. Verdier - Je vous assure, docteur, que… (Elle enfonce le doigt au niveau du foie.) Aïe !!!

Dr Rissel - Vous voyez ! Qu’est-ce que je disais ? Vous n’allez pas m’apprendre mon métier, tout de même !

  1. Verdier - Vous m’avez explosé la vésicule !

Dr Rissel (à Stéphanie) - Ah ! cette propension qu’ont certaines personnes à se déclarer saines alors qu’elles sont rongées par la vermine… et d’autres à se croire au seuil du trépas alors qu’elles tiennent une forme olympique ! Inutile de vous dire, cher monsieur, que vous vous classez dans la première catégorie !

  1. Verdier - Si vous le dites…

Dr Rissel (à Stéphanie) - Bon. Vous notez : pour M. Verdier, régime strict, alcool banni, douches froides, bains de boue brûlants et massages obligatoires. Je referai un petit bilan dans quarante-huit heures et ce coup-ci, ne me faites pas faux bond ! Stéphanie, accompagnez M. Verdier aux bains de boue.

  1. Verdier - Ah non ! Pas tout de suite !

Dr Rissel - Votre cas est suffisamment sérieux pour qu’on passe directement à l’attaque. Allez, allez, pas de pleurnicheries de gamin capricieux ! Vous me remercierez un jour d’avoir su prendre les bonnes décisions au bon moment.

Stéphanie - Suivez-moi, monsieur Verdier. Vous verrez, ce n’est pas désagréable du tout.

  1. Verdier (pensant à ses appareils photos) - Il faut que je passe d’abord dans ma chambre, j’ai des choses à y poser.

Stéphanie (elle voit qu’il n’a que son peignoir sur le dos) - Ah bon ?

  1. Verdier - Oui… enfin… à y ranger… à y faire, quoi !

Dr Rissel - Un problème d’énurésie, peut-être ?

  1. Verdier - Comment ?

Dr Rissel - Oui, une miction incontrôlée, une émission irrépressible et inconsciente d’urine, si vous préférez.

  1. Verdier - Mais non !

Dr Rissel - Alors, une constipation récurrente ?

  1. Verdier - Pas du tout !

Dr Rissel - Ou au contraire, des coliques subites. Ou pire, des coliques sèches.

  1. Verdier - Des coliques sèches ! Ça existe, ça ?!

Dr Rissel - Parfaitement. Celles qui vous broient les intestins à vous faire hurler et qui finalement n’aboutissent qu’à une flatulence de nouveau-né.

  1. Verdier - Je vous assure que je n’ai rien de tout ça !

Dr Rissel - Je préfère ne pas prendre de risques. Stéphanie, ajoutez sur la fiche de M. Verdier : Microlax pour la constipation, Smecta pour les coliques et Gardenal pour le pipi au lit. Bon, eh bien, je crois que j’en ai fait le tour. Bon séjour, monsieur Verdier !

  1. Verdier - Ben ça alors…

Stéphanie - Venez, monsieur Verdier, je vous accompagne.

  1. Verdier - Je veux d’abord aller dans ma chambre…

Stéphanie (maternelle) - Mais oui… Là… Doucement… Ça va aller. (Ils sortent.)

Le docteur passe derrière le comptoir, consulte quelques fiches. M. Bourguignon arrive.

  1. Bourguignon - Pardon madame, la personne de l’accueil n’est pas là ?

Dr Rissel - Elle accompagne un patient aux bains de boue. Je peux vous renseigner ?

  1. Bourguignon - C’est-à-dire que… j’avais émis le souhait de rencontrer le docteur Rissel seul à seul. Je suis ici avec ma femme et le docteur doit nous recevoir vers dix-sept heures mais j’aurais bien aimé lui parler sans la présence de mon épouse et votre collègue m’avait dit que c’était possible.

Dr Rissel - Bien entendu.

  1. Bourguignon - Mon épouse se relaxe au sauna, alors j’ai quelques instants de libre. Pouvez-vous aller demander au docteur s’il peut me recevoir ?

Dr Rissel - Pourquoi ? Vous avez un problème de santé en particulier ?

  1. Bourguignon - Non… juste quelques petits soucis de mon âge.

Dr Rissel - Vous avez de la chance, j’ai quelques minutes à vous accorder.

  1. Bourguignon - Vous ne m’avez pas compris, c’est le docteur que je veux voir.

Dr Rissel - ça tombe bien, le docteur, c’est moi !

  1. Bourguignon - Vous êtes le docteur Rissel ?

Dr Rissel - Docteur Eva Rissel, oui.

  1. Bourguignon - Mais, vous êtes… une femme…

Dr Rissel - Je suis au courant. Je le sais depuis ma naissance.

  1. Bourguignon - Ce n’est pas ce que je voulais dire… C’est juste que je pensais que le docteur était un homme.

Dr Rissel - Et alors ? Qu’est-ce que ça change ?

  1. Bourguignon - ça change tout !

Dr Rissel - Ne me dites pas que vous faites partie de cette minorité – Dieu merci – de machos à la cervelle réduite et à l’intelligence proche du zéro absolu qui estime que certains métiers sont incompatibles avec le fait d’être du sexe féminin ?

  1. Bourguignon - Absolument pas ! Au contraire ! Ce n’est pas ça…

Dr Rissel - Je vois. Alors, c’est un problème purement physique. Vous n’osez pas me montrer à moi, une femme, vos scrofules, vos plaies ulcéreuses ou variqueuses, ou vos hémorroïdes. Il ne faut pas avoir honte, j’ai l’habitude de voir toutes sortes de sanies et autres escarres.

  1. Bourguignon - Je n’ai rien de tout ça, je vous assure.

Dr Rissel - Vous vous défendez de façon bien vigoureuse pour que ça ne soit pas vrai… Allons, pas de manières, le local de massage est vide, venez me montrer ça !

  1. Bourguignon - Je vous assure que vous faites fausse route !

Dr Rissel - Mmm… admettons… mais j’en doute. Voyons, vous parliez de petits soucis liés à votre âge, c’est ça ?

  1. Bourguignon - Moi ? Je ne me rappelle pas…

Dr Rissel - Je vois, c’est physiologique : vos dents se déchaussent.

  1. Bourguignon - Pas du tout !

Dr Rissel - Vous avez des remontées du bol alimentaire, symptôme caractéristique d’une hernie hiatale.

  1. Bourguignon - Mais non !

Dr Rissel - Si c’est parce que vous perdez vos cheveux et que des taches brunes apparaissent sur votre peau, pas d’affolement, c’est normal aux environs de la soixantaine.

  1. Bourguignon (examinant ses mains) - ça alors ! Je n’avais pas remarqué… C’est affreux !

Dr Rissel - Allons, allons, remettez-vous ! Vous n’êtes pas unique, tout le monde y a droit. Alors, pas de panique, il existe des produits dermatologiques qui les éclaircissent ou alors on peut essayer le laser… Sinon, pour le reste, tout va bien ?

  1. Bourguignon (relevant le nez de ses mains) - Hein ? Quoi ?

Dr Rissel - Le reste… (Petit clin d’oeil.) Vous voyez ce que je veux dire… On a peut-être des petits problèmes de ce côté-là ?

  1. Bourguignon - Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler.

Dr Rissel - Ah ! on dirait que j’ai touché un point sensible, si je peux dire !

  1. Bourguignon - Tout fonctionne à merveille, d’ailleurs je ne comprends pas vos allusions. (Il part.) Et surtout pas un mot à ma femme… (Il disparaît.)

Dr Rissel (pour elle-même) - Ta femme, mon bonhomme, c’est la première à être au courant !

Jérôme arrive et se dirige vers son local.

Jérôme - Bonjour.

Dr Rissel - C’est vous le remplaçant de Servet ?

Jérôme - Oui.

Dr Rissel - Je suis le docteur Rissel.

Jérôme (tendant la main) - Enchanté. (Il se secoue discrètement la main car la poigne du docteur lui a broyé les doigts.)

Dr Rissel - Eh bien, mon garçon, avec vous, on risque d’avoir des soucis…

Jérôme - Pourquoi ?

Dr Rissel - Servet a une tête de bouledogue mais vous, vous êtes plutôt beau gosse.

Jérôme - Merci…

Dr Rissel - Ce n’est pas un compliment. Je constate, c’est tout. Alors que ce soit bien clair : je ne veux aucune histoire sentimentale avec nos clientes. Vous n’êtes pas ici pour faire des conquêtes et si toutefois c’est vous qui étiez l’objet de la convoitise de l’une d’entre elles, je vous conseille vivement de ne pas répondre à ses avances. Est-ce que je me suis suffisamment fait comprendre ?

Jérôme - Tout à fait… Soyez sans crainte, docteur, je respecterai l’éthique de la profession.

Dr Rissel - Je le souhaite pour vous. Soyez professionnel et seulement cela. Au fait, ça vaut aussi pour les hommes !

Jérôme - Alors là, il n’y a pas de risques, je peux vous l’assurer !

Dr Rissel - Tant mieux, ça divisera le problème par deux.

Jérôme va vers son local. Mme Bourguignon arrive, elle regarde autour d’elle comme si elle cherchait quelqu’un.

Dr Rissel - Vous cherchez quelqu’un ?

Mme Bourguignon - Je ne trouve pas mon mari. On devait se rejoindre dans la chambre mais il n’y est pas.

Dr Rissel - On n’a encore jamais perdu personne, vous le retrouverez certainement.

Mme Bourguignon - C’est que l’heure avance et on a rendez-vous avec le docteur.

Dr Rissel - Vous l’avez devant vous : docteur Eva Rissel.

Mme Bourguignon - Oh ! que je suis contente de pouvoir vous parler seule à seule ! Figurez-vous que mon mari a l’intention de venir vous consulter. Il ne faudra pas l’écouter ni lui donner ce qu’il vous demandera.

Dr Rissel - Je n’ai pas pour habitude de recevoir des ordres, madame… ?

Mme Bourguignon - Mme Bourguignon.

Dr Rissel - Et physiquement, il est comment, ce mari ?

Mme Bourguignon - Assez grand, un peu chauve, avec une barbe.

Dr Rissel - Je vois…

Mme Bourguignon - Toute sa vie il a été intenable, si vous voyez ce que je veux dire… Alors, maintenant qu’il a moins les moyens, j’aimerais bien qu’on lui donne pas de quoi les retrouver… vous comprenez ?

Dr Rissel - Madame Bourguignon, je vous attendrai tous les deux dans mon bureau à dix-sept heures, comme prévu. Pour le reste, sachez que je n’entre pas dans ce genre de considérations. Si vous voulez bien m’excuser… (Elle part.)

Mme Bourguignon (pour elle-même) - Et la solidarité féminine, alors ?

Sophie et Isabelle arrivent, suivies par un garçon. Rires. Mme Bourguignon repart vers les chambres. Jérôme regarde par la petite fenêtre.

Jérôme - C’est elle !!! Mon Isabelle !

Tony - Alors le mec se retourne et lui dit : « Et encore, tu connais pas ma femme ! »

Sophie - Ah ! ah ! ah ! C’est la meilleure !

Tony - Elle est bonne, hein ?

Sophie - Vous en avez d’autres comme ça ?

Tony - Eh, on se tutoie ! C’est plus sympa.

Sophie - Si tu veux.

Tony (à Isabelle) - ça n’a pas l’air de te faire rire ?

Isabelle - Si, si… C’était très drôle…

Sophie - Laisse. Mademoiselle vit un grand chagrin d’amour !

Isabelle - Je t’en prie…

Sophie - Mademoiselle se languit, mademoiselle se désespère, mademoiselle se meurt !

Isabelle - Sophie !

Sophie - Et tout ça pour un pauvre mec qu’elle a retrouvé à poil avec une fille dans la même tenue.

Isabelle - ça ne regarde personne !

Sophie - Et qui en plus a voulu lui faire avaler une couleuvre comme quoi il ne s’était rien passé !

Jérôme - Quel poison !

Tony - Il faut être culotté !

Sophie - Justement ! Il ne l’était pas ! (Elle rit.)

Isabelle - Et tu prétends être mon amie ?

Sophie - Mais je le suis, grosse gourde ! J’en ai assez de te voir te morfondre pour ce Jérôme de malheur, alors j’essaie les électrochocs !

Tony - Elle a raison. Ce garçon ne mérite pas que tu te mettes dans un tel état. Des mecs sympa et gentils, y en a plein ! Tiens, regarde, moi, je suis extra ! Je t’assure ! Et avec ça, pas mal bâti, non ? (Il entrouvre le peignoir pour dégager son torse, prend des poses, marche à la Aldo Maccione. Les filles rient aux éclats. À Isabelle.) Eh ben, tu vois que tu peux rire ! Allez, sèche ces jolis yeux et installe-toi ! (Elle se met sur une chaise longue, lui à côté et il tapote sur la troisième chaise. À Sophie.) Viens par ici, toi… Ah ! c’est pas la belle vie, ça ? Une blonde à ma droite, une brune à ma gauche, mon rêve !

Pendant ce temps, dans son local, Jérôme est furieux.

Jérôme - Pour qui il se prend, celui-là ! Bouffon ! Pauvre type ! C’est ça, bavez d’admiration pendant que vous y êtes ! Non mais, j’hallucine !

Sophie - T’es trop, toi !

Tony - Oui, c’est vrai. Je me demande comment vous avez fait pour vivre sans moi, les filles ! (Il rit.)

Isabelle - Elle a raison, tu sais.

Tony - Pas de problème, je vous lâche plus ! Vous avez demandé Tony ? Tony est là ! Rien que pour vous !

Jérôme - Tony ! Tu parles ! Il s’appelle Antoine, un point c’est tout !

Isabelle - Et si l’une de nous te voulait pour elle toute seule ?

Jérôme - C’est pas possible ! Pas Isabelle ! Pas elle !

Sophie - Eh, dis donc, je trouve que tu te remets un peu vite, toi ! Et puis d’abord, je suis sûre que Tony préfère les brunes, pas vrai ?

Tony - Les brunes, les blondes, les rousses… J’aime toutes les filles ! Je suis un cannibale ! Ouah !!!

Il fait mine de se jeter sur chacune d’elles mais s’arrête car Pierre Verdier arrive. Son visage, ses mains et son cou sont rouge vif.

Tony - Ben mon pauvre vieux !… Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

  1. Verdier - J’ai pris un bain de boue chaude.

Tony - Elle devait être brûlante, vous êtes tout cramé !

  1. Verdier - C’est pas ça… Il paraît que je fais une allergie à la boue.

Sophie - J’en ai déjà pris, ça ne m’a rien fait !

Isabelle - À moi non plus.

Tony - Et… ça vous cuit ou ça vous démange ?

  1. Verdier - Un peu les deux !

Sophie - Eh ben… c’est pas de chance.

Isabelle - On vient ici pour se sentir mieux, pas pour être pire…

  1. Verdier - Il paraît que je suis leur premier cas. Normalement, demain ça devrait s’améliorer.

Stéphanie arrive, affairée.

Stéphanie - Elle est là ! Elle vient d’arriver !

Tony - Qui ça ?

Stéphanie - Mais Dolorès Montero, voyons ! N’encombrez pas l’espace, taisez-vous, ne bougez plus et surtout, n’ayez l’air de rien !

Tony - On a le droit de respirer, quand-même !

Stéphanie - Oui, mais alors discrètement. Oh ! mon Dieu ! Il faut vite que j’aille chercher le docteur Rissel. (Elle part dans un sens.) Mais que je suis bête, son bureau est de l’autre côté !

Elle sort au moment où arrivent Mme et M. Bourguignon.

  1. Bourguignon - Qu’est-ce qui se passe ?

Sophie - C’est Dolorès Montero qui arrive !

Pendant ce temps, Pierre Verdier essaie de voir par-dessus les têtes des autres. La sienne dépasse, on voit qu’il teste son appareil le plus discrètement possible.

Mme Bourguignon - Et moi qui suis mal coiffée ! (Aux autres.) C’est que je reviens de l’aquagym et il faut mettre un bonnet. (Elle trifouille ses cheveux.) Je dois être toute plate !

  1. Bourguignon - On s’en moque de tes cheveux ! Arrête de gesticuler, tu me bouches la vue !

Sophie - Je me demande si elle est aussi bien en vrai…

Isabelle - Sans maquillage, ça doit changer.

Tony - De toute façon, elle est bien foutue, ça c’est sûr !

  1. Bourguignon - Elle a une plastique irréprochable !

Mme Bourguignon - Plastique, c’est le mot ! Tu parles, elle en a plein les seins et plein les fesses !

  1. Bourguignon - N’importe quoi…

Mme Bourguignon - Qu’est-ce que tu crois ! Je l’ai lu dans « Voilà ».

Stéphanie et le docteur arrivent à l’instant où surgit Dolorès Montero accompagnée d’un jeune homme qui tient un calepin et un stylo et la suit à chacun de ses pas. Elle est habillée de façon extravagante avec un grand chapeau et d’immenses lunettes noires très originales. Bref, impossible qu’elle passe inaperçue. Les autres sont figés et muets.

Dr Rissel - Madame Montero, je suis le docteur Rissel et je vous souhaite la bienvenue au nom de toute mon équipe. J’espère que vous trouverez le repos et le bien-être que vous recherchez dans notre établissement.

Dolorès Montero - Madémoiselle !

Dr Rissel - Appelez-moi docteur, je préfère…

Dolorès Montero - Yé parlais dé moi ! Madémoiselle Montero, pas madame !

Dr Rissel - Ah bon…

Dolorès Montero - Yé souffisamment donné dans lé mariage ! Cinq fois m’ont souffit !

Dr Rissel - C’est sûr… cinq échecs, ça refroidit.

Dolorès Montero - Cé n’est pas ça. C’est qu’on né sait plous quoi choisir sour la liste dé mariage ! Ha ! ha ! (Elle rit bruyamment à son bon mot. Rires contraints de Stéphanie et du docteur. Elle appelle son secrétaire.) Pedro ! Note cé bon mot avec les autres. Ma, où il est céloui-là ? Pedro !!!

Pedro - Ici, mademoiselle…

Dolorès Montero (elle tourne la tête dans tous les sens mais à chaque fois son chapeau lui cache la vue) - Ma, où ça ?

Pedro essaie vainement de se mettre en face d’elle.

Pedro - Là, derrière vous… euh… devant… euh…

Dolorès Montero - Ma quel crétino ! Ah ! té voilà ! Alors, tou notes ?

Pedro - Bien sûr, mademoiselle, tout de suite…

Dolorès Montero (regardant les curistes) - Ma qui sont ces gens ? Y’avais dit qué yé voulais dé la discrétion ! Yé souis ici incognito !

Stéphanie - Tranquillisez-vous, mademoiselle Montero, ils ne vous ennuieront pas. Ils avaient simplement hâte de voir leur idole, vous comprenez ?

Dolorès Montero - Oui, yé peux lé comprendre. Yé sais mé mettre au niveau dou poublic. Yé souis restée très simple malgré mon talent et ma réoussite. Pedro ! Distriboue mes photos dédicacées à ces gens. On dit qué yé mé souis fait faire oun lifting, c’est faux ! En fait, yé mé souis simplement fait tirer lé portrait ! Ha ! ha ! ha ! Pedro ! Note cé bon mot tout dé souite ! (Elle tape du pied.)

Pedro (qui commençait à distribuer les photos) - Je note, mademoiselle, je note… (Il écrit à la hâte en tenant les photos entre les dents.) Voilà… (Il continue la distribution.)

Dolorès Montero - Yé souppose qué vous avez des employés pour monter tous mes bagages ?

Dr Rissel - Tous vos bagages ! Vous allez passer votre séjour en peignoir. Nous le fournissons, vous le trouverez dans votre salle de bains.

Dolorès Montero - Oun peignoir dé votre établissement ! Quelle horreur ! Yé né porte qué mes propres vêtements !

Dr Rissel - Je disais ça pour vous… Si vous voulez passer inaperçue, autant être habillée comme les autres curistes.

Dolorès Montero - Né vous inquiétez pas, yé saurai mé fondre dans lé paysage. Alors, pour mes bagages ?

Stéphanie - Je m’en occupe, mademoiselle Montero. (Au docteur.) Je vais demander à Martine de s’en charger.

Dolorès Montero - Y’espère qu’elle est costaude, votre Martine.

Stéphanie - Pourquoi ?

Dolorès Montero - Parce qu’il y a oune dizaine dé malles !

Stéphanie - Une dizaine de malles !… Pour huit jours !

Dolorès Montero - Yé préféré voyager léger… Ma pour les porter, ça serait mieux des hommes. Il faut des mâles pour qu’ils n’aient pas de mal à porter mes malles ! Ha ! ha ! ha ! Note mon bon mot, Pedro. Pedro !

Pedro - Je suis là, je suis là ! J’ai entendu. Je note, mademoiselle, je note…

Dr Rissel - Je ne veux pas vous contrarier mais si on monte tout ça, vous n’aurez plus de place dans votre chambre.

Dolorès Montero - Comment ? Oune chambre ! Yé n’ai pas oune souite ?

Dr Rissel - Désolée, nous n’avons pas de suite ici.

Dolorès Montero - Ma cé n’est pas possible !

Dr Rissel - Ce n’est pas un hôtel de luxe et même si ce centre est l’un des meilleurs, il ne comporte que des chambres.

Dolorès Montero - C’est très déplaisant… Soit, yé ferai cé sacrifice… pour ma tranquillité. À quoi en est rédouite Dolorès Montero, la célèbre et soublime actrice ! Sé réfougier dans cet endroit, accessible au commun des mortels… enfin, si c’est lé prix à payer pour échapper aux vautours dé la presse, yé m’y résous…

Finalement, Pierre Verdier monte sur l’une des petites tables. Il a du mal à garder son équilibre. On le voit secouer son bras. De la manche sort l’appareil numérique attaché à l’élastique. Clic, la photo est prise, l’appareil regagne l’intérieur de la manche.

Dr Rissel - Vous pouvez quitter vos lunettes de soleil…

Dolorès Montero - Sourtout pas, malheureuse !

Dr Rissel - Ah ! ah ! Hyper-photosensibilisation, ou peut-être conjonctivite… ou orgelet surinfecté, vulgairement appelé compère-loriot… à moins que… (Elle examine la chevelure.) Non, pas de teinture. Ce n’est donc pas de l’albinisme.

Dolorès Montero - Ma… dé quoi parlez-vous ?

Dr Rissel - Ce n’est tout de même pas une dégénérescence de la macula ou un décollement de la rétine… quoique… le port de lunettes de soleil, surtout à l’intérieur, peut indiquer une fatigue oculaire importante, certainement due à une exposition prolongée aux rayons…

Dolorès Montero - Yé vous arrête ! Si yé porte des lounettes noires, c’est pour né pas être reconnoue, enfin, voyons !

Dr Rissel - Explication un peu simpliste dont j’aurais tendance à me méfier. Elle peut cacher une fragilité ou pire, une déliquescence du cristallin… Enfin, nous verrons ça plus tard. Stéphanie, accompagnez Mlle Montero à sa chambre, ensuite, vous viendrez me rejoindre dans mon bureau pour faire le point à son sujet.

Stéphanie - Mademoiselle… Si vous voulez bien me suivre… Vous verrez, votre chambre est très agréable avec sa petite terrasse qui donne sur le parc.

Dolorès Montero - Ma pourquoi tous ces gens ils mé régardent encore ? Yé souis pourtant discrète, non ? Pedro !

Pedro - Oui mademoiselle, je note…

Elle lui arrache le bloc des mains et lui tape sur la tête.

Dolorès Montero - Tou notes quoi, abrouti ! Yé n’ai pas fait dé bon mot ! Allez, viens ! (Elle lâche le bloc, il le ramasse à la hâte.)

Pedro - Je vous suis, mademoiselle…

Ils sortent. Aussitôt, tous se mettent à bouger, à parler et à les suivre à distance respectable. Ce faisant, ils bousculent Verdier sur son tabouret, il perd l’équilibre, s’accroche à la vasque, son bras plonge dans l’eau. Les autres sont sortis. Jérôme sort à son tour du local et part de l’autre côté. Verdier prend un air dégagé, sifflote, sourit en faisant semblant d’être accoudé à la vasque. Une fois que Jérôme est parti, il sort son bras trempé jusqu’au coude, la manche dégouline ainsi que l’appareil photo qui se balance au bout de l’élastique.

  1. Verdier (d’un ton dégoûté) - Et merde !…

 

Entracte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte II

 

Le hall est vide. Pierre Verdier est au téléphone.

  1. Verdier - Mais bien sûr, qu’est-ce que tu crois !… Pas moyen, je te dis, je peux pas accéder à sa terrasse sans qu’on me voie, elle donne sur le parc… La nuit ? Faudrait pouvoir ! Je sais pas ce que j’ai mais le soir, je suis vanné, j’ai à peine terminé de dîner que je dors déjà… Je sais pas. Le changement d’air peut-être ou la faiblesse… C’est sûr que c’est pas mon genre ! Mais faut dire aussi que je mange presque rien… Non, non, je vais bien, enfin j’allais bien avant que leur toubib décide que je devais suivre un régime… Ouais, une bonne femme complètement cintrée !… T’en fais pas, je vais y arriver, tu me connais… Dès que c’est dans la boîte, je rapplique. Allez, salut Max. (Il raccroche.)

Stéphanie arrive.

Stéphanie - Ah ! monsieur Verdier ! Ça y est, vous avez retrouvé une couleur normale !

  1. Verdier - Encore heureux… au bout de deux jours…

Stéphanie - Vous savez que vous êtes notre seul cas ? Je me demande comment vous avez fait.

  1. Verdier - Je ne sais pas… un don, peut-être.

Stéphanie - Ah ! que je vous dise… voyons… (Elle consulte sa fiche.) Oui… voilà : séance de massage à seize heures. Vous allez voir comme ça va vous relaxer, je vous sens tout tendu, là…

  1. Verdier - C’est sans doute parce que je suis affamé !

Stéphanie - Oh ! tout de même, monsieur Verdier !

  1. Verdier - C’est la vérité !

Stéphanie - Allons, allons, vous exagérez.

  1. Verdier - On me donne des doses pour anorexique, je vous assure ! (En confidence.) Dites, vous pourriez pas dire deux ou trois mots au cuistot pour qu’il fasse un petit effort sur la quantité ?

Stéphanie - Il n’est pas question que je transgresse les ordres du docteur Rissel !

  1. Verdier - Non mais juste un peu… à peine… une sorte de régime moins… régime, vous voyez ?

Stéphanie - Non, non, non, soyez raisonnable, monsieur Verdier, si le docteur vous a prescrit la diète, c’est que c’est bon pour vous.

  1. Verdier - Et si je vous donnais un petit billet, mmm ? Juste comme ça, ni vu ni connu…

Stéphanie - Monsieur Verdier, je vais finir par me fâcher !

  1. Verdier - Vous n’avez pas de cœur. Ça vous est complètement égal de me voir dépérir sous vos yeux, hein ?

Stéphanie - Tant que je n’entendrai pas vos os cliqueter à chacun de vos mouvements, je ne m’inquiéterai pas !

  1. Verdier - Très bien. Merci beaucoup pour votre sollicitude. Bon, je vais aller déguster ma rondelle de tomate, ma demi-tranche de jambon et sa cuillère de purée et mon grain de raisin. Je vous souhaite une bonne journée…

Il part.

Stéphanie - Bon appétit, monsieur Verdier !

Dolorès Montero et Pedro arrivent. Elle a enfilé un peignoir complètement extravagant avec des nœuds partout, des rubans de couleurs vives, un turban sur la tête, des mules à talons hauts…

Stéphanie - Bonjour mademoiselle Montero. J’espère que ce petit séjour chez nous vous convient.

Dolorès Montero - Yé commence à m’ennouyer oun peu. Yé l’habitude de voir dou monde, beaucoup dé monde !

Stéphanie - Justement, ici vous pouvez décompresser, vous relaxer, prendre du repos et ne penser qu’à votre bien-être… C’est ce que vous vouliez, non ?

Dolorès Montero - Si… bien sour… (Tony passe, fait juste un petit signe de la tête et s’en va.) Ma qui c’est, cé beau garçon ?

Stéphanie - Un de nos clients…

Dolorès Montero - Yé m’en doute. C’est quoi lé nouméro dé sa chambre ?

Stéphanie - Je suis persuadée que si vous le lui demandez, il vous le dira…

Dolorès Montero - Vous né voulez pas mé lé dire ! À moi, Dolorès Montero !

Stéphanie - Je ne fais que préserver la tranquillité de nos pensionnaires, comprenez-moi…

Dolorès Montero - Ma… Qu’est-ce qué vous sous-entendez ?

Stéphanie - Rien du tout, voyons ! Je suis sûre qu’il sera ravi de l’intérêt que vous lui portez mais je préfère que ça se passe entre vous, simplement, sans que je serve d’intermédiaire.

Dolorès Montero - Yé n’ai pas besoin dé votre intervention ! No mais yé rêve ! Lé ver dé terre veut sé faire aussi gros qué l’étoile !

Stéphanie - Oh ! mais non, c’est impossible !

Dolorès Montero - Yé lé sais ! Yé souis au sommet dé la gloire comme oun enfant sans frère ni soeur : ounique ! Pedro ! Note ! Vite !

Pedro - Je note, mademoiselle, je note…

Jérôme arrive.

Jérôme - Bonjour. (Courbette vers Dolorès. À Stéphanie.) Je viens chercher mon planning de la journée.

Stéphanie - Voilà. C’est une journée chargée.

Jérôme - J’espère qu’on est content de moi…

Stéphanie - Rassurez-vous, je n’ai aucune plainte… au contraire !

Jérôme - Tant mieux ! (Il repart.)

Dolorès Montero (elle le suit des yeux) - Et céloui-là, vous mé l’avez caché ?

Stéphanie - C’est notre nouveau kinésithérapeute.

Dolorès Montero - ça tombe bien, y’ai bésoin d’oun massage !

Stéphanie - Je ne sais pas s’il pourra vous prendre aujourd’hui…

Dolorès Montero - C’est oune plaisanterie ?! Vous annulez les autres gens ! Yé lé veux pour moi toute seule ! (Elle tape du pied.)

Stéphanie - Calmez-vous. Je m’en occupe immédiatement, mademoiselle Montero. Nous sommes là pour vous satisfaire, mademoiselle Montero…

Dolorès Montero - C’est oun monde ! Y’ai oun caractère d’ange ma il y a toujours quelqu’un pour mé contrarier.

Stéphanie - Je suis désolée… Tout sera fait selon vos désirs.

Dolorès Montero - Encore heureux ! (Soupir.) Enfin… il y a au moins oune chose dé bien ici : yé né souis pas poursuivie par oune nuée dé yournalistes qui n’ont qu’oun seul objectif, prendre des photos ! Ah ! ah ! ah !… Note cé bon mot Pedro !

Pedro - Je le note, mademoiselle ! « Les journalistes n’ont qu’un seul objectif, prendre des photos. » Ah ! celui-là est excellent !

Dolorès Montero - Comment ça « céloui-là » ? Ils sont tous excellents, bougre d’âne bâté ! Tou n’y connais rien… Souis-moi, yé vais faire oun tour dans lé parc…

Ils sortent.

Stéphanie - Bonne promenade, mademoiselle Montero ! (À elle-même.) Bon, il faut que j’aille voir ça avec Jérôme.

Isabelle et Sophie arrivent.

Sophie - Tony doit nous attendre dans la salle de restaurant.

Isabelle - Il est génial ce garçon… Toujours gai, drôle…

Sophie - Minute, papillon ! Il est pour moi, O.K. ?

Isabelle - Depuis quand ?

Sophie - Depuis que… depuis ! Voilà !

Isabelle - Ah bon ?

Sophie - De toute façon, tu n’es pas prête à avoir une autre histoire, c’est trop tôt.

Isabelle - C’est nouveau, ça…

Sophie - Et puis, ce n’est pas un garçon comme Tony qu’il te faut. Il est trop… léger. Non, tu as besoin de quelqu’un de plus mûr, de plus posé… (M. Bourguignon arrive.) Oh ! monsieur Bourguignon, justement on parlait de vous !

  1. Bourguignon - De moi ? C’est très flatteur !

Sophie - Enfin, de vous… pas tout à fait. Nous parlions de quelqu’un comme vous. Mon amie vient de vivre une rupture amoureuse difficile. (Coup de coude d’Isabelle.)

  1. Bourguignon - Oh… je vois. Les jeunes gens, de nos jours, ne sont plus guère galants, attentionnés. Et encore moins fidèles !

Sophie (clin d’œil à Isabelle) - C’est ce que je me tue à lui dire.

Pendant ce discours, Mme Bourguignon, arrivée à son tour sans qu’il s’en aperçoive, se tient à l’écart et écoute tout.

  1. Bourguignon - S’il est vrai que la jeunesse possède bien des attraits, un homme plus mûr présente beaucoup d’avantages… Regardez, moi, par exemple, je ne me cherche plus, je sais qui je suis, ce que je veux, on peut se reposer sur mon épaule… Je sais être protecteur mais sans étouffer, présent mais sans indisposer, compréhensif et… généreux…

Sa femme s’avance et explose.

Mme Bourguignon - Toi, tu te cherches plus mais c’est moi qui te trouve ! Et si tu sais qui tu es, tu sais pas ce que moi je suis capable de te faire ! On peut se reposer sur ton épaule, tu dis ? Avec ton arthrose ? Laisse-moi rire ! Et je vois pas comment tu pourrais être généreux avec l’argent de poche que je te laisse tous les mois… ou alors, c’est que tu rends pas toute la monnaie quand tu fais les courses !

  1. Bourguignon - Enfin, bibiche… c’était une façon de parler. Ces demoiselles se demandaient si un homme plus mûr ne serait pas préférable à un jeune…

Mme Bourguignon - Plus mûr, peut-être… mais pas blet ! Mes pauvres demoiselles, il ne faut pas vous laisser abuser par ce vieux coq sur le retour !

  1. Bourguignon - Alors là, tu exagères !

Sophie - Excusez-nous, on doit rejoindre un ami…

Isabelle - Oui, on vous laisse…

Elles s’en vont.

  1. Bourguignon - Tu te rends compte de la honte ?

Mme Bourguignon - Tu te la mets tout seul, la honte. Ah ! tu avais l’air fin…

  1. Bourguignon - Tu m’as coupé l’appétit. Je retourne dans la chambre.

Mme Bourguignon - Dis plutôt que tu n’as pas envie d’entendre glousser dans ton dos ! (Il part.) C’est ça ! Sauve-toi, c’est tout ce que tu sais faire ! Goujat ! Coureur ! Menteur ! Ça n’a plus les moyens et ça veut faire le beau ! (Elle s’assoit sur une chaise longue et essaie de reprendre son souffle.) Non mais, je rêve ! Mais qu’est-ce qu’il croit ?

Stéphanie arrive.

Stéphanie - Madame Bourguignon ! Ça ne va pas ? Vous êtes toute rouge ! (Le docteur passe par là.) Docteur ! Venez vite, Mme Bourguignon nous fait un malaise !

Mme Bourguignon - Non, ça va… laissez-moi… C’est juste que je me suis énervée.

Dr Rissel - Les mêmes symptômes que Verdier ! La boue !

Stéphanie - Non, elle n’est pas aussi rouge.

Dr Rissel (l’examinant à gestes vifs) - Les vaisseaux des globes oculaires ne sont pas dilatés, le pouls est un peu rapide mais rien d’alarmant. (Elle tape sur son genou avec un stylo.) Le genou répond bien aux stimuli. (Soudain pleine d’espoir.) Nous avons peut-être affaire à une maladie rare !

Mme Bourguignon (reprenant ses esprits et son calme) - Mais non, je n’ai rien de tout ça, je me suis énervée, je vous dis. Il faut avouer qu’il y avait de quoi. J’ai pourtant l’habitude mais là, il a dépassé les bornes !

Dr Rissel - Ne parlez pas ! Ne vous fatiguez pas ! Je crois que j’entrevois de quoi vous souffrez. C’est une crise d’apoplexie… ou de tétanie… ou alors une congestion pulmonaire avec complications cardiaques… ou… (Petit air déçu.)… tout simplement une crise d’asthme.

Mme Bourguignon - Ah ! ça va comme ça, hein ! J’ai surtout affaire à un vieux paon qui veut faire la roue… seulement sa roue, elle est à plat et il n’a plus la pompe qui va avec !

Elle part.

Stéphanie - J’ai vraiment cru qu’elle faisait un malaise mais ça a l’air d’aller…

Dr Rissel - Vous l’avez dit : « ça a l’air » ! C’est très mauvais signe ! Les pathologies les plus graves sont souvent celles qui n’ont l’air de rien. Il faudra que je reste vigilante, on ne sait jamais… Venez, on va faire le point.

Elles sortent.

Pierre Verdier arrive. Il lutte pour ne pas s’endormir. Il titube, ses yeux se ferment régulièrement. Sa voix est pâteuse, il articule avec difficulté, il s’accroche sans cesse à quelque chose. M. Bourguignon passe par là.

  1. Verdier - Monsieur Bourguignon…
  2. Bourguignon - Monsieur Verdier… Qu’est-ce qui vous arrive ?
  3. Verdier - Je sais pas… Un truc que… j’ai mangé…
  4. Bourguignon - Pourtant j’ai vu que vous étiez au grand régime…
  5. Verdier - Laissez tomber… Vous pouvez… me rendre un… service ?
  6. Bourguignon - Mais bien entendu. De quoi s’agit-il ?
  7. Verdier (il lui tend un appareil photo) - Il faut… prendre des photos… dans le parc… Je l’ai vue…
  8. Bourguignon - Qu’est-ce que vous avez vu ?
  9. Verdier - Elle est… au milieu des… fleurs…
  10. Bourguignon - C’est que… des fleurs, il y en a beaucoup !
  11. Verdier - Vous pouvez pas… la rater… Elle passe d’un rosier… à l’autre…
  12. Bourguignon - Ah ! dans la roseraie ! D’accord. Et vous voulez que j’y aille tout de suite ?
  13. Verdier - C’est… le moment… idéal… la lumière… est bonne…
  14. Bourguignon - Vous croyez qu’elle y est encore ?
  15. Verdier - Oui…
  16. Bourguignon - Vous savez, ce n’est pas facile ce que vous me demandez là… Je ne sais pas si je pourrai être à la hauteur… Enfin, je vais essayer. Vous voulez des gros plans ou des prises de vues normales ?
  17. Verdier - Les deux… Et il faudra être… très discret… vous comprenez ?
  18. Bourguignon - Bien entendu. C’est qu’elle risque de s’effaroucher et de disparaître. Heureusement, le zoom est là pour ça !
  19. Verdier - Je vois qu’on s’est… compris… Je saurai… vous remercier…
  20. Bourguignon - Attendez d’abord de voir les photos !
  21. Verdier - Prenez-en beaucoup… Je ferai… le tri.
  22. Bourguignon - D’accord, monsieur Verdier. Comptez sur moi !
  23. Verdier - Allez… Vite… Et chut !
  24. Bourguignon - Je ne ferai pas plus de bruit qu’un indien en mocassins sur le sentier de la guerre !

Il part.

Stéphanie revient.

  1. Verdier - Ah ! vous êtes là…

Stéphanie - Monsieur Verdier ! Dans quel état vous vous êtes mis ! Mais enfin, ce n’est pas possible ! (Il s’accroche tant bien que mal au comptoir.) Qui vous a servi de l’alcool ? Dites-moi qui !

  1. Verdier - Per… sonne…

Stéphanie - Les ordres sont stricts en ce qui vous concerne : de l’eau et seulement de l’eau !

Il l’attrape par sa blouse.

  1. Verdier - Qu’est-ce qu’on a mis… dans ma cuillère… de purée ?… Répondez-moi… (Il veut la secouer mais c’est mou.)

Stéphanie - Dans votre purée ? Oh ! mon Dieu ! Le cuisinier s’est trompé ! Il a dû y mettre votre Gardenal du soir !

  1. Verdier - Quel… Gar… dénal ?

Stéphanie - Vous savez bien, pour vos problèmes de vessie.

  1. Verdier - Elle fonctionne bien… ma vessie… J’en veux pas de… votre Gardenal…

Stéphanie - Le docteur se doutait que vous refuseriez de vous laisser soigner alors le cuisinier a l’ordre de mettre votre Gardenal dans votre nourriture. Aujourd’hui il dû confondre et au lieu de le mettre au repas du soir, il l’a mis à midi…

  1. Verdier - C’est pour ça que… j’avais tant som… sommeil ?

Stéphanie - L’important, c’est que vos ennuis de pipis intempestifs ne soient plus qu’un lointain souvenir.

  1. Verdier (il essaie de crier mais n’y parvient pas) - J’ai jamais… pissé au lit, vous m’entendez !… Jamais !… On m’a mis à l’é… à l’école à l’âge de deux ans… et j’étais le plus… propre de la cl… de la cl… classe !

Stéphanie - Mais le docteur a dit que…

  1. Verdier - Je veux la voir, celle-là… Qu’on me l’am… l’amène… Qu’on me la laisse… Je vais m’en… occuper moi… de son cas !

Stéphanie - Allons, allons, calmez-vous, monsieur Verdier. Venez, je vous accompagne à votre chambre.

  1. Verdier - Lâchez-moi, espèce de… bourreau !… Je veux une douche… froide… et un litre de café… vous entendez ?… Si dans une… heure je suis pas sur pi… pied, je vous fais un procès… qui anéantira la rép… utation… de ce… de cet… (Il s’endort pratiquement.) La douche !… Vite !

Stéphanie - Appuyez-vous sur moi. On va arranger ça, c’est promis.

Ils sortent tant bien que mal.

Jérôme arrive, va dans son local. Il s’installe, serviette sur la table, crèmes, huiles, etc. Tony et Sophie arrivent à leur tour.

Tony - Alors, on se le fait ce Jacuzzi ? Rien que toi et moi…

Sophie - Tu ne serais pas en train de me draguer, par hasard ?

Tony - Devine…

Sophie - C’est tentant… Je ne sais pas trop…

Tony - Tu veux me faire languir, c’est ça ? C’est très excitant…

Sophie - Je te plais tant que ça ?

Tony - Je ne vois pas comment tu pourrais me plaire. Tu es moche, mal fichue, acariâtre et tu n’as aucun sex-appeal !

Sophie (elle le tape) - Dis donc, toi !

Tony (il lui attrape les poignets) - Tu cherches la bagarre ? Je suis pour ! Je t’avertis : ma spécialité, c’est la fessée !

Sophie - Lâche-moi !

Tony - Allez, avoue que ça te plairait…

Sophie (elle se dégage) - Là, tu vois, tu ne m’amuses plus…

Tony - Ben quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ?

Sophie - Laisse tomber, Tony, je ne suis pas ton genre.

Tony - Tu n’es pas mon genre ou je ne suis pas le tien ?

Sophie - Je te trouve très séduisant, ce n’est pas le problème, mais tu vois, je préfère les garçons un peu moins… directs.

Tony - Toi ?

Sophie - On dirait que ça t’étonne. Pourquoi ? J’ai l’air d’être une fille facile ?

Tony - Tu aimes bien rigoler, non ?

Sophie - Alors, il suffit qu’une fille plaisante volontiers avec toi pour que tu en déduises qu’elle va se retrouver dans ton lit ?

Tony - Excusez-moi ; sœur Sophie, sans votre tenue de nonne, je ne vous avais pas reconnue…

Sophie - Comme tu es décevant…

Tony - Oh ! ça va ! J’ai essayé, c’est pas un crime… On reste copains quand même ? Allez, tu ne vas pas m’en vouloir parce que tu me plais, mmm ?… C’est plutôt flatteur venant d’un beau gosse comme moi…

Sophie - Tu t’en sors toujours par une pirouette, toi, hein ?

Tony - Il y a des choses plus graves dans la vie… (Stéphanie et Pierre Verdier reviennent. Il semble un peu plus réveillé mais claque des dents. Elle le soutient toujours.) Tiens, regarde ce pauvre type dans quel état il est.

Stéphanie - On est arrivée, monsieur Verdier ! Maintenant que la douche glacée vous a réveillé, le kiné va finir de vous requinquer.

  1. Verdier (il claque des dents) - J’ai froid… J’ai la chair de poule des cheveux aux orteils…

Stéphanie - Justement, un bon massage va vous réchauffer tout ça !

Ils entrent dans le local du kiné. Jérôme l’aide à monter sur la table.

Isabelle arrive.

Sophie - Il va falloir que tu attendes pour ta séance. Apparemment, il y a une urgence. Je crois que c’est M. Verdier, tu sais, celui qui fait un régime strict. Il a une tête de déterré vivant !

Tony - Tu vois, ça ne vaut pas la peine de se prendre la tête pour des broutilles…

Sophie - Je vais au Jacuzzi… seule ! À tout à l’heure…

Elle part. Stéphanie ressort du local et s’en va à son tour.

Isabelle (soupir) - J’espère que ça ne va pas être trop long…

Tony - Avec moi, tu ne verras pas le temps passer !

Isabelle - C’est gentil de me tenir compagnie.

Tony - Je suis content qu’on soit seuls, tous les deux.

Isabelle (intimidée) - C’est vrai ?

Tony - Vraiment vrai, oui !

Isabelle - Oh ! je vois… Tu veux me parler de Sophie, c’est ça ?

Tony - Sophie ? Non, c’est de nous que je veux te parler…

Isabelle (de plus en plus intimidée) - Je ne comprends pas…

Tony (très romantique) - Je suis sûr que si. Tu as bien dû remarquer que tu me plais beaucoup, non ?

Isabelle - Moi ? Je croyais plutôt que c’était Sophie qui…

Tony - Arrête de parler d’elle ! (Il lui prend la main.) Il s’agit de toi… et de moi…

Isabelle - Oh… Tony…

Tony - Tu es si… lumineuse, si… douce, si… belle.

Isabelle - Tais-toi…

Tony (prenant un air abattu et lâchant sa main) - Je ne te plais pas… C’est ça… Tu ne m’aimes pas…

Pendant tout ce temps, Jérôme masse Verdier à grands coups de claques dans le dos et de gestes musclés tout en regardant par la petite fenêtre Isabelle et Tony avec un air rageur. Verdier pousse des « Aïe ! » et des « Oh là là ! » mais ne peut pas échapper à la poigne de Jérôme qui n’a d’yeux que pour ce qui se passe à l’extérieur.

Isabelle - Je n’ai jamais dit ça…

Tony - Non mais tu me repousses…

Isabelle (lui prenant la main à son tour) - Ne crois pas ça, Tony… Tu me plais, je te jure. Tu es tout ce qu’une fille peut rêver mais j’ai tellement peur de souffrir à nouveau…

Tony (théâtral) - Jamais je ne te ferais ce que le crétin avec qui tu étais t’a fait subir, je te le jure.

Jérôme attrape une jambe de Verdier, la soulève et la rabat d’un geste musclé. Le pied se retrouve au niveau de la tête (fausse jambe…). Verdier pousse un cri terrible.

Isabelle - C’est quoi, ce cri affreux ?

Tony (ne voulant pas perdre son avantage) - Viens… Suis-moi… Ne pensons qu’à nous.

Stéphanie arrive.

Stéphanie - J’ai entendu quelqu’un hurler !

Isabelle (se dégageant de Tony) - ça vient de chez le kiné…

Stéphanie entre dans le local.

Tony - Allez, viens…

Isabelle - Attends, on en reparlera plus tard. Je me demande ce qui est arrivé…

Tony - Ce qui m’arrive à moi, tu t’en moques !

Isabelle - Attends, j’aimerais bien savoir…

Tony - Tu sais que tu me brises le cœur… Tu t’en rends compte ?

Isabelle - Tony !

Tony - Tu sais où me trouver…

Il s’en va.

  1. Verdier - Je suis coincé ! Je suis coincé !!!

Stéphanie - On va vous aider, monsieur Verdier… ça va aller tout seul…

Jérôme - Décontractez-vous… Respirez à fond… Attention ! J’y vais ! Un… deux… trois !

Il fait faire le mouvement contraire à la jambe qui retrouve sa position normale.

  1. Verdier - Aaaahhhhh !!!

Jérôme - Et voilà ! Comme neuf !

  1. Verdier - Alors ça, c’est la meilleure !

Stéphanie - Allez… On descend… Doucement… Là… (Elle ressort en le soutenant.) Je vous raccompagne à votre chambre, monsieur Verdier. Un peu de repos et vous aurez retrouvé toute votre vitalité !

  1. Verdier - Je vais craquer… Je sens que je vais craquer…

Stéphanie - En tout cas, vous ne claquez plus des dents. Je vous l’avais dit que ça vous réchaufferait, monsieur Verdier !

  1. Verdier - Arrêtez de m’appeler par mon nom ! Je sais qui je suis… c’est exaspérant !

Stéphanie - J’entends bien, monsieur Verdier, j’entends bien…

Ils sortent. Isabelle est figée, elle n’ose pas entrer dans le local.

Jérôme (changeant sa voix) - Au suivant ! (Isabelle entre. Il a le dos tourné.) Installez-vous sur le ventre. (Elle monte sur la table.)

Isabelle - Je voudrais juste un petit massage, très très léger, enfin vous voyez quoi…

Jérôme - N’ayez aucune crainte. La crème est peut-être un peu froide… (Il la masse en douceur.) ça va comme ça ?

Isabelle - C’est très agréable. ça me rappelle…

Jérôme - Oui ? Qui ?

Isabelle - Oh… je préfère ne pas en parler.

Jérôme - Vous devriez. Parfois on se fait du mal pour rien.

Isabelle - Je ne sais plus trop… Peut-être disait-il la vérité après tout…

Jérôme - Vous parlez de quelqu’un en particulier ?

Isabelle - Malheureusement, oui…

Jérôme - Et vous l’aimez toujours ?

Isabelle - Je l’aimerai toute ma vie, hélas…

Jérôme (retrouvant sa voix) - J’en étais sûr ! Oh ! mon Isabelle !

Isabelle (se levant d’un bond) - Jérôme ! C’est toi ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ?

Jérôme - Tu ne voulais plus me voir, alors je t’ai suivie jusqu’ici et comme je savais que tu ne voudrais pas me parler, j’ai trouvé un moyen pour remplacer leur kiné. Je savais que forcément tu viendrais te faire masser !

Isabelle - Tu as trouvé un moyen ? Lequel ? (Il baisse la tête.) Ne me dis pas que c’est toi qui lui as cassé le pied !

Jérôme - Il fallait bien que je le mette hors circuit ! J’étais en moto et il traversait à côté du passage pour piétons…

Isabelle - Tu le guettais ! Tu l’as fait exprès !

Jérôme - C’est pas bien grave, c’est qu’un pied…

Isabelle - Mais c’est monstrueux !

Jérôme - Ce qui est monstrueux c’est que tu m’as quitté !

Isabelle - Vu la situation dans laquelle je t’ai trouvé, tu ne crois pas que j’avais quelques raisons d’être fâchée ?

Jérôme - C’est vrai, c’est affreux, je ne sais pas ce qui m’a pris. Je le regrette à chaque minute, mais je te jure que je n’ai pas couché avec cette fille. C’est toi que j’aime !

Isabelle - Même si c’est la vérité, comment veux-tu que je te pardonne de l’avoir ramenée chez toi ?

Jérôme - Tu viens d’avouer que tu m’aimais toujours…

Isabelle - Je ne sais plus… et puis, je viens de rencontrer quelqu’un, un garçon charmant qui m’adore.

Jérôme - Ce Tony de malheur ! Tu as cru ce qu’il te disait !

Isabelle - Tu étais là à nous espionner ! C’est écœurant !

Jérôme - Il a servi la même soupe à ta copine et comme avec elle ça n’avait pas marché, il a tenté sa chance avec toi !

Isabelle - Tu mens ! Tu as mutilé un pauvre homme pour lui prendre sa place, tu t’es fait passer pour un kiné pour être engagé ici et tu voudrais que je te fasse confiance ! Sois heureux que je ne te dénonce pas à la police !

Elle part.

Jérôme - Isabelle ! Je t’aime !

Désespéré, il quitte le local.

Mme Bourguignon passe par là tandis que son mari revient du parc.

Mme Bourguignon - Tiens ! Te voilà, toi !

  1. Bourguignon - Allons ma bibiche, ne sois plus fâchée…

Mme Bourguignon - Tu peux me dire d’où tu viens ? Et puis c’est quoi cet appareil photo ?

  1. Bourguignon - J’ai rendu service à M. Verdier, tu sais, le grand malade.

Mme Bourguignon - Quel service ?

  1. Bourguignon - Il voulait faire des photos dans le parc mais il était trop mal en point, alors j’y suis allé pour lui.

Mme Bourguignon - Et il t’a fait confiance ? Il a eu tort.

  1. Bourguignon - Allons bibiche, pas de mauvaise foi… Je crois qu’il va être très content de mes photos.

Mme Bourguignon - Tu as photographié quoi ?

  1. Bourguignon - Ce qu’il m’a demandé. Ah ! c’était pas facile ! Il faut être rapide mais pas brusque, bien capter la lumière, attendre le bon moment, être patient… Franchement, je pense que je m’en suis bien sorti. Il y a notamment trois ou quatre photos où mes gros plans sont particulièrement de bonne qualité : on voit presque le paysage se refléter dans les yeux de l’abeille ! J’ai aussi photographié un papillon blanc et noir sur un iris mauve. Il est magnifique avec ses ailes nacrées… Non, sans me vanter, je crois que M. Verdier va être épaté. Il n’aurait pas fait mieux ! Bon, je vais lui porter tout ça. Je suis impatient de voir la joie illuminer son visage. Le pauvre est tellement mal en point !

Mme Bourguignon - Moi, je vais au cours d’aquagym.

  1. Bourguignon - Tu adores ça on dirait…

Mme Bourguignon - J’y vais pour le prof. Quand je vois ses pectoraux et sa carrure ça me change de tes épaules en bouteille d’eau minérale ! (Elle part.)

  1. Bourguignon - Oh ! c’est petit, ça ! (Il sort à son tour.)

Stéphanie arrive avec Jérôme.

Stéphanie - Il ne faut pas quitter votre poste, mon petit Jérôme ! Dolorès Montero ne va plus tarder.

Jérôme - J’aimerais que la journée soit déjà finie…

Stéphanie - C’est parce que vous avez eu un cas délicat, tout à l’heure, mmm ? Il ne faut jamais se laisser abattre. Les gens à problèmes comme M. Verdier ne sont heureusement pas légion. (Dolorès Montero arrive, suivie de Pedro.) Elle arrive… Je vous laisse. (Elle sort.)

Dolorès Montero - Ah ! enfin ! Yé vous ai pour moi toute seule !

Jérôme - Installez-vous.

Dolorès Montero - Oh ! on sérait beaucoup mieux dans ma chambre, non ?

Jérôme - Ici, c’est très bien.

Sophie et Isabelle arrivent.

Sophie - Il faut que je voie ça de mes yeux : Jérôme, ici !

Isabelle - Tu te rends compte, il a failli tuer un homme !

Sophie - Pour tes beaux yeux ! On n’en rencontre pas tous les jours des mecs comme ça.

Isabelle - Tu ne vas pas l’admirer, tout de même !

Sophie - C’est super romantique ! Finalement, j’avais tort, il doit drôlement t’aimer !

Isabelle - Tu parles…

Sophie - Chut… tais-toi… il est avec la vedette !

Elles vont vers la petite fenêtre et assistent à la scène.

Dolorès Montero - Pedro ! Sors ! (Pedro s’exécute. À Jérôme.) Yé mé mets noue ?

Jérôme - Mais… non ! Quelle idée !

Elle s’approche de lui et commence à le palper.

Jérôme - Mais… mais… enfin… Je vous en prie !

Dolorès Montero - Yé souis tombée sour oun timide ! J’adorrre !

Jérôme - Je vais être obligé de vous demander de partir, madame !

Dolorès Montero - Madémoiselle ! Ma, si tou veux, tou peux être mon sixième…

Jérôme - Votre sixième quoi ?

Dolorès Montero - Mon sixième mari, voyons ! Oh ! qué tou mé plais !

Jérôme (il la repousse fermement) - On m’a déjà fait le numéro et, à cause de ça, j’ai perdu la femme de ma vie.

Dolorès Montero - Yé té consolerai ! Né résiste pas !

Jérôme - ça suffit, les mantes religieuses ! Je suis amoureux, vous comprenez ? Et ce n’est pas de vous ! Alors, laissez-moi tranquille et sortez d’ici !

Dolorès Montero - On né répousse pas Dolorès Montero ! Et on né loui parle pas sour cé ton, espèce dé petit rien dou tout ! Tou es mort, tou entends, tou es mort !

Elle ressort, très digne.

Pedro - J’ai un bon mot à noter, mademoiselle ?

Dolorès Montero - Tou m’as entendou rire ?

Pedro - Euh… non… pas trop…

Dolorès Montero - Eh bien alors !… Tou es encore plous stoupide que yé né pensais !

Elle part au pas de charge, Pedro sur ses talons.

Jérôme sort. Il a l’air abattu.

Sophie (tout bas, à Isabelle) - Il a repoussé Dolorès Montero ! Par amour pour toi ! Alors là, chapeau… Je m’incline !

Isabelle - Tu crois que…

Sophie - C’est une preuve, non ? Qu’est-ce que tu attends ?

Isabelle - Jérôme !

Jérôme - Isabelle !

Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre.

Sophie - Ne vous tracassez pas pour moi, surtout… Bon, ben je vous laisse, je vais voir si je peux trouver Tony.

Isabelle (elle se retourne) - Oh ! je l’avais oublié ! Dis-lui que je regrette de le faire souffrir mais ma réponse est non.

Sophie - De quoi tu parles ?

Isabelle - Il comprendra…

Sophie - Ah bon… Tu sais, il m’a demandé de sortir avec lui… Je crois que je vais accepter.

Isabelle (à Jérôme) - Alors c’était vrai ? (À Sophie.) Il m’a demandé la même chose !

Sophie - Oh ! il ne va pas s’en tirer comme ça !

Elle part, furieuse.

Isabelle et Jérôme rient, s’embrassent et s’en vont.

Stéphanie et le docteur reviennent.

Dr Rissel - Vous avez bien fait de m’en parler. Je vais lui rendre une petite visite. On n’est jamais trop prudent…

Stéphanie - Oh ! justement, le voilà !

Pierre Verdier arrive, des boîtes dans les mains.

Dr Rissel - Mais… vous vous déplacez tout seul !

  1. Verdier - On dirait que ça vous contrarie…

Dr Rissel - Non. C’est une énigme de plus, voilà tout.

  1. Verdier - Avant de vous connaître, j’allais très bien. Je n’avais aucun problème de santé. Le seul souci que j’ai eu, c’était une foulure de la cheville à l’âge de douze ans… Ici, en moins d’une semaine, grâce à vos bons soins, je me suis fait tartiner de boue malodorante et nocive, affamer, congeler sous vos douches glacées, écarteler par votre kiné fou, sans parler du somnifère qu’on m’a fait avaler à mon insu ! Arrêtez de chercher chez les autres des maladies qu’ils n’ont pas et occupez-vous plutôt de vous ! Je vais vous dire une bonne chose : vous êtes une grande malade qui s’ignore, docteur ! Oui, vous êtes malade des boyaux de la tête ! (Il lui met les boîtes dans les mains.) Reprenez vos poisons et fichez-moi la paix ou je ne réponds plus de rien ! (Il part.)

Dr Rissel (à Stéphanie, pétrifiée) - Vous avez entendu ça ?!

Stéphanie - Il ne faut pas lui en vouloir… Toutes ces épreuves l’ont terriblement affecté…

Le docteur se dirige vers un miroir.

Dr Rissel - Est-ce que c’est possible ?

Stéphanie - Ne faites pas attention… Je suis sûre que demain il vous présentera ses excuses.

Dr Rissel (elle s’examine dans le miroir) - Le teint est un peu brouillé… Des cernes commencent à se dessiner… La peau ne rosit pas au pincement… Le cheveu est mou et un peu terne… Une anémie. Un début de septicémie, peut-être. Ou pire, une leucémie qui s’amorce sournoisement. (Elle tourne très vite sur elle-même puis essaye de se tenir sur un pied.) Tout se confirme ! Inexplicable perte d’équilibre. (Elle se tape vigoureusement les cuisses.) Douleurs dans les membres inférieurs… Stéphanie ! Appelez mon remplaçant. Je dois faire un bilan sanguin complet et quelques examens annexes. (Elle énumère en sortant.) IRM, doppler, scanner, biopsie de mes différents organes, mammographie, artériographie…

Mme Bourguignon arrive.

Mme Bourguignon - Le docteur a un souci ?

Stéphanie - ça se pourrait bien… Une femme que je n’ai jamais vue malade ! Pas même un rhume !

Mme Bourguignon - C’est grave ?

Stéphanie - Je ne peux rien vous dire, confidentialité oblige…

Mme Bourguignon - Je comprends… Dites, je voulais vous demander…

Stéphanie - Oui ?

Mme Bourguignon - ça me gêne mais bon… Voilà : lorsque je ne suis pas chez moi, j’ai une fâcheuse tendance à la constipation. Vous ne pourriez pas me donner quelque chose ?

Stéphanie - Si, justement, on vient de me rapporter une boîte de Microlax. C’est souverain pour ce genre de petit souci.

Mme Bourguignon - Merci beaucoup.

Stéphanie (elle lui donne la boîte) - Attention ! Une surdose et vous ne sortez plus des toilettes pendant huit jours ! (Elles rient.)

Mme Bourguignon - Je vais aller me chercher un jus de fruits et je reviendrai me relaxer un peu.

Stéphanie - Moi je vais aller retrouver le docteur, elle a sûrement besoin d’un soutien moral…

Chacune sort de son côté.

Tony et Sophie arrivent.

Tony - Moi, draguer ta copine ! Elle t’a dit ça pour se rendre intéressante…

Sophie - Tu as fini de me prendre pour une idiote ! Jérôme a tout vu et tout entendu !

Tony - Bon… Oh ! ça va… Je plaide coupable. On pourrait quand même passer du bon temps, tous les deux, non ?

Sophie - Même pas en rêve ! Je t’aime bien, Tony, mais on va en rester là. Sans rancune…

Dolorès Montero et Pedro passent par là. Sophie fait un petit salut à Tony et elle sort.

Dolorès Montero - Vous vous êtes fait yéter, on dirait ?

Tony - Jeter, oui, c’est le mot… C’est la deuxième fois, aujourd’hui…

Dolorès Montero - Deux en vingt-quatre heures ! Quel don jouan !

Tony - Quand on va à la pêche, on ne rapporte pas toujours du poisson…

Dolorès Montero - C’est oune drôle dé façon dé parler des femmes…

Tony - Je parle des filles en général, pas des femmes comme vous, qui sont plus…

Dolorès Montero (elle s’approche très près) - Qu’est-ce qu’elles ont dé plous, les femmes comme moi ?

Tony - Elles savent ce qu’elles veulent. Elles ont passé l’âge des gamineries. Elles savent aussi que la vie est courte et qu’il faut savoir en profiter, qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait et que toute occasion est bonne à prendre.

Dolorès Montero - Vous vous définissez comme oune bonne occasion ?

  1. Bourguignon arrive et les écoute discrètement.

Tony - Je pense qu’il y a pire, en effet.

Dolorès Montero - Laisse-moi lé vérifier par moi-même, tou veux bien ?

Tony - Je ne vois aucune raison de te refuser ça…

Dolorès Montero - Pedro ! Dis au chauffeur dé sé ténir prêt. Lé temps dé m’habiller et on part d’ici ! (Elle regarde Tony.) ça né té pose pas dé problème ?

Tony - Aucune objection, votre honneur !

Dolorès Montero - Va vite chercher tes affaires, on sé rétrouve ici et yé t’emmène !

Tony - Au bout du monde si tu veux…

Ils partent.

  1. Bourguignon - Comment qu’elle te l’a emballé ! Ah ! c’est pas à moi que ça arriverait… (Pierre Verdier arrive.) Ah ! monsieur Verdier ! Ça va mieux ? Alors, vous avez regardé mes photos ? Vous devez être content, hein ? Je l’ai eue, votre abeille, vous avez vu ?
  2. Verdier - Ah ça ! Pour l’avoir vue, je l’ai bien vue… L’abeille… et le papillon ! Vous m’avez gâté.
  3. Bourguignon - ça m’a fait plaisir de vous rendre service ! Au fait, j’ai un scoop !
  4. Verdier - Vous avez repéré un faux bourdon ou une chenille ou encore une fourmi rouge transportant une feuille ?
  5. Bourguignon - Ah non… Je suis désolé de vous décevoir mais je peux retourner dans la roseraie si vous voulez…
  6. Verdier - ça ira comme ça.
  7. Bourguignon - Figurez-vous que je viens d’assister à un très beau spectacle.
  8. Verdier - La copulation échevelée de deux escargots en folie ?
  9. Bourguignon - La Montero et le beau gosse… vous savez, le grand, là… Tony, je crois…
  10. Verdier - Oui, je vois. Et alors ?
  11. Bourguignon - Ils sont ensemble !
  12. Verdier - Non !!!
  13. Bourguignon - Si ! J’étais là ! Ils sont partis vers les chambres. Même qu’elle a envoyé son secrétaire dire au chauffeur de se tenir prêt à partir.
  14. Verdier (essayant de cacher son excitation) - Elle est avec ce Tony, vous êtes certain ?
  15. Bourguignon - Je me tue à vous le dire ! Ils ne vont pas tarder, vous verrez bien que je dis la vérité. Ils doivent se retrouver ici et partir ensemble ! (Verdier part en courant. Stéphanie arrive.) Dolorès Montero nous quitte.

Stéphanie - Mon Dieu ! Quelque chose a dû lui déplaire !

  1. Bourguignon - Au contraire ! Elle s’est entichée du dénommé Tony : ils partent ensemble !

Stéphanie - C’est incroyable ! Vite, je vais avertir le docteur !

Elle part en courant.

  1. Bourguignon - Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à courir comme ça ?

Pierre Verdier revient. Il a caché son appareil photo sous son peignoir. Il fixe le zoom face au public en tournant le dos à M. Bourguignon. Il ne se rend pas compte que le zoom pointe sous le peignoir. Il se retourne, face à Bourguignon, de profil par rapport au public.

  1. Bourguignon le regarde fixement.
  2. Verdier - Je ne l’ai pas ratée, au moins ?
  3. Bourguignon - Ben dites donc… ça vous fait de l’effet, les histoires d’amour !
  4. Verdier - Ce n’est pas une histoire banale.
  5. Bourguignon (coup d’œil en direction du peignoir) - Quel engin !
  6. Verdier - Vous avez l’œil !
  7. Bourguignon - Il faudrait être aveugle…

Verdier se met à différents endroits en essayant de voir où il serait le mieux placé pour prendre la photo.

  1. Bourguignon - Et… ça ne vous… gêne pas trop ? C’est quand même… impressionnant !
  2. Verdier - Pas quand on a l’habitude de s’en servir.
  3. Bourguignon - Ce n’est pas tout le monde qui est si bien équipé.
  4. Verdier - Il faut ça, si on veut tirer en rafale. Comme ça, sur le nombre, on arrive toujours à en avoir une bonne. Il faut se donner les moyens, c’est tout.
  5. Bourguignon - Comme vous y allez ! (Pendant ce temps, Mme Bourguignon est arrivée avec un verre de jus de fruits. Elle écoute.) J’aimerais bien en avoir un comme ça…
  6. Verdier - Pour vous, je vois pas trop l’intérêt. Et puis, c’est pas donné !
  7. Bourguignon - Oh ! ben ça, tant pis ! Dites, vous voudriez pas m’en passer une boîte ?
  8. Verdier - Une boîte… de quoi ?
  9. Bourguignon - Je serai discret, rassurez-vous…
  10. Verdier - Je vois pas du tout de quoi vous parlez.
  11. Bourguignon - Vous savez bien… Des petites pilules bleues qui font des miracles… Allez, soyez chic…
  12. Verdier - Désolé, je comprends pas. (Il continue à chercher le bon angle. Il écarte M. Bourguignon.) Pardon… (Il se place de l’autre côté.)
  13. Bourguignon (pour lui-même) - Et la solidarité masculine, alors !

Sophie, Isabelle et Jérôme arrivent. Mme Bourguignon sort d’un sac le Microlax et en verse plusieurs sachets dans le verre de jus de fruits.

Mme Bourguignon - Ah ! tu veux courir, mon bonhomme, eh bien tu vas courir et plus vite que tu ne crois ! (Elle s’approche de son mari, le verre à la main.) Tiens ! J’ai pensé qu’un verre de jus de fruits te ferait plaisir…

  1. Bourguignon - C’est gentil, ça, ma bibiche… Merci. (Il prend le verre mais ne le boit pas tout de suite.)

Stéphanie arrive.

Stéphanie - Le docteur est alitée, elle ne pourra pas venir.

Tous sont en effervescence. M. Bourguignon a posé le verre sur le comptoir. Verdier, en pleine ébullition, le prend et le boit d’un trait.

Isabelle, Sophie et Jérôme arrivent à leur tour.

Isabelle - Je n’arrive pas à y croire… Tony et Dolorès Montero !

Jérôme - Il est doué, il n’y a pas à dire !

Sophie - Tu parles ! Il est désespéré de m’avoir perdue, voilà tout !

Stéphanie - Je crois que je les entends…

Tous s’agitent. Verdier se poste dans un coin.

Pedro arrive. Il porte deux valises.

Mme Bourguignon - C’est pas encore eux.

Stéphanie - Je les aperçois…

  1. Bourguignon - ça y est, les voilà !

Mme Bourguignon - Ils sont enlacés comme deux tourtereaux…

Dolorès Montero et Tony arrivent enfin. Pierre Verdier, monté sur une des tables basses, s’apprête à prendre la photo lorsque tout à coup il pousse un cri, remet à la hâte son appareil sous le peignoir et se tient le ventre.

Stéphanie - J’ai l’impression que le pauvre homme est plus atteint que nous le pensions…

  1. Verdier - Oh là là ! Oh là là !

Stéphanie - Je suis là monsieur Verdier, ne paniquez pas…

  1. Bourguignon - Appuyez-vous sur mon bras…
  2. Verdier - Ne me touchez pas ! Laissez-moi tranquille ! Oooh… Aaah… (Il repousse tout le monde et part en courant en se tenant le ventre.) Écartez-vous !!! Vite !!… Poussez-vous !!!… Je tiens plus !!… Aaahhh !!!

 

 

FIN


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